made in genton
Qui a dit qu’il existait une barrière infranchissable entre art traditionaliste et art contemporain ? Aude Genton, designer suisse, coupe au couteau la dernière frontière qu’il existait entre les deux pour inventer son propre univers, sans faire de miettes.
Derrière ses longs cheveux blonds parfaitement lissés, Aude dissimule un petit air fripon vite décelable. Elle est joueuse ! “J’aime collectionner des choses sans vraie fonction, mais amusantes. Il leur faut revendiquer fièrement cet aspect ludique subtil. Qu’il y ait de la joie!”. Designeuse vaudoise inspirée par l’art contemporain, on s’attendrait à ce que son intérieur soit minimaliste et branché. Fausse route ! “J’ai récupéré pas mal d’objets hérités de ma grand-mère. Avec un peu de chance, ces bols en pyrex incassables iront à mes arrières-petits-enfants, si j’en ai !”. Du neuf, oui, on en trouve chez elle si on cherche, mais elle aime avant tout s’entourer d’artisanat ramené de ses voyages ou d’objets récupérés dans des brocantes: “Une brosse à vaisselle en fibres végétales parce qu’elle est bien conçue, un pinceau dont la construction est particulièrement intelligente, une toupie… Ah les toupies… Sans le vouloir, j’en ai une petite collection…”. Ça tourne rond pour Aude Genton !
UN NOUVEAU MONDE
En explorant l’art contemporain pendant ses études, Aude réalise que tous les objets qui l’entourent ont une histoire. “Il y a des choix derrière la sélection de la matière, de la couleur et de la taille de chaque objet que l’on utilise au quotidien”. Ce n’est pas une révélation spirituelle, mais matérielle. Et au 7ème jour, dieu créa le designer industriel! Et lui conféra bien des pouvoirs… “En tant que designer, on est créateur de l’environnement dans lequel les gens vivent”. C’est définitivement grisant. Aude a trouvé sa voie.
Elle réussit le concours de l’ECAL, à Lausanne, et opte donc pour le design industriel. “A l’entrée, je ne savais pas exactement ce qu’il en était…”, explique-t’elle amusée. “J’étais intéressée par l’architecture, mais c’était trop gros pour moi. Le design industriel, c’est un peu de la mini architecture, non ?”.
L’AIR NIPPON
Petite, Aude baignait déjà dans l’art, dans sa région de Lavaux. Grand-papa peignait du réalisme à l’aquarelle alors que maman, restauratrice d’œuvre d’art au papier japon, arpentait les musées, la fillette dans son sillage.
“Le design japonais représente tout ce que j’aime : il est beau, naturel, simple et astucieux. Ce pays, fier de sa culture insulaire, possède un savoir-faire ancestral très vivant, qu’il entretient encore aujourd’hui. Les créations ont véritablement une âme là-bas”. L’air et l’art nippon influencent fort logiquement le travail de notre Suissesse : Relax, ce tapis de sol géant sur lequel elle peut s’installer pour travailler « au sol » et cette chambre en bois aux tendances zen dont elle relève tout le mobilier pour que chaque pièce soit à une hauteur identique. La trentenaire n’en oublie pourtant pas ses origines suisses romandes. Il y a bien, dans ses créations, une petite horloge murale, nommée « Big clock », réalisée avec une précision toute helvétique.
ÇA PLANCHE DUR
Comme beaucoup de designer, Aude cherche à réinventer un objet peu envisagé par ses compères. Elle décide ainsi de plancher sur la planche à pain et son couteau : le projet « ARCH ». Non, Aude ne se prend pas pour Noé. Avec son ARCH, elle sauvera tout de même du déluge de miettes tous ceux qui se sont lassés de les ramasser. L’objet final est plein de contradictions. “Ce qui me plaît est ce mélange contrasté de simplicité d’utilisation et d’esthétisme, de massif tout en étant raffiné, de naturel et d’ouvragé, d’artisanal et de précision mécanique, de chaud et de froid, d’ancestral et de contemporain”. Mais derrière le design, il y a des gens, des lieux, une histoire, une technique, un savoir-faire. Toujours.
“Pour ce premier projet, j’avais besoin de travailler avec une équipe engagée”. C’est la première fois qu’Aude porte la double casquette de Designer et d’Editeur. Elle l’a conçu, elle cherche la bonne équipe pour l’accoucher. On ne met pas son bébé entre les mains de n’importe qui ! Elle choisit et rencontre chaque personne de cet atelier en environnement protégé. Cela rend la tâche plus complexe, mais pour Aude, “c’est évident : j’avais besoin de lui donner cette dimension équitable et locale.”
Peu importe le matériau travaillé, noble ou pauvre, Aude métamorphose tout ce qu’elle touche. Elle transforme de précieux vases en porcelaine de Limoges en haut-parleurs en y intégrant un système sonore, il fallait oser ! Elle met le feu à un concours organisé par le musée de la paille en concevant ce luminaire circulaire fait de tubes de paille et pour lequel elle reçoit le second prix. “Un matériau qui ne vaut rien, mais permet des jeux de lumières riches en couleurs”.
Japon ou Suisse, traditionalisme ou contemporain, matériau noble ou pauvre, il n’y a pas de frontière dans le monde d’Aude Genton et ça tourne rond !
+ d’infos : www.audegenton.com – www.eyelet.ch
© Catherine Leutenegger, Bruno Augsburger
