STEPHANE DIAGANA

STEPHANE DIAGANA

HAIE D’HONNEURS

Que faites-vous en 47 secondes 37 ? Allez, on vous aide, c’est juste le temps que vous mettrez à lire la première réponse de cette interview, juste la première. Pendant ce temps, Stéphane Diagana, lui, fait un tour entier de stade, soit 400 mètres -on a vérifié-, en tenue saillante et pour corser le tout, parce que ça serait trop simple sinon, il y ajoute une dizaine de haies à sauter en passant. Et personne en Europe ne fera mieux pendant 25 ans ! Alors ? On ne fait plus les malins ?

Un palmarès à vous donner des suées sur votre canapé, de champion de France à champion du monde, Stéphane court depuis toujours, court encore et toujours, et ce n’est pas une série de haies qui va l’arrêter. Et même si son ombre -sur les rotules- a rendu son maillot, si l’athlète a rangé ses médailles dans une boîte à chaussures -grosse, la boîte-, l’homme n’a pas fini de survoler les obstacles pour porter haut et loin ses ambitions pour l’athlétisme. Plus encore, il mouille désormais un polo -plus passe-partout- pour faire du sport une cause nationale, voire un enjeu de santé publique. Hier infatigable sur les circuits, vous ne le rattraperez toujours pas sur les routes de France et de Navarre. On a essayé, on a fini en réa !

A vos marques, prêts ? Lisez !

400M Haies Homme – Championnat du monde, le 27 août 2003, au Stade de France. Digital image © Gérard Vandystadt/Vandystadt

Activmag : Une mère instit’ et un père militaire, ça devait filer droit à la maison…
Stéphane Diagana :
Ah ah ah ! Belle entrée en matière !! Alors, oui militaire, mais je ne le percevais pas vraiment comme ça. Pour moi, c’était un marin, qui aimait la mer. Mais oui, il était engagé dans la Marine Nationale, basé à Dakar, puis à Toulon où il a rencontré ma mère, institutrice. Alors est-ce que ça filait droit à la maison ? Je dirais oui, mais pas de manière autoritaire. Ils avaient donné des principes de vie et de comportements personnels très claires. Un cadre de valeurs définies et bienveillantes qui, si on les respectait correctement, pouvaient laisser pas mal de libertés dans nos choix, nos orientations, sans qu’ils ne s’immiscent dedans. D’ailleurs, on n’a pas eu d’éducation religieuse pour ça. Il a fallu qu’on se construise notre propre spiritualité. Beaucoup de liberté donc, mais aussi de responsabilités, d’autonomie et de confiance, autour de ce cadre.

Ce n’était donc pas pour fuir l’autorité parentale que tu as appris à courir si vite...
Eh non… (rires)

Quel gamin étais-tu ?
Très actif ! La chambre, c’est sympa, mais dehors, c’est mieux ! J’étais le plus jeune d’une fratrie de 3 garçons, je ne la ramenais pas trop du coup. Pas timide, mais réservé. Je n’allais pas spontanément vers les autres. J’appréciais être en retrait, observer, écouter, je ne cherchais pas le devant de scène.

400M Haies – Médaille d’Or au Championnat d’Europe 2002 – Munich (GER) – Photo : SAMPICS/DPPI

Quel métier pensais-tu exercer alors ?
Dans la recherche… Je me souviens d’un jeu de chimie, des expériences, m’être passionné pour les phénomènes naturels, les liens de cause à effet, puis la science… Je me voyais bien chercheur, en quoi, j’en sais rien… Pour assouvir ma curiosité.

Pourquoi l’athlétisme, du coup ? Tu t’étais frotté à d’autres disciplines avant ?
Très originalement, j’ai démarré par le foot. Mon père étant entraîneur dans un petit club, j’ai donc commencé par là. Mais déjà je savais que je voulais faire de l’athlé. Sauf qu’il n’y avait pas de club dans le coin. Donc le foot était un prétexte pour courir avant tout ! Et puis j’aimais courir sous toutes ses formes, que ce soit longtemps ou vite, du sprint ou du cross, en sautant des haies ou pas… Après 3 ans de foot, ma mère a été mutée et on a déménagé dans une ville avec un club d’athlétisme. Et c’est là que tout a commencé. Mais jusqu’à 19 ans, je n’avais jamais imaginé en faire mon métier. Je courais juste pour le plaisir, mais quel plaisir !

Jusqu’à ces exploits qu’on te connaît. Tu as continué tes études en parallèle, comment as-tu pu cumuler les 2 ?
Euh… en acceptant de terminer mon cursus à 35 ans !! J’ai pris mon temps, fais des pauses quand il le fallait, repris le fil de mes études dès que je le pouvais. Sereinement. Sans impasse. Je gagnais bien ma vie avec mes résultats sportifs, mais pour autant, grâce à mes études, je ne jouais pas ma vie à chaque course… Ainsi, tu laisses dominer le jeu sur l’enjeu.

Sur les circuits, tu étais plutôt à la recherche de l’exploit ou du geste juste ?
J’ai toujours été plus intéressé par la recherche de l’excellence, que par la quête du résultat… Se fixer des objectifs, c’est surtout un moyen pour apprendre sur soi, explorer, pour bien s’entourer. Au-delà du geste, dans la vie en générale, c’est l’attitude juste qu’il faut trouver, avec un résultat à la clé attendu, certes.

Et aujourd’hui, ta quête ?
Ce qui m’intéresse aujourd’hui, c’est plus le bonheur qu’un statut quelconque. J’ai, à un moment, été approché pour être Ministre des Sports. J’ai refusé et ça pouvait étonner autour de moi, mais je ne voyais pas comment ça allait contribuer à mon bonheur. Le poste, tel que je le voyais exercé, le budget ridicule alloué, qui témoigne aussi de la place qu’on donne au sport en France, c’est finalement plus de la représentation qu’autre chose. C’est en tout cas la vision, certes un peu réductrice, que j’en avais à ce moment-là. Mais ne pas voir mes enfants encore petits grandir pendant 5 ans pour aller inaugurer des gymnases et couper des rubans un peu partout en France, c’était trop cher payé !

Donc la politique, très peu pour toi ?
Disons que je suis plus tenté par un engagement à un niveau de communauté de communes, de ville ou d’association. J’ai le sentiment que je pourrais impacter plus facilement, d’être plus utile et efficace en local qu’au niveau national. Quitte à ce que la réussite locale inspire à un autre niveau ensuite et soit modélisée. Mais partir de l’Etat, pour moi, ce n’est pas le bon échelon pour le concret et le changement palpable.

©Jean-Louis Paris

Quand tu regardes ta carrière, de quoi es-tu le plus fier ?
De mes choix. Mais plus que de la fierté, c’est de la satisfaction, comme si j’avais réussi un TP (Travail Pratique) sur moi- même. En soi, ça n’a pas de sens de passer autant de temps à courir d’un point A pour arriver à ce même point le plus vite possible, avec 10 haies au milieu !! J’ai pourtant passé des années à tourner sur les pistes. En revanche, ce que ça demande, les choix que j’ai dû faire, les valeurs que j’ai pu faire avancer grâce à mes courses, la droiture, le travail, donner le meilleur de soi, respecter l’adversaire dans la compétition, là, ça fait sens. Quand un jeune, qui pourtant n’a pas dû me voir courir, me dit que je suis pour lui une source d’inspiration, c’est ça ma fierté ! Les victoires, les titres, l’argent, la célébrité, c’est rien à côté de l’impression que tu laisses. Les médailles, elles finissent dans une boite à chaussures !

Quels sont tes regrets ou frustrations ?
Je n’en ai pas vraiment. Je me suis toujours donné le maximum de chance pour atteindre mes objectifs, alors effectivement pas toujours avec la réussite espérée au bout, comme pour les JO, parfois même par un excès d’engagement. Mais je ne peux pas dire, si je m’étais mis à bosser, si je m’étais plus investi, j’y serais arrivé. C’est difficile de bosser plus, c’est pour ça d’ailleurs que j’ai été pas mal blessé aussi. Je n’étais pas un surdoué comme Ladji Doucouré ! Mais j’ai fait avec mes moyens et j’ai plutôt bien tiré mon épingle du jeu.

Et sur ta vie d’homme ?
Je suis quelqu’un de plutôt chanceux. Même quand je me casse la gueule en vélo (en 2011, il perd connaissance dans une descente du col de Vence et heurte une voiture venant à contre- sens, NDLR), j’ai de la chance ! J’ai juste des dégâts sur la carrosserie, mais c’est pas le sujet pour moi. Je peux avancer. Et continuer à profiter de la vie et faire ce que j’aime. De toute manière, je ne suis pas du genre à m’appesantir sur ce qui ne va pas, à me plaindre, je suis un optimiste. Ma mère m’a toujours appris à regarder ceux qui avaient moins que moi, et le sport à regarder plus haut. En fait, ma mère m’a donné un pied gauche et le sport son pendant droit. Et le choix du qui à gauche et à droite n’est pas anodin…

Ah oui ?
D’un point de vue politique : être capable de penser le bonheur simplement sans avoir beaucoup, ce que savent très bien faire les gens qui ont peu -en Afrique ou ailleurs, ils sont prêts à te donner alors qu’ils n’ont rien-. C’est ce pied gauche-là qui te retient d’une fuite en avant d’un bonheur que tu ne pourras jamais satisfaire, d’une frustration permanente, et en même temps, ce qui relève presque du bipolaire, ce pied droit qui a l’énergie pour s’affranchir des limites, pour voir plus haut, pour avancer et réussir, -et ce n’est pas un gros mot !-. Souvent en France, dès que tu prononces le mot «ambitieux», on le connote négativement, comme si tu avais forcément le melon ! Alors oui, le sport m’a appris à être ambitieux, mais sans écraser les autres -entre rivalité et respect-, juste pour ce que ça t’apporte en termes de développement personnel. Donc, avec ces 2 pieds, ces 2 piliers, je ne suis pas dans l’eau tiède, mais dans mon équilibre. Pour autant, mon ambition n’est pas dans l’accumulation de richesse, j’en ai bien assez pour ce que je veux faire. Je ne suis pas persuadé que plus d’argent à travers une carrière dans le foot plutôt que dans l’athlé par exemple, m’aurait donné plus de satisfaction… Plus d’emmerdes, c’est certain !

Tu as conservé 25 ans le record d’Europe du 400 mètres haies, ça paraît dingue…
Et oui jusqu’en 2019, un quart de siècle… je ne vois qu’une explication : c’est que les jeunes ne foutaient rien pendant tout ce temps !! (il explose de rire) Ils jouaient trop aux jeux vidéo pour s’entraîner…

©L.Beylot

Les obstacles à surmonter, t’en as fait une spécialité (avec ces haies), quel a été ton plus gros défi ?
Celui de l’engagement dans la durée. Le plus dur, ce n’est pas d’être champion du monde, c’est tout ce qui est mis en place avant pour le devenir. Ça prend du temps, réclame des sacrifices et il faut tenir. Pareil pour mon projet de campus sport-santé que je voudrais voir sortir de terre. Beaucoup d’obstacles et de difficultés se sont dressés sur le chemin depuis 13 ans que je le porte, avec Odile, ma femme. Mais je ne lâche rien, ne serait-ce que pour re-goûter à ces sensations d’engagement, d’obstination qui me stimulaient athlète, et pour une finalité un peu plus conséquente que de courir vite autour d’une piste.

C’est quoi ce campus sport-santé au juste ?
C’est un lieu de thérapie et de prévention par le sport. C’est mettre en place, sur un même site avec piscine olympique et piste d’athlétisme, des pratiques variées, de qualité et évaluées pour permettre à des gens d’être en meilleure santé, de lutter notamment contre des maladies chroniques grâce au sport. Les gens ont une espèce de fatalité sur le temps qui impactera forcément leur état de santé. Alors que les effets du sport sont reconnus, notamment sur les pathologies coronariennes. Je veux être là pour voir ces personnes reprendre en main leur santé, progresser, alors qu’elles pensaient ne jamais pouvoir renverser la tendance. C’est plus ce qu’on fait de l’année, que l’année qui passe qui nous fait vieillir. Le vieillissement est inéluctable, mais la vitesse du processus, non. On a la main dessus. Et c’est assez sympa de voir les personnes de 60 ans qu’on a déjà accompagnées retrouver leurs 50 ans ! C’est mon plus grand défi, voir avancer le sport-santé sur ordonnance, dans des campus, comme celui qui devrait voir le jour à Mougins, dans les Alpes Maritimes, partout sur le territoire. Des centres qui accueilleront aussi bien des patients que des tri-athlètes venus s’entraîner pour l’Ironman.

Joli défi !
Mais il y en a tellement d’autres, comme celui de la place du sport à l’école. Quand des gamins en sport études croulent sous les devoirs qu’ils vont devoir faire à 20h30, en rentrant de l’entraînement, et qu’on leur dit que s’ils ne suivent pas le rythme, il faudra choisir entre le sport et le cursus traditionnel, que l’éducation nationale ne va pas s’adapter à eux ! Alors que l’OMS préconise au moins 1 heure d’activités physiques par jour chez les enfants, on nous les colle de 8 à 17 heures sur une chaise et en plus, on vient t’emmerder le soir en les empêchant de bouger, avec ces devoirs ! Moi je dis qu’il faudrait faire un procès à l’Education Nationale si un jour un gosse développe un diabète de type 2 à 15 ans ! Ça sert à quoi qu’ils acquièrent autant de compétences durant leur scolarité, si c’est pour qu’à 40 ans, ils fassent leur premier infarctus, parce qu’ils n’auront pas suffisamment bouger pour être en bonne santé ? S’ils n’ont pas les moyens de mettre plus de sport au collège ou au lycée, pas de souci, mais qu’ils n’empêchent pas de le pratiquer en dehors avec une fin des cours à 16 heures pour tout le monde, et plus des trous de 3 heures dans la journée avec des emplois du temps décousus… Les gamins ne doivent pas être la variable d’ajustement dans l’élaboration des emplois du temps, pour satisfaire les desideratas des profs ! Comme une entreprise a le souci du service client, de son bien-être, l’école devrait l’avoir. Et ses clients, ce sont les élèves ! Pas les profs… La qualité de vie à l’école, faudrait enfin en parler.

Et en tant que père, quel message tu fais passer à tes enfants ?
Je ne suis pas orienté résultats. Je ne demande pas à mes enfants qu’ils soient majors de promo. En revanche, j’ai 2 injonctions. La première, c’est qu’ils prennent le temps de chercher ce qu’ils ont au fond d’eux, de détecter leurs envies profondes, et ce n’est pas simple, mais quand vous avez trouvé votre passion, quelque chose qui vous anime, la vie est nettement plus facile. Et après, je leur dis : choisissez une chose dans laquelle vous vous engagez fortement, non pas pour vous mesurer aux autres, mais pour aller chercher votre plus haut niveau à vous, c’est ce qui vous fera grandir. La passion et le sens du travail, mais pour toi, par pour l’autre, pour ce que la recherche de l’excellence apporte à ton développement personnel. Je me fous qu’ils fassent Sciences-Po ou une grande école d’ingénieur, ce qui m’intéresse, c’est leur bonheur. Et pour cela, il faut développer des compétences, donc des degrés de liberté dans le domaine qu’ils adorent.

Et face à l’échec ?
Quand il y a un problème, je dis toujours : vu de mars et dans 10 ans, ce truc sur lequel tu focalises, il ne ressemblera à rien ! C’est le système de défense que j’ai développé quand j’étais athlète pour ne pas te mettre la tête sous l’eau et te noyer. T’as essayé, t’as échoué. Et alors ? Ça ne doit pas basculer sur une remise en question personnelle. Et c’est là où l’éducation joue un rôle primordial : si la base est saine, l’échec sera factuel et non une remise en cause de tout ce que tu es. Rappelez-vous la phrase de Nelson Mandela : «je ne perds jamais, soit je gagne, soit j’apprends».

Ton meilleur souvenir de carrière ?
Peut-être mon premier titre de champion du monde. C’est une validation de tous tes choix, du travail fourni, de tes convictions, une réponse à tes questions : peut-on y arriver sans «se charger» ? Oui, la preuve. A-t-on besoin de haïr son adversaire pour le battre ? Non, ce n’est pas nécessaire… Le fait de gagner, et devant des mecs qui pouvaient être chargés, ça donne confiance en ses choix de méthode, d’entraîneur, d’éthique.

Et le pire souvenir ?
A titre sportif : quand j’ai dû renoncer aux JO d’Atlanta en 96, alors que j’étais à mon meilleur niveau. Une fracture de fatigue au pied. Terminé ! Je me suis retrouvé dans les tribunes à commenter les Jeux pour RTL. Ça a été vraiment dur à encaisser… Comme une envie de revanche, un an plus tard, je devenais champion du monde. Et à titre perso : lorsque j’ai vu ma tronche quand on a enlevé mes bandages après mon accident de vélo. Là, j’ai pris peur ! (rires)

Toutes tes médailles, titres et records, ça aide pour draguer ?
Ah ah ah ! Si je l’avais perçu comme ça, oui, ça aurait pu être un petit soutien motivationnel ! Mais j’étais déjà très motivé !! Et je n’ai pas pris conscience alors de l’atout que j’avais en poche… Mince… J’aurais peut-être dû maintenant que tu m’en parles !!!

Bon, avoue, tu as aussi des défauts ?
Ah ah ah, c’était le sujet du matin au p’tit dej ! Pour les enfants, je veux toujours avoir raison, cette confiance en moi, en mes connaissances, aurait tendance à écraser un peu leur opinion. Je serais un peu donneur de leçons. Et puis je parle trop ! Et je m’éparpille…

Quel regard portes-tu sur l’athlétisme aujourd’hui ? On n’en voit quasiment plus à l’écran…
Et les orientations qui sont prises en haut lieu ne vont pas arranger ça ! La situation est très préoccupante. Ce choix du «laisser filer» technologique, juste pour le buzz et les records, c’est un moyen facile pour faire parler, mais qui ne traite pas le fond du problème, qui est l’organisation des compétitions au niveau international. On a de très bons athlètes, mais on n’est pas capable d’imaginer un circuit qui leur permette d’avoir une notoriété, comme des pilotes de Formule 1 ou de Moto Grand Prix. L’athlétisme a pourtant beaucoup d’atouts : il est esthétique, universel et mixte, il est particulièrement visuel dans toute sa diversité, donc télégénique par nature. Beaucoup d’atouts, mais mal exploités et ça me pose problème.

Titan desert 2019

Qu’est-ce que tu préconises ?
On a tous les 4 ans des JO, tous les 2ans des championnats du monde, et entre, on ne raconte rien ! On devrait pouvoir voir, tous les 15 jours, comme la F1, de mars à octobre, de l’athlétisme à très haut niveau avec les mêmes acteurs, les mêmes coureurs, sauteurs, lanceurs, au masculin comme au féminin, afin que le public puisse les identifier. On pourrait imaginer des circuits avec les 16 meilleurs mondiaux de chaque discipline qui marquent des points au fil des semaines. A la fin de la saison, les 4 moins bons redescendent et les 4 meilleurs de la division du dessous montent. Tu fidélises un public et tu crées des stars. Cette notoriété permettrait aux athlètes de trouver plus facilement des sponsors pour en vivre et inciterait les jeunes générations à prendre le relais… Qui connaît aujourd’hui Van Nieker ? Le mec a pourtant fait 43s 03 et détient le record du monde du 400m. Un circuit changerait tout, raconterait une histoire. Encore faut-il vouloir révolutionner l’athlétisme… Et ce n’est toujours pas le cas aujourd’hui.

On sort doucement d’une longue crise sanitaire qui a tout bouleversé sur son passage, comment tu l’as vécue ?
Cette interdiction de sortir lors du premier confinement, ça m’a fait drôle, moi qui suis un hyper actif, mais on s’adapte, comme tout le monde. Ce fut un temps de réflexion, un moment agréable aussi en famille, au moins au début. Après, j’ai commencé à m’ennuyer ferme ! Mais tout ça sans angoisse particulière, on attend que ça passe, même quand il a fallu se reconfiner. J’ai avancé sur mes projets, avec peut-être plus de recul, de disponibilité, plus de temps.

Et comment vois-tu le fameux « monde d’après » ?
Je pense que certaines choses resteront. Des remises en question sur les priorités de chacun, sur le besoin de sens, des questions que tu ne te poses pas quand tu as le nez dans le guidon et qui ont débouché sur des reconversions professionnelles notamment. On a une amie qui a un cabinet de bilans de compétences, depuis le Covid, elle ne désemplit pas ! C’est peut-être pas si mal, au final…

FAN DE

Ton acteur ou actrice préféré(e) ? En fait, je ne suis pas très ciné mais la performance d’actrice que j’ai adorée récemment, c’est celle de Claire Danes, alias Carrie Mathison dans Homeland. Je sais, c’est une série qui date, mais les confinements m’ont permis de la dévorer de manière compulsive…

L’artiste dont tu adorerais avoir une création chez toi ? Enki Bilal, c’est l’un de mes frères aînés qui collectionnait ses BD et j’ai pu ainsi découvrir très jeune un coup de crayon, un univers et un usage des couleurs uniques. J’ai eu la chance de le rencontrer et sa simplicité était proportionnelle à son immense talent.

Ton chanteur ou ta chanteuse préféré(e), que tu doubles sous la douche ? Ella Fitzgerald, Bob Marley, Sting… autant le cinéma, ce n’est pas trop mon truc, mais la musique… J’aurais tant aimé savoir bien maîtriser un instrument !

Quel est l’humoriste qui te fais mourir de rire ? Ah, Djamel !!! Je vois sa bouille et ses deux billes bien rondes et le rire n’est plus très loin…

Quel est l’auteur que tu dévores ? Pas d’auteur en particulier, mais j’aime lire pour apprendre et pas forcément pour me divertir. Je lis donc plus d’essais que de romans.

Quel est le champion-ne (sportif) que tu admires ? Rafael Nadal. Son palmarès associé à une personnalité hors norme : humilité, détermination, engagement, énergie, grande classe… Un très très grand champion !

Un politique qui te fascines ? Nelson Mandela qui incarne à quel point l’attitude, la constance et la cohérence de la pensée dans la durée confèrent une force phénoménale, même quand on est privé de liberté pendant près de 30 ans. Une force d’âme inaccessible au commun des mortels.

Ton héros préféré ? Dark Vador. Je l’ai découvert en 1979 avec l’Empire Contre-Attaque. Il m’a permis de comprendre tout petit, bien avant que mon coach me le dise 10 ans plus tard, que la première personne dont il fallait se méfier, c’était soi-même…

Mec plus-ultra : Olivier Giroud

Mec plus-ultra : Olivier Giroud

A contre pied !

Passement de jambes, dribbles et joli brossé du gauche, Olivier Giroud fait trembler lucarnes et petits filets ! Footballeur star à 34 ans, le plus chambérien des champions du monde chausse ses rêves comme il enfile ses crampons, mais qu’est-ce qui fait courir Oliv’ ?

Ce qui le fait courir ? L’adrénaline, la passion et… les records ? Plus que 8 buts au compteur et l’attaquant du FC Chealsea accrochera à son palmarès la place de meilleur buteur français de tout les temps, devant Titi ! Quelle fierté pour notre chauvinisme savoyard ! Avec une 100e sélection en équipe de France le 7 octobre dernier, quasi 9 ans jour pour jour après la toute première, Olivier Giroud croque les terrains comme il croque la vie, avec envie, persévérance, coups francs et retournés acrobatiques ! La confiance et des valeurs chevillées au corps, il en demande encore. L’histoire d’une vie. On remonte les filets ?

Activmag : Quel enfant étais-tu ?
Olivier Giroud : J’étais plein d’énergie ! Ma mère me qualifiait d’espiègle. En fait, j’avais toujours un ballon dans la main ou plutôt aux pieds. Il fallait que ça bouge, je détestais m’ennuyer. Je voulais toujours jouer, jouer, jouer ! Et dès les devoirs terminés, parce que mes parents me rappelaient que c’était important de bien travailler à l’école, je sortais m’amuser avec les copains.
Même si tu avais déjà toujours un ballon aux pieds, de quel métier rêvais-tu ?
A l’époque, j’avais un héros : mon frère Rom’ (NDLR : Romain, de 9 ans son aîné qui compte près de 40 sélections en équipe de France jeunes de football dans les années 90). Il était au centre de formation de l’AJ Auxerre et commençait à jouer en équipe de France jeunes. Il faisait la fierté de la région. Quand on se promenait avec maman dans notre village, tout le monde me demandait de ses nouvelles. Et j’ai compris qu’il faisait quelque chose de plutôt sympa. Du coup, j’ai voulu faire comme lui (rires). Taper dans le ballon et vivre de ça. Bon, c’était un rêve de gosse ! J’imagine que beaucoup de gamins ont ça dans la tête, surtout quand on commence à jouer au foot. C’était mon rêve, à moi aussi.

Pourtant tes parents te disaient que c’était très important l’école, tu savais qu’il te fallait un plan B, avais-tu une appétence pour autre chose ?
Quand mes parents ont vu que je pouvais prétendre à une carrière professionnelle, ils m’ont dit : « il faut que tu aies ton bac ! » C’était la condition sine qua non, il fallait que j’aille au moins jusque-là. Finalement, j’ai fait deux ans de fac ensuite, à Grenoble, tout en étant pro. J’y trouvais un équilibre. Ça me permettait de voir d’autres personnes, de différents horizons, d’avoir une ouverture d’esprit. J’ai fait STAPS, pour pouvoir faire un métier en relation avec le sport et assurer mes arrières.

Quelles étaient tes matières préférées ?
A l’école, j’aimais l’histoire-géo. Je suis fou d’histoire, en fait. C’est mon père qui m’a transmis la passion. Surtout la seconde guerre mondiale et la guerre froide entre les Etats-Unis et l’URSS. J’ai regardé beaucoup de films dessus quand j’étais plus jeune. J’ai aussi eu un prof qui m’a fait l’aimer par sa façon de nous l’enseigner. Après, j’aimais bien la géographie aussi, pour connaître un peu mieux le monde qui m’entourait. J’avais aussi déjà une attirance pour les langues, l’anglais, l’italien. Mais bon, on ne va pas se mentir, j’aimais bien l’EPS quand même (rires).

On reste dans l’enfance, à la télé, on avait 6 chaînes, que regardais-tu quand tu en avais le droit ?
Forcément Olive et Tom ! Mais, je me souviens qu’après l’école, on avait la chance d’avoir nos grands-parents maternels qui habitaient à 100 m de chez mes parents, dans le même village. Quand je rentrais de l’école, je m’arrêtais prendre le goûter chez eux, devant les dessins animés. Et puis après, quand j’en ai eu le droit, je regardais la première mi-temps des matchs de foot. A la pause, j’essayais bien de négocier, mais il fallait aller se coucher…

Trop dur ! Et avec tes enfants, tu limites aussi ?
Mes enfants, j’essaie de les éduquer un peu sur le même modèle que celui de mes parents. Des valeurs de travail : on a rien sans rien. Respect, humilité, mais ils sont encore jeunes. Déjà, on essaie de limiter les écrans pour ne pas qu’ils deviennent accros. Parce que la nouvelle génération est scotchée sur les iPad et les portables. Ne serait-ce que par rapport aux yeux qu’il faut préserver. Ma chance, c’est qu’ils jouent assez peu aux jeux vidéo. Leur truc, c’est encore les dessins animés. Pour l’instant… Donc il faut surveiller. Mais plus tard, oui, je leur ferai découvrir. Y a pas de raisons… Petit, moi, j’adorais jouer à Mario Kart ou à Zelda (rires).

Il y a 30 ans, tu avais 4 ans, as-tu un souvenir de cette époque ?
Pas vraiment. Mais ma mère a retrouvé une photo qui parle d’elle-même. Je ne devais même pas avoir 4 ans. J’étais en train de tirer dans le ballon du pied gauche et de tenir mon biberon de la main droite. Pour dire à quel point j’étais mordu, déjà, mais que je ne perdais pas le nord avec mon biberon (rires). C’est une photo qui m’a marqué.
Le monde s’est accéléré. Ça ne te fait pas peur d’avoir 30 ans aujourd’hui ?
Je pense que c’est important de vivre avec son temps, tout en gardant beaucoup de lucidité et les pieds sur terre. Toujours se rappeler d’où l’on vient. Moi j’ai eu beaucoup de chance, j’ai toujours reçu une éducation qui m’a permis de ne jamais me prendre pour un autre. Et par rapport à ce que je suis devenu, j’ai aussi conscience qu’on a un rôle d’exemple à jouer. On se doit de véhiculer des messages importants. Comme une des causes récentes que j’ai soutenues. On parlait d’enfance et d’école tout à l’heure… Le harcèlement scolaire, c’est une cause pour laquelle je suis très impliqué. Et qui me touche beaucoup. Parce que j’ai des enfants et que je ne veux pas qu’ils vivent ce genre de choses. Et pourtant, énormément de jeunes aujourd’hui sont touchés par ce fléau, amplifié par les réseaux sociaux. Je suis très vigilant par rapport à ce vecteur-là. Moi, j’ai twitter et facebook pour soutenir des associations caritatives et pour mes sponsors. Mais voilà, je les utilise vraiment pour faire passer des messages forts, qui me tiennent à cœur et pour aider ceux qui en ont besoin.

As-tu confiance en l’avenir ?
Je suis quelqu’un qui a la foi, donc je fais confiance. Je sais qu’on traverse des moments très difficiles, mais je suis persuadé qu’il y aura des jours bien meilleurs qui arrivent. Mais il faut que chacun prenne conscience de ce qu’on doit améliorer. Notamment pour notre planète. Par l’écologie, c’est essentiel et puis clairement par l’éducation qui doit être au cœur de nos préoccupations, aujourd’hui. Chacun doit enseigner ce qui est bien ou pas à ses enfants. Et puis avoir de la bienveillance envers les autres. Moi, j’essaie d’appliquer le précepte : “Ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas qu’on te fasse”. Toujours essayer d’être exemplaire et surtout ne pas blesser son prochain. Apporter de la confiance autour de soi et la transmettre à ses enfants. Pour qu’ils volent de leurs propres ailes, qu’ils soient pleinement acteurs de leur vie.

Et ça marche la bienveillance dans la jungle du football ?
C’est sûr que c’est un monde un peu impitoyable. Dès le plus jeune âge, il y a beaucoup d’appelés, peu d’élus. Je pense que la force de caractère joue une grande part dans ce milieu du sport de très haut niveau. A un moment donné, le talent ne suffit plus. C’est là qu’il faut faire preuve d’une force mentale au-dessus de la moyenne. On ne te fait pas de cadeaux. Et il ne faut jamais baisser les bras. J’adore cette phrase de Nelson Mandela qui dit : “Ne me jugez pas par mon succès, jugez-moi par combien de fois je suis tombé et je me suis relevé.” La vie de tous les jours, c’est aussi des doutes, des moments difficiles, mais il ne faut jamais rien lâcher, c’est ce que j’explique dans mon livre « Toujours y croire ». C’est l’héritage que j’aimerais laisser à mes enfants.

On n’oublie pas ses 30 ans ! D’ailleurs dans le foot, 30 ans, c’est quoi ?
C’est l’âge de la maturité. Il paraît qu’entre 28 et 31 ans, pour un attaquant surtout, t’es au top. Pour ma part, c’est vrai que les années 2015-2016 font parties des meilleures sur le plan statistique. Pour un footballeur, normalement, tu dois être au sommet de ton art. Mais j’ai encore pas mal de gaz !!

Avec 44 buts en équipe de France, juste derrière Thierry Henry, mais devant Michel Platini, il te manque 8 buts pour être le meilleur buteur de l’équipe de France de tous les temps. C’est réalisable ?
Evidement que c’est réalisable ! Je ne me fixe aucune limite ! Mais ce sera difficile. Ça dépendra aussi du nombre de sélections que j’aurai dans les prochaines années. Il faut y croire !

C’est un but ?
Mon ambition, ce serait de gagner l’Euro, pour faire comme nos aînés (NDLR : champions du monde en 1998 et champions d’Europe en 2000) et puis, oui, mon autre rêve, ce serait pourquoi pas de passer devant Thierry Henry…

Quel est ton plus gros défaut ?
J’ai tendance à donner ma confiance un peu trop facilement. A être naïf, peut-être. C’est ce que me reproche ma femme, parfois. J’ai une forme d’insouciance, il faudrait que je sois un plus sur ses gardes, plus prudent. Mais c’est dur de changer sa nature…

As-tu des tics ou des tocs ?
On va dire que j’ai des habitudes. Quand je mets le réveil, il faut que ça finisse par un 7. Ce n’est pas de la superstition, mais voilà, c’est le chiffre parfait dans la Bible.


La Covid change les pratiques. Comment vis-tu les matchs à huis clos et tout ce qui va avec ?
Dans le sport, ça perd de son charme, c’est clair. Des matchs de foot sans public, ça n’a pas la même saveur. Pour autant, on est professionnels, on reste des compétiteurs : seul le résultat compte et on est bien obligé de se plier aux règles sanitaires. Mais au-delà du terrain, ça réduit les contacts et les échanges. C’est triste. J’aurais préféré qu’on isole les personnes à risques, tout en responsabilisant les autres, sans bloquer toute une économie, un pays, tuer des commerces… Après, je n’ai pas la science infuse, mais je trouve ça tellement dommage. Il y a tant de personnes qui subissent de plein fouet cette crise, qui vont peut-être devoir dire adieu à leurs rêves, leur restaurant, leur bar, leur job…

Qu’est-ce que tu aimerais qu’on dise de toi dans 30 ans ?
Avant tout, que j’étais un bon joueur. Une bonne personne. Un bon exemple pour les enfants.

© Téo Jaffre pour Saltomag.com / © Darren Walsh / Chelsea FC / Getty Images / © Xavier Laine/Getty Images

mec plus-ultra : Jean-Louis Borloo

mec plus-ultra : Jean-Louis Borloo

L’humain sur le cœur

Sous ses airs d’inspecteur Colombo, on ne soupçonne pas toujours les ressources inépuisables de cet homme que rien n’arrête. Que ce soit un club de foot en perdition, une ville au bord du gouffre, jusqu’à un continent à 2 doigts de l’implosion, Jean-Louis Borloo est de tous les défis ! Sans imper ni langue de bois.

Et quelle leçon de vie ! Car si on le connaît ministre de l’écologie, de l’économie, de l’emploi, de la cohésion sociale, du logement… député, maire ou ancien avocat d’affaires, à 69 ans, depuis ses heures de scout, entraide et volonté ne l’ont jamais lâché. Quitte même à tout plaquer pour mieux monter au créneau. Avec Jean-Louis Borloo, pas de coup d’épée dans l’eau, c’est la chemise qu’il aime mouiller. De tous les défis on a dit ! Fervent défenseur des injustices et des inégalités, sensibilité planquée sous sa bonne humeur, il se confit sur son parcours touchant, tranchant, inclassable… Son carburant à lui, c’est l’humain, sinon rien.

Activmag : Trentenaire, vous étiez président du club de foot de Valenciennes, que retenez-vous de ces années-là ?
Jean-Louis Borloo : C’était un club, dont le tribunal devait prononcer la fermeture après son dépôt de bilan. Et dans le bassin minier, que ce soit Valenciennes, Lens ou Saint-Étienne, on sait l’importance absolue du foot. C’est toute l’âme ouvrière qui était dans ce club. Les gens du coin disaient : “Les lumières des hauts fourneaux se sont éteintes, il n’est pas possible qu’on éteigne les lumières de Nungesser”. C’était la fin absolue. Alors à l’époque, quand on m’a demandé de donner un coup de main, j’y suis allé. Redonner un peu de lumière, d’espoir. Surtout dans ces conditions-là, c’était la région la plus chômeuse d’Europe à l’époque. Et c’était tellement extraordinaire de voir ces 18 équipes. Parce que, il y a l’équipe première, mais il y a aussi tous les mômes. C’est ce qui m’a touché, la communion entre ces joueurs et ce public. Il y avait quelque chose… Une émotion invraisemblable !

Ainsi, vous seriez philanthrope ?
Non, mais aider les autres, c’est se faire du bien aussi ! Aimer les autres, les respecter, les soutenir, c’est gratifiant.

Vous avez commencé votre carrière politique aux côtés de Simone Veil, qu’en retenez-vous ?
Simone, je l’aime tout court. Ce que j’adorais au-delà de tout chez elle, c’est que Simone se voyait comme une femme ordinaire qui avait un destin extraordinaire. Elle a toujours considéré qu’elle était l’instrument et le symbole à la fois de la Paix, de l’Europe et de la Liberté de la Femme. Elle ne s’est jamais prise pour quelqu’un de supérieure, plus intelligente, plus brillante, plus cultivée, rien de tout ça. Tout était d’une grande simplicité chez elle. Ce qui est étonnant, c’est qu’elle n’avait pas vraiment confiance en elle… Un destin incroyable ! Elle reste à jamais une lumière et un cap.

Quand on est l’un des avocats les mieux payés au monde (selon Forbes), quelle peut être la motivation pour abandonner cette voie et se consacrer à une ville comme Valenciennes ?
Pour tout vous dire, c’est parti d’une énorme erreur de jugement ! Le Valenciennois connaissait alors les plus grands plans de licenciements d’Europe. Bien que je ne sois pas Valenciennois mais Parisien, on me demande de donner un coup de main. Et moi, à 35 ans, je croyais être efficace. J’avais une espèce de prétention, j’ai pensé que redresser une ville comme ça, ça ne devait pas être si sorcier ! On allait faire venir des entreprises et ça allait fonctionner. Je pensais pouvoir faire les deux en même temps, avocat à Paris et maire à Valenciennes. Excès de confiance d’une certaine manière ! J’ai présumé de mes forces. Et, au bout d’un an et demi, je me suis rendu compte d’abord, que remonter une ville comme ça, c’était presque impossible. En tout cas, ce n’était pas possible de ne pas y être à temps plein. Il fallait faire un choix. J’ai donc décidé, en mon âme et conscience, d’arrêter mon métier d’avocat. De donner le cabinet à mes collaborateurs et de partir sans me retourner, à temps plein, 12 ans comme un mort de faim à Valenciennes ! Donc vous voyez, c’est une erreur d’appréciation qui a fait que je me suis retrouvé là.

Vous auriez pu choisir le cabinet d’avocat…
Oui, mais en même temps, quand vous vous engagez pour la collectivité, vous donnez un autre sens à votre vie. Evidemment que c’était très très difficile. 26 % de chômeurs, on ne se rend pas compte de ce que c’est dans un bassin d’un demi-million de personnes. C’est un autre monde. Tout à la fois une vraie pauvreté, une désespérance et une solidarité et une fraternité touchantes. Et donc, j’allais faire quoi ? Fuir, renier mon engagement ? Non ! En plus, porté par l’insouciance des trentenaires, j’étais convaincu qu’après un mandat ou deux, ça marcherait suffisamment bien et que je pourrais retourner dans le privé. Tout ça ne me paraissait pas être un effort, un sacrifice extraordinaire. C’était une mission, puis je pensais reprendre le cours de ma vie. et non, ça l’a changé. Mais pour être honnête, si au début, les gens étaient venus me chercher en me disant “tu veux être élu maire ? Mais tu dois quitter le barreau tout de suite…”, si j’avais compris ce que ce serait, je n’y serais pas allé ! Pendant 12 ans tous les matins, j’avais l’impression qu’on n’y arriverait pas, qu’on n’honorerait pas l’engagement. Maintenant, j’y suis allé et ma vie est bien plus belle et grande d’avoir fait ce choix.

A 35 ans, j’étais convaincu d’être un type efficace. J’avais une espèce de prétention, j’ai pensé que redresser une ville comme ça, ça ne devait pas être si sorcier !

Qu’est-ce qui fait un bon politicien ?
Il faut être engagé, suer, mouiller le maillot, aller au fond des choses, ne pas se contenter de ce que vous racontent les sachants. Dire : “mais attendez, je ne comprends pas, ce truc-là, vous me dites que c’est une erreur, mais expliquez-moi : quand les gens l’ont installé, ils n’étaient pas crétins ? Ça a dû être une bonne disposition quand on l’a faite. Alors qu’est-ce qui a dérapé ?” Il faut une énorme curiosité et toujours aller voir derrière le rideau les vraies raisons. Et il faut savoir fédérer. La grosse erreur, c’est de croire que le rôle du maire se borne au périmètre de la mairie et de son budget. Pas du tout, le maire et son équipe, c’est du leadership. Ce qui est bon pour la ville, peut être fait par la chambre des métiers ou par les eaux et forêts, par exemple… Le politique doit être un leader fédérateur des énergies des autres. Parce que pour faire une politique du logement, ce n’est pas possible sans le 1% logement, sans des règles fiscales, sans des agences d’urbanisme, du coup sans les agglomérations… Il faut fé-dé-rer !

Au final, avez-vous la sensation d’avoir fait bouger les choses ?
Pour vous répondre, je vais vous raconter quelque chose. Ça fait à peu près 20 ans que je suis parti de Valenciennes et j’y vais peu pour ne pas gêner mes successeurs, parce que c’était fusionnel. Vous savez, quand vous revenez de nulle part, quand vous faites venir Toyota, Mercedes, Peugeot, il y a une vraie communion. Et l’autre jour, le maire de Valenciennes, un ami formidable et un grand maire, m’appelle et me dit : “Tiens, j’ai vu dans le calendrier, la semaine prochaine, ce sont les 30 ans de ton élection à la mairie. Est-ce que tu es d’accord qu’on fasse un petit pot ?” Ça m’a touché, j’y suis allé. Et quand je suis arrivé avec Béatrice, ma femme, le grand salon d’honneur de la mairie était plein à craquer : ces visages, ces personnes qui au fond, ont été un temps toute ma vie. Je peux vous dire que quand vous voyez ça, 30 ans après… Et on dit que les gens sont ingrats ? Mais vous plaisantez ? Ils m’ont donné 100 fois plus que ce que je leur ai apporté, 1000 fois plus ! Donc je réponds : oui, oui, oui, on peut changer le destin, pas dans tous les domaines, mais dans un bassin de vie, au niveau d’une nation, d’une ville, d’un quartier, oui, on peut changer les choses.

La politique d’il y a 30 ans, des années quatre-vingt-dix, était-ce différent ?
Je ne peux pas vous dire, parce que, quand j’étais à Valenciennes et que j’en suis devenu maire, je n’ai pas eu l’impression de faire de la politique. Pour moi, c’était comme un gros dossier d’avocat. Plus gros que les autres certes, qui va me demander plus de temps, voire plus d’années que les autres. Sauver l’industrie, implanter des boîtes, aller au plus près de ceux qui sont en grande difficulté, installer un théâtre, ramener la culture, le sport, créer une équipe de basket féminine, l’amener sur le toit de l’Europe, créer les premières grandes écoles du numérique –Supinfo forme les plus grands talents dans le monde-, le mot «politique» est alors très loin de moi ! Mais quand Simone me dit : “Jean-Louis, vous m’accompagnez à Bruxelles, je veux que vous soyez mon numéro 2”, j’y vais. Parce que c’est Simone. Je ne savais même pas dans quel groupe elle s’inscrivait. Et franchement, ça n’avait aucune importance.

Alors au niveau local, si on vous suit, ce n’est pas de la politique ?
Mais jamais, ou alors c’est qu’on ne va pas en profondeur, qu’on n’est pas passionné. Mais sinon non. C’est d’ailleurs pour ça qu’il existe une fratrie des maires. Quand je suis entré dans le gouvernement Raffarin sous la présidence Chirac, je ne les avais jamais rencontrés de ma vie, ni l’un ni l’autre, ni aucun membre du gouvernement ! Eux, ils ont juste pris le jeune gars de Valenciennes qui avait quelques succès dans sa ville. J’étais un peu une caution sociale dans un gouvernement de droite, j’imagine. Allez, on va dire un Bernard Tapie du nord! C’était que pour l’image. Sauf qu’on s’est mis au travail : le Plan pour les banlieues, on a détruit 200.000 logements dans des tours, on en a réhabilité 600.000, le Plan de cohésion sociale, les services à la personne, le président et le premier ministre ont été l’un et l’autre en soutien total, merci à eux. C’est pas plus compliqué que ça.

Et pourquoi cela ne nous paraît pas si simple, vu de l’extérieur ?
Ah mais ce n’est pas simple pour eux, non plus. Je vais vous expliquer ce que je crois : vous voyez une équipe de foot par exemple. La finale, elle ne se joue pas exclusivement le jour J. C’est 3 ans avant et puis l’été le stage en altitude, puis la composition de l’équipe, les gauchers et les droitiers, les ententes de toutes natures, la complémentarité, le choix de l’entraîneur du kiné, du préparateur physique, les combinaisons tactiques au fil des matchs, tout ça pour arriver le jour de la finale. Et nous, en France, on élit un Président qui constitue une équipe gouvernementale en quelques heures. Et quel que soit le talent de ceux qui sont choisis, l’absence de préparation individuelle et collective, sauf dans quelques cas rares, rend très difficile de piloter des administrations complexes, du jour au lendemain ; il faut 1 à 2 ans pour maîtriser tout cela, et pour couronner le tout, on a ce turn-over des ministres en France très élevé !

Que pensez-vous du manque de confiance des Français dans leurs hommes politiques ?
En partie pour la raison que je viens d’expliquer, les débats médiatiques permanents, leur extrême fréquence ne sont souvent que superficiels. Puis c’est la loi du genre, cette défiance que l’on retrouve également envers les journalistes, les organisations syndicales, voire les magistrats.

La femme en politique, on en est où ?
Je peux sûrement me tromper, mais j’ai le sentiment que c’est un des secteurs le plus féminisé en France. La parité est à l’Assemblée, au gouvernement, dans les régions, dans les villes et nulle part ailleurs: pas dans le CAC 40, ni dans les PME… Donc contrairement aux idées reçues, la féminisation en politique est très en avance sur le reste de la société. Qui est maire de Paris ? Mme Hidalgo. Maire de Nantes : Mme Rolland, Maire de Rennes, c’est Mme Appéré, Maire de Calais, ville au combien difficile, c’est Natacha Bouchart, à Marseille, c’est Mme Rubirola, Lille, Martine Aubry, Strasbourg…

J’étais un peu une caution sociale dans un gouvernement de droite, j’imagine. Allez, on va dire un Bernard Tapie du nord ! C’était que pour l’image. Sauf qu’on s’est mis au travail.

Vous qui avez été ministre de l’Ecologie, vous l’avez vu venir, la vague verte ? Comment voyez-vous l’environnement aujourd’hui ?
Je pense que le débat de savoir si c’est de la faute de la main de l’homme ou si c’est la distanciation au soleil n’a pas d’intérêt. Parce que c’est les 2 ! Mais pour autant ce n’est pas absolument indispensable d’envoyer des millions de tonnes de CO2 dans l’atmosphère, cette fine couche qui ne fait que 18 km au-dessus de nos têtes ! Toute l’économie moderne va aller vers une économie décarbonée. Parce que ça va être capitalistiquement intéressant. Parce que c’est ça qui va avoir de la valeur. Exemple : si je vous présente une maison chauffée au fuel, que son électricité vient du charbon, qu’elle n’a aucune efficacité énergétique, ni thermique. Qu’elle n’a pas d’effacement… Si je mets juste à côté, la même maison avec zéro émission de CO2, efficacité énergétique maximale quand vous n’êtes pas là, il y a même des microcoupures qui font réduire votre consommation de 30%… Laquelle des deux aura le plus de valeur ? Evidemment à la revente, la seconde, c’est sûr ! Donc c’est capitalistiquement, financièrement, économiquement intéressant d’aller vers ce modèle-là. C’est ce modèle qui va gagner, il n’y a aucun doute. Après, c’est comment on y va ? Et à quel rythme ? Car la perte de la biodiversité est très préoccupante, il n’y a pas de vie sans elle, sans compter l’épuisement des réserves.

Mais ce n’est pas ce dont on nous parle… On nous parle de responsabilité, d’une planète qui va exploser…
Je ne sais pas si elle va exploser, ce que je sais, c’est que le dérèglement climatique aujourd’hui provoque des drames humains épouvantables, notamment en Afrique. C’est quoi la jeunesse africaine aujourd’hui ? C’est des gamins, sur un chemin de terre, qui vont vers la musique et la lumière des grandes métropoles, des grands ports et des grandes capitales et qui, déracinés, croisent ou sont pris en mer par tous les dangers du monde. Vous rajoutez à ça la sécheresse, le lac Tchad, etc. Ça aggrave les grandes migrations. Pour toutes ces raisons, il faut absolument aller vers une économie décarbonnée et plus vertueuse. La seule question, c’est le rythme. Et les économies qui s’effondreront seront celles qui ne seront pas sur le bon rythme.

Et ce n’est pas trop tard ?
Pas du tout, trop tard de quoi ? Si on parle de la France, je vais vous donner 4 chiffres –bon, les experts ont 50 formes de calculs, mais on va prendre une forme et faire les comparaisons dessus- : les émissions de CO2 par habitant, en gros, on est entre 5 et 6 tonnes pour un Français, 21 pour un Américain, 11 pour un Allemand et 200 kg pour un Africain. Donc, notre pays, de ce point de vue-là, est extrêmement vertueux. Pour que la planète aille parfaitement bien, il faudrait être à 2 tonnes par habitant et par an. Comme il y en a qui sont à 200 kg, ça serait bien qu’ils puissent monter jusqu’à une tonne, et que ça leur permette de vivre et de se développer. Les pays industrialisés devraient être entre 4 et 5 tonnes. Donc la France n’a pas été spécialement coupable, ici. Mais, il n’est pas interdit d’accélérer. Parce que c’est gagnant en tout. Ça fait moins de CO2, c’est plus rentable, plus économe et on y a intérêt. Là, je vous parle depuis ma voiture -garée!- une Zoé électrique. Je vous garantis que je ne retournerai plus aux voitures thermiques. C’est 10 fois plus souple, les reprises sont exceptionnellement plus puissantes, c’est plus agréable, il n’y a aucun bruit. Je rentre chez moi, je branche mon truc, je ne suis plus passé à la pompe à essence depuis que j’ai cette voiture, quand on circule beaucoup, c’est économe. Alors il y a des contraintes, mais tout ça va se réguler. Le sens de l’histoire, c’est ça !

Même si on nous dit qu’on ne sait pas ce qu’on va faire des batteries?
Mais il n’y a aucun modèle qui soit parfait. Pour l’instant, on ne sait pas traiter ça, mais je vous signale qu’on ne sait pas traiter le béton non plus.

Quel est votre idéal par rapport à l’Afrique ?
En Afrique, 65% des gens n’ont pas accès à la lumière. L’électricité, c’est le premier des droits de l’Homme, puisque c’est ce qui permet les autres : le droit à la santé, à l’éducation, à la sécurité, à l’industrie agroalimentaire, etc. C’est inimaginable ! En plus, l’électricité, c’est un truc assez miraculeux : il n’y a aucune difficulté technique. Tout le monde sait faire de l’électricité dans le monde ! J’ai passé 3 ans là-bas, à essayer de comprendre. Parce que, aujourd’hui il y a 1 milliard 200 millions d’Africains, il y en aura le double dans 30 ans, ce n’est juste pas tenable. Souffrance, développement, migration, à tous les niveaux. Il fallait un outil africain, avec des fonds propres. J’ai donc créé une agence là-bas qui a levé 3,5 milliards d’euros de subventions européennes la première année, pour abonder tous les projets, petits et grands. L’agence ne se mêle pas des projets. Elle est là pour apporter la part de fonds propres, la part de risque. Cette Agence est maintenant présidée par un Chef d’Etat du continent africain Donc, ça a démarré. Evidemment, comme tous ces gros trucs à 54 pays, c’est compliqué. Au-delà de ça, il faut absolument cesser le désintérêt de l’Europe pour un continent qui est à seulement 14 km. Donc le plus grand événement des 50 ans qui viennent, c’est évidemment un très grand traité de paix, de prospérité, de sécurité, entre l’Afrique et l’Europe. Ça, c’est le sujet ! De toute façon, la société européenne tourne en rond maintenant. Tout ce qui peut se passer d’intéressant, c’est quelques très grands enjeux sur les gafa, la souveraineté numérique, la mer et les océans, le climat, et le traité Europe-Afrique. J’en ai reparlé avec le Président la semaine dernière. Il y a une présidence française de l’Union Européenne au premier semestre de 2022, je pense que c’est le moment de mettre véritablement le sujet sur la table. C’est simple : l’Afrique, c’est la chance de l’Europe ! Parce que c’est de la croissance juste à côté de nous, s’il y a de l’énergie partout, s’il y a les infrastructures, c’est le seul endroit où on va presque doubler la population en 30 ans. C’est inimaginable. 1 milliard 200 millions d’Africains de plus à loger, à nourrir, à former… C’est un marché de proximité. Ou c’est évident. Ou c’est le drame. Rien faire, c’est perdant perdant. Tout faire, c’est gagnant gagnant.

Êtes-vous un optimiste, Jean-Louis Borloo ?
Vous connaissez cette vieille phrase : “on commence à aimer la vie quand on prend conscience qu’on en a qu’une.” Profondément, c’est ce que je ressens. Quand je me lève le matin, je veux que mes journées soient belles. Et elles le sont. En s’intéressant à des sujets généraux, en donnant des coups de main individuels, en donnant un peu de soi. Voilà, c’est pas glorieux, c’est être heureux. Il y a plein de sujets de société que je trouve très intéressants ou d’autres qui me font enrager : il y a notamment des transferts de richesse absolument ahurissants. Qu’il faille faire 18 000 km a un produit pour gagner 0,02 centime au kilo, c’est complètement fou !

Vous pensez qu’on peut être optimiste, quand on galère en fin du mois ou quand on traverse une crise comme la Covid, par exemple ?
Bien sûr, il y a des situations très compliquées, voire dramatiques, des anciens qui sont partis seuls, des décès et aujourd’hui un contexte économique très difficile, une nouvelle pauvreté, notamment dans les quartiers. Mais il faut aller de l’avant, donner un sens à tout ça. Et à condition de ne pas être juste un consommateur. Dépasser la quotidienneté parfois difficile, pour partager d’autres valeurs, d’autres combats, d’autres projets.

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