à poils & à valeurs
J’ai une amie, appelons-la jacqueline – parce que jacqueline, c’est ma copine. Depuis que je la connais, et ça fait longtemps, elle me bassine, jacqueline, avec son système pileux. Le vilain, le disgracieux, le malsain, le honteux. Sur les tibias, dessous les bras, en bas là-bas et «même là ! Des millions, ils sont des millions !» – je la soupçonne de les avoir comptés.
Parce qu’il faut dire que Jacqueline, pourtant féminine, a la carnation plus méditerranéenne que viking – pas les moustachus, leur Kerstin. Sans être barbue, elle est pelue, villeuse, laineuse… et frileuse. Ce soyeux pelage, l’hiver, la rend donc plutôt heureuse. Et la prive de piscine. Elle s’en fout, elle n’aime pas la piscine, Jacqueline. Mais avec l’été reviennent ses contrariétés. Ce relent d’animalité s’accorde mal avec son deux-pièces imprimé St Tropez. Alors tout, elle a presque tout essayé. La lame, la lime, le sucre, la cire… comme 80% des femmes, elle a même utilisé plusieurs méthodes en simultané. Mais rien de définitif. Je commence à douter : se serait-elle, à sa toison, attachée ?… Surtout depuis qu’elle a entrevu le salut.
LIBÉRÉES, DÉLIVRÉES, MAIS PAS ÉPILÉES
C’est de Belgique qu’il est velu. D’une princesse au petit poil. Une ado, Adèle Labo, qui, lassée d’avoir à s’épiler, a décidé de s’épargner les tontes répétées. De laisser revenir au galop le naturel qu’elle avait chassé. Mais elle n’est pas restée planquée ! Ses gambettes veloutées, c’est sur le web qu’elle les a affichées.
Et dans sa lignée, des centaines de princesses se sont assumées pour inonder le net d’une armée de mollets ébouriffés : les nénettes à poils ont osé ne plus se cacher. “Rappelle-toi Madonna, Julia Roberts ou Miley Cyrus, elles avaient déjà dévoilé leurs aisselles frisées”, s’illumine ma Jacqueline, “mais ces petites princesses poilues du web sont incroyablement décomplexées!”.
De filles en aiguille, ma duveteuse copine a découvert tout une communauté exposant sa pilosité sans frilosité. Le Very Hairy Legs Club aux Etats-Unis, les pubis touffus des mannequins d’American Apparel dans les vitrines de New York, ou encore les anticapitalistes sexuellement libérés du MIEL (Mouvement International pour une Ecologie Libidinale) et leur revendication d’une saison sans épilation, tout un été… Jacqueline s’est sentie entourée.
FOURRURE ET LITTÉRATURE
Puis elle a lu. Beaucoup. “Te rends-tu compte que, depuis l’Antiquité, le poil est symbole d’impureté et d’animosité? Mais à la chute de l’Empire Romain, pendant près de cinq siècles, il a pu, à nouveau, pousser en toute fierté, les Catholiques considérant que si Dieu te l’a donnée, la soie, tu dois la garder.”
Et Jacqueline de s’imaginer, en toge et libérée. “En plus, les poils nous protègent de la chaleur, du froid, arrêtent les poussières dans les narines et les oreilles, maintiennent une hydratation suffisante de la peau et nous permettent même, MÊME, de percevoir un contact physique, avant même que l’épiderme ne soit stimulé.”
Convertie, confortée, conditionnée, Jacqueline laissa donc la broussaille gagner. Son combat à elle ne faisait que commencer, mais elle était armée. A ceux qui la traitaient de gorille ? “Gorille oui, mais gorille fille !” Ceux qui ne trouvaient pas cela hygiénique ? «Des trichophobiques !» Ceux qui trouvent ça ridicule ? “Je m’en tamponne le foliculle ! Je réclame le droit d’être différente, de ne pas me soumettre à cette idée d’un soi-disant idéal féminin qui nous est imposé, de ne pas être lisse, d’être imparfaite – et, de ne plus souffrir pour être belle, soyons honnête.”
Jusqu’au jour où, en pantalon camouflée, elle a rencontré André. Certitudes, beauté intérieure et convictions chevillées sont alors parties à la benne, avec les bandes de cire de l’esthéticienne…!
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© Adèle Lavo
