Etoilé 2020 : Florian Favario à l’Auberge de Montmin

Etoilé 2020 : Florian Favario à l’Auberge de Montmin

Chemin pavé d’étoiles

C’est un retour aux sources pour le petit gars de la yaute. Florian Favario a traîné ses casseroles dans les plus beaux palaces du monde, avant de convaincre sa dulcinée que «la montagne, ça vous gagne aussi !».

Adieu la vie de palace, bonjour l’auberge de montagne ! Qui ferait ce choix ? Florian Favario ! Et il a bien fait, décrochant en 2020, une étoile en seulement 7 mois !
Il faut dire que le jeune homme a commencé très fort, à 14 ans, chez Laurent Petit, le surdoué de l’étape annecienne : “Ça m’a apporté un cadre et des bases pour la vie, une deuxième famille et une sacrée expérience !”. Bien sûr, il a pratiqué des cuisines plus classiques chez Michel Rostang ou Jean-Marc Banzo. Mais ça ne lui a pas suffit. Alors il s’est envolé pour les USA, parce que la Californie, c’est un rêve et surtout une autre forme de cuisine. Jean-Michel Diot, un ancien de chez Michel Guérard, lui enseigne l’organisation à la sauce américaine. “Ça paraît fou, mais on peut faire 180 couverts de qualité à 8. Tout est possible et différent aux USA, c’est peut-être l’avenir. Une intelligence dans la conception des plats et dans la relation au travail”. Florian n’en a pas fini avec son tour du monde. Petite étape par la France à Pauillac chez Thierry Marx, qui le remarque immédiatement : il est anglophone, une rareté au pays de Molière, doué, organisé à l’américaine, il y a de quoi faire vibrer n’importe quel chef et justement Thierry Marx a des projets pour lui. Il lui faut quelqu’un pour mettre en place, un peu partout dans le monde, ses nouveaux restaurants. Alors Florian Favario sillonne la planète. Sur place, il découvre les produits, les cultures, il fait partie intégrante des brigades, les forme, se fait des amis partout dans le monde. “Je vivais une vie de rock star et c’était génial !”.

CHANGEMENT DE STARS

Retour en France, chez Eric Frechon où il découvre la vie culinaire d’un palace. “C’est très différent, le palace est un monde à part”. Au passage, il tombe raide dingue des yeux bleu de la responsable de salle, Sandrine Deley. Un coup de foudre amoureux et professionnel, elle sera son binôme et le suivra désormais dans toutes ses aventures gastronomiques. Et des aventures, il en cumule. Dans les concours, notamment, où il rafle la place de second au Bocuse d’or. “J’aimerais être un Kilian Jornet. J’aime l’effort, l’exploit physique maintenu sur la durée”. De quoi relever le défi d’Eric Frechon qui lui confie les cuisines d’un palace de Londres, le Lanesborough. “J’ai monté les cuisines en 3 ans et obtenu une étoile en binôme avec Eric Frechon”. Bon, ça c’est fait. What’s next ? Et si le défi le plus fou était de laisser tomber les ors et paillettes pour rentrer chez soi, en Haute-Savoie ? Alors, avec femme et enfants (et oui, c’est la suite logique du conte de fées), il choisit une petite maison proche du village de Montmin, au Col de la Forclaz, où les clients feront la démarche de prendre la route pour venir le voir. “C’était un challenge d’imposer cette vie de village en montagne à ma famille, après Londres et Paris. Un vrai choc culturel !” Sandrine adore. Alors, sans publicité, sans artifices, Florian Favario et Sandrine Deley proposent leur vision de la cuisine. Première règle : un menu unique. Deuxième règle : pas de fournisseurs : “Je vais dans les fermes, je choisis mes produits. Sinon, on passe à côté de l’essentiel. L’épisode du confinement nous a confortés dans cette philosophie. Tout le monde découvre enfin que l’on doit manger local. J’ai voulu retrouver les valeurs essentielles, comme le plat que l’on partage. Tout cela donne une grosse âme à la maison et crée la différence. D’ailleurs, nous sommes complets tout le temps, c’est rassurant”. Preuve que la recette fonctionne, une étoile est tombée en 7 mois. “Une magnifique surprise !” En salle, Sandrine ne s’occupe plus de célébrités, ni de têtes couronnées et… ça lui va très bien. Parfois, Florian part en fou-rire dans la cuisine ouverte. Ça donne une ambiance à nulle autre pareille. “Ici, les stars, ce sont nos clients, et l’auberge vaut tous les palaces du monde !” A bon entendeur…

+ d’infos : Auberge de Montmin, Col de la Forclaz, 1983, route de Talloires-Montmin, Talloires-Montmin.
04 50 63 85 40 – Menu unique 196€ pour 2 personnes.
https://www.facebook.com/aubergedemontmin

©Cécile Bouchayer

Etoilé 2021 : Vincent Favre Félix à l’Abbaye

Etoilé 2021 : Vincent Favre Félix à l’Abbaye

Un ours très bien léché

Une allure de rugbyman, le parler rugueux de la Haute-Savoie, on a du mal à imaginer ses impressionnantes pattes réussir une sauce millimétrée, ou un plat raffiné et pourtant… Vincent Favre Felix a obtenu une étoile en 18 mois, dont 6 de fermeture. 

©Studio Fou d’Images

Balade dans le parc de l’Abbaye reconvertie en espace d’art contemporain, savourant la quiétude des lieux, la beauté des œuvres exposées, on s’interroge : qui s’imaginerait qu’un restaurant, étoilé de surcroit, se cache derrière ces murs épais ? Vincent Favre Felix s’y est pourtant bien vu, un chef connu pour son impatience et son caractère plus qu’entier. «Quand il veut, il veut…».  Et ce restaurant, il le voulait, parlant à tous de ce projet que beaucoup pensaient chimérique. “Depuis tout petit, j’ai été tiraillé entre ma passion pour le rugby et ma passion pour la restauration”. C’est vrai qu’il a un sacré potentiel d’athlète, Vincent. Recruté tout jeune, il va pratiquer le rugby à un très haut niveau dans le Sud-Ouest, une région qu’il adore. Mais, totalement addict à la cuisine, il ne renonce pas aux fourneaux pour autant, menant de front les deux activités, cumulant les heures, sans compter la pâtisserie que ce gourmand pratique sans demi-mesure. Il restera 4 ans loin de la Haute-Savoie. En 2000, à 23 ans, son père l’appelle à son secours. Suite à un grave accident, il ne peut plus gérer son restaurant seul. Le choix est cornélien, mais Vincent n’hésite pas. Adieu la carrière de sportif de haut niveau, il reprend les fourneaux. La cuisine est traditionnelle et généreuse, il y apporte sa note personnelle, revisitant les recettes savoyardes. Sa route croise celle de Marc Veyrat. Il a trouvé en lui son mentor. Le chef au chapeau l’apprécie et lui propose de l’aider à revoir sa carte. “Il m’a ouvert les yeux, j’ai appris à sublimer un produit simple. C’est un homme de cœur et un génie de la cuisine”. Encore une expérience de 7 ans, où il piaffe d’impatience dans les cuisines de l’Auberge du Lac, car il est mûr pour réaliser son projet. 

©Maude Girard Sogocom
©Maude Girard Sogocom

L’art et la manière…

Vincent Favre Felix a un rêve depuis toujours : être chef, étoilé qui plus est, dans son propre restaurant. Mais il est difficile, Vincent, idéaliste aussi, tout doit être parfait et le lieu doit l’inspirer. Car sous sa carrure impressionnante, se cache un cœur en or et une sensibilité à fleur de peau. Qui penserait que l’art le ferait succomber après 7 ans de réflexion ? Pourtant, en 2019, il rencontre Christian Real, propriétaire d’une fondation d’Art Contemporain à Annecy-le-Vieux. Il y découvre les expositions et des œuvres d’art nichées dans un beau parc. C’est la révélation. Christian Real aimerait animer les lieux d’un restaurant. Vincent Favre Felix en devient le chef propriétaire. “C’était une évidence, c’était là que je voulais être”. Prudemment Vincent peaufine sa carte. Ne pas aller trop vite. “J’ai même téléphoné au Michelin pour leur dire de ne pas m’inspecter, car je ne me sentais pas prêt”. Pourtant après 18 mois d’existence, dont 6 de fermeture, l’étoile est tombée. “C’est génial, merveilleux, puissant, impressionnant” et comme le sport collectif lui colle à la peau, il y associe ses équipes. “Ça paraît une évidence, sans eux, je ne suis rien. Nous allons rendre cette étoile encore plus belle et toujours dans le respect des produits. J’ai d’ailleurs réservé chez un paysan des hectares de terres pour planter ce dont j’ai besoin en cuisine.” Vincent prend enfin le temps, dompte son impatience, plus apaisé. Il regarde de loin le monde agité des étoilés et utilise sa notoriété pour de belles causes comme «les petits pas de Victor». Sans prendre le moindre bénéfice sur des repas caritatifs, il a reversé 12 000 euros à l’association pour aider Victor atteint d’une maladie rare. “Et ce n’est pas fini. Je remercie le destin. Le Michelin me fait réaliser enfin ce rêve de gosse. Il y a un avant et un après l’Etoile, je ne serai plus jamais le même”. 

+ d’infos :http://restaurant-vff.com
15 Chemin de l’Abbaye, 74940 Annecy. Menus à 69 et 110€

©Studio Fou d’Images

Bocuse d’Or : Serge Vieira

Bocuse d’Or : Serge Vieira

Ah, tu verras, tu Vieira…

Président de la team France, Bocuse d’Or 2005, le chef** Serge Vieira ne fait pas de blabla ! En octobre dernier, la France se classait 6e en demi-finale européenne du Bocuse d’Or à Tallinn (Estonie), décrochant à l’arrache, sa place pour la finale à Lyon. On a eu chaud ! Ce n’est pas que ça grince, mais quand même…

L’Estonie n’est pourtant qu’à 1 heure de jetlag de Megève, mais les cernes sont pesants et les mots assortis à la lassitude générale. Parce qu’au-delà de l’in extremis qui qualifie le chef Davy Tissot, porte-drapeau français, c’est le coup de massue. Une histoire de points mystères digne d’une compet’ de patinage artistique, perdus dans les hautes sphères du jury, un sentiment d’incompréhension face au monopole des pays scandinaves et surtout, un an de boulot dans l’assiette, jugé et balayé en quelques minutes, d’un coup de cuillère à pot. Et si Serge Vieira, toutes tripes dehors, est remonté comme un coucou, il calme son palpitant et prend quelques minutes avant le dîner de soutien à la team, ici, à Toquicimes, pour répondre à mes questions à chaud. Parce que les choses ne sont pas toujours rose bonbon comme dans le dicton, il y a forcément une raison. On débriefe… 

Activmag : Pour la bonne humeur, chef, quels souvenirs de votre Bocuse d’Or en 2005 ?
Serge Vieira : Je travaillais chez Régis Marcon, on courait après la 3e étoile et on était dans le jus ! Il fallait que je me prépare, que je tienne mon poste en cuisine, et tout confondu, ce n’était pas du gâteau ! Mais j’ai grandi et appris à décider, surtout du moment où il faut trancher et se consacrer à l’idée qui mène au Bocuse d’Or. Régis me disait : “quand tu sentiras que c’est la bonne, c’est à toi de choisir, pas à nous.” Alors on fait des croquis, on s’entraîne et on finalise. Et pour Jacques Decoret, Éric Pras, Régis Marcon et Davy Tissot, les chefs à mes côtés, il fallait cette ligne de conduite, l’histoire à raconter et comment le faire, avant même de cuisiner. Sinon, c’est comme partir demain sans savoir où : un peu bête de rester à l’aéroport et d’attendre la destination ! Une fois donnée, il est plus simple de faire des recherches historiques, gastronomiques et culturelles. Au final, c’était top et je n’en garde que des bons souvenirs ! 

©Bocuse d’Or Europe

Un candidat au Bocuse, c’est toute la gastronomie française qu’il doit représenter?
La gastronomie et l’histoire de France avant tout ! Il ne faut pas perdre son identité pour copier-coller certains pays, ce serait une erreur.

Justement, 15 ans plus tard et encore en demi-finale, les Scandinaves squattent les podiums. Comment ne pas copier-coller?
Ils sont majoritaires et c’est compliqué quand la diversité européenne n’est pas respectée. Certains vont finir devant, c’est logique. Depuis de nombreuses années, ils ont imposé un style. Mais je crois qu’il arrive en fin de vie, ils vont rigoler en me lisant, mais il va falloir se reprendre, ils font tous un peu pareil ! Après, en 6e place, même si Davy gagne le prix du meilleur plateau, il peut être critiqué. La team France a fait des erreurs et mérite ce résultat, soyons honnêtes. Il y a une assiette et un plateau à sortir en 5h35 et c’était irrégulier. Et tous vous le diront, il faut être bon sur les deux. Après, ce qui rassure, c’est qu’on partait avec 200 points de retard, comblés à 8 points près. J’aimerais savoir où le jury les a retirés d’ailleurs…

On se croirait au patinage!
Comme au patinage, on a les mêmes dérives, les mêmes incompréhensions et déceptions. Comment est-ce possible, sur un même plateau, avec 12 jurés différents, d’avoir des deltas de 20 points ? On ne peut pas changer le concours, mais un candidat qui se prépare pendant 2 ans et qui ne peut pas comprendre les écarts de notation, ça a un vrai impact. Il y a des progrès à faire. Des jurés séparés, briefés et débriefés après leur notation, pour expliquer chaque point susceptible de poser question, prolonger le temps de dégustation aussi. 5 minutes pour goûter une assiette qui prend 2 ans de travail, c’est un peu juste ! C’est aux organisateurs d’encadrer ça. On a fait des propositions, on verra…

Quel est votre rôle en tant que Président?
Comprendre les défaites du passé, essayer de structurer plus la team, travailler pour l’avenir. On réfléchit à créer un vrai Clairfontaine du Bocuse d’Or, construit sur la région Auvergne-Rhône-Alpes, un stade d’entraînement dans lequel on pourrait faire de l’évènementiel, accueillir d’autres équipes, organiser des sélections de commis aussi. Trouver des fonds est essentiel, le budget sur les 2 ans est de 500 000 €, ce n’est pas rien… 

L’Etat vous aide? 
Jusqu’à aujourd’hui, non. Et pour arrêter d’attacher des bouts de ficelles et faire des podiums, il faut des moyens humains et économiques. On a une aide de la région AURA qui est notre plus gros partenaire, mais pas de l’Etat. On ne demande pas la lune, mais une prise en charge du centre d’entraînement serait idéale pour nous. On reste encore des saltimbanques ! La team France est une association loi 1901, on est tous bénévoles et on travaille dans la même direction : faire grandir cette équipe qui porte et défend la gastronomie française. On fait ce qu’on peut mais je ne me vois pas aller toquer à la porte du gouvernement réclamer un petit bout de pain…

Les chefs soutiennent Davy ?
C’est primordial pour nous ! On a besoin qu’ils soient là, pour nous apporter leur regard. Mais il y a encore du boulot, même si Davy les représente tous. Quand Zidane était en équipe de France, on ne s’est jamais demandé s’il était marseillais ou lyonnais ? Il était français et c’est tout ! Nous, c’est pareil ! Reste à gagner… 

Château Brachet

Château Brachet

Brachet au beurre blanc

Gresy-sur-Aix, dans une revisite fidèle tendance cosy du 19e, le château Brachet abrite les secrets du Docteur Léon Brachet et son épouse Nelly. Banquets, réceptions ou cuisine aux petits oignons, 2 siècles plus tard, que reste-t-il de la Belle Époque ? J’aiguise ma fourchette et j’y vais, toque, toque, toque et entrez s’il vous plaît..  

Ici, tout est estampillé au sceau du château, tout est histoire en plein concerto, j’ai hâte de voir ce que Nicolas Roux, Chef du restaurant la Broderie, a choisi de nous concocter. Poulardes aux morilles, brochet au beurre blanc ou tarte tatin dodue ? Bien sûr que non ! Du haut de ses 35 ans, il n’est pas là pour le déjà vu, place à l’inattendu, évidemment. Et c’est un bagage solide qu’il porte avec lui : auprès de Mathieu Viannay chez La Mère Brazier** ou au restaurant Pierre Gagnaire*** et j’en passe, il en a connu des cuisines, et des belles ! Techniques, exigence, créativité, tout y est. Mais le chef est discret, très discret même, et s’il économise ses mots, c’est dans l’assiette qu’il s’exprime avec panache. De pinces pour picorer pickles et friandises, en cœur de courgette craquant, mousseline d’omble chevalier, tout est dressé dans l’élégance et la simplicité. Mijoté de légumes minute au Muscat petit grain, T-bone Mibrasa frotté à l’ajowan, maigre de ligne et moules de Bouchot ou truite fario, la modernité culinaire s’inscrit dans l’originalité des goûts, une fine farandole d’associations audacieuses, juste assaisonnées. Nage à la spiruline de l’Etoile verte ou jus d’ortie, marjolaine sauvage, compotée de Roscoff au vinaigre Nerone, le chef rend à sa table l’air de fête des déjeuners mondains, loin des gargantuesques plats à gratin. Et quand vient le dessert, tout vient à point. Un verre de Vermentino à la main et mon cœur tremble, ananas rôti et baba bière blonde de la brasserie Caquot, ganache montée, meringues houblonnées et miel de printemps dément, l’avis de château est validé, ne reste qu’à danser. 

©Magali Buy

 + d’infos : http://chateaubrachet.com/restaurant-tea-time

48 impasse des Couduriers, Grésy-sur-Aix – 04 58 62 01 01 /Menus de 29 à 75 €

©Mélanie Bret

Bocuse d’Or : Davy Tissot

Bocuse d’Or : Davy Tissot

Food mental jacket !

« Je ne veux pas être chef. Je veux être MOF ! » Rien que ça ? Déjà en 1989, il savait ce qu’il voulait. Challenge quand tu nous tiens, si le col bleu blanc rouge est maintenant à son cou, le voilà dans la dernière ligne droite du Bocuse d’Or, motivé comme jamais. Davy Tissot ou l’homme qui ne lâche jamais le morceau ! Go, go, go !

Calme, posé, le sourire à plein temps, Davy choisit ses mots comme on trie sur le volet, sans les mâcher non plus, faut pas pousser ! Des avis tranchés, il en a, de l’énergie à perdre, pas vraiment. Quand je le rejoins au centre d’entraînement de la team Bocuse, à Ecully, je comprends vite que le chef lyonnais ne s’encombre pas de blabla, rester focus sur ses objectifs explosifs est bien moins futile.
Baskets aux pieds, sportwear’s touch, s’il n’avait pas ce geste gracieux qui dépose à la pince les moindres détails d’une assiette parfaite, je jurerais qu’il est athlète ! Il me fait penser à un boxeur, ceux qui montent sur le ring avec le «même pas peur», l’excitation d’aller au défi coûte que coûte. Et là où Mohamed Ali disait “vole comme le papillon, pique comme l’abeille, et vas-y, cogne mon gars, cogne !”, Davy tape dans le mille et va au charbon avec sa devise bien à lui : “j’ai toujours plus appris dans la défaite que dans la victoire. En puisant au fond de soi, on trouve des ressources qu’on n’imagine même pas.” Et c’est dans cet état d’esprit qu’il m’accueille, en pleine réflexion sur les erreurs passées, comprendre pour avancer, avec humour, parce que c’est meilleur.

©Bocuse d’Or Europe

Dans les vestiaires…

Davy n’aime pas vivre avec des regrets, et il part loin dans ses retranchements pour les éviter : “J’adore m’auto-flageller ! Je m’enferme dans mon monde, je descends pour remonter, c’est essentiel d’aller se chercher, même physiquement, il faut se mettre des coups de colliers.” Dépassement de soi, détermination, politique de l’excès, on peut trouver mille façons de résumer, mais son histoire est efficace. Il est lyonnais, originaire du bassin méditerranéen, une arrière-grand-mère sicilienne immigrée à Tunis, des grands-parents débarqués en France dans les années 60 et lui, enfant des Minguettes, à Vénissieux. “Je voulais être sportif de haut niveau. Je pratiquais l’athlétisme, la natation, mais j’ai eu un accident. Blessé, j’ai dû changer de cap.” Coup dur, mais challenge dans les veines, il ne lâche rien et relève la tête : “Je n’étais pas bon à l’école, il me restait l’ébénisterie ou la cuisine. Et je voulais surtout être MOF, le drapeau bleu blanc rouge, la médaille… Et le plus beau des modèles  : Monsieur Paul !” A 13 ans, il intègre l’école hôtelière de Vénissieux, tape aux portes pour son apprentissage, elles se ferment, l’objectif se corse. Mais qui ne saute pas n’est pas lyonnais, non ?!

Sur le ring

Il finit par atterrir chez Jean-Claude Pignol, traiteur MOF, puis tout s’enchaîne. En 1991, il est commis de cuisine à l’Auberge de Collonges aux côtés de Roger Jaloux, puis chef de partie à la Rotonde près de Jacques Maximin, à l’Auberge des Cimes chez Régis Marcon et Jean Brouilly à Tarare… Il a la bougeotte et revient finalement à la Rotonde en 2001, second du chef Philippe Gauvreau, si ce n’est pas de la détermination, ça y ressemble. Mais Davy est compétiteur, il a la gagne, il veut du frisson et c’est avec le MOF qu’il va trembler. En 2004, épaulé par Roger Jaloux, il décroche le titre, le col et la médaille, “comme quoi avec les rêves, on peut arriver à bien des choses.”
Mais il ne veut pas être chef, alors après… Qu’est-ce qu’on fait ? “Ce mot me dérangeait, ça fait petit coq. Je voyais l’autorité, le respect unilatéral. Mais en regardant différemment, on peut changer ça. Pour moi, un chef emmène ses équipes, pas forcément dans le juste, mais avec un recul qui fait avancer tout le monde… Je préfère chef de file !”

©Nicolas Villion
©Nicolas Villion
©Nicolas Villion

Au combat !

Et c’est ce qu’il va devenir, un chef du partage, passionné par la transmission, le travail en équipe et le plaisir dans l’assiette, loin du miroir aux alouettes. Il prend un poste de chef aux Terrasses de Lyon, restaurant de la Villa Florentine, décroche une première étoile en 2005, plutôt pas mal, non ? “J’ai relevé le challenge d’être chef, j’ai beaucoup appris et j’en suis parti pour le restaurant Saisons à l’Institut Paul Bocuse (établissement d’enseignement supérieur en management de l’hôtellerie, de la restauration et des arts culinaires, ndlr) dans le but d’avoir une étoile  !” Et viser un macaron dans un resto d’application, sacré level ! “C’est au travers d’une école, c’est vrai. Mais on doit arrêter de mentir aux étudiants, notre métier, ce n’est pas 8 heures par jour. C’est de la pression, de la présence, un client en face, je voulais être transparent. D’ailleurs, je ne les appelle pas étudiants, ils ne sont pas sur une chaise, mais acteurs. Si on les considère comme des élèves, ils vont agir comme tels. Si on les voit comme des professionnels, ça change tout”. Et si je vous dis que le millésime 2020 a brillé… Vous me croyez ?

Good Game

Parce qu’ils l’ont eue leur étoile, tous ensemble  ! Et en dehors de cet héritage combatif et déterminé qu’il porte, ce sont toutes ces rencontres professionnelles et ces instants de vie qui ont construit Davy. “A un moment donné, ils m’ont tous aidé, guidé et apporté quelque chose. J’avais un chef qui disait : “dans la vie, n’oublie pas le côté positif et le négatif, le négatif pour ne pas reproduire et le positif pour avancer.” C’est mon moteur. “Savoir s’en servir, c’est un équilibre.”
Aujourd’hui, Davy a raccroché sa veste dans les cuisines de Saisons pour se consacrer à son dernier défi, remporter le Bocuse d’Or. Entouré par la Team France, il met toute sa philosophie au service de l’équipe et de la victoire, le regard tourné vers l’humain, dans le plaisir et la même dynamique, pour gagner, à leur façon. “C’est moi qui suis au-devant de la scène, mais je me bats pour représenter un pays et défendre ses couleurs et j’en suis fier. Mais j’aimerais que ce ne soit plus un concours avec une personne qui gagne à travers un nom, mais un drapeau et une équipe, qui suscite des vocations. En attendant, il reste la finale, la fleur au fusil, on y va, là !!!”


Bocuse d’or, la finale

Bocuse d’or, la finale

Stade de food

Drapeaux secoués à s’en claquer les biceps, hymnes à tue-tête, à Lyon, l’entrée des équipes est imminente ! Tabliers et gorges serrés, en plein cœur du Sirha, ce ne sont pas des athlètes qui trépignent, mais 24 chefs et leur team, prêts pour le coup d’envoi du plus grand concours de cuisine international. C’est parti pour 5h35 d’efforts, place au Bocuse d’Or.

Paul Bocuse disait : “Pour doubler le bonheur, il faut le partager”, l’idée d’en faire un show endiablé, il fallait oser.
Mais Monsieur Paul avait cette audace, l’envie de faire briller l’excellence culinaire tout en haut, sortir les cuisiniers de leur cuisine coûte que coûte. En 1987, il crée un concours hors norme, digne d’une compétition sportive et dépoussière l’image des chefs derrière leurs fourneaux. Cuisiner s’ouvre sur le monde comme un art à part entière, ils sortent de leur coquille et montent sur les podiums, à la guerre comme à la guerre !
Et “parce que Lyon est une ville qui donne faim”, à quelques jours de la finale les 26 et 27 septembre prochains, Florent Suplisson, directeur des évènements gastronomiques chez Gl Events -en charge du Bocuse d’Or-, revient sur cette lubie hors du commun, qui depuis 34 ans, sonne la cuisson au clairon

A point !

Le Sirha est un salon professionnel lyonnais, spécialisé en hôtellerie restauration et alimentation depuis 1983. Quand le Bocuse d’Or titille Monsieur Paul en 1987, la direction cherche un évènement qui fasse boum, un rendez-vous gastronomique qui donne sa place aux chefs, une sorte de coup d’éclat moderne des cuisines. Ça tombe plutôt bien ! Paul Bocuse saute sur l’occasion et déballe son coup de génie, ça fait tilt ! “En 1987, les choses sont très statiques et confidentielles. On va dans un restaurant, on est assis en salle, les cuisines fermées, les portes s’ouvrent, les assiettes arrivent sur table et puis c’est tout. Paul Bocuse voulait bousculer tout ça.” Sitôt pensé, sitôt exécuté, sortez les tabliers et place au spectacle ! On construit un stade, des tribunes, des cuisines les plus ouvertes possible, on monte le son, ambiance assurée. Jingles, commentateurs, supporters et retransmissions on live, banderoles, slogans et petit orchestre national, mieux qu’un coup de crosse en plein match de hockey, c’est un coup de fouet gourmet qu’on chope à la volée ! Nelson Monfort peut aller se rhabiller !

Monter la sauce

“Le Bocuse d’Or, c’est l’essence de ce que Paul Bocuse a donné à la gastronomie : les chefs sur le devant de la scène”, explique Florent. Et le pape de la cuisine avait vu juste. Le concept a pris comme une ganache montée, la beauté du métier pour vitrine, s’imposant au fil des années comme LE concours de cuisine international de référence : “On montre le savoir-faire, cette gestuelle exceptionnelle toujours bluffante. C’est un challenge technique et créatif qui révèle les grands de demain. Si on prend l’exemple des Français, il a mis le pied à l’étrier à Serge Vieira, aujourd’hui président de la team France et vainqueur en 2005, Michel Roth, François Adamski, Régis Marcon aussi. En dehors d’être des chefs exceptionnels, le concours les a valorisés, c’est bien l’essentiel.”

Dans la gueule du Lyon

Et les participants, qu’ils soient français, italiens, suédois ou japonais, l’ont bien compris, ils sont prêts à tout pour rafler la statuette d’or à l’effigie de Monsieur Paul, ici, à Lyon, destination graal de la richesse culinaire mondiale : “le but n’est pas de dire que seule la cuisine française compte, mais que la France et Lyon, à l’origine de ce concours, ont légitimité à révéler cette diversité. On donne la parole à tous, à l’identité d’un patrimoine culturel gastronomique, son parcours, tout ce qui fait qu’à partir d’un même produit, à l’arrivée, la présentation, les techniques utilisées, sont complètement différentes en fonction des pays. Tout le monde peut gagner !”

Mille check !

Alors les chefs sont triés sur le volet dans des sélections nationales, puis soumis à une pression incroyable pendant 2 ans. “0n sonde une soixantaine de chefs, seuls 24 sont retenus. Des demi-finales sont organisées, puis les phases finales lors du Sirha à Lyon, c’est un marathon !”
Entraînement intensif, programme sportif militaire, sourcing du produit qui déchire, la gagne pour leitmotiv, rien ne les arrête. Et le jour J, 5h35 côte à côte et tous à la même enseigne, pour sortir un plateau et une assiette (voir encadré) devant 12 jurés et un public totalement déchaîné ! Sacrée concentration quand même ! Alors certains s’entraînent avec musique d’ambiance, d’autres dans un calme olympien, précision des gestes, répétitions des dressages, audace extrême et sérénité en mode compet’, quand on voit le résultat, mama mia !!!

La brigade du chef !

C’est donc toute une machine qui s’enclenche autour de chaque chef, comme pour le candidat français Davy Tissot et la Team France ! Force de propositions, de solutions et réalisations et toujours à ses côtés, Arthur Debray, Nicolas Ferrand, Naïs Pirollet, Alain Le Cossec, Yohann Chapuis, Julien Dubois et Alizée Favre. Le Président Serge Vieira et ses troupes, les épaules sur qui s’appuyer, les chefs conseils anciens lauréats ou pas, qui soutiennent, portent et rassurent comme Régis Marcon, Guy Lassausaie ou Joseph Viola, les partenaires financiers… Et le plus important, le nerf de la guerre, les proches, la piqûre d’adré’, celle qui booste et qui pousse au bout du bout pour supporter “l’intensité, la discipline, tous ces sacrifices sur le plan personnel et familial qu’il faut faire pour gagner.”
Le 27 septembre, box 4 et dès 8h36, le tirage au sort a parlé, Davy entrera dans l’arène de 8000m2 en plein cœur du Sirha… prêt pour doubler le bonheur. Allez les bleus, y’a plus qu’à !

Take my break away…
Infos news et dernière minute, l’épreuve de L’Assiette est remplacée par celle du Take Away, hommage aux investissements des chefs durant la pandémie Covid 19. Face aux fermetures et nombreux rebondissements, majorité d’entre eux ont dû réinventer leur profession pour la sauver, et donner un nouvel air à la cuisine d’aujourd’hui. Pour ce baptême du feu, les candidats au Bocuse d’Or auront donc pour mission de décliner la tomate cerise de l’entrée au dessert avec audace, le tout rangé dans une box végétale aux mesures imposées, éco-responsable, empilable et recyclable, pensée et conçue par leurs soins. Pratique, esthétique et goût au rendez-vous, toutes les cartes sont données pour que le résultat soit au bout du jour…

+ d’infos : http://bocusedor.com
http://teamfrancebocusedor.com

photos : Julien bouvier

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