mode, séraphine et zélie

mode, séraphine et zélie

SœURS À L’OUVRAGE

Une ligne directe relie à présent le centre d’Annecy au Golfe du Morbihan, un fil de coton -bio- tendu entre deux frangines qui partagent l’amour des belles matières et l’envie de coupes sobres. Elles ont associé leurs savoir-faire pour se lancer dans la mode.

On dit souvent que les marins et les montagnards ont des traits de caractère communs : la ténacité, l’engagement, l’humilité devant les éléments, la volubilité -non, ça, c’est une vanne… Vannes, Morbihan, haha !-. Par extension, Bretons et Savoyards sont bien plus proches que la géographie ne le laisserait penser. Syndie Clément, originaire de la région du Salidou et des huîtres en chocolat, s’acclimate donc parfaitement à la vie annécienne quand elle s’installe sur les bords du lac, il y a de ça 10 ans. Elle est alors agent immobilier, avec le sentiment d’avoir un peu fait le tour du métier. Et quand elle retourne à Sulniac, son village natal, elle passe beaucoup de temps avec sa sœur aînée Séverine, dans son atelier de styliste-modéliste : “c’est la maison”. Rien d’étonnant pour des filles de couturière.

PREMIÈRE LIGNE

Rien d’étonnant non plus à ce qu’un fil, une fibre, les lie jusque dans leurs goûts vestimentaires. “Quand on fait du shopping ensemble, et ce n’est pas si souvent, il nous arrive régulièrement de ressortir avec la même pièce
Tant et si bien qu’elles finissent, en 2018, par concrétiser une idée qui leur trottait dans la tête depuis longtemps : créer ensemble une ligne de vêtements. Elles imaginent d’abord une collection haut-de-gamme pour enfants. Mais la niche est trop petite, les deux quadras changent alors de direction au début du confinement et se concentrent sur la femme et l’adolescente pour proposer “des pièces fortes et singulières, de beaux basiques, des vêtements que l’on s’approprie et qui s’intègrent parfaitement à un vestiaire existant.” Pour baptiser leur marque, pas fans de leurs prénoms respectifs, Séverine et Syndie cherchent cependant à en reproduire la musique et arrêtent leur choix sur «Séraphine et Zélie». Un petit côté rétro, mais frais, breton peut-être, mais surtout très français.

LES BONNES MATIÈRES

Séverine à l’ouest, Syndie à l’est, “chacune a trouvé sa place malgré la distance, et c’est parfois bien de ne pas être l’une sur l’autre !” La cadette compile les idées que l’aînée met en œuvre, “et on finit toutes les deux pour obtenir une silhouette féminine, mais des lignes sobres. Notre inspiration vient d’un peu partout, images et souvenirs de voyages, art contemporain, danse, musique… Mais surtout de la matière, de la manière dont le tissu bouge, comment il se comporte.” Leur leitmotiv ? “Faire du beau avec du beau”. Et du bio : du chambray de coton, de la popeline, du lin et du lyocell -fibre naturelle produite à partir de fibre de bois–. Leur fil rouge ? La chemise, déclinée sous toutes ses formes et toutes ses longueurs, toujours ample, avec des fronces ou des plis, un peu inspirée du vestiaire masculin. Mais unie, “pas d’imprimés pour le moment, il faudrait qu’ils viennent de nous et on n’en est pas encore là.

DE SOLIDES ATTACHES

Carnac, Houat ou Montsarrac, beaucoup de leurs pièces portent évidemment des noms évocateurs de la Bretagne, de ses couleurs ou de ses paysages. Ce n’est pas le cas de leur chemise fétiche, manches longues et col Claudine, “plis aux poignets, fronces au dos, boutons nacrés… on a tout mis ! On aime aussi son côté polyvalent, le fait qu’elle puisse devenir sur-veste”. Celle-ci s’appelle Marisol, c’est le surnom de leur mère, qui vient régulièrement donner un coup de main, faire un petit point. “Ce que j’aime dans notre configuration”, conclut Syndie, “c’est que notre mère coud des boutons, notre père va à la poste… Nous sommes une famille de commerçants, et avant de faire faire quoi que ce soit, on se demande toujours si on ne peut pas le faire nous-mêmes.
Pas de collection, mais des intemporels ; pas de saisons, mais du temps laissé à chaque pièce pour être appréciée ; et pas de stock non plus, chaque vêtement est confectionné à la commande… Comme les marins ou les montagnards, les Bretons ou les Savoyards, Séverine et Syndie, alias Séraphine et Zélie, ne cèdent pas à la facilité, mais optent pour l’authenticité.

+ d’infos : seraphineetzelie.com

styliste : maison athenaïs

styliste : maison athenaïs

TÊTES À COIFFER

Jour J. S’il y a bien un jour où aucun détail n’en est vraiment un, c’est celui-là. À Genève, avec poésie et délicatesse, Maison Athénaïs s’occupe de la touche finale : des perles fines, de jolies pierres, des grains de blé ou des plumes irisées… Pour resplendir jusqu’au bout des cheveux, l’hair de rien.

©Philippine Chauvin

Ça commence souvent comme ça : une copine en galère à qui on ne peut pas refuser de l’aide.
Pour Laure-Anne Le Priol, c’était il y a quatre ans, quand une de ses amies, qui se marie en Espagne, veut absolument, comme ça se fait beaucoup là-bas, un «tocado», quelque chose d’imposant et d’unique à mettre sur son chignon. Se désespérant de le trouver, elle met Laure-Anne sur le coup. “Ça n’avait pas l’air sorcier, mais j’avais un peu peur, elle est assez pointilleuse et me montrait des pièces soudées, pour lesquelles je n’avais pas le matériel nécessaire. On a travaillé ensemble, en achetant des petits éléments partout, des feuilles, un peu de métal aussi…” Le résultat séduit jusqu’à la rédactrice en chef du magazine spécialisé Semarier.ch, dans lequel est publié le reportage du mariage, au point qu’elle lui commande une pièce pour la couverture de son prochain numéro. Laure-Anne n’a quasiment pas le choix, si elle attendait un signe pour se lancer, le voilà ! En quelques semaines, elle crée donc sa petite entreprise et son site internet.

©Mailys Fortune Photography

PIERRES ET ROCAILLE

Il faut dire que la jeune femme n’est pas tout à fait novice en la matière : les diadèmes, tiares ou autres coiffes de mariées, elle ne connaissait pas, mais les bijoux… “Les pierres précieuses m’ont toujours attirée. Quand j’étais petite, j’avais un atelier dans la maison de mes parents, en région parisienne. Une pièce pour moi toute seule où j’étais tranquille –on était quatre enfants, j’avais besoin de ce moment !– dans laquelle je pouvais rester des heures sans voir le temps passer, à faire, défaire… Avec des perles de rocaille au début, des petites choses d’enfant, de toutes les couleurs, et après, avec mon argent de poche, je partais à Paris, dans un magasin de perles rue des Archives, je mettais tous mes sous là-dedans et je trouvais des trésors, il m’en reste encore…
En toute logique, elle choisit d’en faire son métier et se forme aux arts et techniques de la bijouterie-joaillerie, rue du Louvre. Un tour du monde, deux enfants, un déménagement au bord du Léman et le mariage espagnol d’une copine plus tard, voilà donc la fringante trentenaire installée dans son atelier genevois à la Jonction, prête à confectionner des bijoux de tête pour mariées bohèmes ou sophistiquées, rock ou éthérée.

©Gunis Zalmezs

RUBANS ET CORAIL

Améthyste, lapis-lazuli, quartz rose ou blanc… Si les pierres semi-précieuses sont au cœur de ses bijoux, elle utilise aussi les perles fines, l’ambre, le corail, le bois ou le ruban. “Quand les clientes viennent à l’atelier, elles me parlent de leur projet de mariage ou de soirée, puis je leur donne un plateau en velours. Dans ma caverne d’Ali Baba, elles prennent tout ce qu’elles aiment, en couleur ou texture, et le posent sur le plateau, ça n’a pas d’incidence sur la forme. Ce qui est assez drôle c’est que, quasiment à 90%, elles ne repartent pas avec l’idée qu’elles avaient en venant. Elles arrivent souvent avec l’envie de quelque chose de fin, de pas trop voyant, et finissent par prendre des plumes !
De plus en plus souvent, on lui apporte également une ancienne boucle d’oreille ou la broche d’une grand-mère, chargée sentimentalement, mais difficile à porter, qu’elle intègre à sa création. Pour les fixer, Laure-Anne n’utilise aucune colle, elle brode l’ensemble méticuleusement au fil métal- lique. Un artisanat qu’elle décline en épingles, peignes ou autres bandeaux (avec la collaboration de la tricoteuse genevoise Reine des Pom’s) et qu’elle verrait bien un jour monter sur scène, pour coiffer danseuses ou comédiennes. Déterminée jusqu’au bout de la barrette, Laure-Anne sait où elle va : c’est une femme de tête(s) !

+ d’infos : insta : maisonathenais – FB : maisonathenaisgeneve maisonathenais.com

STYLISTE : L’AIGUILLE DU LAC

STYLISTE : L’AIGUILLE DU LAC

DANS LE BLANC DES YEUX

Opticienne de formation, couturière par filiation, un œil dans le pupillomètre et l’autre sur le chat (de l’aiguille), il a bien fallu qu’un jour, la Savoyarde Delphine Letellier fasse un choix. Elle s’est donc lancée dans la robe de mariée, les yeux (presque) fermés ! Et elle a vu juste.

Delphine Letellier a eu une première vie professionnelle. Son job, c’était les lentilles de contact et les examens de vue. Mais il y a quatre ans, elle commence à s’ennuyer, son enthousiasme et son énergie sont bridés. Elle qui a l’habitude de faire le boulot de dix, se sent en sous-régime. En parallèle, depuis peu, elle coud. Non, soyons précis : d’aussi loin qu’elle se souvienne, elle a toujours manié l’aiguille… sa mère est prof de couture. Mais ce hobby pour dimanche pluvieux est devenu, au fil du temps, un élément du quotidien. Comme d’autres cuisinent, Delphine coud, pour elle, pour ses enfants, pour ses proches. Ce qui a changé récemment, c’est qu’en voyant une de ses tenues de soirées, une amie lui a demandé de réaliser les robes de ses témoins de mariage. Depuis, les commandes se succèdent. Elle y passe ses soirées et ses jours de congés.
Alors, après un dernier essai, histoire de vérifier qu’elle veut vraiment changer d’optique, Delphine quitte définitivement l’univers de la correction pour celui de la confection. Pour se situer, cerner ses lacunes, et peut-être aussi pour se sentir légitime, elle passe quand même un CAP de couture en candidat libre. Elle complète également sa formation et ses connaissances instinctives par des lectures, beaucoup de lectures, sur le modélisme et le patronage. Au printemps 2018, la voilà prête à suivre le nouveau fil de son histoire : dans une pièce de sa maison, dans la campagne aixoise à deux pas du Lac du Bourget, elle installe son atelier.

COCKTAILS ET DENTELLE

C’est grâce à ses robes de cocktail qu’elle a été repérée, elle pourrait donc continuer sur cette lancée. Mais la trentenaire souffre d’une addiction que ce type de créations ne pourraient pas entièrement satisfaire : elle est accro à la dentelle. Une passion transmise dans sa famille de génération en génération, et dont les plus beaux galons, la prunelle de ses yeux, sont conservés dans une boîte à merveilles qui lui vient de sa grand-mère, une ancienne de chez Balmain. Pas une de ses collections, pas un de ses modèles sur-mesure ne sortent de son atelier sans un petit bout de ce passé. “Et puis, même si je ne suis pas une grande romantique, si je n’ai jamais rêvé de robes de princesses –j’étais plutôt garçon manqué quand j’étais petite–, j’ai envie qu’il y ait de l’émotion dans la robe. J’y mets beaucoup de moi. Quand je la place dans la housse, ça me fait un petit quelque chose, je la porte ensuite jusqu’à la voiture, je l’accompagne jusqu’au dernier moment. Et le jour J, je suis en stress, je prends toujours des nouvelles pour savoir si tout se passe bien.” Sa première mariée, elle se la rappelle d’ailleurs parfaitement : “une robe courte, assez atypique, dans le style années 50, en soie et dentelle de Calais, un joli défi ”, sourit-elle.

DÉFIS ET DES FIBRES

Et ça tombe bien, les défis, Delphine aime les relever. En sortant de son atelier, sa «petite grotte», pour confronter sa vision artistique à celles d’autres professionnels du secteur, maquilleuses, coiffeuses, photographes ou musiciens, avec lesquels elle aime collaborer, organiser des shootings ; en lançant ce printemps une petite collection « civile » –avec les jauges imposées dans l’événementiel, le Covid a accentué le principe de deux cérémonies distinctes– ; ou en travaillant, autant que faire se peut, de manière responsable.
À l’image de cette jupe en lin broché, dans son atelier, et des pétales de lin parsemés sur le top et le voile qui l’accompagnent, elle aimerait en effet pouvoir utiliser plus de fibres naturelles, mais l’univers du mariage n’est pas encore tout à fait prêt pour ça. Alors elle cherche un fonctionnement toujours plus vertueux, avec des matières certifiées, des fournisseurs européens, et l’utilisation de ses chutes pour créer des accessoires ou travailler avec une créatrice locale de bijoux.

TRÉSORS DE CHINE

En toute logique, Delphine est également une adepte du ré-emploi. Si elle trouve des merveilles chez les fabricants français, de dentelle notamment, elle aime par-dessus tout fureter dans les brocantes et vide-greniers pour s’approvisionner, récupérer des stocks de tissus haut-de-gamme ou de tulle : “j’aime l’idée qu’on ne va pas relancer une production juste pour nous.” De plus en plus, on lui demande aussi de remettre au goût du jour la robe d’une mère ou d’une grand-mère, chargée d’histoire familiale et d’émotions. Un ensemble d’envies et de démarches qui correspondent à ses valeurs : “ce qui me plait vraiment, c’est qu’avec l’univers du mariage, on peut éviter le principe de la fast-fashion, il y a vraiment une notion de temps qui accompagne ce vêtement, autant pour la future mariée qui prend le temps de se l’approprier, que pour moi : quand je brode à la main, c’est un temps d’introspection, à la limite de la méditation.” Delphine aurait-elle donc aussi un troisième œil ?

+ d’infos : laiguilledulac.com

PHOTOS : EPERDUMENCE ET MARINE DU SORDET

styliste : maison maëlie

styliste : maison maëlie

MAËLIE… AUSSIE*

Il fut un temps où les voyages en Inde bouleversaient des vies. Aujourd’hui, ce sont les séjours en Australie. L’île-continent offre une qualité de vie, un rapport au travail et… un style de robes de mariées, que la créatrice lyonnaise Amélie Guesnet a décidé de rapatrier.

(*DIMINUTIF D’AUSTRALIEN EN ARGOT… AUSTRALIEN)

« Les gens ne font pas de voyages, ce sont les voyages qui font les gens » disait Steinbeck -parce qu’il est toujours bon d’invoquer un prix Nobel de littérature avant de parler couture !–. Quand, en 2017, elle part pour un an en Australie, avec son visa vacances-travail et son mari, Amélie Guesnet veut surtout perfectionner son anglais et voir du pays. Elle n’a alors que 24 ans et ne pense pas en revenir avec une décision qui va changer sa vie professionnelle.
Depuis plusieurs années, elle gravite dans le monde de la haute-couture à Paris. Artiste dans l’âme depuis toute petite, elle s’est tournée vers des études de modélisme : “j’aimais l’idée de partir d’un morceau de tissu et d’arriver à un vêtement durable, qu’on puisse porter longtemps”. Elle se spécialise dans le tailleur dame et la couture flou à la chambre syndicale de la couture parisienne et, en travaillant pour un atelier de confection renommé, enchaîne les expériences dans les coulisses des grandes maisons, Dior, Chanel, Saint Laurent… Mais c’est un microcosme particulier, dont elle préfère vite s’éloigner : “j’avais peur de finir par détester un métier que j’avais choisi par passion”. Elle prend donc le large, direction Melbourne.

TULLE PERLÉ ET FÉMINITÉ

En débarquant dans la capitale australienne de la mode, elle est prête à perdre le fil, à se contenter de petits boulots loin des aiguilles, mais elles la rattrapent vite : “c’est ce que je sais faire de mieux”, et elle est embauchée dans l’atelier d’une créatrice de robes de mariées. “En dehors du côté couture, je suis tombée amoureuse du style australien, il est différent, très glamour. En France, il y a un côté historique, un passé intense, même dans la mode ; là-bas, c’est un pays neuf qui prend les styles de différentes provenances et les mixe pour donner une mode libre, légère, colorée. Il y a aussi moins de pudeur, on aime les coupes sexy qui mettent les formes en valeur, les choses fendues ou très près du corps… Et pour les robes de mariées, on utilise des matières qui se tiennent bien et qui ne se voient plus trop chez nous, comme le tulle perlé ou le satin duchesse. C’est plus audacieux dans l’affirmation de la féminité, de la confiance en soi, c’est un peu plus show-off (ndlr : frime) aussi.
Cette plongée dans le grand blanc s’impose alors pour elle comme une révélation : “c’est un peu de la haute-couture que tout le monde peut porter une fois dans sa vie.” La voilà donc face à de nouvelles perspectives…

NOUVELLE VIE ET SYMÉTRIE

Teint hâlé et cheveux blondis par plusieurs mois de soleil, Amélie regagne donc l’hémisphère nord et s’installe à Lyon, où elle chamboule les lettres de son prénom pour lancer «Maison Maëlie». Ses créations sont évidemment inspirées par son séjour au pays du barramundi et de Margot Robbie : “même si les marques australiennes commençaient à prendre un peu d’ampleur, ce style-là n’était pas encore très visible, et je pouvais y apporter le savoir-faire français.” Elle travaille la transparence, les décolletés, le perlé…
Après une collection 2021 autour de la mer et des Néréides, sa mariée 2022 se pare de lignes fortes, très graphiques, et d’un travail sur la symétrie. Chacune des robes porte le nom d’une personnalité ayant également joué avec ce principe géométrique, comme les architectes Franck Gehry et Zaha Hadid, les artistes Escher et Mondrian, ou le plasticien Vasarely. “J’ai un faible pour la robe Otto, avec ses deux pièces et son satin duchesse, une matière un peu oubliée qui se faisait beaucoup dans les années 80-90. Travaillée de manière plus actuelle, c’est une alternative moderne à la robe de princesse.

ÊTRE TOUTE « OUI »

Amélie, qui a toujours œuvré en atelier, doit désormais aussi appréhender la dimension humaine de l’univers du mariage : “ça ne se résume pas uniquement à la création de la robe, on est beaucoup dans l’affect avec les futures mariées, on découvre leur histoire, il y a des moments où elles se dévoilent vraiment et au-delà de la confection, il faut leur donner des conseils, les guider jusqu’au bout.
Un rôle qu’elle a appris à endosser, tout comme celui de cheffe d’entreprise, dans lequel elle s’est, là aussi, révélée. Et elle ne compte pas s’arrêter là : “l’idée serait de développer le dressing de la mariée, de l’enterrement de vie de jeune fille jusqu’au brunch du lendemain de la cérémonie, peut-être en partenariat avec d’autres créateurs.” Elle a d’ailleurs déjà fait un premier pas dans cette direction, en lançant, avec la marque de lingerie écoresponsable Maline, un maillot de bain de mariée. Pour celles qui voudraient se dire oui sur une plage… en Australie ?

+ d’infos : maisonmaelie.fr

Styliste : marthe duval

Styliste : marthe duval

GRANDES OCCASIONS

Quand les vieux ont de beaux restes, Marthe Duval les fait basculer du côté haut-de-gamme du prêt-à-porter. Il s’agit de tissus, évidemment, que cette jeune créatrice lyonnaise, rêveuse et décalée, ré-emploie, révèle, sublime… Parce que la récup’, c’est son truc.

Hinode ©Nina Linnemann

Chiner, c’est ma passion, après la créa, les plantes et les chèvres.” Sur sa page Instagram, Marthe Duval pose le décor : fraîcheur, humour et seconde main. Derrière ses grandes lunettes écaillées et ses boucles noires, cette vivifiante trentenaire promène son large sourire, ses patrons et ses envies de mode durable Passage Thiaffait, à Lyon, au sein du Village des Créateurs. Depuis quelques mois, celle qui a su fédérer, autour de son univers «punk et minimaliste», une belle communauté d’internautes, y rencontre des gens en vrai. “Ici, il y a juste assez de passage pour moi. Parce que je ne suis pas une commerciale, je suis bien derrière mes machines, dans ma bulle, mais l’atelier est ouvert sur l’extérieur et on me voit travailler, ça me tenait à cœur.

LA FRIPE, C’EST CHIC

Valoriser ce travail, faire comprendre que derrière chaque vêtement, il y a des heures de confection, de couture et de peinture, c’est l’un des deux fils qui sous-tendent les créations «conscientes» de Marthe. L’autre, c’est la récupération. Un parti-pris familial. “Mes parents m’ont toujours traînée dans des boutiques de seconde main ou chez Emmaüs. Quand j’étais petite, je détestais ça, mais ça m’a aidée à développer certaines valeurs. Au lycée, j’étais une des seules à porter des fringues d’occasion et j’adorais me démarquer. Aujourd’hui, quand je ne vais pas chiner, je suis en manque. J’attends le week-end avec impatience pour aller fouiller dans les bacs de tissus des bric-à-brac !
Car c’est comme ça que tout a commencé, il y a 8 ans. Marthe vient alors de terminer une licence de traduction littéraire en anglais et espagnol, mais ne sait pas trop quoi en faire. Elle s’accorde donc une pause et trouve un job alimentaire. Elle en profite surtout pour acheter une machine à coudre –sur un vide-grenier, est-il nécessaire de le préciser ?–, afin de customiser ou sublimer les perles dénichées dans les friperies qu’elle écume pendant son temps libre. Une jolie photo, un post, et hop, la pièce est en ligne, la boutique vintage de Marthe aussi. Et elle y prend tellement de plaisir qu’elle décide de domestiquer officiellement la canette –la bobine, pas le volatile–. À 23 ans, n’ayant plus accès aux cursus classiques, elle enchaîne donc trois formations pro en un an : couture générale, sur-mesure féminin et modélisme. Le tout sous l’aile et l’aiguille bienveillante d’une ancienne première d’atelier de chez Lanvin et Gauthier.

The Pool ©Gwen Lavila

VIVRE DANS L’INSTA(NT)

À la sortie, elle tente une première aventure prêt-à-porter, avec une amie : “on était parmi les premières à se positionner sur la mode éthique et on a vu l’engouement que ça générait”, puis retravaille en free-lance pour d’autres créatrices. Au pied du mur, quand l’une d’entre elles lui propose de reprendre sa boutique, elle refuse, mais pour une bonne raison : c’est le moment de créer sa propre marque. On est en 2019 et «Marthe Duval» voit le jour. Pas étonnant qu’elle ait choisi le thème du lever du soleil, «Hinodé» en japonais, pour illustrer ce nouveau départ. Un virage négocié dans une soie aux coupes très amples et aux nuances indigo, sous l’œil complice de ses followers. “J’ai choisi de jouer la transparence, de tout montrer et d’inviter ma communauté Insta à participer au choix des couleurs ou de certains motifs. Je ne suis QUE la couturière”, sourit-elle. Cohérente jusqu’au bout du dé à coudre, elle transformera même les chutes de cette première collection en lingerie.

La Manufacture des Nuages ©Aurélie Raidon

FLEURS ET FOLLOWERS

Ses matières, Marthe continue à les récupérer dans des stocks inutilisés par de grandes maisons de couture. Pour «The Pool», la nouvelle série de créations qu’elle essaimera jusqu’au mois de juillet, et que lui a inspiré la toile «Portrait of an artist» de David Hockney, elle est donc partie de 48m de denim blanc fabriqué au Japon, éclaboussé de bleu outremer et de jaune dune –«shiborisé» serait plus précis, pour cette technique de teinture nippone proche du tie and dye–. Pour en accompagner la sortie, elle s’est offert, comme à chaque fois, un bouquet de fleurs. Cette fois-ci, c’était du mimosa.
À la croisée des générations, Marthe revendique donc à la fois son amour pour l’artisanat et son utilisation experte des réseaux sociaux, mais refuse la «start-up nation». “Je rêve d’avoir un petit atelier de production et d’embaucher, mais je n’ai jamais eu l’intention de devenir une multinationale, je veux rester une entreprise mini, locale et humaine.” Et garder un brin de candeur, de naïveté, ce sentiment de liberté qui lui a fait peindre, de ses mains finement tatouées, des nuages blancs sur du crêpe de chine bleu clair, comme un ciel dégagé, histoire de continuer à rêver sans forcément lever le nez…

+ d’infos : http://martheduval.com

mode : atelier soliac

mode : atelier soliac

LA VIE EN OZ*

D’Australie, on peut rapporter une toile aborigène, un wombat en peluche, un zippo gravé d’un gecko ou un pot de Vegimite –étrangeté à tartiner–. Cécile Chrétien, elle, en est revenue avec l’envie de créer sa ligne de prêt-à-porter et c’est à Lyon qu’elle s’est posée.

Cécile Chrétien n’est pas du genre frileux, de celles qui hésiteraient à sortir de leur zone de confort. Qu’il s’agisse d’un pays ou d’une voie professionnelle, elle n’a pas peur de l’inconnu. Quand elle lance sa marque, il y a tout juste un an, elle n’est ni couturière, ni styliste, et n’a pas non plus, dans le domaine de la mode, un CV long comme le bras. Mais, à 26 ans, elle ne manque ni de diplômes ni d’expérience, plutôt dans l’environnement et la responsabilité sociale des entreprises. Elle déborde surtout d’idées, d’envie et d’énergie.
Elle a fait le plein en Australie. Pendant un an, avec son compagnon, cette Champenoise d’origine a parcouru le pays de Sia et du koala pour en découvrir les couleurs, les paysages incroyables, l’omniprésence de l’océan et… les fringues. “A Byron Bay par exemple (ndlr : petite ville de Nouvelle-Galles du Sud, la plus à l’est du pays, réputée aussi pour être la plus cool), il y a plein de boutiques de créateurs, on a envie de tout acheter !
Les marques australiennes utilisent des matières naturelles, beaucoup de coton, de lin, avec des formes assez simples, confortables et sans trop de motifs, dans un style épuré. Des pièces qu’on pourra toujours garder et remettre. Je me suis demandée comment j’allais faire en rentrant, quand je ne pourrais plus les trouver… ” Pas question de se les faire expédier, bilan carbone trop élevé… Elle décide alors de les fabriquer.

OZER S’ENGAGER

Une fois ses bagages posés sur le sol français, elle se familiarise donc avec les bases de la couture, auprès d’une amie professionnelle de la mode, et commence à chercher des tissus. Contrainte géographique : ils doivent être produits dans un rayon de 3000 km, soit toute l’Europe jusqu’à la Turquie, gros producteur de coton. Contrainte écologique : elle ne veut aucun dérivé plastique, mais des certifications GOTS (bio) ou Oeko-Tex (pas de produits chimiques nocifs pour la santé). Encouragée par une campagne de crowdfunding dont les objectifs sont largement dépassés, elle donne donc naissance à l’«Atelier Soliac» au printemps 2021, à Paris. Mais c’est à Lyon, où vit sa modéliste, qu’elle s’installe quelques mois plus tard. Un rayon dans la boutique éphémère du Village des Créateurs, Place Bellecour, lui offre bientôt un contact direct avec le public. Elle peut y expliquer sa démarche, son engagement environnemental et social.
Car de sa vie professionnelle passée, Cécile a gardé la volonté de travailler avec des ateliers d’insertion. Mais en matière de confection, la plupart des ESAT (Établissements et Services d’Aide par le Travail), ne peuvent malheureusement lui garantir que des retouches et des finitions, pas la production de pièces entières. C’est à Marseille, à l’atelier 13 A’tipik qu’elle finit par trouver son bonheur : ils acceptent de fabriquer ses petites quantités, elle sait qu’il faudra parfois s’adapter. “C’est un défi, un risque à prendre, il faut s’attendre à une petite marge d’erreur, à quelques allers-retours, et ne pas mettre de pression sur les dates de livraison, mais je n’ai aucun regret, ils m’ont beaucoup appris et ils me conseillent sur le fil conducteur de ma marque.”

UN PETIT QUELQUE CHOZ

Un fil conducteur qui prend, dans sa nouvelle collection, la forme d’un lien permettant de resserrer des manches bouffantes ou de lacer un top, mais que Cécile déroule toujours depuis la même bobine : des matières naturelles, qui respirent, et des coupes sobres, évasées. Toutes inspirées de la contrée du kangourou et du didgeridoo, ses pièces portent le nom de lieux qui l’ont marquée : le cache-cœur Uluru se réfère à la célèbre montagne sacrée du Centre Rouge, quand la veste Kalbarri ou la chemisette Purnululu évoquent des parcs nationaux de la région occidentale. Terra cotta, vert ou bleu, les couleurs qu’elle choisit rappellent aussi les teintes de la terre dans l’Outback, celles des forêts tropicales du Queensland ou celles de l’océan, sur la Grande Barrière de Corail.
La suite du voyage ? Cécile l’imagine en plusieurs étapes, à commencer par une adresse lyonnaise pour que ses créations aient pignon sur rue. Elle se voit bien continuer ensuite avec une déclinaison «Home» de son univers : “parce que j’adore la déco, que j’aime construire mes meubles et que je ne vois pas pourquoi il faudrait se limiter au prêt-à-porter ! Mais je veux prendre mon temps, ne pas me laisser déborder”. En cela, elle n’a peut-être pas rapporté que des habits et des souvenirs de la patrie de Hugh Jackman et Nicole Kidman… Quelle que soit sa destination finale, elle a désormais fait de la décontraction et de la nonchalance australiennes, son art de vivre.

+ d’infos : http://ateliersoliac.com

Photos : Lancelot TINTIGNIES

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