annecy ne manque pas d’air… bnb !

DEPUIS PLUSIEURS ANNÉES DÉJÀ, ANNECY PLAFONNE DANS LE TOP 5 AIRBNB DES DESTINATIONS FRANÇAISES LES PLUS ACCUEILLANTES. ET POUR CAUSE, LA PETITE VENISE DES ALPES A EN EFFET TRÈS LARGEMENT OUVERT SES CANAUX AUX USAGERS DE LA PLATEFORME COMMUNAUTAIRE : EN 3 ANS, L’OFFRE DE LOCATIONS AIRBNB Y A ÉTÉ MULTIPLIÉE PAR TROIS !

« Airbnb ? Oui, il y en dans l’immeuble juste à droite, et dans celui de gauche aussi, on voit des gens entrer et sortir, mais ils ne s’arrêtent jamais… ” Ce petit bar de la vieille ville et ses habitués regardent passer les touristes et leurs bagages comme certaines vaches regardent passer les trains : ça divertit, mais ça ne n’apporte pas grand’chose. Ça ne gêne pas vraiment non plus. Même discours dans la boulangerie, en face, ou dans la boucherie, juste à côté. Ces touristes de courte durée n’ont pas vraiment d’incidence sur leur chiffre d’affaires.
Ils en ont sur celui de Laurent, dans son resto-snack. Ses plats à emporter font le bonheur des locataires de passage. Mais à quoi reconnaît-il les utilisateurs d’Airbnb ? “Parce qu’ils sont là en semaine, que leur provenance est hyper variée, mais aussi et surtout parce qu’ils nous le disent ! Sur la masse, en tous cas, ils font quand même tourner l’économie locale.” “Et grimper les loyers ! ironise son fils Thomas (ndlr : Vérification faite, le loyer médian annécien a augmenté de 2,4% entre 2017 et 2018, il suit l’inflation). Il n’y a plus rien à louer en centre-ville pour les saisonniers, ou alors ce sont des bouses ! Tous les apparts sympas sont passés en Airbnb.”
Avenants ou indifférents, du côté des commerçants, on est en tous cas d’accord pour dire que ces intermittents du voisinage pourraient peut-être, quand même, trouver le chemin jusqu’aux containers pour y jeter leur verre et qu’ils sont de plus en plus nombreux.

SUR LES PAVÉS, LES BAGAGES

Et ce n’est pas qu’une impression. D’après les chiffres communiqués par Airbnb, la plateforme, qui proposait, en 2016, 700 logements à la location sur Annecy, en compte aujourd’hui 2100 ! Soit un logement sur 13. Contre 1 sur 21 à Paris…
Ségolène, elle, installée rue Sainte Claire depuis tout juste un an, est mi-amusée, mi agacée : “peu de temps après mon installation, je pensais avoir identifié ma voisine d’en face par la fenêtre, je croyais que c’était une petite mamie, mais au bout de quelques jours, je l’ai vue partir avec sa valise, puis il y a eu des jeunes, des plus vieux, des couples, des célibataires… Ça change tout le temps ! Mais ils ont toujours ces mêmes valises à roulettes, et leur bruit sur les pavés, ça, c’est infernal !”
“Les nuisances sonores, c’est ce qui remonte le plus des copropriétés, confirme Eric Goliot, conseiller immobilier à l’agence Damiers en centre ville. Forcément, quand on met 6 couchages dans un petit appartement qui n’est pas prévu pour…”

FOULE AUX ŒUFS D’OR

“Le phénomène se développe aussi sur les appartements prestige, complète son collègue Marc-Antoine Thévenet, nous avons récemment vendu deux appartements à plus d’un million pour faire du Airbnb. Alors qu’à ce niveau de standing, les voisins, eux, sont plutôt venus pour être au calme…” A lui, en tous cas, les investisseurs ne cachent pas leurs intentions. “Ils disent clairement qu’ils achètent pour faire du Airbnb. Ils tiennent 2-3 ans, mais réalisent rapidement que c’est une gestion lourde. Ça n’a de sens que s’ils peuvent se libérer du temps, c’est quasiment un travail à part entière.”
Certains en ont d’ailleurs fait le leur. Installé depuis 2 ans à Annecy, Jean-Baptiste Lange, lui aussi agent immobilier, a ouvert un service de conciergerie particulièrement destiné à soulager ces propriétaires que l’intendance et la gestion de leur location paniquent. “Nous gérons 70 biens, évidemment pour le ménage, la maintenance, l’état des lieux, mais aussi pour l’annonce et le planning. Et il y a de plus en plus de demande, tout le monde veut s’y mettre ! Bien sûr que c’est une niche fiscale, une machine à cash, mais il y a aussi une vision patrimoniale derrière, la volonté de préserver son bien.”

A L’AT-TAXE !

De le préserver aussi de certaines obligations, comme celle de re- verser la taxe de séjour à la commune, par exemple. Ce qui n’est plus possible depuis 2017 à Annecy. Après Paris et Chamonix, la ville a fait partie d’un premier wagon d’une cinquantaine de villes pour lesquelles Airbnb a automatisé la collecte et le reversement de cette taxe. Depuis juillet 2018, le processus est d’ailleurs généralisé à l’ensemble des 23 000 communes qui l’ont instaurée et la plate-forme américaine a récemment annoncé qu’elle allait leur redistribuer un joli pactole de 24 millions d’euros, dont 240 000 pour la seule capitale haut-savoyarde.
“Cette manne est reversée à l’Office du Tourisme des bords du lac, explique Guylaine Allantaz, conseillère communautaire déléguée au tourisme. Elle nous permet d’améliorer les pistes cyclables, les navettes sur le lac… Elle profite à tous.” Pour ne pas en perdre un centime, le Grand Annecy a d’ailleurs poussé la procédure un cran plus loin. En mars 2018, la communauté de communes a en effet délibéré pour adopter l’application d’une mesure qui ne concernait, à l’origine, que les villes de plus de 200000 habitants : limiter la location d’une résidence principale entière à 120 jours par an et obliger toute personne mettant un bien en location saisonnière à déposer une demande d’enregistrement auprès de sa mairie. Les plateformes locatives, dont Airbnb, ne devraient donc plus publier d’annonce ne portant pas ce numéro. “Ça permet aux communes de maîtriser ce qui se passe, commente Guylaine Allantaz, de ne pas accorder le numéro si elles estiment qu’il y a déjà trop de meublés sur leur territoire. Ça veut surtout dire qu’il y aura des contrôles et la mise en place d’un système de sanctions.”

MISE À (REVE)NU

Et ce n’est pas tout… Sur ses pages «Citizen», Airbnb informe ses utilisateurs des nouvelles réglementations, dont, à partir de 2020, une incontournable mesure de transparence fiscale : “la loi impose désormais à toutes les plateformes de l’économie collaborative opérant en France de transmettre les revenus perçus par chaque utilisa- teur. En janvier 2020, Airbnb devra donc communiquer le montant des revenus que vous aurez perçus au cours de l’année 2019.” “Du coup, les investisseurs sont prudents, conclut Marc-Antoine Thévenet, l’agent immobilier du centre-ville, ils recommencent à envisager du meublé traditionnel, des baux 3-6-9 ou le fait d’alterner des étudiants sur 10 mois et Airbnb sur l’été.”
L’Etat français et les communes vont-ils donc arriver à freiner la ruée vers la location de courte durée ? A Annecy, les locataires passagers vont-ils, à moyen terme, être délogés par les étudiants et les saisonniers ?… Rien ne dit qu’ils seront moins dissipés…?

©Seligaa ©Marc ©Anyaberkut