Les Frères Graillot, vignerons

Les Frères Graillot, vignerons

Savoir-Frères

Comme deux millésimes du même cépage, issus de la même parcelle, Antoine et Maxime Graillot se ressemblent, mais pas tant que ça… Filons la métaphore : il y en a un plus rond et l’autre plus tendu, à la tête du domaine créé par leur père Alain, le « mage » de Crozes-hermitage.

Par mélanie Marullaz – photos : Clément Sirieys

Antoine et Maxime sont tout petits quand le pater, ingénieur en agro-chimie, fait sa crise de la quarantaine. On est au milieu des années 80. Passionné par le vin, “comme tout cadre supérieur parisien”, il fraie souvent du côté de Morey-St-Denis, où son ami Jacques Seysses, héritier des biscuits Belin, devenu vigneron et propriétaire du Château Dujac, l’initie à l’art de la dégustation. “Mais la Bourgogne est déjà inabordable pour quelqu’un qui n’a ni terres familiales ni héritage”, re-situe Antoine. Il vise alors plus bas, du côté des Syrah et trouve son bonheur à Pont-de-l’Isère, au confluent du Rhône et de l’Isère, comme son nom l’indique. “Il a débarqué là un peu comme Jean de Florette”, complète Maxime, “pour racheter le domaine à un pied-noir, un personnage qui devait être assez atypique, qui avait fait du vin en Algérie. Ici, en plus des fruits et des cochons, il avait aussi planté des vignes et travaillait avec un négociant pour produire du vin en vrac.”
Alain Graillot signe la vente une semaine avant les vendanges, et pendant la première année, fait des allers-retours entre Paris, où il n’a pas encore quitté son poste et ses rangs de raisins, dont il a laissé la culture à un des ouvriers historiques du domaine. Il ne reprend définitivement les vignes que 3 ans plus tard, et sort son premier millésime en 1989, après avoir transformé en chai l’une des chambres froides, où l’ancien propriétaire stockait des fruits. Antoine et Maxime l’utilisent d’ailleurs toujours, comme ils utilisent les cuves en béton qu’il avait installées et qui donnent un petit côté « vintage » à leur cave.

Sous les galets, le mage

“Quand notre père s’est lancé, il y avait très peu de propriétaires récoltants, la grande majorité des producteurs étaient aussi arboriculteurs, parce que le vin était moins rémunérateur que les fruits. Ils travaillaient avec la coopérative, qui portait l’appellation, mais personne ne connaissait Crozes, ni Alain Graillot.” L’autodidacte va pourtant réveiller ce terroir, révéler, sous les galets roulés, son potentiel de garde et ses qualités. Pour toute théorie, il a quand même récupéré quelques cours de Max Léglise, œnologue bourguignon qui développe et applique de nouvelles méthodes biologiques à la vinification. Pour la pratique, c’est sur le tas… ou l’échalas.
Première (r)évolution, le vigneron débutant bannit donc la chimie. Peut-être parce qu’il en a trop manipulé dans sa précédente vie. Mais dans une région où fruitiers et vignes sont travaillés industriellement, avec abondance de désherbants, il fait figure d’ovni. Par chance, son prédécesseur, qui labourait ses terres à la charrue, les a laissées vierges de traitements. A l’époque, avec son voisin du domaine Combier, ils ne sont que deux à n’utiliser aucun produit, convaincus que la qualité du vin n’est que la conséquence de la qualité du raisin. Dont Alain Graillot utilise, en vinification, la grappe entière. Et ça, c’est la 2e révolution du nouveau venu : avec ce choix, il impose son style. Aujourd’hui encore, il n’y a pas d’égrappeur sur le domaine. Et, dans les premiers temps, il n’y avait pas de certification bio non plus, pas de chapelle ou de tendance dans laquelle s’enfermer

Faire lies à part

A force de passion et de convictions, le domaine Graillot devient, en moins de deux décennies, l’un des producteurs les plus sûrs et les plus performants de Crozes-hermitage. Et c’est sur ce terreau favorable que la 2e génération prend racine. Après des études de biologie et d’œnologie, Maxime, l’aîné, rejoint son père au début des années 2000 ; pour prendre le contre-pied de son père, entré dans le métier par le vin, il se penche de plus près sur la vigne. Antoine, lui, ne donne pas tout de suite dans le tonneau. Il roule d’abord sa bosse loin de l’Isère, se spécialise dans les énergies renouvelables, bourlingue de l’Afrique au Moyen-Orient, mais finit quand même par se poser, un pied sur les bords du Rhône, l’autre à Barcelone. Comme son père en son temps, il se partage entre deux vies, deux carrières, avant de réintégrer entièrement le domaine en 2016.
La 2e génération initie le passage de tous les blancs en bouchons à vis, un choix technique, “la seule façon de garder de la fraîcheur et de la tension pour nos vins”, et la construction d’un nouveau chai. Elle pousse aussi un peu plus loin la démarche environnementale et passe, de manière assez naturelle, en bio. “Mais on ne s’est pas dit qu’on allait révolutionner les choses”, explique Antoine, “on avait aussi envie de mener chacun nos propres expériences, séparément, sur des projets annexes, un peu plus aventuriers, en s’adaptant au réchauffement climatique, par exemple.” Avec les jeunes vignes en syrah du domaine des Lisses pour Maxime, travaillées à quelques encablures du domaine familial ; en Galice, sous influence atlantique, avec des vins frais de la région du Bierzo, pour Antoine.

Monter en Gam…ay

Alain, lui, a lâché les rênes du domaine. Président de l’Académie des vins de France, il conseille, accompagne et fait profiter de son expérience à d’autres domaines. Ce qui ne l’empêche pas de continuer à vinifier avec ses fils, mais plus au nord, où les trois vignerons ont renoué avec leurs racines. En 2013, ils ont en effet transformé en cuverie la grange d’une maison de famille dont ils étaient propriétaires du côté de Tournus, et acquis 5 hectares en Beaujolais pour donner dans le Gamay, version Fleurie et Saint-Amour. “Globalement, on fait du vin partout de la même manière”, résume Maxime, “les approches sont différentes dans la façon dont on le voit, et dont on le consomme. Si on s’implique dans tous ces autres vignobles, c’est justement pour comprendre un maximum de choses, continuer à en apprendre toujours le plus possible.” Et finir, quel que soit le cépage, par sortir le grand jus !

Le Mot de Meghan Dwyer

❝Vraiment une référence en Crozes-hermitage ! Leur cuvée « La Guiraude », me fait rêver. Ils vinifient en béton, donc il y a du corps, mais le béton fait respirer le vin très doucement, lui donne une finesse incroyable. Ce cépage est l’un des plus tanniques du monde, il a une colonne vertébrale d’acidité, il est équilibré, avec juste ce qu’il faut de fruit. Pour moi, c’est le vin de Thanksgiving, avec de la dinde, mais frite, comme dans le sud des Etats-Unis, des pommes de terre et du confit de cranberries.❞

François Villard, vigneron

François Villard, vigneron

Nouvelle vie…gne

En 1989, François Villard tombe sous le charme d’un beau brin de vigne aux courbes douces et à l’exposition parfaite, sur les pentes de Saint-Michel-Sur-Rhône. L’occasion, pour cet ancien cuisinier, de tout recommencer. Et ce choix lui réus-syrah…

Par Mélanie Marullaz – photos : Clément Sirieys

A gauche, sur ce coteau qui regarde le Rhône de haut, de solides ceps, dans la force de l’âge, aux pieds desquels prospèrent des touffes d’orpin blanc, petite vivace aux racines très courtes qui permet de limiter la réverbération ; à droite, de jeunes pieds encore frêles, qui ne seront pas vendangés avant deux étés. Même pente, même lumière, même cépage, mais 30 ans séparent ces deux parcelles travaillées par François Villard.

Du piano au caveau

Le François Villard d’il y a 30 ans “n’y connaît rien ou pas grand’chose !” mais il vient de réaliser son rêve en plantant, avec l’aide d’Yves Cuilleron, deux hectares de Condrieu. Il n’est pas encore du terroir, commence tout juste à être du métier. Une reconversion, entamée deux ans plus tôt, après une première vie passée aux fourneaux. “A l’âge de choisir une voie, j’avais surtout envie de jouer ! Et ce que je détestais le moins, c’était la cuisine. J’aimais aider ma mère à faire des gâteaux”. Mais resto ou collectivité, il finit par s’ennuyer au piano.
Jusqu’au jour où, travaillant pour l’hôpital de Vienne, il a l’opportunité de suivre une formation en sommellerie : “Elle m’a révélé, je me suis dit : c’est ça ! Je partais à la rencontre des vignerons, j’adorais les entendre parler de leur vin, déboucher une bouteille… De la terre au verre, il y a tout un cheminement.” Qu’il va faire sien, en entamant un brevet viti-oeno, sous le regard bienveillant d’Yves Cuilleron donc, son maître de stage en vinification, et de Pierre Gaillard, chez qui il vendangera plusieurs fois.

Au cep-tième ciel

Ce François Villard d’il y a 30 ans travaille tout seul dans ses vignes. Avec l’aide de son père agriculteur quand même, au début. “La 2e année, l’herbe était plus haute que les vignes, il m’a dit : « si c’est pour faire ça, tu pourrais aussi bien t’arrêter tout de suite ! » On était en pleine période chimique à l’époque, on ne parlait pas du bio, dans les fascicules de formation. Et dans le coût des produits agricoles, la moitié étaient des désherbants”. Mais il les arrête progressivement, comme les anti-germinatifs.
Et en 1992, il a le bonheur immense de mettre son nom sur une bouteille. “Il n’y en avait que 400, mais c’était magique ! On le fait avec plein d’innocence… A l’époque, je goûtais des vins de partout, je ne manquais pas une foire, c’était une période d’insouciance, je ne savais pas bien où j’allais, mais j’y allais.”

No pain no grain

Quelque part entre Yul Brynner et Yannick Noah, le François Villard d’aujourd’hui a certainement moins de cheveux qu’il y a 30 ans, mais il a gardé cet immense sourire que certains diraient marqué au sceau de la chance. Lui sait qu’on n’a que la chance qu’on mérite, celle pour laquelle on œuvre laborieusement, cep après cep, parcelle après parcelle. 2, puis 7, puis 11 hectares. Sauf qu’en 2007, après avoir acquis ses premiers Saint-Peray, il double sa surface d’exploitation, de 12 à 25 hectares. “On est passé de moyen à gros, c’était un peu comme un rêve, mais on n’était pas prêts… On ne pouvait quasiment pas mécaniser et dans la foulée, il y a eu 2008, le mildiou, le Black Rot (ou pourriture noire, un champignon qui prolifère dans les régions chaudes et humides)… On a perdu 40% de la récolte…”
Ce qui ne l’empêche pas de continuer à viser le bio, pour lequel il est en cours de conversion, malgré la concurrence entre l’herbe et la vigne sur des pentes difficiles à piocher notamment. Contrainte qui fait aussi la typicité du terroir. “Un vin industriel sera toujours réussi, mais il aura toujours le même goût, sans aucune authenticité. « Du vigneron, je me dois d’être le reflet », c’est ainsi que je faisais parler mon vin sur certaines étiquettes.” Il a longtemps écrit des poèmes, sur ses étiquettes, ou réglé ses comptes avec Parker, son banquier ou un voisin !

Notes de frais

A la tête d’un domaine de 40 hectares, le François Villard d’aujourd’hui reconnaît passer moins de temps dans les vignes. A 58 ans, il se consacre plus à la commercialisation de ses Condrieu, Saint-péray, Côte-rôtie ou Saint-joseph. “Et c’est peut-être pour ça qu’on vend bien”, décoche-t-il de son sourire large comme le fleuve en contrebas, “il n’y a pas meilleure personne que le vigneron pour vendre son vin ! Même si je suis moins dans les rangs, je fais tous mes assemblages, et je ne me trompe pas trop… Par la force des choses, j’ai appris à beaucoup goûter sur le palais ; on n’a pas forcément tous les bouquets, mais on perçoit les problèmes d’équilibre, c’est ce qui m’a fait évoluer.”
Notamment vers des vins plus frais : “Il y a 30 ans, si un vigneron avait dit : je veux faire un vin avec du fruit, on lui aurait répondu que ce n’était pas une ambition. Aujourd’hui, ça l’est, car il n’y a pas plus pur que le fruit. Moi, je vise le fruit rouge, plus acidulé que le fruit noir qui est un peu compoté. Ça, je l’ai déjà beaucoup fait. Mon rêve, ce serait de faire de grands vins de garde qu’on peut boire tout de suite… C’est possible, en monocépage”, lance-t-il d’un air entendu. “Ici, on est à 200 km d’Avignon et 200 km de Beaune, mais on regarde plus vers le Nord…” Le monocépage est en effet le mode de production majoritaire des vins bourguignons.
En contemplant le soleil décliner sur ses deux parcelles distantes de quelques mètres et trois décennies, ce soir, François Villard avoue ne pas avoir changé sur un point : il s’est toujours amusé à faire ce qu’il fait. “Mais je m’amuse très sérieusement ! Par contre, je suis de plus en plus impatient… Quand j’ai démarré, j’étais pressé de voir les vignes en production, mais là, je suis encore plus pressé, plus capricieux, parce que ce que je ne fais pas maintenant, je ne le ferai jamais…”.

Le Mot de Meghan Dwyer

❝Lui, c’est une rock star ! Il ose tout, notamment dans ses procédés de vinification : il a 23 cuves différentes et il est toujours en train d’expérimenter, c’est sa force ! Mon coup de cœur, c’est son Saint-Péray, 100% Marsanne, dont il fait une version normale et une longue. Dans celle qu’il élève plus longtemps, il y a plus de corps, plus de bois, du beurre, de la nectarine, avec des Saint-Jacques, ça coupe le gras, c’est un truc de fou ! Snackées avec un peu de yuzu… L’autre version, plus basée sur l’acidité se marie avec tout ce qui est fruits de mer et crustacés.❞

Jean-Luc Colombo, vigneron

Jean-Luc Colombo, vigneron

Comme un verre

Rencontrer Jean-Luc Colombo, c’est s’asseoir autour d’une table et taillader la vie, un verre de Terres Brûlées à la main, convivialité dans l’assiette. Au menu : franc-parler, hypersensibilité et accent qui chante tous azimuts. Sacré programme !

Par Magali Buy – photos : Clément Sirieys

On avait rendez-vous sur la plus vieille parcelle du domaine de Cornas, Les Ruchets, terre emblématique aux vignes de 80 ans et toute première acquisition de Jean-Luc et son épouse Anne. Ici, tout se transmet de génération en génération. Mais pas pour eux. Et quel parcours du combattant, taillé aux coteaux, pour se faire une place parmi les trublions du village, quand on arrive comme un cheveu sur le cépage et qu’on distille son savoir à la louche, mieux qu’au compte-gouttes.

Leurre de vérité

Parce que le vigneron est comme ça, spontané, généreux et impulsif, un puits d’émotions en vrac, qu’il remonte à grand seau. On est là pour parler de lui, mais il est préoccupé. Ses amis restaurateurs, le métier de vigneron, le Covid et ses impacts, l’économie et j’en passe. Parler vin ? Mais pourquoi ? Bientôt, il n’y aura plus rien “et c’est à vous journaliste de dire vrai et de faire passer l’information. Il faut arrêter de clamer qu’il fait soleil quand c’est nuageux. La vérité fait mal, mais c’est comme ça et il faut que les gens sachent, surtout dans une situation économique qui redémarre à 3 à l’heure, c’est catastrophique !” J’avoue, j’ai pris une belle bouffée de chaleur, mais il ne m’a pas fallu longtemps pour comprendre que, derrière cette leçon, parlait l’inquiétude d’un homme de 38 ans de bouteille, qui consacre sa vie à la nature, au vin et à l’humain, le verre toujours à moitié plein. Je me suis promis de dire la vérité et rien que ça, juré dans le crachoir !
Chais pas possible
L’histoire commence début 80 et c’est Fanny, son assistante, qui m’emmène en plein road trip dans les coteaux et au cœur du sujet. “Anne et Jean-Luc sont pharmaciens, œnologues et passionnés de vins et de gastronomie. Originaires des Cévennes et de Marseille, ils cherchaient un endroit proche de leurs racines, avec des vignes à potentiel de vins de garde. Dans la famille, on buvait de l’Hermitage, Jean-Luc adore les grands Bordeaux. Ils ont vu les possibilités et se sont installés. Le temps de monter leur pharmacie, ils créent le Centre Œnologique des Côtes du Rhône et tout démarre.” Jean-Luc part en croisade sensibiliser les vignerons au vin « propre », être nickel dans son chai, pas de terre battue, on ne crache pas entre les barriques, on ne reverse pas les fins des verres dans les fûts non plus… Clean, quoi ! “Il a mis un peu le bazar dans des productions rustiques, où le fruit était la première agriculture. Quelques-uns avaient déjà avancé le boulot, comme Alain Voge qui l’a d’ailleurs beaucoup soutenu, mais ça n’a pas été facile.” Parce qu’un Marseillais sorti de nulle part qui vient étaler sa science… Faut pas pousser !

Cep pas sorcier !

Et bien si ! Chez les Colombo, on pousse toujours plus loin, surtout quand on est convaincu ! Ils achètent la parcelle des Ruchets, revendent la pharmacie, vient une autre parcelle et le vignoble s’est construit comme ça. Par fragment, à la sueur et à la volonté, à l’amour des terres et de la bonne chère. Et comme dit Laure, leur fille, vigneronne et œnologue : “Quand mon père a commencé à faire du vin, je pense que son objectif était d’avoir accès aux bonnes tables. Ma grand-mère cuisinait beaucoup, ça motive une passion. Mais c’est lui seul qui a fait son trou là-dedans.” Précision, respect du produit, en cuisine comme à la vigne, l’important est de ne jamais dénaturer, rien ne doit polluer le raisin originel, quitte à y laisser fessiers, plumes et bonnes suées sur les parcelles. “Regardez qui s’est posé dans les vignes ce matin”, me montre Jean-Luc grand sourire. “Une écaille chinée. Un des plus beaux spécimens qui puisse exister, et on a la chance d’en avoir à Cornas. C’est un papillon des broussailles qui vit le jour et la nuit, qui symbolise la nature, la vraie. Je viens de poster la photo sur les réseaux, là, ma femme et ma fille doivent être par terre !” Ça vaut bien le coup de transpirer dans les coteaux super raides, non ?
Vous avez dit nature ?
Et Cornas le vaut bien. Des vignes clairsemées entre forêt, forêt et… forêt, un héritage unique où la nature exulte dans son jus. Chêne vert, genévrier cade, pin, cèdre et quelques notes de garrigue font office de terre d’accueil pour nos amies les bêtes. Des vers au sol qui fourmillent de joie, au milan qui prend son envol, ici la faune a du bol et tout est fait pour la préserver : “Je vous ai parlé des insectes, je pourrais en dire autant des lièvres, des serpents, des buses ou des lézards. Tout est fait pour que la vigne soit heureuse et le consommateur aussi. Je rajoute même des lapins quand il n’y en a plus ! Plus nature que moi tu meurs !” Vos vins sont « nature » du coup ? Aïe aïe aïe, qu’est-ce que je n’ai pas dit ! “Aujourd’hui, il faut mettre une grenouille, une moitié de pomme blette à la vigne pour faire du vin. L’idée du nature est de ne rien toucher, mais c’est impossible, la nature ne l’accepte pas ! Quand vos proches sont malades, vous ne demandez pas qu’on les soigne nature ! Si on donne des antibio, les natures organiques et biologiques disent d’accord ! Mais je ne suis pas anti non plus, la nature est ma priorité, bien avant qu’organique et biodynamique existe.”

La cuvée des chefs

Fleuris, aromatiques, et tout en finesse, les vins Colombo – certifiés bio – rafraîchissent les esprits et passent à table, à gorgées déployées. Filleul de Paul Bocuse, amis des chefs, si la gastronomie mène le vigneron par le bout du nez, elle le lui rend bien. Guillaume Gomez, Chef des cuisines de l’Elysée, fan de la cuvée Terres brûlées se fait gage de qualité : “C’est un homme passionné de vin et d’humain. Il aime les chefs, les sommeliers, le terroir et toutes ses richesses gourmandes ! Et quelle famille ! Anne, grande professionnelle et détentrice d’un savoir qui fait de leur vin des grands vins. Laure, qui gère aujourd’hui son propre domaine, les animaux et tout cet univers, Colombo qui en fait un vignoble d’exception. Ce n’est pas par hasard si ses vins se retrouvent sur les grandes tables du monde, c’est le résultat d’un long travail de la terre et de la vigne, l’expression d’un savoir-faire, d’un terroir et d’un territoire. Il est de ces hommes qu’on est fier d’avoir pour ami.” La famille, quoi !

Le Mot de Meghan Dwyer

❝Je ne le connais pas personnellement, mais j’ai pour lui un grand respect, car il a lancé le Centre Œnologique des Côtes du Rhône, c’est un excellent pédagogue. J’ai eu un coup de cœur pour son Cornas « Les Ruchets », dans lequel je sens une approche provençale, un peu de thym, des herbes… Et Jean-Luc Colombo est un Provençal, est-ce qu’il a retrouvé ses racines dans ce terroir ? Du coup, je le boirais plutôt avec de l’agneau avec une croûte d’herbes de Provence,
au four, pas grillé.❞

La famille Gaillard… je vignoble, tu vignobles…

La famille Gaillard… je vignoble, tu vignobles…

Jeu de Cep Famille

Pierre, Pascale, Jeanne, Elise, Pierre-Antoine… Attention, un Gaillard peut en cacher bien d’autres ! Et c’est en grappe, sur les hauteurs du pittoresque bourg médiéval de Malleval, que la tribu vigneronne a prêté sarment et s’est laissée prendre au jus.


Par Mélanie Marullaz – photos : Clément Sirieys

Commençons par le commencement : dans la famille Gaillard, je demande donc le P(i)ère. Il aurait pu préférer le train. Mais quand ses parents cheminots quittent la banlieue lyonnaise, dans les années 60, pour s’installer dans la bourgade campagnarde de Ternay, Pierre Gaillard découvre la terre. Il a une dizaine d’années, le voisin laboure ses champs avec un cheval et il reste une petite vigne dans le jardin de cette nouvelle maison. Très vite, le jeune citadin s’imagine agriculteur. Jusqu’à ce qu’il trempe ses lèvres dans un ballon de rouge. Dès lors, il vise la vigne et l’excellence. “Pendant mon BTS viti-oeno, en Bourgogne, mes professeurs m’ont convaincu que je pouvais être acteur dans le haut niveau”.
Au début des années 80, à l’exception des parcelles exploitées par les maisons historiques, comme Vidal-Fleury ou Guigal, chez qui il devient chef de culture, la région rhodanienne est à l’abandon. Pierre pressent pourtant que les choses vont changer. “J’étais convaincu qu’il y avait un grand terroir, et j’ai pris le pari qu’on allait pouvoir faire de grands vins et les faire connaître. Avec rien au départ, de toute façon, on ne risquait pas de perdre grand’chose !”
Les terrains ne sont pas chers, mais il faut vigueur et sueur pour les rendre à la vigne. En 1985, après 4 ans de défrichage et de reconstruction de murs, il commercialise enfin ses premières bouteilles de Saint-Joseph «Clos de Cuminaille». “Compte-tenu des coûts de production, il fallait vendre la bouteille assez cher dès le départ, et donc être précis, avec des rendements limités et une attention particulière à l’environnement, afin d’être tout de suite reconnus pour la qualité de nos produits. Dès les premières récoltes, ils ont en effet intéressé les sommeliers qui attendaient quelqu’un avec quelque chose à dire entre la Bourgogne et le Bordelais.” En développant ensuite son domaine en Côte-rôtie et Condrieu, il est l’un des rares, à l’époque, à travailler plusieurs appellations.


Cep à la maison

Pendant ce temps-là, Pascale, son épouse, partage son temps entre les cuves de Syrah et les rangées d’élèves. Elle plante, ébourgeonne et vendange pendant les vacances, éduque, raisonne et questionne dès que la cloche sonne. “Il y a des similitudes entre les deux, il faut notamment faire de la pédagogie autour des vignes, pour expliquer aux gens, par exemple, que la vie du vigneron ne s’arrête pas une fois le raisin coupé”, sourit-elle. Elle cultive également une vigne pour l’école de Malleval, afin que les minots du cru s’imprègnent du terroir et comprennent la région dans laquelle ils vivent. Nombre d’entre eux passeront d’ailleurs plus tard entre les rangs du domaine, pour une saison de vendange, voire plus longtemps. En 2001, après 40 ans d’enseignement, Pascale a fait le tour du métier, elle rend son encrier pour se consacrer au Viognier, gèrer le commercial et l’administratif, auprès de ses propres enfants.

La chair de son chai

Car les premiers gamins à chaparder des grains de raisin ont évidemment été les siens. Et leurs chemins, tous différents, les ont finalement ramenés au vin. “On a grandi avec le domaine et nos parents ont su nous montrer les bons et les mauvais côtés du métier”, résume Pierre-Antoine, le cadet, qui gère aujourd’hui les vignobles familiaux. “On se baladait sur les parcelles le dimanche, on a des tonnes de photos de nous, enfants, dans les vignes, et on a participé aux vendanges très tôt. J’allais souvent voir mon père quand il vinifiait tout seul. Une fois, il m’a même rattrapé de justesse dans une pompe alors que j’essayais de récupérer une feuille… Aujourd’hui, je m’appuie beaucoup sur lui. Notamment pour travailler les sols, quand on a de fortes pentes, il faut toujours trouver des solutions, et c’est lui qui m’a appris à le faire.” A l’aide d’un treuil notamment, une des opérations que le trentenaire préfère. “Mais il n’a jamais rien forcé, il nous a même poussé à aller voir ailleurs”, insiste le jeune Gaillard, qui a fait quelques détours par le rugby, la charcuterie fermière et la Nouvelle-Zélande avant de rentrer au bercail.

Succès sœurs

Pour Jeanne, l’aînée, c’est une punition qui la contraint à relever les vignes pour la première fois, l’été de ses 11 ans. “Mais en fait, j’ai adoré ! Et moi qui n’étais pas très scolaire, j’ai vraiment commencé à me faire plaisir quand je suis entrée en viti’ à Beaune.” La passion donne des ailes, elle décroche donc son bac haut-la-main, enchaîne apprentissage en Bourgogne et stage en Californie, avant de rentrer dans le Rhône pour prendre la relève. «La Relève», c’est d’ailleurs le nom qu’elle donnera à sa cuvée de Saint-joseph. Oui, la sienne. Car la jeune femme ne se contente pas de travailler dans le giron familial. En 2008, elle reprend en parallèle 13 hectares en IGP Crozes-hermitage et IGP Collines Rhodaniennes pour faire des vins de pays, un peu de Saint-joseph et de Condrieu aussi, qui, tous, sont vinifiés et élevés à Malleval.
La seule Gaillard qu’on ne croise pas ici, c’est Elise, ingénieure agronome, qui, quand elle était petite, n’aimait pas la vigne mais adorait le vin ! Elle a pourtant pris, un an après sa sœur, les rênes du domaine de Madeloc, à Banyuls, acquis par son père au début des années 2000 : 29 hectares en terrasses, baignés de soleil, plongeant non pas vers le Rhône, mais vers la mer. Une histoire de pentes et de terroirs de schiste là encore, auxquels Pierre Gaillard voue une réelle passion.

Tous les chemins mènent au Rhône

“Mais c’est le vin en général qui me passionne”, rectifie-t-il. “Et tout ce qui touche au vin à travers les âges.” Depuis 15 ans, il collabore d’ailleurs avec le musée de St Romain-en-Gal pour essayer de travailler à la manière des Romains : “ils ne connaissaient pas la macération, balançaient les raisins sur la pierre et les foulaient, n’extrayaient ni la couleur, ni les tanins, mais leur vin se conservait, probablement par adjonction de plantes, comme la racine d’iris ou le fenugrec, de miel, de résine, et peut-être même d’eau de mer, mais on ne sait pas exactement dans quelles proportions…” Alors que dans ses vins à lui, les assemblages sont parfaitement transparents : père, mère, filles ou fils, c’est du Gaillard à cent pour sang.

Le Mot de Meghan Dwyer

❝Pierre est un vigneron brillant. Sa grande force, c’est son expertise en terroir, il sait trouver les meilleurs. Mon coup de cœur, c’est son Saint-Joseph rouge, « Clos de Cuminaille », aussi minéral que poivré, corsé qu’élégant, puissant et d’une complexité bluffante, parfait avec un agneau grillé au barbec’. Mais son Saint-Joseph blanc, c’est mon blanc préféré AU MONDE ! La Roussanne, c’est comme une femme compliquée, et là, je n’ai jamais vu quelqu’un la travailler comme ça, 100% Roussanne, avec beaucoup de corps, des notes de pommes fraîches, d’herbe, de la minéralité… Génial avec un poulet en marmite et des pommes confites.❞

Christelle Betton, vigneronne

Christelle Betton, vigneronne

Cause un jour, Crozes toujours !

Un dicton sur mesure pour Christelle Betton ! La vigneronne installée à la Roche de Glun est de ces feux d’artifices qui font tant de bruit qu’ils réveillent les esprits. Brute de décoffrage et sans détour, au diable les chichis, authentique, on a dit !


Par Magali Buy – photos : Clément Sirieys

Et c’est plein sourire qu’elle arrive au domaine, pour une petite heure apéritive improvisée, et plus si affinités. Parce que Christelle voit la vie comme ça. Faite de rencontres et de curiosités, d’échanges et de bons moments, une quille qui embarque et le tour est joué, on refait le monde dans la bonne humeur. Accoudées au comptoir comme si on se connaissait déjà, elle ouvre sa boîte de pandore et parle à l’éparpillé, tout éclaté comme un bouquet final. C’est le bazar, mais qu’importe, je bois les paroles de ce p’tit bout de femme attachante, hors de question d’en perdre une goutte, ce n’est pas comme si ce n’était pas du vin d’âme…

Vin de fête !

Parce que Christelle est une sorte de Bacchus à talons et c’est moi qui le dis, pas elle… Je crois même qu’elle me passerait un savon si elle lisait un truc pareil, mais je tente ! Dieu Romain de la vigne et du vin, Il était surtout celui de la fête, de la danse et des plaisirs et je crois que là, on n’est vraiment pas loin. Parce que la jeune femme fait swinguer sa joyeuse quarantaine autant qu’elle peut, chez les copains vignerons, autour d’une bonne table et elle ne s’en cache pas : “Je suis toujours à bouger partout. A goûter chez les potes ou sur des salons, à échanger et partager, c’est la vie : on n’en a qu’une et on ne détient pas le savoir, alors on évolue, on s’adapte et on apprend !”

En verre et contre tout

Et quand on connaît son parcours, on peut en faire son adage sans aucun problème. Christelle a grandi entre l’arboriculture et les vignes du domaine familial. En 2003, son père l’appelle pour lui demander un coup de main, elle, qui s’est promis de ne jamais travailler dans l’agriculture – mais dans le commerce et l’agroalimentaire –, accepte à une condition sine qua none : “Mon grand-père a arrêté de vinifier quand mon papa a repris fin des années 70 début 80. Ils revendaient tous les deux de la vendange et ne faisaient pas de vin. Quand mon père m’a sollicitée, je lui ai dit ok, mais on va essayer d’aller un peu plus loin. On ne sait pas où, mais on ne peut pas faire pire.” Christelle décide de faire du vin comme on claque des doigts ! Elle n’y connaît rien, mais vaille que vaille… Sacré toupet !

Foire au vin

Elle met le bazar, comme on dit des mots d’amour, “et ce sera toujours le cas, c’est ce qu’il faut, ça fait la vie.” Et puis tout le monde a sa place, alors aucun souci : “mon père est resté dans ses vignes et moi j’ai eu libre créativité dans la cave.” Oui mais Christelle, créer, c’est beau, mais ça ne fait pas tout. Le vin, c’est technique un peu, non ? Ce n’est pas comme presser des citrons ! “C’est technique d’un point de vue scientifique, oui. Mais c’est aussi beaucoup de ressenti. C’est comprendre ses parcelles, comprendre des raisins qu’on goûte, le profil des terroirs et du millésime, avant de rentrer de la vendange. Et une fois rentrée, c’est comprendre le matériel que vous avez pour analyser le reste. C’est de l’interprétation, c’est comme vos enfants, ils sont issus de vous, mais pas forcément vous…” Alors la jeune femme fait force de volonté et d’oreille attentive, bricole une cuverie free-style et vinifie pour la première fois en 2003. Elle passe 7 ans dans deux domaines en Crozes-hermitage pour peaufiner le tout, s’enrichit de l’éventail qu’on lui donne et de cette liberté offerte, alors que son seul bagage, c’est elle…


Palais divin

“C’était un peu du vin de challenge ! Après, on s’épaule autant d’œnologues que d’amis vignerons, on tape à la porte des copains pour se nourrir de tout et recueillir les avis. Mais les vinifs, c’est à l’instinct et à la dégustation surtout. J’aime, j’aime pas. Pourquoi j’aime, pourquoi j’aime pas… On ne fait pas que des belles choses chaque année, il y a aussi des conneries, mais ça nous fait grandir et c’est en faisant une expérience des bêtises, qu’on avance.”
Et c’est qu’elle a sacrément avancé depuis ses débuts à piétiner la Syrah à tâtons. Son objectif, lui, toujours le même. Respecter ses vignes et leur terroir, sans jamais perdre la notion de plaisir, essentielle au verre comme au reste. “On est chef d’orchestre et on n’est pas plus que ça. La météo, les raisins, les cépages, la vinification, l’élevage, c’est comme un puzzle, mais pas défini à l’avance. Vous retaillez les pièces chaque jour. C’est comme planter des vignes. On essaie de le faire, là où le plaisir du nez et du palais est possible. Planter pour planter, ça n’a aucun sens !” Et hors de question de faire pour faire et de rentrer dans les cases, manquerait plus que ça !


Des grappes émoi

De l’étiquette à la cuvée, et parce que la personnalité fait LA bouteille, “il est très important de goûter un vin et de connaître son vigneron.” Du temps où elle partait, quilles au fond du panier, taper aux portes des cavistes pour se présenter, à aujourd’hui où ses vins se dégustent du bistrot d’en face à Régis Marcon et ses 3 macarons, elle continue de faire des bonds dans les salons et on ne voit pas ce qui pourrait l’arrêter.
Gourmand, généreux, fin et surprenant, boire son vin c’est comme croquer une grappe de raisin à pleines dents. De ses Crozes-hermitage rouges Caprice et Espiègle aux blancs Elixir ou Circée, c’est un morceau d’histoire qu’elle raconte avec délectation, et qu’est-ce que c’est bon ! “Une bouteille, c’est une carte postale : elle vous fait voyager quand vous la partagez avec les copains ! Juste à la regarder, à avoir l’émotion en bouche, elle apporte échanges et convivialité…” Et si ça fait parler, c’est gagné !

Le Mot de Sabrina Carlier

Sommelière pour Secret Pairing à Annecy

❝Les vins de Christelle ont tous leur caractère bien trempé, et ils ont de qui tenir. Mais la précision avec laquelle elle travaille son Crozes-hermitage sur sa cuvée «Caprice» n’a d’égal que l’amour qu’elle porte à ses vignes. De la gourmandise à n’en plus finir, du fruit très mûr, plein la bouche, comme si on croquait dans une poignée de myrtilles sauvages, et les fameuses notes de poivre en fin de bouche, propres à la Syrah. C’est ce que j’appelle un vin de copains, pour un barbecue avec grillades aux herbes d’été, un pique-nique charcuterie en randonnée, et la magie opère lorsque vous croquez un morceau de chocolat au coin du feu, un soir d’hiver.❞

Alain Voge, vigneron

Alain Voge, vigneron

Fond de terroir

A l’heure où nous imprimons, le décès d’Alain Voge, gronde sur Cornas. Figure incontournable du monde vigneron, il fut un des premiers à voir le potentiel planqué dans les coteaux granitiques du village et c’est toute une région qui boit des bulles à sa santé. Accrochez vos souliers, on a le dévers à traverser.

Par Magali Buy – photos : Clément Sirieys

Et c’est Lionel Fraisse, aux commandes du domaine depuis 2018, qui nous raconte l’épopée fantastique.  Lionel, c’est le Saint Perollais de la bande, comme il dit, l’enfant du pays du village d’à-côté, là où on fait du blanc, mais pas du rouge, de quoi se mélanger les pinceaux. Pas de panique dans l’alambic, le vigneron n’est pas là par hasard non plus, un petit retour aux sources s’impose.

Coup de cep’ette !

En 1958, quand Alain Voge, prend la suite de son père, on ne fait pas que de la vigne et du vin, mais on suit la tradition, depuis 4 générations. Polyculture ardéchoise par excellence, fruits, céréales et animaux se disputent la vedette. Au sortir de la seconde guerre mondiale, Cornas n’est pas considéré comme un grand rouge de la vallée du Rhône nord, célèbre pour ses Ermitages ou Côte-rôties. Plutôt vin de table, il se balade dans les maisons de négoce rhodaniennes, entre Valence et Lyon, avant qu’Alain Voge and co ne soufflent dans le ballon. Auguste Clape, Noël Verset, Joseph Michel ou Marcel Juge, les hommes croient en leur terroir et s’appliquent à replanter le coteau, et vous allez voir ! La production s’annonce nectar, la tâche était pourtant risquée, mais ils ont bien fait d’y croire. Ils s’autonomisent sur la mise en bouteille et marquent leur identité loin de l’effet de masse, Alain Voge part en croisade, son domaine sur son dos, affaire à suivre.

En rouge ET blanc

“Il a pris son bâton de pèlerin et s’est appuyé sur la gastronomie locale, la famille Pic à Valence, les restaurants lyonnais, avant de s’étendre à tout le pays. C’est vraiment lui qui a démarché et propulsé, avec les autres, le Cornas vers ce vin de référence.” Et il aura fallu des décennies pour mener ce projet à bien, avant qu’il ne commence à zieuter… sur St Peray ! “C’est une appellation qui est jumelle du Cornas, puisque c’est tout de suite au sud. C’est ici qu’il a repris un vignoble que je connais très bien… puisque c’est celui de mon oncle !” Aaahh… On y vient, Lionel ! Tout comme Condrieu et Côte-rôtie, St Peray épouse Cornas. Un blanc, un rouge pour un mariage parfait, les jeux sont faits. Enfin pas tout à fait…
De 1825 aux années 1980/90, 80% des terroirs historiques ont disparu. Phylloxera, urbanisation et crise économique ont ratiboisé le secteur. 500 hectares balayés au profit de 45 : un peu plus et l’appellation tombait aux oubliettes ! Ouf ! Mais Les St Peray, plutôt à bulles, ont connu une telle effervescence au 19e, qu’il a fallu ramer pour les ramener à ce niveau de prestige. “Ça toujours été un terroir identitaire, plus complexe et diversifié que Cornas. Et en plein creux de la vague, ce vin champagnisé coûtait plus à produire qu’autre chose, sa qualité avait baissé, on essayait de vendre pas cher pour concurrencer la Clairette de Die ou les crémants, mais rien ne fonctionnait. C’est là que certains, comme Alain, sont intervenus.”

Sos détresse vinifiée

A l’époque, Lionel a 16 ans et la vigne, à St Peray, ne lui donne pas très envie. “Mon oncle, Robert Fraisse, avait un niveau de vie très bas, il fallait qu’il fasse des cerises et des abricots à côté, parce que la vigne ne nourrissait pas.” Et l’homme veut prendre sa retraite, mais sans vendre ses vignes. Son grand ami de toujours, Alain Voge, les prend alors en fermage, il y a matière, c’est sûr. Et quand il a une idée en tête… Il s’aventure sur une pente osée, délaisse les bulles mythiques pour inviter la Bourgogne dans ses cuvées, et travaille la Marsanne – cépage de St Peray –, comme le Chardonnay à Meursault ou à Montrachet. Idée biscornue qui surprend… Et qui fait mouche quand on sait que les vins tranquilles – sans bulle – font partie du patrimoine, et que Saint Peray compte 110 hectares aujourd’hui ! Pas touche !

To the bio

Mais débuts des années 2000, Alain pense sérieusement à se faire épauler. “En 2004, il s’associe à Albéric Mazoyer, ancien œnologue conseil pour la maison Colombo à quelques kilomètres de là. Il prend la direction du domaine et démarre son gros chantier : la conversion complète en bio certifié et en biodynamie.” Les Saint Peray entre 2006 et 2009, les Cornas entre 2013 et 2016, tout le vignoble y passe. Et quand les vignes se convertissent, Lionel aussi… “A cette époque, je suis dans l’édition pédagogique et universitaire. J’ai vécu 10 ans en Champagne, 10 ans à Paris, j’ai fondé une famille, je suis toujours passionné de vin, je viens à St Peray en vacances et tout va bien.” C’est sans compter sur le middle age crisis qui met son grain dans les rouages… Prise de conscience, chamboulement, impression d’avoir fait le tour d’une première vie, à 45 ans, Lionel prend femme et enfants sous le bras et rentre à la maison, et s’il faisait du vin, tiens ?

Eyes Wine shot !

“En 2011, je suis allé voir mon oncle. Les vignes étaient chez Voge, alors on s’est tous assis autour d’une table et on a discuté. Il se trouve qu’ils étaient à la recherche d’un profil comme le mien, un peu polyvalent. Et Alain a été très bienveillant et efficace.” Lionel part deux ans au lycée viticole d’Orange pour un BTS Viti Oeno en alternance, fait son apprentissage au domaine et vogue la galère, ou pas, d’ailleurs : “J’ai un peu essuyé les plâtres. J’avais 45 ans, dans une classe de gamins de 18 à 20 ans. C’était drôle. J’ai été formé par Albéric et Laurent Martin, aujourd’hui mon directeur technique. J’ai beaucoup appris en production, vigne et cave avec lui…” Sa motivation l’emporte et au terme des deux ans, il décroche sa place au domaine Voge et n’en partira plus. Depuis octobre 2018, Lionel Fraisse orchestre la Maison, ses traditions, ses terroirs et ses ceps qui parlent tant. Rouges ou blancs, Vieilles vignes, Les Pérouses, Harmonie ou Fleurs de Crussol, vignes doyennes de 80 ans, ici, une chose est sûre, la vie n’a pas pris une ride, le vin non plus.

d’infos : www.alain-voge.com

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