PHILIPPE CONTICINI

PHILIPPE CONTICINI

ÉCLAIR DE GÉNIE

Paris 7e, Rue de Varennes, une surprise m’attend, mais je ne sais pas laquelle, à quelques pas de là je tâtonne, mais je suis le tracé… Le numéro 37 m’arrête net, je lève la tête et j’atterrie ! Le meilleur gâteau de ma vie m’attend, avé Paris Brest, Philippe Conticini !

Né dans les casseroles de ses parents restaurateurs, celles qu’on traine comme les gourmandes, à 58 ans, le chef pâtissier porte l’évidence d’un métier passion qu’il blottit sous son gilet de soie, les émotions avec, ça va de soi. Et ça déborde ! De bonheur pour nourriture, de rigueur dans le carburateur, depuis ses débuts en famille, avec son frère à la Table d’Anvers en 1986, il ne parle qu’à travers ses créations «câlins» et son amour du goût, un langage bien à lui, entre tracas et plaisir de la vie.

D’une pâtisserie revisitée à l’innovation osée, d’une bouchée craquante à une saveur surprenante, il désarçonne ses pairs et ne s’arrête jamais en chemin, la créa sinon rien et tout ira bien. Transgresseur de techniques de cuisine dans des desserts à l’assiette, inventeur de la verrine, utilisateur de produits de grande distribution dans la gastronomie d’excellence, chef de cuisine étoilé, aussi, Philippe Conticini se nourrit de tout et balaye sa bienveillance partout, le sourire de mise et le rire gouleyant. Entraineur de l’équipe de France championne du monde de pâtisserie en 2003, invité chouchou dans Le Meilleur Pâtissier, quand il ne revisite pas tarte tatin, Saint Ho ou pâte à choux, il pioche une nouvelle recette dans sa gustatothèque, à moins qu’il ne réponde à mes questions, espérons que j’ai tout bon !

Activmag : Si je vous dis «émotion», vous répondez ?
Philippe Conticini :
Sensations fortes, plaisir, goût et surtout compréhension du travail derrière ce goût. La densité, dans mon métier, est quelque chose de très important. Plus il y a de densité, plus il y a de matière. Plus il y a de temps de mâche, plus il y a de sensations. Plus il y a de sensations, plus il y a de goût, de plaisir et finale- ment d’émotions. Mon travail va de la densité à l’émotion, donc si vous me dites émotion, je vous réponds : densité.

C’est une forme d’hypersensibilité et d’altruisme, vous avez toujours été comme ça ?
Depuis tout petit. Ma mère disait même : “toi tu donnerais ta chemise”. Ça fait partie de mon caractère. Et mon poids aidant, j’ai développé le fait de vouloir me rapprocher des autres, il y a forcément un rapport de cause à effet, mais oui, j’ai toujours été comme ça.

Et vous débordez, jusqu’à pleurer comme une madeleine ?
Si ça concerne ma femme, ma fille, ma famille, là oui, sans aucun doute. Il y a 25/30 ans, quand je voyais un film, je pouvais pleurer. Aujourd’hui, je me suis formé une carapace et j’ai grandi, ce n’est plus le cas. Mais je suis touché de la même manière. Un enfant, un animal ou quelqu’un qui souffre me touche profondément. Je suis très empathique, j’ai beaucoup de compassion et je ressens les choses. C’est comme ça, je suis né avec…

Petit, d’ailleurs, on raconte que vous mangiez sur le passe-plat du restaurant de vos parents ?
Oui au début, avant que mes parents achètent un appartement digne ce nom, on habitait un petit 2 pièces au-dessus du restaurant. Au bas de l’escalier, la sous-chef de ma mère me servait ce que je voulais, des noisettes d’agneau par exemple. Elle me faisait les plats de la carte, j’ai été biberonné à la nouvelle cuisine !

Un plat souvenir ?
Ce n’est pas un plat, mais un dessert : l’éclair au café. Mes parents étaient restaurateurs, ma mère, cuisinière, faisait un peu de pâtisserie, mais pas beaucoup. Et avant de devenir un restaurant gastro, ils faisaient des mariages. A ces occasions, ils avaient des petits fours qu’ils achetaient chez le boulanger ou le pâtissier, comme des petits éclairs au café et au chocolat appelés Caroline. Et à l’heure où le personnel mangeait, je descendais au restaurant et j’allais au fond de la cuisine où il n’y avait personne, j’ouvrais le frigo, je prenais 7 ou 8 carolines au café et hop ! je montais dans ma chambre. Je les mangeais vite pour que personne ne me voit, et ma mère râlait toujours parce qu’il lui en manquait. Je lui ai avoué ça dans un livre que j’ai écrit en 1996, où j’ai raconté cette histoire et enfin avoué que c’était moi !

Ah le goût palpitant de l’interdit ! Mais cette nourriture n’a pas toujours été votre meilleure amie pourtant, votre santé a été mise en danger ?
En fait ce qui n’a pas été ma meilleure amie, ce n’est pas la nourriture, ce sont les excès. Et bien sûr qui dit «excès» dit «raisons» derrière. On ne mange pas comme ça pour rien, surtout quand on est jeune, la nourriture n’est que le moyen de les mettre en scène. Je mangeais pour combler un vide affectif, c’est un schéma classique.

Et comment fait-on pour transformer cette addiction en cadeau et en faire un métier ?
Je crois avoir toujours eu en moi une sensibilité exacerbée et ce besoin de m’exprimer. Si mes parents avaient été médecins, j’imagine que cela aurait été différent. Mais ils étaient restaurateurs et j’ai été nourri à tout ça, ça a forcément un impact. Je me souviens, quand j’avais 13-14 ans, comme ils travaillaient tous les soirs et que j’étais tout seul, je regardais le feuilleton «la planète des singes» et je me faisais des sandwichs où je superposais plein de couches de plein de choses comme de la Savora, du jambon, du beurre et bien plus encore… Et ça, c’est quelque chose que j’ai refait à peine 20 ans plus tard, dans les verrines en superposant les couches. (Philippe Conticini est l’inventeur de la verrine en 1994 NDLR) Je crois que j’ai toujours eu ce quelque chose en moi… De Tennessee, comme disait Johnny !

Vous analysez beaucoup non ?
J’intellectualise tout dans mon métier ! Si vous venez assister à un atelier, vous allez comprendre. Dans un jaune d’œuf, je sais ce que je vais faire de l’eau, du gras et des protéines du jaune. Non seulement j’intellectualise tout, mais je range ça dans ma gustatothèque ! Par contre, au moment de créer, je n’intellectualise plus, je vais simplement piocher dans cette gustatothèque et je me sers de ce que je ressens. La vraie technique, c’est l’émotion.

Vous innovez beaucoup, cette créativité, vous allez la chercher quelque part ou ça sort comme la crème de la poche à douille ?
Ça sort tout seul, c’est tout le temps comme ça ! Je n’ai pas besoin de chercher, mais je pense qu’on a tous quelque chose, un talent inné, et moi, c’est ça. Je ressens les choses. En fait, je mets ce que je suis et ce que je ressens dans ce que je fais.

Bûche Yuzu 2021

Ça a toujours été une évidence, ce métier ?
Oui, je dirais depuis mes 8-9 ans, je me suis toujours dit que je travaillerais avec mon frère, et c’est ce qui s’est passé d’ailleurs, à la Table d’Anvers. Je ne me suis jamais posé la question : qu’est- ce que je vais faire plus tard ? C’était très clair.

D’ailleurs, au côté de votre frère, vous surprenez par vos premiers desserts à l’assiette, puis vous partez suivre votre route et refusez même les sollicitations de grands chefs, comme celle de Joël Robuchon…
Alain Ducasse, Joël Robuchon ou encore Pierre Gagnaire. Je me souviens d’une histoire avec Pierre que je connaissais bien. Il voulait que je vienne travailler à Londres avec lui. A l’époque, ma femme et moi avions besoin l’un de l’autre pour traverser une époque difficile. C’était compliqué. Et en plus de ça, il souhaitait que nous fassions la carte des desserts en commun. Je me souviens lui avoir dit : “Avec tout le respect que j’ai pour toi et tes 3 étoiles, je n’ai pas besoin de toi pour faire une carte de desserts. Ça a coupé court à la conversation.

Forcément… Vous avez du tempérament ! Vous êtes un homme de challenge ?
Je n’ai pas arrêté, oui ! Je me suis toujours mis la pression et c’est comme ça. J’aime bien me créer un cadre pour ne pas partir dans tous les sens… Par contre, j’ai tendance à écarter les bords du cadre, je les écarte beaucoup même !

Et cette étoile obtenue chez Petrossian en 1999 ? Tout le monde ne le sait pas, mais vous êtes cuisinier aussi !
Je suis pâtissier de métier, même si la cuisine, j’en ai fait tout le temps ! J’ai commencé par un apprentissage, je ne l’ai pas terminé, mais quand on m’a proposé de cuisiner chez Petrossian en 1999, j’ai fait de la cuisine «officiellement». Et effectivement, en moins de 2 ans, j’ai obtenu une étoile Michelin et 17/20 au Gault et Millau, exactement comme à la Table d’Anvers quelques années auparavant avec mon frère.

Vous rebondissez et innovez, inventez et réinventez sans cesse, vous mettez même de l’air à la place du beurre dans le Paris Brest, quelle est votre limite ?
Il n’y en a pas. Si j’en mets une, c’est fini, je sais que la création est terminée. Il m’a fallu du temps, mais je me vois aujourd’hui comme un artiste.

Et comme tout un artiste, vous avez un grigri ou une phrase fétiche ?
J’en ai deux ! La première : laisser libre court à ses envies et ses émotions est peut-être le meilleur moyen de rester libre. Et la seconde : être créatif, c’est simple, mais comprendre pourquoi c’est simple, ça, ça peut prendre toute une vie.

Aujourd’hui, vous avez vos propres boutiques, depuis 5 ans, vous animez des ateliers autour du goût, vous êtes très proches des gens, notamment sur les réseaux où vous répondez vous-même à la communauté. C’est important pour vous de maintenir l’humain et la transmission ?
C’est fondamental, j’ai besoin de ça. Les gens en sont hyper heureux et je le sens. Autant pour eux que pour moi, c’est vraiment bien.

Vous avez toujours l’air de bonne humeur et dans la bienveillance, mais qu’est-ce qui peut vous mettre en colère ?
En colère, c’est vraiment très rare. Par contre, dans mon travail, je suis très directif. Le travail, c’est le travail ! Je considère qu’on peut travailler très bien, donc il n’y a aucune raison de ne pas travailler ainsi. Travailler mal, c’est impossible. Je suis rigoureux avec moi, d’abord, et avec les autres ensuite. Mais jamais je ne me mets en colère.

Et côté tendresse alors, vous dites que la pâtisserie est un câlin. Quel est votre câlin votre préféré ?
Le millefeuille, quand il est fait comme il se doit et les éclairs au café ! Deux gros câlins !

Et vous êtes un papa gâteau ?
Oh oui, il faut d’ailleurs que je me calme. Maintenant, elle a 20 ans !!! Mais oui, je suis comme ça et ma fille, comme ma femme, pour moi, c’est tout. L’amour est essentiel au jour le jour, j’en ai besoin, d’en donner beaucoup comme d’en recevoir.

Vous employez souvent l’expression ça craquouille, c’est craquouillant, qu’est-ce qui vous fait craquouiller ?
Sincèrement : tout ! Mais quand c’est vraiment, très, très bon. Dans ce cas, tout me fait craquer… craquouiller!

Vous avez des coups de cœur dans la sphère pâtissière aujourd’hui ?
Il y en a plein ! On vit une période extraordinaire en pâtisserie. Maxime Frédéric, Claire Damon, Claire Heitzler ou Jessica Préalpato dont j’aime beaucoup l’état d’esprit.

Comment voyez-vous demain ?
Chaque jour est différent et c’est pour ça que c’est formidable, et je ne sais jamais ce qui va arriver !

FAN DE

Quel est le dernier film qui vous a fait vibrer ? Miracle en Alabama film de 1962.

L’acteur ou l’actrice qui vous touche ? Christian Bale.

Quel est le dernier morceau qui vous a fait danser ? Jérusalema.

Celui que vous chantez sous la douche ? Jérusalema.

Quel est l’artiste dont vous adoreriez avoir une création chez vous ? Yahnn le Toumelin (femme peintre, maman de Mathieu Ricard)

Le dernier auteur que vous avez dévoré ? Je suis en train de relire tout Victor Hugo.

Le personnage historique que vous admirez ? Léonard de Vinci et Aristote.

Le ou la politique avec qui vous aimeriez débattre ? François Hollande ou encore mieux Simone Veil.

Le (super)-héros dont vous auriez aimé avoir les pouvoirs ? Spiderman

Photos : Kevin Rauzy Foodography


JUAN ARBELAEZ

JUAN ARBELAEZ

LE FAIM MOT DE L’HISTOIRE

A 33 ans, Juan Arbelaez est un chef cuisinier décomplexé, entrepreneur compulsif, star des réseaux sociaux, chroniqueur TV. On ne l’arrête pas ! Ou juste quelques minutes pendant Toquicimes à Megève…

Juan Arbelaez a le feu en lui, le feu sacré de la cuisine, certes, mais pas seulement. La bouillonnante Colombie coule dans ses veines, et s’il est venu s’installer à Paris, ce n’est surtout pas pour se poser, mais bien pour explorer. Ses terrains de jeu ? Le monde culinaire bien sûr, celui des médias et des réseaux sociaux ou encore celui de l’entreprise. Déjà à la tête de 13 restaurants et 300 employés, le jeune chef n’est jamais rassasié. Il y a quelques semaines, il venait à Megève présenter sa nouvelle collaboration avec Cocorico N’Co, l’après-ski ultra festif et gourmand de Tignes et Val d’Isère. Une aventure qu’il partage avec l’étoilé de Megève Emmanuel Renaud, le Lyonnais désormais parisien et finaliste de Top chef 2014 Thibault Sombardier et le pâtissier chocolatier de la Croix Rousse Sébastien Bouillet. Un casting 4 étoiles -imaginé par l’agence «Oui chef-fe»-, une fine équipe intenable à Megève !

©Matthieu Khalaf

Activmag : Tu viens de prêter ta voix à un personnage d’Encanto, le dernier Disney dont l’action se déroule dans ton pays natal, plutôt inattendu comme aventure ?
Juan Arbelaez : Oui, ça a été une expérience de dingue. Tu rentres dans le panthéon des enfants, un vrai rêve de gosse… Bon, je joue le père de l’héroïne, c’est un petit rôle, mais hyper touchant, je me suis régalé à le faire ! C’était un moment magique.

Mais comment c’est arrivé ?
J’ai ouvert mon resto colombien il y a 4 mois. Et il s’avère que Boualem Lamhene, un des dirigeants de Disney est venu y manger. J’ai fait un peu le saltimbanque en racontant l’histoire des plats, et à la fin du dîner, il me dit, “toi, tu vas faire une voix pour notre film. Ce serait bien qu’on travaille ensemble !” Moi, j’ai pris ça pour des paroles de fin de soirée… Mais le lendemain, 7 heures, j’avais un coup de fil m’invitant à faire des tests. Et ça s’est enchainé ! J’ai donc prêté ma voix à Agustin, un Colombien dont l’épouse a le don de guérir les autres grâce aux plats qu’elle prépare…

Pas si loin de la réalité…
Ça m’a replongé dans ma famille, à Bogota… Pour moi, à travers leur cuisine, mes grands-parents avaient le superpouvoir de réunir les gens, de leur faire oublier leurs soucis ! Je rêvais d’avoir le même don qu’eux, petit… Et au final, je l’ai peut-être.

De cette Colombie, tu gardes quoi ?
J’ai la chance de venir d’un pays avec un peuple d’une générosité exceptionnelle. C’est un pays assez modeste, mal connu ou connu pour les mauvaises raisons, mais qui a une vraie joie de vivre, qui vit en couleurs, en musique, qui ne se plaint pas et qui va de l’avant. Forcément cette culture m’a marqué et me donne toujours la force de continuer, jamais lâcher. C’est un pays dont tu tombes forcément amoureux.

Quel gamin étais-tu ?
Un gamin débordant d’énergie, curieux, insouciant, un chien fou !

Bon, en fait, t’as pas grandi ?
C’est vrai, et j’espère ne jamais grandir ! Je m’émerveille de tout… Dans cette insouciance, cette naïveté, il y a une sorte de beauté presque poétique, ce serait dommage de la perdre.

Tu aurais pu faire un autre métier ?
J’aurais pu être comédien… j’aurais adoré changer de masques, vivre un éventail d’émotions, jouer une multitude de rôles. Mais jeune, j’avais imaginé devenir publicitaire, pour la créativité, les brainstormings, l’inventivité… Mais au final, au cours d’un stage, je me suis révélé piètre publicitaire et j’ai découvert que je pouvais trouver tous ces aspects dans la cuisine. Et depuis, ce terrain de jeu me passionne.

Alors, du coup, comment passe-t-on d’un jeune de 18 ans quittant sa Colombie natale à un chef à la tête de 13 restau- rants parisiens, 15 ans plus tard ?
Il y a bien sûr beaucoup d’envie, il y a aussi le fait de ne pas redouter l’échec. Se ramasser et se relever, ça fait partie de l’apprentissage. Et mon côté tête brulée a contribué à accélérer le mouvement. Je suis probablement un peu kamikaze, à foncer tête baissée sans trop réfléchir aux risques. Ça m’a parfois desservi, mais bien souvent fait avancer, en mode turbo. Et puis je me suis bien entouré. J’ai la chance d’avoir créé un groupe de restauration avec mes 2 meilleurs amis, qui sont aussi mes associés. Grégory et Pierre-Julien Chantzios. Ensemble, on pilote quelque 300 employés… Mais pour en arriver là, c’est avant tout de la passion, être fou amoureux de ce métier et ne pas trop compter les heures… Et puis je ne me suis jamais réveillé en me disant que j’allais «taffer», mais toujours que j’allais faire ce que j’aimais, ça aide…

Tes premiers pas en cuisine ?
J’ai toujours regardé ma mère et mon grand-père cuisiner. Et à 15 ans, j’ai travaillé dans un burger en Colombie, même si ce n’était pas de la grande cuisine, j’ai adoré l’expérience. Et dès que je suis arrivé en France, j’ai intégré l’école de cuisine du Cordon Bleu. J’ai travaillé ensuite chez Gagnaire, au George V et au Bristol, un passage à Top Chef, bref le passage, et j’ai ouvert mon premier resto ! C’était il y a 8 ans. Aujourd’hui, on en a effectivement 13.

De Bogota à Paris, quelle cuisine te porte ?
C’est difficile de donner une seule cuisine. J’adore découvrir de nouveaux produits, de nouvelles techniques, je suis dans une cuisine de découverte. Et ce sont ces découvertes qui deviennent opportunités. J’ai commencé à faire mon huile d’olive bio en Grèce, auprès de Greg et Pierre-Julien. Et ça m’a donné envie de créer Yaya (aujourd’hui 5 restaurants grecs festifs sur Paris, avec chacun une région à l’honneur), pour mettre en avant cette cuisine grecque généreuse. On vient d’ouvrir Bazurto, un restaurant colombien, je m’éclate à réfléchir la carte de Ma Cocotte, où l’on va manger des cuisses de grenouilles, des escargots, l’œuf mayo… de la cuisine plus classique. Ce que j’aime, c’est ne pas avoir de routine, sauter d’une cuisine à une autre, apprivoiser toutes les techniques, explorer tous les produits.

Juan Arbelaez dans son restaurant Le Barzuto. ©Sipapress

Dans ton parcours, de quoi es-tu le plus fier ?
Peut-être d’avoir réussi tout ça dans une démarche respectueuse, des autres, comme de l’environnement. Pourvoir me retourner en me disant qu’on a avancé sans tout broyer sur notre passage. On a le premier resto qui n’utilise plus de plastique à usage unique. C’est un état d’esprit, vivre cette passion pleinement et pouvoir en être fier.

Ta femme, Laury (Thilleman, Miss France 2011, ndlr), quel rôle joue-t-elle dans ta vie ?
C’est un guide, ma source d’inspiration. Elle a cette capacité à accepter l’autre avec ses bons et ses mauvais côtés, ses forces et ses faiblesses. Elle m’impressionne. Pour la première fois de ma vie, j’ai l’impression non pas de regarder quelqu’un, mais de regarder dans le même sens. On grandit ensemble.

Ces 2 dernières années ont été particulières, comment as-tu vécu cette crise ?
On a réussi à s’adapter en passant très vite à la vente à emporter. Ce qui n’était pas rien à mettre en place sur tous nos restaurants. Mais c’était déjà dans nos plans d’évolution à moyen terme. Au final, le Covid nous a fait gagner 2 ans ! Et puis le confinement nous a permis, avec mes associés, de nous poser, de réfléchir à de nouveaux projets, de nouvelles offres. J’aime, devant chaque problème, me creuser la tête pour trouver une solution et grandir. Ce fut, en vrai, une période très enrichissante et constructive.

Dans quel environnement es-tu comme un coq en pâte ?
J’ai la chance d’être un bon passe-partout. Je suis comme un poisson dans l’eau en cuisine, naturellement, mais avec les clients aussi, j’adore côtoyer les gens qui font la fête, j’ai toujours aimé le contact humain, les échanges avec les médias, les réseaux sociaux… Et même dans les situations stressantes, quand je suis vraiment sous pression, j’aime ces sensations.

Les réseaux sociaux, ça fait maintenant partie de la vie d’un chef ?
Ce n’est pas une obligation. C’est un outil comme un autre… Quand on apprend à s’en servir, ça devient intéressant. Pour moi, c’est un ingrédient de plus à mes recettes. C’est un axe de communication rapide, dynamique avec lequel tu gardes un contact direct avec ton client, c’est aussi un service après-vente immédiat. Moi j’aime bien cet outil, ce partage…

Et la télévision ?
La télé, c’est différent, ce n’est pas toi aux manettes. Ce sont des gros budgets, des chaines qui décident… Il faut déjà qu’elles s’intéressent à toi et qu’elles te proposent quelque chose qui te correspond. Ça fait beaucoup d’étapes… Mais si demain, on me propose une émission cool en accord avec mon état d’esprit et mes valeurs, pourquoi pas !

Du coup, tu dirais que ta vie est un cocktail de quoi ?
Joie, amour, fidélité, passion, excès et équilibre !

Intéressant mariage qu’excès et équilibre !
En fait, je crois qu’il faut savoir salir pour nettoyer. Nettoyer quelque chose de tout le temps propre, ce n’est pas excitant. Tu vois, j’aime bien manger une volaille rôtie entière avec un jus bien gras, et une bonne bouteille de vin, sans oublier les desserts ! Et le lendemain matin, je vais aller courir une heure et demi ! J’aime les excès que j’équilibre. Je ne vis pas de brocolis et de laitue !

Ta journée type ?
C’est celle qui ne ressemble pas à la précédente !

Tes dernières vacances, c’était plutôt coquillages et crustacés en bord de mer ou coquillettes et reblochon à la montagne ?
C’était coquillages et reblochon à la plage en montagne ! En vrai! Cet été, on a pris le van et on a fait toute la côte de la Galice et comme le temps tournait au mauvais, on est rentré dans les terres. J’ai souvenir d’avoir mangé la meilleure côte de bœuf du monde dans un restaurant de montagne, là-bas, un repas bien chargé, comme j’aime. C’était parfait. J’aime particulièrement la montagne l’été, j’ai eu la chance de venir en séjour à Megève faire des randos à vélo absolument magnifiques. On ne profite pas assez de la montagne en cette saison selon moi et pourtant, c’est vraiment top.

Tes moments de détente ressemblent à quoi ?
A tout sauf de la détente ! Il faut toujours que je bouge… Je suis un hyper actif. Me poser plus de 7 minutes sur une chaise longue, c’est pas possible !

©Matthieu Khalaf

Ton paradis à toi, c’est quoi ?
J’aimerais bien avoir un resto face à l’eau. Une dizaine de places assises. Dans mon paradis, l’argent n’est plus un problème, j’ai un jardin à côté pour faire pousser mes légumes. Pouvoir mettre dans l’assiette uniquement ce que je pêche, chasse et cultive… Vivre un peu en autarcie. Un jour, je le ferai !

L’aventure Cocorico N’Co, à Val d’Isère et Tignes, ça représente quoi ?
C’est avant tout une histoire de souvenirs… Je ne skie pas depuis très longtemps, mais c’est à Val d’Isère que j’ai fait mes premiers pas sur des planches ! Et mes premières gamelles… J’adore cette station. Cocorico est un lieu festif totalement dans ma philosophie. On aime le partage, la bonne musique, se régaler. Tu sais, dans mes restos, on fait appel aux mêmes producteurs, aux mêmes produits que les étoilés, juste on les réfléchit différemment, on crée une ambiance de partage, on mange dans l’assiette de l’autre, on rigole, c’est notre état d’esprit. Et Cocorico N’Co est dans la lignée de ce qu’on aime faire. Apporter aux amateurs d’après-ski, qui en général vont faire la bringue ensuite, une offre gourmande différente, ah oui, ça va twister ! Et le faire avec Manu (Renaud), Thibault (Sombardier) et Seb (Bouillet), des copains que j’adore et que je respecte profondément, c’est une super aventure !

Un mot sur Emmanuel Renaud ?
Manu, on est obligé de l’admirer ! C’est un passionné, dévoué corps et âme à son métier… On est allé choper des champignons à 5 heures du mat’ ensemble dans la montagne. Pour moi, c’est un mentor : il est au sommet de son art, reconnu de tous et d’une simplicité incroyable, d’une vraie gentillesse. Même avec son succès, il a su garder la tête sur les épaules et les deux pieds bien ancrés au sol.

Et Thibault Sombardier ?
Thibault, c’est un copain, on est très proches, on a pas mal bringué ensemble ! Et à chaque fois que j’ai mangé chez lui, j’ai pris des claques. Il réfléchit vraiment bien sa cuisine, il a une approche géniale du produit. Je l’adore !

Quant à Sébastien Bouillet ?
Seb, c’est un pote de longue date. Un super pro qui maitrise son art à la perfection. C’est bien simple, goûter un chocolat de Seb, c’est comme mettre les doigts dans la prise : tu peux plus t’en détacher ! Il est simple et génial à la fois. Plus qu’un chef, c’est un mec magique !

FAN DE

Quel est ton acteur préféré ? J’ai toujours adoré Johnny Depp. C’est un personnage un peu taré, obscur et en même temps solaire. C’est un performer, comme Jared Leto ou Matthew McConaughey.

Quel est l’artiste dont tu adorerais avoir une œuvre chez toi ? Je suis particulièrement fan de street art, de Bansky, de Toxic. Mais une toile de Pollock, ça me dirait bien !

Ton chanteur préféré que tu doubles sous la douche ? Carlos Vives, un chanteur colombien avec une énergie folle, il a d’ailleurs signé la BO d’Encanto.

Quel est l’humoriste qui te fait mourir de rire ? Un jeune que j’ai découvert il y a pas longtemps, Paul Mirabel, complètement lunaire, une autodérision de dingue, c’est exceptionnel.

Quel est l’auteur que tu dévores ? En ce moment, je suis sur Cien anos de soledad (100 ans de Solitude) de Gabriel Garcia Marquez. Etudiant, j’étais un peu fainéant et je me dérobais sur les grands classiques imposés, avec les résumés que je trouvais sur Internet. Aujourd’hui, j’ai envie de retrouver mes racines.

Le champion que tu admires ? En dehors de Martin Fourcade que j’adore et qui est un pote, il y a Théo Curin, nageur paralympique qui se met des challenges sportifs de malade dont la récente traversée du lac Titicaca. D’ailleurs, je lui ai fait à manger pour cette traversée… Il est d’une intelligence, d’une force de caractère et d’une joie de vivre qui forcent l’admiration.

Quelle est la personnalité politique qui te fascine le plus ? De Gaulle. Un sacré personnage.

L’homme de l’Histoire ? Gandhi pour avoir prôner le pouvoir de la paix, plutôt que celle la force ou de l’arme nucléaire pour avancer.

Quel est ton héros? Oskar Schindler, que j’ai pu découvrir au travers de La Liste de Schindler. Ça c’est un héros, un homme extrêmement touchant qui a mis sa vie en danger pour les autres. Il n’a pas des supers pouvoirs, mais ce qu’il a fait est juste hallucinant.

Photo : Matthieu Khalaf

RESTO :  « épicerie chez jib », BOURDEAU

RESTO : « épicerie chez jib », BOURDEAU

LES COPAINS D’ABORD !

On fredonnerait presque un air de Brassens, tant ce restaurant historique de Bourdeau, à 2 pas du lac du Bourget, éclate en joie de vivre et bonne humeur. A un détail près : on s’y régale. Attention : coup de cœur !

Bien sûr, on pourrait raconter l’histoire de Jib pour Jean-Baptiste, Hollandais de naissance, mais Savoyard convaincu (du côté de sa mère). On pourrait aussi parler de son hérédité étoilée, car Jib est le neveu de Pierre Marin, mais aussi celui de Jean-Michel Bouvier, et donc cousin de Clément, tous étoilés. Il a été formé par des grands : Michael Arnoult (les Morainières), Nicolas le Bec ou Boulud (New York). Le tout l’a propulsé, pendant 6 ans, Chef du Panoramic (1 étoile Michelin 2021) avec Jean-Michel Bouvier. Mais Jib est différent. Il ne recherche pas les étoiles qu’il a déjà dans le cœur. Il court plutôt après l’amitié et le partage. Alors il a réalisé son rêve : avoir son resto à Bourdeau avec «poupinette», sa chérie, elle aussi du métier, le combo parfait. Bourdeau, il y a grandi et juste en face de chez Parpillon, un des meilleurs pêcheurs du lac, il y a le café du village, ouvert depuis 1952, par un… Parpillon. Ici, règne l’amour de la bonne bouffe, du fait-maison et du bien-manger.

COMME À LA MAISON !!

Chez Jib, l’épicerie existe toujours, la cuisine est ouverte à tout vent, les tables ne sont pas dressées. On s’assoit et on se passe les assiettes sous l’œil de Dallas, le chat, mascotte de la maison. De vieilles compils de Brassens, Piaf ou un air d’accordéon, participent à l’ambiance. Il y règne une atmosphère «les copains d’abord» et la salle ne désemplit pas. On s’y régale aussi avec les fruits de mer l’hiver, et le menu à l’ardoise. La friture de lac est remplacée, l’hiver, par une quenelle de brochet sauce Nantua. La bavette black Angus ou les travers de cochon fermier accompagnent une vraie purée montée au beurre ou des frites maison à tomber. Clin d’œil à sa hollande natale, le gouda vieux et les bitterballen s’invitent à l’assiette. En dessert, le baba dégouline délicieusement de rhum. Poupinette, passionnée de vin, parle aisément des 120 références dont 50% viennent du coin. On se sent une âme rabelaisienne à s’encanailler dans ces gourmandises régressives. La cuisine et la salle se mélangent, les rôles ne sont pas figés. Le bonheur est au rendez-vous, le succès aussi. Chez Jib (poupinette et Dallas), on se pose des questions : et si c’était cela la nouvelle vie des restaurants ? Le bonheur, tout simplement.

+ d’infos : http://epicerie-chezjib.com
9 route du Port, 73370 Bourdeau – 04 79 68 75 99

Photos : Garnomo Studio

Resto : « AILLEURS QU’ici », Annecy

Resto : « AILLEURS QU’ici », Annecy

ET SI ON PARTAIT EN VOYAGE ?

Ailleurs qu’ici et à Annecy ! Un peu du coin et beaucoup au loin, Thomas et Lucas Baudet vous emportent dans les contrées lointaines, celles du goût, de l’évasion gourmande, une audace culottée que les deux frères s’amusent à conjuguer au quotidien, dans des recettes chics et chocs… Prêts pour embarquer ?

Et c’est Thomas, 27 ans, qui est à l’origine de cette invitation. Fan de boissons du monde, addict aux saveurs un peu barrées, le jeune Annécien commence pourtant par un parcours traditionnel : “J’ai fait tout type de restauration. La basique, en premier, de la gastronomique, mais je me lasse très vite, et je n’étais pas très stable. Des cartes redondantes, le manque de créativité, ça ne m’intéressait pas trop, alors je partais, et je rebondissais !” Prof de cuisine, chef privé, les expériences se multiplient, il s’affirme, on est loin du rythme de croisière, mais quand on aime…
Mais sa santé l’emmène à faire une longue escale, à se remettre en question… aussi. Il y a 3 ans, il reprend enfin du service et s’installe, pour lui-même, à la place d’un bistrot de copains, sous les arcades de la rue Sommeiller, face à Bonlieu. “Pendant plus d’1 an, j’ai fait la cuisine, la plonge, le service…” Et avec le sourire ! Parce qu’ici, il fait toujours soleil et depuis que son frère Lucas, 21 ans, l’a rejoint, ça sur-brille ! Ancien ingénieur lumière, avec la Covid, il a fallu se renouveler. “Je fourmille de projets et je cherchais un bras droit avec le même esprit…” Et quelle équipe ! Depuis le midi et ses Bibimbaps coréens colorés, au menu du soir, le tandem fait la sienne, de révolution, gour-mande. Houmous au charbon végétal, pois chiche, olives, pain, miel, lavande et herbes sèches, Roquefort, ananas, fenouil, banane et buns ou féta rôtie, papaye, mandarine et lait de coco, mon palais a fait bingo de l’Italie jusqu’au Togo !!! Dans des assiettes de grands-mères aux plus contemporaines, leur cuisine poétise d’associations bluffantes et très créatives, une explosion boule de flipper, qui touche en plein cœur. Et ce « label Rouge », quel tilt ! Porc et bœuf, thé fumé, jus de viande et moutarde à l’ancienne maison, la rillette m’a transportée dans un pot au feu en famille, un dimanche bien au chaud. Accompagnée d’un Gruner Veltliner, célèbre cépage autrichien, quelle découverte que cette cuisine alambiquée de partage et d’émotion.
Autour d’un jus, d’un rhum ou d’un café oublié, sacré tour de maitre que leur tour du monde !

+ d’infos : http://ailleurs-qu-ici.fr – 48 rue Sommeiller à Annecy – 04 50 45 32 07
Du mardi au samedi midi et du mercredi au samedi soir – A partir de 12.90 € le midi, les soirs, à la carte.

Une étoilée à la montagne : Anne-Sophie Pic

Une étoilée à la montagne : Anne-Sophie Pic

Et pic ton cœur

Prenez un lieu mythique, le Four Seasons de Megève, donnez les clefs de son restaurant à une drôle de dame, la plus étoilée au monde et savourez ! A la table des saveurs, Anne-Sophie Pic rafle la mise. Coup de cœur assuré pour La Dame de Pic – le 1920*.

* Date de l’arrivée de Noémie de Rothschild à Megève il y a un siècle.

©Maison Pic

Elle est solaire, Anne-Sophie Pic, indéniablement. Sur papier glacé, elle apparaît effacée et douce, certes. Mais ne vous y fiez pas, c’est de la dynamite, cette femme ! Il faut dire qu’il fallait un sacré tempérament pour reprendre les cuisines familiales -ancrées depuis 4 générations- et ses 70 salariés, après le décès soudain de son père. Les cuisines et leur univers impitoyable, c’est peut-être pas Dallas, mais l’ambiance machiste y fait tout autant recette. Tous les coups sont permis, surtout envers une femme, qui plus est «la fille du patron» qu’ils ont connue au biberon. Alors de là à lui obéir, y aurait pas fausse donne ? Mais Ninette, de son surnom, n’est pas là pour compter les trèfles, et contre toute attente, elle s’est imposée, sans coup de bluff, mais une bonne dose d’aplomb. Il faut dire que dans la famille Pic, on a du caractère. Son père est le seul chef à refuser l’étoile, demandant au Michelin de repasser l’année d’après, car il voulait refaire sa cuisine ! Une cuisine ouverte, avec du champagne servi au verre, révolutionnaire à l’époque. Une créativité tellement débordante qu’elle a imbibé le jeu de sa fille pour en faire sa carte maîtresse..

Agneau des alpages ©JF Mallet

DU PIC ATOUT CŒUR

Il n’y a pas d’éclat de voix dans les cuisines de la Dame de Pic à Megève. Zénitude et rigueur obligent. “Je déteste les menaces en cuisine”. Il y règne donc une ambiance calme et énergique, Anne-Sophie veille au grain. “Je façonne mes chefs autour du respect”. Et de la mixité. “Un élément féminin est une force, une richesse. Les femmes sont persévérantes et particulièrement solides moralement”. Pas étonnant alors que pour diriger ses cuisines à Valence, «le cœur du réacteur», elle ait choisi une femme. “C’est reposant, bienveillant et rassurant”. Oui, Anne-Sophie Pic n’a pas oublié qu’elle est une femme, une mère et une épouse. Et côté cour, elle sait pouvoir compter sur David Sinapian, son double en privé. Elle, mène ses équipes et concentre son énergie sur ses créations culinaires, quand lui, gère le groupe et anticipe l’avenir. Elle est dans la lumière, il reste dans l’ombre. Le yin et le yang, mais en bien plus fun.

Berlingots savoyards ©JF Mallet

LA GASTRONOMIE À CARREAU

Avoir de la créativité et de la technique en mains, c’est bien, mais pour jouer au top niveau, il faut s’enquiller de longues heures aux fourneaux, deux services quotidiens, quinze heures de parties endiablées, la dame de Pic tient une condition physique à carreau. C’est pour cela aussi que Megève lui convient si bien. “Je viens ici depuis 20 ans, plusieurs fois par an, pour me ressourcer et m’entretenir. L’hiver, je fais des raquettes, l’été des randonnées et surtout des cueillettes sauvages. Une source d’inspiration sans cesse renouvelée. Si j’étais un produit, actuellement je serais un bourgeon d’épicéa, une de mes grandes découvertes…”. Et quand elle n’est pas en pleine nature, elle traque, source inlassablement de bonnes adresses de la région pour toujours surprendre. Presque tous les produits sont de la région. “Ne pas s’intéresser au local serait une injure !”. Si tous les codes de sa cuisine ont fait le déplacement, ils ont pris une nouvelle personnalité, conjugués à l’âme de la région. Un de ses plats signature -le berlingot- devient savoyard au contact du beaufort, de l’abondance, de l’absinthe et des champignons. Seule infidélité à la région, le brie de Meaux de la ferme des 30 Arpents (propriété de Benjamin de Rothschild), servi avec de la vanille de Madagascar. Un clin d’œil à la famille Rothschild, propriétaire du Four Seasons où s’est installé, depuis juin dernier, «La Dame de Pic – Le 1920». La truite fario vient de l’Isère et décoiffe avec son assaisonnement de bourgeons de sapin et œufs de brochets fumés. “L’émotion, c’est le seul sujet. Je ne tourne qu’à ça !”. Mais la grande claque du dîner, c’est son utilisation de la mixologie. Avec la sommelière du groupe, Paz Levinson, Anne-Sophie Pic a travaillé tous les liquides, des cafés au thé en passant par les cocktails, même ceux sans alcool. Et c’est la grande nouveauté : un accord mets boisson sans alcool est proposé à la carte. Les cocktails sont en général sirupeux, vous coupent l’appétit, quand ils ne vous gâchent pas le palais. Là, miracle, il n’en est rien. La truite fario se marie à merveille avec une infusion au sapin, à la camomille et jus de pamplemousse. Le bœuf est relevé par un cocktail de thé noir, poivre noir, menthe et myrtille. J’en sors ravie et pas «pompette», mais surtout, avec une seule idée en tête : rebelote !

+ d’infos : http://anne-sophie-pic.com/megeve
La Dame de Pic – Le 1920, 373 chemin des Follières à Megève. Menus à 160 et 210€


Etoilé 2021 : Eric Prowalski à La Rotonde des Trésoms

Etoilé 2021 : Eric Prowalski à La Rotonde des Trésoms

Cuisine à l’eau de vies

Au milieu coulent une rivière, un lac et un océan, tant que ça baigne, la cuisine d’Éric Prowalski fait des clapotis. Horizon à perte de vue, depuis la corniche de la Rotonde des Trésoms à Annecy, le Chef, tout juste étoilé, fait de sa nature un vivier gourmand. Du zen, de l’iode et bien des sentiments, l’assiette s’exprime avec piment.

Et si c’est du piment d’Espelette, c’est encore mieux ! Parce que s’il vit ici depuis maintenant 10 ans, ses racines sont plutôt bordelaises et bassin d’Arcachon. Le cœur à califourchon sur les deux régions, il en aura fallu du temps pour trouver l’équilibre et en faire sa recette… Une gastronomie yin et yang qu’il inscrit à la carte du restaurant. Signature originale, associations inattendues, féra, algues marines et piquillos, brochet, salicorne et coques du bassin, sa cuisine chante le sud-ouest comme son accent, élégante et directe, enveloppante et relax. Et pour en arriver là, quel parcours du combattant !

NOYÉ !

Parce que les choses n’ont pas toujours été ainsi. “Aujourd’hui, je veux juste être heureux. A l’époque, quand je rentrais chez moi, je ne l’étais pas.” C’est sûr que vu comme ça, il fallait faire quelque chose, chef ! Quand il prend les commandes des pianos de la Rotonde des Trésoms en juin 2011, Eric Prowalski est un compétiteur dans l’âme. Sportif de haut niveau, il a consacré sa vie aux compétitions de handball et à l’apprentis- sage de la cuisine, de compet’ elle aussi ! Jean-Marie Amat, Philippe Etchebest ou Alain Sollivares, quand on s’éduque auprès de chefs fonceurs, difficile de ne pas foncer soi-même. Dépassement, rigueur et excellence, il est au taquet, peut-être un peu trop : “Dans ma carrière sportive, on courrait après les championnats, dans mon parcours professionnel, on courrait après une étoile ou un concours de MOF, naturellement, on tend à faire pareil, je ne me suis jamais posé la question. Mais c’est un cercle vicieux, ça s’installe, c’est sournois, je me mettais la pression tout seul. Je savais que les propriétaires Véronique et Pascal Droux la voulaient cette étoile, je voyais l’exigence dans l’assiette, mais plus vraiment tout ce qu’il y avait autour.” Et puis, ce lieu a un goût particulier et ça lui tient à cœur : “Mes parents étaient restaurateurs. Les 18 dernières années, ils avaient un restaurant à Bordeaux qui s’appelait La Petite Savoie. Quand je suis arrivé ici, j’ai envoyé la photo du lac en leur disant : regardez où je suis !!! Tous les étés, ils venaient chercher le fromage chez Barnabé et la charcuterie chez Gojon, c’était un joli clin d’œil.

A LA PÊCHE…

Alors le chef va retrousser ses manches, partir à la conquête de lui-même et rentrer dans une introspection totale pour trouver sa voie, une gastronomie en adéquation avec sa philosophie de vie. “Au début, je faisais ce que j’avais appris, mais dans l’assiette, j’étais malheureux. Alors, il y a 3ans et demi, je me suis simplement dit que j’étais annécien et arcachonnais et que c’était ça mon identité ! L’eau cristalline du lac, l’iode d’Arcachon, la verticalité des montagnes, l’horizontalité de la forêt des Landes, l’harmonie entre tout, la confrontation, une globalité qui fait ce que je suis.” Le chef médite beaucoup, s’apaise et y voit enfin plus clair, le creux de la vague s’efface et tout prend place : “En faisant ce travail, ma façon d’être a changé, je ne suis plus du tout dans la colère, mais dans la compassion et l’empathie naturelle. Je pense que je me cachais de ça, je m’en protégeais, je prenais ça pour de la sensibilité, alors qu’aujourd’hui, j’en fais une force, un don. Je suis là pour montrer le chemin à mon équipe, les prendre à retors est ridicule et ne sert à rien. Si je suis épanoui, eux aussi. Si la pluche n’est pas à droite, finalement ça ne change rien, l’important est qu’elle y soit, le goût avec. Avant, ça aurait été une catastrophe… Du coup, quand on diffuse de la positivité, le client n’a plus du tout le même plat et ça, c’est essentiel.

L’ÉCUME DES JOURS

Féminité, masculinité, droiture ou envergure, les assiettes dansent avec originalité et cocasserie, dans un dressage anecdotique et poétique à la madeleine de Proust. Riz au lait de son enfance, écume mousseuse de ses marais, le chef travaille le brochet à l’arcachonnaise et fait s’évader les esprits du coin. Et que d’histoires savoureuses ! “Quand j’allais chercher les huîtres avec mon parrain qui tenait à l’époque la Cabane de L’Aiguillon à Arcachon et qu’il y avait le passage des palombes, il prenait le fusil qui était toujours sur le bateau et hop, il tirait ! En faire un plat était une évidence, pigeon, huîtres et petit pois de Karine et Sébastien Favrin à Aix-les-Bains, un peu d’ici et de là-bas, ma cuisine, c’est ça.” Et le chef va encore plus loin. Dans les circuits courts, le respect du produit, l’aliment santé qui fait du bien au corps, mais aussi à l’âme. Si dans sa quête personnelle, il a assaini son regard sur la vie, il applique ses principes à sa table : “Si je le fais chez moi, je le fais aussi ici, on se porte les uns les autres, je ne me vois pas ne pas le partager.” Saumon de l’Adour, cerise d’Itxassou, civelles ou algues marines, beaufort, sérac, brebis de Thônes ou truite de Savoie, un kefir en prélude nettoie vos palais, le chef vous soigne, laissez-vous porter.
3 ans après son introspection, le téléphone a sonné, janvier 2021 l’étoile tombe : “Pour moi, c’est le début du chemin. Elle est là pour 12 mois, on doit en profiter. Elle marque mon changement, le plaisir d’être ensemble. On continue et on verra bien, mais j’en ai pleuré.” Des rivières, un lac et un océan.”

+ d’infos : http://lestresoms.com
15, Boulevard de la Corniche, Annecy Menus de 49 à 139€
Menu « Jeune Gourmet » à 21€

©Denis Pourcher

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