STEPHANE DIAGANA

STEPHANE DIAGANA

HAIE D’HONNEURS

Que faites-vous en 47 secondes 37 ? Allez, on vous aide, c’est juste le temps que vous mettrez à lire la première réponse de cette interview, juste la première. Pendant ce temps, Stéphane Diagana, lui, fait un tour entier de stade, soit 400 mètres -on a vérifié-, en tenue saillante et pour corser le tout, parce que ça serait trop simple sinon, il y ajoute une dizaine de haies à sauter en passant. Et personne en Europe ne fera mieux pendant 25 ans ! Alors ? On ne fait plus les malins ?

Un palmarès à vous donner des suées sur votre canapé, de champion de France à champion du monde, Stéphane court depuis toujours, court encore et toujours, et ce n’est pas une série de haies qui va l’arrêter. Et même si son ombre -sur les rotules- a rendu son maillot, si l’athlète a rangé ses médailles dans une boîte à chaussures -grosse, la boîte-, l’homme n’a pas fini de survoler les obstacles pour porter haut et loin ses ambitions pour l’athlétisme. Plus encore, il mouille désormais un polo -plus passe-partout- pour faire du sport une cause nationale, voire un enjeu de santé publique. Hier infatigable sur les circuits, vous ne le rattraperez toujours pas sur les routes de France et de Navarre. On a essayé, on a fini en réa !

A vos marques, prêts ? Lisez !

400M Haies Homme – Championnat du monde, le 27 août 2003, au Stade de France. Digital image © Gérard Vandystadt/Vandystadt

Activmag : Une mère instit’ et un père militaire, ça devait filer droit à la maison…
Stéphane Diagana :
Ah ah ah ! Belle entrée en matière !! Alors, oui militaire, mais je ne le percevais pas vraiment comme ça. Pour moi, c’était un marin, qui aimait la mer. Mais oui, il était engagé dans la Marine Nationale, basé à Dakar, puis à Toulon où il a rencontré ma mère, institutrice. Alors est-ce que ça filait droit à la maison ? Je dirais oui, mais pas de manière autoritaire. Ils avaient donné des principes de vie et de comportements personnels très claires. Un cadre de valeurs définies et bienveillantes qui, si on les respectait correctement, pouvaient laisser pas mal de libertés dans nos choix, nos orientations, sans qu’ils ne s’immiscent dedans. D’ailleurs, on n’a pas eu d’éducation religieuse pour ça. Il a fallu qu’on se construise notre propre spiritualité. Beaucoup de liberté donc, mais aussi de responsabilités, d’autonomie et de confiance, autour de ce cadre.

Ce n’était donc pas pour fuir l’autorité parentale que tu as appris à courir si vite...
Eh non… (rires)

Quel gamin étais-tu ?
Très actif ! La chambre, c’est sympa, mais dehors, c’est mieux ! J’étais le plus jeune d’une fratrie de 3 garçons, je ne la ramenais pas trop du coup. Pas timide, mais réservé. Je n’allais pas spontanément vers les autres. J’appréciais être en retrait, observer, écouter, je ne cherchais pas le devant de scène.

400M Haies – Médaille d’Or au Championnat d’Europe 2002 – Munich (GER) – Photo : SAMPICS/DPPI

Quel métier pensais-tu exercer alors ?
Dans la recherche… Je me souviens d’un jeu de chimie, des expériences, m’être passionné pour les phénomènes naturels, les liens de cause à effet, puis la science… Je me voyais bien chercheur, en quoi, j’en sais rien… Pour assouvir ma curiosité.

Pourquoi l’athlétisme, du coup ? Tu t’étais frotté à d’autres disciplines avant ?
Très originalement, j’ai démarré par le foot. Mon père étant entraîneur dans un petit club, j’ai donc commencé par là. Mais déjà je savais que je voulais faire de l’athlé. Sauf qu’il n’y avait pas de club dans le coin. Donc le foot était un prétexte pour courir avant tout ! Et puis j’aimais courir sous toutes ses formes, que ce soit longtemps ou vite, du sprint ou du cross, en sautant des haies ou pas… Après 3 ans de foot, ma mère a été mutée et on a déménagé dans une ville avec un club d’athlétisme. Et c’est là que tout a commencé. Mais jusqu’à 19 ans, je n’avais jamais imaginé en faire mon métier. Je courais juste pour le plaisir, mais quel plaisir !

Jusqu’à ces exploits qu’on te connaît. Tu as continué tes études en parallèle, comment as-tu pu cumuler les 2 ?
Euh… en acceptant de terminer mon cursus à 35 ans !! J’ai pris mon temps, fais des pauses quand il le fallait, repris le fil de mes études dès que je le pouvais. Sereinement. Sans impasse. Je gagnais bien ma vie avec mes résultats sportifs, mais pour autant, grâce à mes études, je ne jouais pas ma vie à chaque course… Ainsi, tu laisses dominer le jeu sur l’enjeu.

Sur les circuits, tu étais plutôt à la recherche de l’exploit ou du geste juste ?
J’ai toujours été plus intéressé par la recherche de l’excellence, que par la quête du résultat… Se fixer des objectifs, c’est surtout un moyen pour apprendre sur soi, explorer, pour bien s’entourer. Au-delà du geste, dans la vie en générale, c’est l’attitude juste qu’il faut trouver, avec un résultat à la clé attendu, certes.

Et aujourd’hui, ta quête ?
Ce qui m’intéresse aujourd’hui, c’est plus le bonheur qu’un statut quelconque. J’ai, à un moment, été approché pour être Ministre des Sports. J’ai refusé et ça pouvait étonner autour de moi, mais je ne voyais pas comment ça allait contribuer à mon bonheur. Le poste, tel que je le voyais exercé, le budget ridicule alloué, qui témoigne aussi de la place qu’on donne au sport en France, c’est finalement plus de la représentation qu’autre chose. C’est en tout cas la vision, certes un peu réductrice, que j’en avais à ce moment-là. Mais ne pas voir mes enfants encore petits grandir pendant 5 ans pour aller inaugurer des gymnases et couper des rubans un peu partout en France, c’était trop cher payé !

Donc la politique, très peu pour toi ?
Disons que je suis plus tenté par un engagement à un niveau de communauté de communes, de ville ou d’association. J’ai le sentiment que je pourrais impacter plus facilement, d’être plus utile et efficace en local qu’au niveau national. Quitte à ce que la réussite locale inspire à un autre niveau ensuite et soit modélisée. Mais partir de l’Etat, pour moi, ce n’est pas le bon échelon pour le concret et le changement palpable.

©Jean-Louis Paris

Quand tu regardes ta carrière, de quoi es-tu le plus fier ?
De mes choix. Mais plus que de la fierté, c’est de la satisfaction, comme si j’avais réussi un TP (Travail Pratique) sur moi- même. En soi, ça n’a pas de sens de passer autant de temps à courir d’un point A pour arriver à ce même point le plus vite possible, avec 10 haies au milieu !! J’ai pourtant passé des années à tourner sur les pistes. En revanche, ce que ça demande, les choix que j’ai dû faire, les valeurs que j’ai pu faire avancer grâce à mes courses, la droiture, le travail, donner le meilleur de soi, respecter l’adversaire dans la compétition, là, ça fait sens. Quand un jeune, qui pourtant n’a pas dû me voir courir, me dit que je suis pour lui une source d’inspiration, c’est ça ma fierté ! Les victoires, les titres, l’argent, la célébrité, c’est rien à côté de l’impression que tu laisses. Les médailles, elles finissent dans une boite à chaussures !

Quels sont tes regrets ou frustrations ?
Je n’en ai pas vraiment. Je me suis toujours donné le maximum de chance pour atteindre mes objectifs, alors effectivement pas toujours avec la réussite espérée au bout, comme pour les JO, parfois même par un excès d’engagement. Mais je ne peux pas dire, si je m’étais mis à bosser, si je m’étais plus investi, j’y serais arrivé. C’est difficile de bosser plus, c’est pour ça d’ailleurs que j’ai été pas mal blessé aussi. Je n’étais pas un surdoué comme Ladji Doucouré ! Mais j’ai fait avec mes moyens et j’ai plutôt bien tiré mon épingle du jeu.

Et sur ta vie d’homme ?
Je suis quelqu’un de plutôt chanceux. Même quand je me casse la gueule en vélo (en 2011, il perd connaissance dans une descente du col de Vence et heurte une voiture venant à contre- sens, NDLR), j’ai de la chance ! J’ai juste des dégâts sur la carrosserie, mais c’est pas le sujet pour moi. Je peux avancer. Et continuer à profiter de la vie et faire ce que j’aime. De toute manière, je ne suis pas du genre à m’appesantir sur ce qui ne va pas, à me plaindre, je suis un optimiste. Ma mère m’a toujours appris à regarder ceux qui avaient moins que moi, et le sport à regarder plus haut. En fait, ma mère m’a donné un pied gauche et le sport son pendant droit. Et le choix du qui à gauche et à droite n’est pas anodin…

Ah oui ?
D’un point de vue politique : être capable de penser le bonheur simplement sans avoir beaucoup, ce que savent très bien faire les gens qui ont peu -en Afrique ou ailleurs, ils sont prêts à te donner alors qu’ils n’ont rien-. C’est ce pied gauche-là qui te retient d’une fuite en avant d’un bonheur que tu ne pourras jamais satisfaire, d’une frustration permanente, et en même temps, ce qui relève presque du bipolaire, ce pied droit qui a l’énergie pour s’affranchir des limites, pour voir plus haut, pour avancer et réussir, -et ce n’est pas un gros mot !-. Souvent en France, dès que tu prononces le mot «ambitieux», on le connote négativement, comme si tu avais forcément le melon ! Alors oui, le sport m’a appris à être ambitieux, mais sans écraser les autres -entre rivalité et respect-, juste pour ce que ça t’apporte en termes de développement personnel. Donc, avec ces 2 pieds, ces 2 piliers, je ne suis pas dans l’eau tiède, mais dans mon équilibre. Pour autant, mon ambition n’est pas dans l’accumulation de richesse, j’en ai bien assez pour ce que je veux faire. Je ne suis pas persuadé que plus d’argent à travers une carrière dans le foot plutôt que dans l’athlé par exemple, m’aurait donné plus de satisfaction… Plus d’emmerdes, c’est certain !

Tu as conservé 25 ans le record d’Europe du 400 mètres haies, ça paraît dingue…
Et oui jusqu’en 2019, un quart de siècle… je ne vois qu’une explication : c’est que les jeunes ne foutaient rien pendant tout ce temps !! (il explose de rire) Ils jouaient trop aux jeux vidéo pour s’entraîner…

©L.Beylot

Les obstacles à surmonter, t’en as fait une spécialité (avec ces haies), quel a été ton plus gros défi ?
Celui de l’engagement dans la durée. Le plus dur, ce n’est pas d’être champion du monde, c’est tout ce qui est mis en place avant pour le devenir. Ça prend du temps, réclame des sacrifices et il faut tenir. Pareil pour mon projet de campus sport-santé que je voudrais voir sortir de terre. Beaucoup d’obstacles et de difficultés se sont dressés sur le chemin depuis 13 ans que je le porte, avec Odile, ma femme. Mais je ne lâche rien, ne serait-ce que pour re-goûter à ces sensations d’engagement, d’obstination qui me stimulaient athlète, et pour une finalité un peu plus conséquente que de courir vite autour d’une piste.

C’est quoi ce campus sport-santé au juste ?
C’est un lieu de thérapie et de prévention par le sport. C’est mettre en place, sur un même site avec piscine olympique et piste d’athlétisme, des pratiques variées, de qualité et évaluées pour permettre à des gens d’être en meilleure santé, de lutter notamment contre des maladies chroniques grâce au sport. Les gens ont une espèce de fatalité sur le temps qui impactera forcément leur état de santé. Alors que les effets du sport sont reconnus, notamment sur les pathologies coronariennes. Je veux être là pour voir ces personnes reprendre en main leur santé, progresser, alors qu’elles pensaient ne jamais pouvoir renverser la tendance. C’est plus ce qu’on fait de l’année, que l’année qui passe qui nous fait vieillir. Le vieillissement est inéluctable, mais la vitesse du processus, non. On a la main dessus. Et c’est assez sympa de voir les personnes de 60 ans qu’on a déjà accompagnées retrouver leurs 50 ans ! C’est mon plus grand défi, voir avancer le sport-santé sur ordonnance, dans des campus, comme celui qui devrait voir le jour à Mougins, dans les Alpes Maritimes, partout sur le territoire. Des centres qui accueilleront aussi bien des patients que des tri-athlètes venus s’entraîner pour l’Ironman.

Joli défi !
Mais il y en a tellement d’autres, comme celui de la place du sport à l’école. Quand des gamins en sport études croulent sous les devoirs qu’ils vont devoir faire à 20h30, en rentrant de l’entraînement, et qu’on leur dit que s’ils ne suivent pas le rythme, il faudra choisir entre le sport et le cursus traditionnel, que l’éducation nationale ne va pas s’adapter à eux ! Alors que l’OMS préconise au moins 1 heure d’activités physiques par jour chez les enfants, on nous les colle de 8 à 17 heures sur une chaise et en plus, on vient t’emmerder le soir en les empêchant de bouger, avec ces devoirs ! Moi je dis qu’il faudrait faire un procès à l’Education Nationale si un jour un gosse développe un diabète de type 2 à 15 ans ! Ça sert à quoi qu’ils acquièrent autant de compétences durant leur scolarité, si c’est pour qu’à 40 ans, ils fassent leur premier infarctus, parce qu’ils n’auront pas suffisamment bouger pour être en bonne santé ? S’ils n’ont pas les moyens de mettre plus de sport au collège ou au lycée, pas de souci, mais qu’ils n’empêchent pas de le pratiquer en dehors avec une fin des cours à 16 heures pour tout le monde, et plus des trous de 3 heures dans la journée avec des emplois du temps décousus… Les gamins ne doivent pas être la variable d’ajustement dans l’élaboration des emplois du temps, pour satisfaire les desideratas des profs ! Comme une entreprise a le souci du service client, de son bien-être, l’école devrait l’avoir. Et ses clients, ce sont les élèves ! Pas les profs… La qualité de vie à l’école, faudrait enfin en parler.

Et en tant que père, quel message tu fais passer à tes enfants ?
Je ne suis pas orienté résultats. Je ne demande pas à mes enfants qu’ils soient majors de promo. En revanche, j’ai 2 injonctions. La première, c’est qu’ils prennent le temps de chercher ce qu’ils ont au fond d’eux, de détecter leurs envies profondes, et ce n’est pas simple, mais quand vous avez trouvé votre passion, quelque chose qui vous anime, la vie est nettement plus facile. Et après, je leur dis : choisissez une chose dans laquelle vous vous engagez fortement, non pas pour vous mesurer aux autres, mais pour aller chercher votre plus haut niveau à vous, c’est ce qui vous fera grandir. La passion et le sens du travail, mais pour toi, par pour l’autre, pour ce que la recherche de l’excellence apporte à ton développement personnel. Je me fous qu’ils fassent Sciences-Po ou une grande école d’ingénieur, ce qui m’intéresse, c’est leur bonheur. Et pour cela, il faut développer des compétences, donc des degrés de liberté dans le domaine qu’ils adorent.

Et face à l’échec ?
Quand il y a un problème, je dis toujours : vu de mars et dans 10 ans, ce truc sur lequel tu focalises, il ne ressemblera à rien ! C’est le système de défense que j’ai développé quand j’étais athlète pour ne pas te mettre la tête sous l’eau et te noyer. T’as essayé, t’as échoué. Et alors ? Ça ne doit pas basculer sur une remise en question personnelle. Et c’est là où l’éducation joue un rôle primordial : si la base est saine, l’échec sera factuel et non une remise en cause de tout ce que tu es. Rappelez-vous la phrase de Nelson Mandela : «je ne perds jamais, soit je gagne, soit j’apprends».

Ton meilleur souvenir de carrière ?
Peut-être mon premier titre de champion du monde. C’est une validation de tous tes choix, du travail fourni, de tes convictions, une réponse à tes questions : peut-on y arriver sans «se charger» ? Oui, la preuve. A-t-on besoin de haïr son adversaire pour le battre ? Non, ce n’est pas nécessaire… Le fait de gagner, et devant des mecs qui pouvaient être chargés, ça donne confiance en ses choix de méthode, d’entraîneur, d’éthique.

Et le pire souvenir ?
A titre sportif : quand j’ai dû renoncer aux JO d’Atlanta en 96, alors que j’étais à mon meilleur niveau. Une fracture de fatigue au pied. Terminé ! Je me suis retrouvé dans les tribunes à commenter les Jeux pour RTL. Ça a été vraiment dur à encaisser… Comme une envie de revanche, un an plus tard, je devenais champion du monde. Et à titre perso : lorsque j’ai vu ma tronche quand on a enlevé mes bandages après mon accident de vélo. Là, j’ai pris peur ! (rires)

Toutes tes médailles, titres et records, ça aide pour draguer ?
Ah ah ah ! Si je l’avais perçu comme ça, oui, ça aurait pu être un petit soutien motivationnel ! Mais j’étais déjà très motivé !! Et je n’ai pas pris conscience alors de l’atout que j’avais en poche… Mince… J’aurais peut-être dû maintenant que tu m’en parles !!!

Bon, avoue, tu as aussi des défauts ?
Ah ah ah, c’était le sujet du matin au p’tit dej ! Pour les enfants, je veux toujours avoir raison, cette confiance en moi, en mes connaissances, aurait tendance à écraser un peu leur opinion. Je serais un peu donneur de leçons. Et puis je parle trop ! Et je m’éparpille…

Quel regard portes-tu sur l’athlétisme aujourd’hui ? On n’en voit quasiment plus à l’écran…
Et les orientations qui sont prises en haut lieu ne vont pas arranger ça ! La situation est très préoccupante. Ce choix du «laisser filer» technologique, juste pour le buzz et les records, c’est un moyen facile pour faire parler, mais qui ne traite pas le fond du problème, qui est l’organisation des compétitions au niveau international. On a de très bons athlètes, mais on n’est pas capable d’imaginer un circuit qui leur permette d’avoir une notoriété, comme des pilotes de Formule 1 ou de Moto Grand Prix. L’athlétisme a pourtant beaucoup d’atouts : il est esthétique, universel et mixte, il est particulièrement visuel dans toute sa diversité, donc télégénique par nature. Beaucoup d’atouts, mais mal exploités et ça me pose problème.

Titan desert 2019

Qu’est-ce que tu préconises ?
On a tous les 4 ans des JO, tous les 2ans des championnats du monde, et entre, on ne raconte rien ! On devrait pouvoir voir, tous les 15 jours, comme la F1, de mars à octobre, de l’athlétisme à très haut niveau avec les mêmes acteurs, les mêmes coureurs, sauteurs, lanceurs, au masculin comme au féminin, afin que le public puisse les identifier. On pourrait imaginer des circuits avec les 16 meilleurs mondiaux de chaque discipline qui marquent des points au fil des semaines. A la fin de la saison, les 4 moins bons redescendent et les 4 meilleurs de la division du dessous montent. Tu fidélises un public et tu crées des stars. Cette notoriété permettrait aux athlètes de trouver plus facilement des sponsors pour en vivre et inciterait les jeunes générations à prendre le relais… Qui connaît aujourd’hui Van Nieker ? Le mec a pourtant fait 43s 03 et détient le record du monde du 400m. Un circuit changerait tout, raconterait une histoire. Encore faut-il vouloir révolutionner l’athlétisme… Et ce n’est toujours pas le cas aujourd’hui.

On sort doucement d’une longue crise sanitaire qui a tout bouleversé sur son passage, comment tu l’as vécue ?
Cette interdiction de sortir lors du premier confinement, ça m’a fait drôle, moi qui suis un hyper actif, mais on s’adapte, comme tout le monde. Ce fut un temps de réflexion, un moment agréable aussi en famille, au moins au début. Après, j’ai commencé à m’ennuyer ferme ! Mais tout ça sans angoisse particulière, on attend que ça passe, même quand il a fallu se reconfiner. J’ai avancé sur mes projets, avec peut-être plus de recul, de disponibilité, plus de temps.

Et comment vois-tu le fameux « monde d’après » ?
Je pense que certaines choses resteront. Des remises en question sur les priorités de chacun, sur le besoin de sens, des questions que tu ne te poses pas quand tu as le nez dans le guidon et qui ont débouché sur des reconversions professionnelles notamment. On a une amie qui a un cabinet de bilans de compétences, depuis le Covid, elle ne désemplit pas ! C’est peut-être pas si mal, au final…

FAN DE

Ton acteur ou actrice préféré(e) ? En fait, je ne suis pas très ciné mais la performance d’actrice que j’ai adorée récemment, c’est celle de Claire Danes, alias Carrie Mathison dans Homeland. Je sais, c’est une série qui date, mais les confinements m’ont permis de la dévorer de manière compulsive…

L’artiste dont tu adorerais avoir une création chez toi ? Enki Bilal, c’est l’un de mes frères aînés qui collectionnait ses BD et j’ai pu ainsi découvrir très jeune un coup de crayon, un univers et un usage des couleurs uniques. J’ai eu la chance de le rencontrer et sa simplicité était proportionnelle à son immense talent.

Ton chanteur ou ta chanteuse préféré(e), que tu doubles sous la douche ? Ella Fitzgerald, Bob Marley, Sting… autant le cinéma, ce n’est pas trop mon truc, mais la musique… J’aurais tant aimé savoir bien maîtriser un instrument !

Quel est l’humoriste qui te fais mourir de rire ? Ah, Djamel !!! Je vois sa bouille et ses deux billes bien rondes et le rire n’est plus très loin…

Quel est l’auteur que tu dévores ? Pas d’auteur en particulier, mais j’aime lire pour apprendre et pas forcément pour me divertir. Je lis donc plus d’essais que de romans.

Quel est le champion-ne (sportif) que tu admires ? Rafael Nadal. Son palmarès associé à une personnalité hors norme : humilité, détermination, engagement, énergie, grande classe… Un très très grand champion !

Un politique qui te fascines ? Nelson Mandela qui incarne à quel point l’attitude, la constance et la cohérence de la pensée dans la durée confèrent une force phénoménale, même quand on est privé de liberté pendant près de 30 ans. Une force d’âme inaccessible au commun des mortels.

Ton héros préféré ? Dark Vador. Je l’ai découvert en 1979 avec l’Empire Contre-Attaque. Il m’a permis de comprendre tout petit, bien avant que mon coach me le dise 10 ans plus tard, que la première personne dont il fallait se méfier, c’était soi-même…

ENKI BILAL

ENKI BILAL

RECOURS VERS LE FUTUR

Il y a plusieurs moyens de faire réfléchir sur la société : l’ironie, la dérision, la science-fiction… Dans un subtil mélange des trois, le dessinateur de BD Enki Bilal peint, avec un nuancier de couleurs reconnaissable entre mille et des personnages devenus mythiques, ses inquiétudes face à l’évolution du monde.

@HannahAssouline

Autant vous l’avouer tout de suite : à 20 ans, je me suis fait teindre les cheveux en bleu. Comme de nombreuses filles de ma génération, je rêvais d’incarner la magnétique Jill Bioskop. Mais en ressortant du salon, après trois heures de souffrance et un cocktail de produits aussi toxiques les uns que les autres, je ressemblais plus à Desireless ratée par le Schtroumpf coiffeur qu’à la Femme Piège (1986). N’a pas le charisme d’un personnage de Bilal (En)ki veut ! Des femmes élancées, déterminées, mystérieuses et sensuelles ; des hommes taillés à la serpe, aventuriers cabossés, tourmentés, mais providentiels… Les protagonistes du dessinateur né en Yougoslavie sont esquintés par des sociétés déglinguées, dans un futur proche toujours sombre, un camaïeu de grisaille électrisé par une chevelure azur ou les éclaboussures écarlates d’un coup de sang. Malmenés, mais détachés, ils posent sur le monde l’œil ironique de leur auteur. Est-ce parce qu’il a grandi dans un pays qui a volé en éclats ? Parce qu’il a dû, adolescent, adopter une nouvelle vie, une nouvelle langue, une nouvelle patrie ? Enki Bilal s’est en tous cas construit son propre monde, dans lequel il projette les travers du nôtre (dictature, obscurantisme religieux, inconsistance environnementale…), afin de mieux les dénoncer. Cette année, il a enchaîné les expos, d’Artcurial jusqu’à Landernau, sorti un livre d’entretiens avec le conférencier Adrien Rivierre, et met actuellement les dernières touches au troisième tome de la série Bug, initiée en 2017. Une saga dans laquelle l’ensemble des sources numériques disparaît, laissant la planète dans une panique totale…

Kameron Obb, Bug T.2

Activmag : Le 3e tome de Bug est prévu pour mars 2022, est-ce qu’il va clore la série ?
Enki Bilal :
Non, elle ne pourrait pas se terminer en trois volumes, j’ai prévu d’en faire cinq. Il faut quand même développer les personnages, donner des explications sur le bug. On vit dans un monde où le numérique nous rend totalement addict, donc il est toujours intéressant de se demander ce que ça pourrait devenir si ce bug venait à faire tout disparaître, qu’on se retrouve totalement à poil, privé de mémoire, de tout un tas de choses qu’on est en train de laisser sur le bas-côté. Le fait d’être confronté à des sujets comme ça nécessite ce développement sur la durée, avec l’actualité, l’évolution du monde qui nourrit la narration. Mais même si je connais la fin de Bug, je ne sais pas du tout ce qui va se passer dans les deux derniers volets.

A part une certaine ressemblance physique et un K dans leur patronyme, qu’est-ce qu’il y a de vous dans Kameron Obb (Bug), Alcide Nikopol (la Trilogie Nikopol), Nike Hatzfeld (la Tétralogie du Monstre) ?
Une ressemblance, oui et non. Par exemple, Nikopol, c’était clairement un clin d’œil à Bruno Ganz, l’acteur allemand. Il avait un côté très discret, on ne savait rien de lui, mais dès qu’il apparaissait dans un film ou même au théâtre, j’étais saisi. Je pense qu’il y a beaucoup de choses de moi, mes opinions notamment, dans le personnage de Nike Hatzfeld, peut-être aussi dans des personnages féminins. Ça peut être assez masqué, mais sur la société, mes personnages sont un peu mes porte-paroles.

Froid Equateur – Nikopol T3

Chez l’un, c’est un dieu égyptien qui prend possession de son corps, chez le 2e, c’est une forme de vie extra-terrestre, chez le 3e, c’est un bug… Et vous, quelle sorte de démon vous habite ?
Peut-être un sentiment de liberté que j’essaie de préserver. Ne pas céder à une certaine facilité, aux modes, ça fait partie de ma personnalité. Mon investissement artistique prend énormément de place dans ma disponibilité, y compris face aux autres. Mais tout ça, au profit j’espère, d’être indépendant, de ne pas être contraint par d’autres. J’essaie d’éviter la pesanteur du système dans ma démarche. On va donc dire que je suis habité par un sentiment de liberté, c’est pas un démon…

Nous avons été nombreuses à vouloir ressembler à Jill Bioskop, quelle place tient-elle dans votre galerie de personnages ?
Lorsque j’ai fait «la Foire aux Immortels», j’avais décidé de ne pas faire de personnage féminin parce que je voulais montrer une société dont les femmes étaient exclues. Elles n’apparaissent qu’à la fin et sont dévolues à des rôles de reproductrices. Je pensais n’en faire qu’un one-shot et puis, je me suis rendu compte que je m’étais vraiment attaché à Nikopol, je le trouvais riche, intéressant, décalé, avec sa jambe en rail de métro, avec tout ce qui lui était arrivé, ce dieu égyptien… J’avais trouvé quelque chose qu’il fallait pousser plus loin, qui me donnait un espace de liberté. Il fallait un personnage féminin pour rééquilibrer, redonner un élan, et ça, c’était un vrai challenge, lui donner le premier rôle. J’ai découvert ensuite, dans les séances de dédicaces, l’apparition d’un public féminin. C’est peut-être parce que Jill n’était pas un stéréotype, qu’elles y voyaient à la fois quelqu’un de fort, d’étrange, d’inquiétant, de séduisant, qu’elle a touché les femmes. Il y avait aussi la sensualité, et tout un tas de choses qui n’apparaissaient pas dans la BD de cette époque, où les filles étaient plutôt des bimbos. Donc j’ai créé quelque chose, j’en étais conscient sans l’être, c’est le retour des lecteurs et des lectrices qui m’est revenu en boomerang.

Quand on pense Jill, on pense bleu… Vos toutes premières planches étaient en noir et blanc, vous vous êtes mis à la couleur à la fin des années 70. Mais quand avez-vous trouvé votre palette, votre nuancier ?
Le dessin noir et blanc, quand c’est fait par Hergé, Joost Swarte, Yves Chaland ou Ted Benoit, qui ont le sens de la ligne claire, l’élégance, je trouve ça magnifique. Mais je n’aimais pas en faire, ce n’étais pas mon style, j’aimais bien rajouter de la hachure, donner du volume, du corps, de la chair, de la texture, et c’est quelque chose que j’ai réussi à rendre surtout par la couleur. La peinture, la gouache d’abord, puis petit à petit l’acrylique, les pastels… L’évolution s’est faite, avec la technique, à partir des petites histoires courtes de Pilote, et surtout de «la Foire aux Immortels», «Partie de Chasse», mais la palette commence vraiment à se mettre en place avec «la Femme Piège», très importante, et définitivement avec «le Sommeil du Monstre». Il y a aussi un changement de procédé : en 1995-96, j’arrête de faire des planches constituées de 5 ou 6 cases, le traitement de la case est fait à part, individuellement, dans un format plus grand, donc c’est plus de la peinture que du dessin, c’est la main, le corps qui travaille plus que le poignet, ça change aussi mon graphisme. C’est une méthode qui m’a permis de continuer la BD, sinon, j’aurais arrêté. Je commençais à trouver répétitif le geste d’aligner des cases ; les onomatopées, je les avais supprimées depuis longtemps ; contourner les phylactères (les bulles) en peignant, je trouvais ça insupportable… Là, je dessine, je peins, je monte sur mon ordinateur comme on monte un film, et je rajoute les textes après.

«Le Sommeil du Monstre» est peut-être aussi votre album le plus personnel. Vous le situez en ex-Yougoslavie, votre pays d’origine. Vous saviez que vous alliez revenir aux sources un jour, un peu comme votre héros remonte le temps jusqu’aux premières journées de sa vie ?
Je n’avais jamais pensé faire de l’auto-fiction, raconter ma vie, ce n’est pas mon truc. Ce sont les circonstances, le fait historique, l’actualité terrible de cet éclatement de la Yougoslavie… Les années 90 sont marquées par cette guerre en plein cœur de l’Europe à 2 heures de vol de Paris. J’étais extrêmement malheureux, parce que ce sont mes origines et que j’avais encore un peu de famille à Sarajevo. Ce lien est ressorti tout à coup de manière très puissante, j’étais obligé de faire le nécessaire pour réagir. Le Nouvel Obs m’a proposé d’aller sur les lieux, j’ai hésité et finalement renoncé en me disant qu’il fallait que je règle ce problème moi-même, que j’en fasse une fiction en décalé. Pour moi, ce compte à rebours mémoriel du personnage, c’est une implication totale dans ce qu’a été cette guerre, avec une ouverture sur le monde de demain et sur le laboratoire que je considérais être ce pays, livré aux démons avec cynisme par l’Europe et les Etats-Unis. J’ai imaginé que ça pouvait annoncer quelque chose de plus grave, plus grand sur le plan international et mondial, notamment l’obscurantisme religieux, et je ne me suis pas trompé. Ce qui est arrivé le 11 septembre 2001 m’a scotché, m’a sidéré, comme beaucoup de gens, mais c’est exactement ce que j’avais prévu.

Dans vos livres, le futur est toujours plutôt inquiétant…
Là, il commence à m’inquiéter sérieusement, oui ! Je pars du principe qu’on est le vivant le plus évolué sur cette planète, donc on est un peu responsable de ce qui se passe. Et on a quand même passé le XXe siècle entre deux guerres absolument atroces, plein d’autres conflits, et l’épée de Damoclès qu’était la guerre atomique. Là, on est dans un autre cas de figure, on est confronté à une prise de conscience, à une réalité qu’on traine depuis des décennies, qui est le réchauffement climatique, la fragilisation du vivant, de la planète. Ce qui n’empêche pas que je traite les choses inquiétantes avec de l’humour, il y a toujours de la dérision, même dans «Le sommeil du Monstre», le livre le plus dur que j’ai jamais fait, sinon ce serait impossible, et je pense que ça fait partie de l’esprit humain de rire du drame… Mais l’inquiétude est là. Même si je ne me sens pas lanceur d’alerte, il y a la volonté d’attirer l’attention sur certaines choses qui me paraissent essentielles et qu’on ne voit pas forcément. Je crois beaucoup au regard des artistes qui voient ce que les autres ne voient pas.

Vous avez commencé à dessiner en reproduisant un cheval que votre mère avait esquissé, vous dites y avoir trouvé un refuge, c’est toujours le cas ?
Pas vraiment non. Le refuge, c’était pendant une période difficile de la pré-adolescence, de l’arrivée à Paris, d’une situation économique délicate. Maintenant, c’est un moyen de m’exprimer… qui est fragile. J’ai failli arrêter après «Froid Equateur». Il y avait cette guerre en Yougoslavie, et je me suis dit : «qu’est-ce que je vais faire ?» L’idée de reprendre ma règle pour tracer des cases, ce n’était pas possible. C’est là que l’écriture est devenue très importante : dans «Le sommeil du Monstre», il y a beaucoup de texte, ça a désorienté pas mal de lecteurs. Je quittais la zone traditionnelle liée la nostalgie de l’enfance, à la BD, pour quelque chose de vraiment assumé et même violent. C’est un afflux de sang neuf qui m’a submergé à ce moment-là, avec un sujet qui me tenait à cœur. Après, j’ai continué sur cette lancée, mais le dessin n’est pas un refuge, c’est un moyen d’exprimer mes émotions, mes inquiétudes et de les traiter.

Bug T.2

Dans « Bug », vous imaginez un virus qui s’attaque aux réseaux sociaux, aux données. On vit aujourd’hui avec un virus qui a mis le monde sur pause pendant plusieurs mois… C’est quasiment un scénario que vous auriez pu écrire…
J’avais pensé à traiter un sujet de pandémie mondiale, mais j’ai refusé de le faire, parce que c’est un sujet tragique, qui laisse peu de place à l’imaginaire, à la dérision. Je préfère des sujets plus ouverts permettant l’intrusion de l’humour. Le bug numérique le permet. On est dans une addiction, on est responsable, on a créé nous-mêmes ce truc extraordinaire qu’est le numérique. J’aime bien qu’on soit confronté à nos propres conneries.

Est-ce que vous restez tout de même un peu optimiste par rapport à ce qui nous attend, au monde de demain ?
Est-ce que je suis optimiste sur la maitrise de l’outil numérique et des progrès qu’on va faire ? Oui, je pense qu’on va améliorer beaucoup de choses. Après, il y a quand même le réchauffement climatique, ça va avoir énormément de conséquences, sur le plan de la population mondiale : on est en surpopulation et on n’arrive pas du tout à réguler, on n’y arrivera pas. Ça c’est le côté sombre du tableau, c’est pas la COP Glasgow, c’est le «Flop Glasgow», comme l’a titré Libé très justement… On ne peut pas être totalement optimiste quand on sait qu’on a ça au-dessus de la tête. Mais je me dis que, précisément parce que tout le monde va devenir conscient du danger, on peut être un peu plus unis, parce que c’est ça qu’il faut, que l’humanité s’unisse davantage. C’est pas un vœu pieu, c’est un désir : on ne peut pas continuer à s’entre-déchirer alors que le danger qui est au-dessus de nous peut nous balayer tous d’un coup ! Alors soyons raisonnables, unissons-nous pour essayer de sauver notre monde.

+ d’infos : L’Homme est un Accident, avec Adrien Rivière – Editions Belin – Mai 2021. Bug – Tome 1 & 2 – Editions Castermann

Image haut de page : Nikopol T2 – Femme piège

FAN DE

Quel est le dernier film qui vous a fait vibrer ? Tennet, film complexe, mais justement, sa complexité m’a ébranlé, m’intrigue, donc je vais le revoir très vite.

L’acteur/actrice qui vous touche ? Clint Eastwood, parce qu’il ressort un film en tant qu’acteur et réalisateur. Il a plus de 90 ans, je n’ai pas vu son film, mais je trouve ce personnage fascinant avec ses cheveux blancs de vieillard, littéralement, ce visage ravagé, mais toujours beau, je me dis : “mais quel acteur a pu traverser ce temps avec autant d’élégance ?

Le morceau que vous chantez sous la douche ? Le Poinçonneur des Lilas. Gainsbourg, c’est bien le matin.

Quel est l’artiste dont vous adoreriez avoir une création chez vous ? Un peintre, et un homme aussi, que j’aime énormément et qui a malheureusement disparu il y a deux ans : Vladimir Veličković. On est tous les deux natifs de Belgrade. Chose incroyable, on a découvert ça très tard, mais quand il retournait vivre à Belgrade, il vivait dans l’appartement où je suis né… C’est absolument incroyable.

Le personnage historique que vous admirez ? L’homme-singe de 2001 l’Odyssée de l’Espace, qui en lançant l’os dans le ciel, en se disant qu’il a découvert enfin une arme pour abattre son ennemi. Il a ouvert la voie à tout, au bien comme au mal.

Le ou la politique avec qui vous aimeriez débattre ? Récemment, j’ai vu beaucoup de débats sur les chaines d’infos en continu et j’ai été absolument consterné par l’absence de nuances, par l’espèce de pavlovisme idéologique quel que soit le côté… Donc j’aimerais débattre avec quelqu’un qui sait encore ce que c’est que la nuance, mais je ne sais pas si ça existe sur le terrain politique.

Le (super)-héros dont vous auriez aimé avoir les pouvoirs ? Celui de voler tout simplement, ça, ça m’aurait plu… Alors je fais un best-of, un mélange, un melting-pot de super-héros et je vole !

I A M

I A M

VAGUES À L'(I)AM

Verbe affûté et phrasé marseillais, voilà 30 ans et 10 albums que le groupe IAM fait vibrer la scène musicale française, qu’il y balance, à grands coups de rythmes percutants et de samples référencés, son «arme de création massive» : le rap. Et nous ? Nous, on danse !

Un «tu es fada» donnée avec l’accent de la Canebière et une guitare à la syncope funky… C’est parti : «au début des années 80, je me souviens des soirées, où l’ambiance était chaude et les mecs rentraient… ». 1994, à l’époque du premier Sidaction, du lancement d’Eurostar et de LCI, entre Tostaky, Youssou N’Dour et Neneh Cherry, IAM entre dans nos boîtes de nuit et dans nos vies. Jusqu’ici, le rap était réservé à des oreilles averties, mais avec ce tube et le clip mythique réalisé par Michel Gondry, les Marseillais touchent le grand public. Ils resteront huit semaines en tête des meilleures ventes de singles. Evidemment, IAM avait une vie avant le «MIA», mais armé de ce succès, ils continuent sur leur lancée : quatre ans plus tard, «L’école du Micro d’argent» est sacré Album de l’Année aux Victoires de la Musique.
Quinquas posés, mais pas assagis, s’ils se délectent aujourd’hui «des arbres qui dansent dans le vent», ces «crapauds du quartier devenus princes de la ville» continuent à l’ouvrir contre la société de consommation, les chaînes tout-info, les réseaux sociaux… En mode colo, cette «bonne famille imparfaite» a resserré les rangs pendant les confinements. Ils en ont sorti quatre «Vagues» d’EP –un EP contient plus de titres qu’un single, mais moins qu’un album–, qu’ils égrènent depuis juin 2021.
Rencontre, juste avant qu’ils ne montent sur la scène de l’Arcadium à Annecy, en octobre dernier, avec les chanteurs Akhenaton (Philippe Fragione ou Chill) et Shurik’n (Geoffroy Mussard), et le DJ Kheops (Eric Mazel).

Shurik’n, Kephren, Akhenaton
Kheops, Imhotep

Activmag : Ces Première, Deuxième, Troisième et Quatrième Vague, ce sont des lames de fond, elles viennent du large ?
Akhenaton : C’est une vague de culture essentielle, de rimes essentielles. Dans une période où on parle à chaque fois de vague négative, vague de froid, vague de pluie, vague de coronavirus, à un moment donné où on était enfermés, par la force des choses, au studio, parce que nos tournées ont été annulées une fois, deux fois, trois, fois, on a voulu faire des vagues musicales…
Kheops : …des vagues de bonheur.
Shurik’n : C’était surtout comment rester créatifs, parce que non seulement on avait arrêté la tournée, mais on était confinés à la maison, donc on tournait en rond. Le plus dangereux, c’était, au bout d’un an et demi, d’avoir une créativité qui s’en retrouve considérablement émoussée.
Kheops : On ne pouvait plus faire de scène, on ne pouvait pas tourner de clips, on s’est dit la seule chose qui est possible, c’est enregistrer des morceaux. Utiliser notre temps mort pour faire quelque chose de bien.
Akhenaton : Et ça a été presque égoïste au départ, pour se faire du bien à nous. Le premier bonheur, c’était de garder le lien, de se retrouver. D’arriver le matin, faire le café, faire tourner la musique, rigoler… On ne s’est pas forcément projetés dans un avenir planifié, alors qu’on a l’habitude de tout planifier…
Shurik’n : Là, c’était plutôt voyage dans l’incertain.

Dans Troisième Vague, le titre «Au final» est une sorte de chanson-bilan qui permet d’aborder pas mal d’aspects de votre carrière. Dans les premières lignes, vous dites : «la scène devient mon tatami», et votre tournée s’appelle le Warrior Tour. Le spectacle pour vous, c’est un combat ?
Shurik’n : Pour moi oui, indéniablement. Chaque scène qu’on a affrontée, c’était un combat à bien des égards, parce qu’à la base, Chill comme moi, on n’est pas taillés pour être en front line, c’est pas trop dans nos caractères. On aime plutôt être tranquilles dans notre coin, plutôt discrets. C’est vrai que ça contraste avec tout ce qu’on fait depuis 30 ans, donc à chaque fois, ça a demandé un travail là-dessus. Et puis à partir du moment où il y a des gens à conquérir, pour nous, c’est un combat. Comme n’importe quel corps d’armée, après des années de préparation, on va enfin livrer bataille et conquérir, dans un esprit musical, artistique, mais le parallèle est facilement réalisable.

Si c’est un combat, est-ce qu’il faut de la colère, de la rage pour faire du bon rap ?
Shurik’n
: On peut avoir des choses à dire, à revendiquer, sans que ce soit dans la colère ou la rage.
Akhenaton : Moi j’ai de la colère, à cause de choses qui me sont arrivées dans la vie, mais je ne la traduis pas sur scène. Par contre, je peux avoir des textes offensifs «Des mots Crasseux», par exemple, c’est pas un morceau sympa, et puis dans un EP qui vient, il y a un autre qui s’appelle «Pouvoir au peuple» et c’est encore un cran au-dessus. Je pense que la colère, elle doit être canalisée quand on est artiste, on doit la structurer avec des rimes, une forme de poésie, elle ne doit pas être gratuite. Tiens, par exemple, ma colère de cette semaine : certains préfets nous obligent à rembourser un spectateur sur quatre, pour la jauge à 75%. L’équilibre des tournées, il est à 80%, donc on est en-dessous, c’est pas grave… Mais quand je vois, après, Darmanin qui dit : pour les meetings politiques, pas de pass sanitaire et pas de jauge, dans les mêmes salles où on joue, j’ai l’impression qu’on me prend pour un con. Bref, quand la rage est contenue, elle va dans la création.

Vous venez de citer «Des mots crasseux», dans ce texte vous dites : «l’époque est brutale, alors je fais de la chanson violente». Est-ce qu’elle est plus brutale qu’il y a 30 ans quand vous avez commencé ?
Akhenaton : Non, chaque époque a sa brutalité. Par contre, aujourd’hui, la brutalité est dans le quotidien. Avant les gens avaient une cause, ils se rassemblaient et ils luttaient, lutte des classes, des partis politiques, contre la guerre du Vietnam… Maintenant, la violence de l’individu à l’individu, elle s’exerce quand tu vas faire tes courses, que les gens te passent devant, qu’ils ne te disent même pas merci, ils sont surexcités… L’autre jour, j’ai séparé une bagarre entre deux vieux de 80 ans ! J’avais jamais vu ça de ma vie, ils se battaient à coups de poings devant la pompe à essence… Là, il est temps que ça s’arrête ! Donc oui, l’époque est brutale, mais ce qu’on voulait exprimer aussi c’est : on dit toujours le rap est violent et engendre certaines choses dans la société. Non. Le rap n’est toujours que le reflet de la société au sein de laquelle il évolue.

Pour revenir à «Au final», vous dites : «Bien plus que les annales, ce sont les cœurs qu’on a marqués». Vous avez marqué les annales aussi, non ?
Shurik’n : Oui, mais pour nous, c’est bien plus important les cœurs. Je ne nie pas, ce n’est pas de la fausse modestie, mais ce qui nous importe plus, c’est le côté humain des choses, j’aime bien me dire qu’on a gravé les cœurs avant tout.

Mais quand on marque les cœurs, on finit aussi par marquer les annales, et puis vous avez acquis un statut maintenant dans le monde du rap…
Shurik’n (grimace) : J’aime pas ce mot.
Akhenaton : Mais c’est vrai que les annales, ça marche aussi : je vais acheter des fruits et légumes, il y a 2-3 jours à Marseille, et je discute avec le gamin qui s’en occupe, qui a 22-23 ans, et qui me dit : “j’adore IAM !”, je lui dis : “mais tu as l’âge de mes enfants, comment tu connais ?” Il me répond : “j’écoutais l’Entourage et 1.9.9.5, Nekfeu, Alpha Wann et tout ça, et ils faisaient sans cesse des références à IAM, donc je suis allé dans les annales, me documenter, j’ai écouté et je me suis pris une claque : ça ressemble à la musique des jeunes que j’écoute, mais faite 20 ans plus tôt !” Du coup, il connaît tous les EP, il y est venu grâce à un outil à double tranchant : Internet.

Toujours dans «Au final», vous dites : «On a eu des très hauts et on a eu des très bas», les très bas, c’était quoi ?
Shurik’n : On a cette faculté à se focaliser et à ne retenir que le bon, mais les très bas, on en a eu, quand on a commencé.
Akhenaton : C’était aussi des périodes où on ne savait pas si on allait pouvoir continuer à enregistrer des albums. On va dire les années 2000, particulièrement compliquées.
Kheops : Quand la partie financière, dans les maisons de disques, a pris le dessus sur l’artistique.
Akhenaton : Le financier, avant, il ne disait strictement rien : le directeur artistique lui disait “on va faire ce clip-là, le budget c’est ça”, et il signait le chèque. Dans les années 2000, les directeurs financiers sortaient des écoles de commerce, de finances ou de comptabilité et ils disaient : “non, ça, ça ne se fait pas, c’est trop cher”.
Shurik’n : Parce que la musique pour eux était assimilée à des boîtes de conserve, ils la vendaient comme ils vendaient des lots au supermarché, quoi.

Et les très hauts alors ?
Akhenaton :
Le concert au pied des pyramides (Gizeh, 2008).
Shurik’n : Central Park avec Rakim (ndlr : légendaire rappeur new-yorkais des années 80-90).
Akhenaton : Central Park pour plusieurs raisons, on a invité Rakim, c’était comme boucler une boucle. Je l’avais rencontré, on était gamin, c’était en 1986, je n’avais même pas osé lui demander de me signer un disque. C’est une copine qui l’avait fait et 27 ans plus tard, je lui ai fait signer le même disque. Ce concert à Central Park, il était chargé pour nous tous, aller à New York, après y avoir bien galéré dans les années 80…
Kheops : A l’époque, on traînait à Brooklyn, on n’avait pas de sous, on devait tenir un mois avec rien, on calculait l’argent pour manger… La France et la famille nous manquaient un peu… Il y avait un grand parc et un dimanche après-midi, on y est allés et on s’est assis. On voyait la skyline de Manhattan au loin, avec les tours jumelles illuminées dans le coucher de soleil, et on s’est dit : “on a de la chance d’être là, on s’emmerde, mais on est bien quand même !” Maintenant, pour aller passer du temps à New York, c’est facile, mais nous. Avant, quand on partait, nos parents avaient peur… et ils avaient raison.
Akhenaton : A ce titre-là, Central Park, c’était un très haut.
Kheops : Jouer sur scène avec Rakim, moi qui fait DJ, vous qui rappez à côté, c’était 5 minutes d’irréel, j’avais l’impression de dormir et de faire un rêve.

En parlant de très hauts, vous avez dit que le «MIA» avait changé votre vie, il a aussi changé la perception du rap par le grand public, non ?
Akhenaton : Ça a changé, mais nous, ça nous a fait réaliser aussi qu’il fallait faire attention de ne pas se faire déposséder de sa musique parce que le MIA a eu un tel succès qu’il nous a glissé des mains. Je pense que dans les très hauts, on peut plus facilement citer «l’Ecole du Micro d’argent». Parce que quand on l’a fait écouter, on nous a dit : “super album, mais par contre très sombre, c’est un album pour génération FM, si on en vend 150 000, ça sera déjà génial…” Et en fait, le 1er soir, on était déjà disque d’or, 120 000 albums vendus en une demi-journée. Je me souviens toujours quand le directeur du label me l’a annoncé, y’avait mon père à côté, quelle fierté !
Kheops : A l’époque, les victoires de la musique, ça voulait dire quelque chose encore, tu es là et on te dit : “album de l’année !” Ça a fait du mal dans la tête à beaucoup de gens, qui l’ont mal pris. On était les vilains petits canards, c’était la totale : on était rappeurs, marseillais, jeunes, pas dans le show-biz, on faisait chier tout le monde…
Shurik’n : Et on avait déjà des grandes gueules !
Akhenaton : Surtout, ce qui faisait chier l’industrie du disque, c’est que les jeunes du rap, quand ils avaient du succès, ils montaient leur structure, et ça, les artistes ne le faisaient pas. Nous, on prenait les affaires en main, on avait des pourcentages beaucoup plus élevés en produisant et ça, ça plaisait moyennement…

Vous dites aussi, toujours dans Au final : «On a vu tellement d’étoiles sans LSD», quelles sont les plus belles que vous avez croisées ?
Shurik’n : Beyoncé ou James Brown ! On a fait deux concerts en France avec lui. Il venait nous voir dans la loge et tout…
Akhenaton : Il a kiffé le premier concert. A la suite, il a dit : “je vous emmène avec moi !”, mais dommage, c’était la fin de sa tournée… Mais il était prêt, et nous on partait, on aurait fait la 1e partie de James Brown partout ! Il y a eu aussi Manu Dibango et tous les artistes de la BO du film «Comme un Aimant» : Dennis Edwards le chanteur des Temptations, Isaac Hayes, Millie Jackson, Marlena Shaw, the Dells…

Dans Au final, vous parlez de «la Team» : est-ce que Marseille n’est pas un membre à part entière de cette team ?
Akhenaton :
Marseille, c’est dans l’ADN, c’est une manière de voir les choses.
Shurik’n : On pourrait dire que c’est à la création même…
Akhenaton : Ouais, on a une culture, une civilisation, pour nous, c’est très important. On a grandi dans cette ville qui est une sorte de New York avortée, qui n’a pas éclos. Par contre, cette culture marseillaise, ce parler marseillais, ces mots, cette manière d’agir, d’inter-agir avec les autres, c’est profondément ancré dans notre musique.

Et, au final, « y’a toujours cette flamme qui crame à côté de vos âmes » ?
Shurik’n :
Plus que jamais !
Kheops : Si on avait des doutes, je peux te dire que quand on a reçu le test-pressing (ndlr : échantillon vinyle avant reproduction) de Vague Un, on aurait dit un groupe qui démarrait, qui n’avait jamais eu de disque dans sa vie !
Akhenaton : On n’a jamais singé ou triché. Si un jour, y’a pas c’te flamme-là, il faudra faire autre chose…

+ d’infos : Première Vague (Juin 2021), Deuxième Vague (Sept. 2021), Troisième Vague (Oct. 2021) et Quatrième Vague (Nov. 2021) chez Universal Music.

Fête de l’Huma, 2014©Par Thesupermat

FAN DE

Quel est le dernier film qui vous a fait vibrer ?
Kheops :
Plutôt série, la dernière qui m’a vraiment tenu en haleine, c’est True Detective Saison 1.

L’acteur ou l’actrice qui vous touche ?
Akhenaton et Shurik’n (d’une seule voix ou presque) :
Denzel Washington.

Le dernier morceau qui vous a fait danser ?
Shurik’n : Mykill Miers, en ce moment, c’est ça qui tourne, ça me met la pêche, ça me réveille bien… C’est brutal.

Le morceau que vous chantez sous la douche ?
Akhenaton :
Keep on Keeping on de Curtis Mayfield, une chanson qui encourage à avancer.
Shurik’n : Moi, ce serait plutôt Stevie Wonder…
Kheops : Et tu chantes les yeux fermés ?
Akhenaton : Ahah… Christian Carambar !
(Vous avez découvert un autre des surnoms de Kheops.)

L’artiste dont vous aimeriez avoir une création chez vous ?
Akhenaton : J’aimerais avoir une peinture de Caspar Friedrich, le peintre allemand. A un moment donné, il y a des gens qui sont dans leur temps, d’autres en retard et d’autres en avance. Lui, il y a 200 ans, c’était déjà un peintre moderne. Il peignait la brume alors que tout le monde peignait des paysages hyper précis, les lumières sont fantastiques. Mais ça vaut cher, c’est pas dans mes cordes…

Le Super-héros dont vous aimeriez avoir les pouvoirs ?
Akhenaton : Galactus ! (ndlr : Dans la galerie de personnages de Marvel, entité cosmique aux pouvoirs inimaginables presque l’égal d’un dieu, «dévoreur de mondes»)
Kheops : C’est un super vilain…
Akhenaton : J’ai toujours voulu être un super vilain… D’ailleurs, je l’utilise dans les paroles.
Shurik’n : Moi Serval, Wolverine… Pour la colère, la bestialité…

Un personnage historique que vous admirez ?
Shurik’n :
Miyamoto Musashi, le samouraï.
Akhenaton : Moi, j’aime bien le Commandant Massoud, il est dans une lutte complexe. Sur son visage, il y a quelque chose qui se dégage.
Kheops : Moi je m’aime bien, j’aime bien Kheops. Je regarde tellement de documentaires de cette période- là, Alexandre le Grand, tout ça, c’est magnifique !

Photo haut de page : Didier D. Darwin
Photos scène : Rémy Grandroques « Dans le Club » – Arte concert, déc. 2019

PHILIPPE CONTICINI

PHILIPPE CONTICINI

ÉCLAIR DE GÉNIE

Paris 7e, Rue de Varennes, une surprise m’attend, mais je ne sais pas laquelle, à quelques pas de là je tâtonne, mais je suis le tracé… Le numéro 37 m’arrête net, je lève la tête et j’atterrie ! Le meilleur gâteau de ma vie m’attend, avé Paris Brest, Philippe Conticini !

Né dans les casseroles de ses parents restaurateurs, celles qu’on traine comme les gourmandes, à 58 ans, le chef pâtissier porte l’évidence d’un métier passion qu’il blottit sous son gilet de soie, les émotions avec, ça va de soi. Et ça déborde ! De bonheur pour nourriture, de rigueur dans le carburateur, depuis ses débuts en famille, avec son frère à la Table d’Anvers en 1986, il ne parle qu’à travers ses créations «câlins» et son amour du goût, un langage bien à lui, entre tracas et plaisir de la vie.

D’une pâtisserie revisitée à l’innovation osée, d’une bouchée craquante à une saveur surprenante, il désarçonne ses pairs et ne s’arrête jamais en chemin, la créa sinon rien et tout ira bien. Transgresseur de techniques de cuisine dans des desserts à l’assiette, inventeur de la verrine, utilisateur de produits de grande distribution dans la gastronomie d’excellence, chef de cuisine étoilé, aussi, Philippe Conticini se nourrit de tout et balaye sa bienveillance partout, le sourire de mise et le rire gouleyant. Entraineur de l’équipe de France championne du monde de pâtisserie en 2003, invité chouchou dans Le Meilleur Pâtissier, quand il ne revisite pas tarte tatin, Saint Ho ou pâte à choux, il pioche une nouvelle recette dans sa gustatothèque, à moins qu’il ne réponde à mes questions, espérons que j’ai tout bon !

Activmag : Si je vous dis «émotion», vous répondez ?
Philippe Conticini :
Sensations fortes, plaisir, goût et surtout compréhension du travail derrière ce goût. La densité, dans mon métier, est quelque chose de très important. Plus il y a de densité, plus il y a de matière. Plus il y a de temps de mâche, plus il y a de sensations. Plus il y a de sensations, plus il y a de goût, de plaisir et finale- ment d’émotions. Mon travail va de la densité à l’émotion, donc si vous me dites émotion, je vous réponds : densité.

C’est une forme d’hypersensibilité et d’altruisme, vous avez toujours été comme ça ?
Depuis tout petit. Ma mère disait même : “toi tu donnerais ta chemise”. Ça fait partie de mon caractère. Et mon poids aidant, j’ai développé le fait de vouloir me rapprocher des autres, il y a forcément un rapport de cause à effet, mais oui, j’ai toujours été comme ça.

Et vous débordez, jusqu’à pleurer comme une madeleine ?
Si ça concerne ma femme, ma fille, ma famille, là oui, sans aucun doute. Il y a 25/30 ans, quand je voyais un film, je pouvais pleurer. Aujourd’hui, je me suis formé une carapace et j’ai grandi, ce n’est plus le cas. Mais je suis touché de la même manière. Un enfant, un animal ou quelqu’un qui souffre me touche profondément. Je suis très empathique, j’ai beaucoup de compassion et je ressens les choses. C’est comme ça, je suis né avec…

Petit, d’ailleurs, on raconte que vous mangiez sur le passe-plat du restaurant de vos parents ?
Oui au début, avant que mes parents achètent un appartement digne ce nom, on habitait un petit 2 pièces au-dessus du restaurant. Au bas de l’escalier, la sous-chef de ma mère me servait ce que je voulais, des noisettes d’agneau par exemple. Elle me faisait les plats de la carte, j’ai été biberonné à la nouvelle cuisine !

Un plat souvenir ?
Ce n’est pas un plat, mais un dessert : l’éclair au café. Mes parents étaient restaurateurs, ma mère, cuisinière, faisait un peu de pâtisserie, mais pas beaucoup. Et avant de devenir un restaurant gastro, ils faisaient des mariages. A ces occasions, ils avaient des petits fours qu’ils achetaient chez le boulanger ou le pâtissier, comme des petits éclairs au café et au chocolat appelés Caroline. Et à l’heure où le personnel mangeait, je descendais au restaurant et j’allais au fond de la cuisine où il n’y avait personne, j’ouvrais le frigo, je prenais 7 ou 8 carolines au café et hop ! je montais dans ma chambre. Je les mangeais vite pour que personne ne me voit, et ma mère râlait toujours parce qu’il lui en manquait. Je lui ai avoué ça dans un livre que j’ai écrit en 1996, où j’ai raconté cette histoire et enfin avoué que c’était moi !

Ah le goût palpitant de l’interdit ! Mais cette nourriture n’a pas toujours été votre meilleure amie pourtant, votre santé a été mise en danger ?
En fait ce qui n’a pas été ma meilleure amie, ce n’est pas la nourriture, ce sont les excès. Et bien sûr qui dit «excès» dit «raisons» derrière. On ne mange pas comme ça pour rien, surtout quand on est jeune, la nourriture n’est que le moyen de les mettre en scène. Je mangeais pour combler un vide affectif, c’est un schéma classique.

Et comment fait-on pour transformer cette addiction en cadeau et en faire un métier ?
Je crois avoir toujours eu en moi une sensibilité exacerbée et ce besoin de m’exprimer. Si mes parents avaient été médecins, j’imagine que cela aurait été différent. Mais ils étaient restaurateurs et j’ai été nourri à tout ça, ça a forcément un impact. Je me souviens, quand j’avais 13-14 ans, comme ils travaillaient tous les soirs et que j’étais tout seul, je regardais le feuilleton «la planète des singes» et je me faisais des sandwichs où je superposais plein de couches de plein de choses comme de la Savora, du jambon, du beurre et bien plus encore… Et ça, c’est quelque chose que j’ai refait à peine 20 ans plus tard, dans les verrines en superposant les couches. (Philippe Conticini est l’inventeur de la verrine en 1994 NDLR) Je crois que j’ai toujours eu ce quelque chose en moi… De Tennessee, comme disait Johnny !

Vous analysez beaucoup non ?
J’intellectualise tout dans mon métier ! Si vous venez assister à un atelier, vous allez comprendre. Dans un jaune d’œuf, je sais ce que je vais faire de l’eau, du gras et des protéines du jaune. Non seulement j’intellectualise tout, mais je range ça dans ma gustatothèque ! Par contre, au moment de créer, je n’intellectualise plus, je vais simplement piocher dans cette gustatothèque et je me sers de ce que je ressens. La vraie technique, c’est l’émotion.

Vous innovez beaucoup, cette créativité, vous allez la chercher quelque part ou ça sort comme la crème de la poche à douille ?
Ça sort tout seul, c’est tout le temps comme ça ! Je n’ai pas besoin de chercher, mais je pense qu’on a tous quelque chose, un talent inné, et moi, c’est ça. Je ressens les choses. En fait, je mets ce que je suis et ce que je ressens dans ce que je fais.

Bûche Yuzu 2021

Ça a toujours été une évidence, ce métier ?
Oui, je dirais depuis mes 8-9 ans, je me suis toujours dit que je travaillerais avec mon frère, et c’est ce qui s’est passé d’ailleurs, à la Table d’Anvers. Je ne me suis jamais posé la question : qu’est- ce que je vais faire plus tard ? C’était très clair.

D’ailleurs, au côté de votre frère, vous surprenez par vos premiers desserts à l’assiette, puis vous partez suivre votre route et refusez même les sollicitations de grands chefs, comme celle de Joël Robuchon…
Alain Ducasse, Joël Robuchon ou encore Pierre Gagnaire. Je me souviens d’une histoire avec Pierre que je connaissais bien. Il voulait que je vienne travailler à Londres avec lui. A l’époque, ma femme et moi avions besoin l’un de l’autre pour traverser une époque difficile. C’était compliqué. Et en plus de ça, il souhaitait que nous fassions la carte des desserts en commun. Je me souviens lui avoir dit : “Avec tout le respect que j’ai pour toi et tes 3 étoiles, je n’ai pas besoin de toi pour faire une carte de desserts. Ça a coupé court à la conversation.

Forcément… Vous avez du tempérament ! Vous êtes un homme de challenge ?
Je n’ai pas arrêté, oui ! Je me suis toujours mis la pression et c’est comme ça. J’aime bien me créer un cadre pour ne pas partir dans tous les sens… Par contre, j’ai tendance à écarter les bords du cadre, je les écarte beaucoup même !

Et cette étoile obtenue chez Petrossian en 1999 ? Tout le monde ne le sait pas, mais vous êtes cuisinier aussi !
Je suis pâtissier de métier, même si la cuisine, j’en ai fait tout le temps ! J’ai commencé par un apprentissage, je ne l’ai pas terminé, mais quand on m’a proposé de cuisiner chez Petrossian en 1999, j’ai fait de la cuisine «officiellement». Et effectivement, en moins de 2 ans, j’ai obtenu une étoile Michelin et 17/20 au Gault et Millau, exactement comme à la Table d’Anvers quelques années auparavant avec mon frère.

Vous rebondissez et innovez, inventez et réinventez sans cesse, vous mettez même de l’air à la place du beurre dans le Paris Brest, quelle est votre limite ?
Il n’y en a pas. Si j’en mets une, c’est fini, je sais que la création est terminée. Il m’a fallu du temps, mais je me vois aujourd’hui comme un artiste.

Et comme tout un artiste, vous avez un grigri ou une phrase fétiche ?
J’en ai deux ! La première : laisser libre court à ses envies et ses émotions est peut-être le meilleur moyen de rester libre. Et la seconde : être créatif, c’est simple, mais comprendre pourquoi c’est simple, ça, ça peut prendre toute une vie.

Aujourd’hui, vous avez vos propres boutiques, depuis 5 ans, vous animez des ateliers autour du goût, vous êtes très proches des gens, notamment sur les réseaux où vous répondez vous-même à la communauté. C’est important pour vous de maintenir l’humain et la transmission ?
C’est fondamental, j’ai besoin de ça. Les gens en sont hyper heureux et je le sens. Autant pour eux que pour moi, c’est vraiment bien.

Vous avez toujours l’air de bonne humeur et dans la bienveillance, mais qu’est-ce qui peut vous mettre en colère ?
En colère, c’est vraiment très rare. Par contre, dans mon travail, je suis très directif. Le travail, c’est le travail ! Je considère qu’on peut travailler très bien, donc il n’y a aucune raison de ne pas travailler ainsi. Travailler mal, c’est impossible. Je suis rigoureux avec moi, d’abord, et avec les autres ensuite. Mais jamais je ne me mets en colère.

Et côté tendresse alors, vous dites que la pâtisserie est un câlin. Quel est votre câlin votre préféré ?
Le millefeuille, quand il est fait comme il se doit et les éclairs au café ! Deux gros câlins !

Et vous êtes un papa gâteau ?
Oh oui, il faut d’ailleurs que je me calme. Maintenant, elle a 20 ans !!! Mais oui, je suis comme ça et ma fille, comme ma femme, pour moi, c’est tout. L’amour est essentiel au jour le jour, j’en ai besoin, d’en donner beaucoup comme d’en recevoir.

Vous employez souvent l’expression ça craquouille, c’est craquouillant, qu’est-ce qui vous fait craquouiller ?
Sincèrement : tout ! Mais quand c’est vraiment, très, très bon. Dans ce cas, tout me fait craquer… craquouiller!

Vous avez des coups de cœur dans la sphère pâtissière aujourd’hui ?
Il y en a plein ! On vit une période extraordinaire en pâtisserie. Maxime Frédéric, Claire Damon, Claire Heitzler ou Jessica Préalpato dont j’aime beaucoup l’état d’esprit.

Comment voyez-vous demain ?
Chaque jour est différent et c’est pour ça que c’est formidable, et je ne sais jamais ce qui va arriver !

FAN DE

Quel est le dernier film qui vous a fait vibrer ? Miracle en Alabama film de 1962.

L’acteur ou l’actrice qui vous touche ? Christian Bale.

Quel est le dernier morceau qui vous a fait danser ? Jérusalema.

Celui que vous chantez sous la douche ? Jérusalema.

Quel est l’artiste dont vous adoreriez avoir une création chez vous ? Yahnn le Toumelin (femme peintre, maman de Mathieu Ricard)

Le dernier auteur que vous avez dévoré ? Je suis en train de relire tout Victor Hugo.

Le personnage historique que vous admirez ? Léonard de Vinci et Aristote.

Le ou la politique avec qui vous aimeriez débattre ? François Hollande ou encore mieux Simone Veil.

Le (super)-héros dont vous auriez aimé avoir les pouvoirs ? Spiderman

Photos : Kevin Rauzy Foodography


JUAN ARBELAEZ

JUAN ARBELAEZ

LE FAIM MOT DE L’HISTOIRE

A 33 ans, Juan Arbelaez est un chef cuisinier décomplexé, entrepreneur compulsif, star des réseaux sociaux, chroniqueur TV. On ne l’arrête pas ! Ou juste quelques minutes pendant Toquicimes à Megève…

Juan Arbelaez a le feu en lui, le feu sacré de la cuisine, certes, mais pas seulement. La bouillonnante Colombie coule dans ses veines, et s’il est venu s’installer à Paris, ce n’est surtout pas pour se poser, mais bien pour explorer. Ses terrains de jeu ? Le monde culinaire bien sûr, celui des médias et des réseaux sociaux ou encore celui de l’entreprise. Déjà à la tête de 13 restaurants et 300 employés, le jeune chef n’est jamais rassasié. Il y a quelques semaines, il venait à Megève présenter sa nouvelle collaboration avec Cocorico N’Co, l’après-ski ultra festif et gourmand de Tignes et Val d’Isère. Une aventure qu’il partage avec l’étoilé de Megève Emmanuel Renaud, le Lyonnais désormais parisien et finaliste de Top chef 2014 Thibault Sombardier et le pâtissier chocolatier de la Croix Rousse Sébastien Bouillet. Un casting 4 étoiles -imaginé par l’agence «Oui chef-fe»-, une fine équipe intenable à Megève !

©Matthieu Khalaf

Activmag : Tu viens de prêter ta voix à un personnage d’Encanto, le dernier Disney dont l’action se déroule dans ton pays natal, plutôt inattendu comme aventure ?
Juan Arbelaez : Oui, ça a été une expérience de dingue. Tu rentres dans le panthéon des enfants, un vrai rêve de gosse… Bon, je joue le père de l’héroïne, c’est un petit rôle, mais hyper touchant, je me suis régalé à le faire ! C’était un moment magique.

Mais comment c’est arrivé ?
J’ai ouvert mon resto colombien il y a 4 mois. Et il s’avère que Boualem Lamhene, un des dirigeants de Disney est venu y manger. J’ai fait un peu le saltimbanque en racontant l’histoire des plats, et à la fin du dîner, il me dit, “toi, tu vas faire une voix pour notre film. Ce serait bien qu’on travaille ensemble !” Moi, j’ai pris ça pour des paroles de fin de soirée… Mais le lendemain, 7 heures, j’avais un coup de fil m’invitant à faire des tests. Et ça s’est enchainé ! J’ai donc prêté ma voix à Agustin, un Colombien dont l’épouse a le don de guérir les autres grâce aux plats qu’elle prépare…

Pas si loin de la réalité…
Ça m’a replongé dans ma famille, à Bogota… Pour moi, à travers leur cuisine, mes grands-parents avaient le superpouvoir de réunir les gens, de leur faire oublier leurs soucis ! Je rêvais d’avoir le même don qu’eux, petit… Et au final, je l’ai peut-être.

De cette Colombie, tu gardes quoi ?
J’ai la chance de venir d’un pays avec un peuple d’une générosité exceptionnelle. C’est un pays assez modeste, mal connu ou connu pour les mauvaises raisons, mais qui a une vraie joie de vivre, qui vit en couleurs, en musique, qui ne se plaint pas et qui va de l’avant. Forcément cette culture m’a marqué et me donne toujours la force de continuer, jamais lâcher. C’est un pays dont tu tombes forcément amoureux.

Quel gamin étais-tu ?
Un gamin débordant d’énergie, curieux, insouciant, un chien fou !

Bon, en fait, t’as pas grandi ?
C’est vrai, et j’espère ne jamais grandir ! Je m’émerveille de tout… Dans cette insouciance, cette naïveté, il y a une sorte de beauté presque poétique, ce serait dommage de la perdre.

Tu aurais pu faire un autre métier ?
J’aurais pu être comédien… j’aurais adoré changer de masques, vivre un éventail d’émotions, jouer une multitude de rôles. Mais jeune, j’avais imaginé devenir publicitaire, pour la créativité, les brainstormings, l’inventivité… Mais au final, au cours d’un stage, je me suis révélé piètre publicitaire et j’ai découvert que je pouvais trouver tous ces aspects dans la cuisine. Et depuis, ce terrain de jeu me passionne.

Alors, du coup, comment passe-t-on d’un jeune de 18 ans quittant sa Colombie natale à un chef à la tête de 13 restau- rants parisiens, 15 ans plus tard ?
Il y a bien sûr beaucoup d’envie, il y a aussi le fait de ne pas redouter l’échec. Se ramasser et se relever, ça fait partie de l’apprentissage. Et mon côté tête brulée a contribué à accélérer le mouvement. Je suis probablement un peu kamikaze, à foncer tête baissée sans trop réfléchir aux risques. Ça m’a parfois desservi, mais bien souvent fait avancer, en mode turbo. Et puis je me suis bien entouré. J’ai la chance d’avoir créé un groupe de restauration avec mes 2 meilleurs amis, qui sont aussi mes associés. Grégory et Pierre-Julien Chantzios. Ensemble, on pilote quelque 300 employés… Mais pour en arriver là, c’est avant tout de la passion, être fou amoureux de ce métier et ne pas trop compter les heures… Et puis je ne me suis jamais réveillé en me disant que j’allais «taffer», mais toujours que j’allais faire ce que j’aimais, ça aide…

Tes premiers pas en cuisine ?
J’ai toujours regardé ma mère et mon grand-père cuisiner. Et à 15 ans, j’ai travaillé dans un burger en Colombie, même si ce n’était pas de la grande cuisine, j’ai adoré l’expérience. Et dès que je suis arrivé en France, j’ai intégré l’école de cuisine du Cordon Bleu. J’ai travaillé ensuite chez Gagnaire, au George V et au Bristol, un passage à Top Chef, bref le passage, et j’ai ouvert mon premier resto ! C’était il y a 8 ans. Aujourd’hui, on en a effectivement 13.

De Bogota à Paris, quelle cuisine te porte ?
C’est difficile de donner une seule cuisine. J’adore découvrir de nouveaux produits, de nouvelles techniques, je suis dans une cuisine de découverte. Et ce sont ces découvertes qui deviennent opportunités. J’ai commencé à faire mon huile d’olive bio en Grèce, auprès de Greg et Pierre-Julien. Et ça m’a donné envie de créer Yaya (aujourd’hui 5 restaurants grecs festifs sur Paris, avec chacun une région à l’honneur), pour mettre en avant cette cuisine grecque généreuse. On vient d’ouvrir Bazurto, un restaurant colombien, je m’éclate à réfléchir la carte de Ma Cocotte, où l’on va manger des cuisses de grenouilles, des escargots, l’œuf mayo… de la cuisine plus classique. Ce que j’aime, c’est ne pas avoir de routine, sauter d’une cuisine à une autre, apprivoiser toutes les techniques, explorer tous les produits.

Juan Arbelaez dans son restaurant Le Barzuto. ©Sipapress

Dans ton parcours, de quoi es-tu le plus fier ?
Peut-être d’avoir réussi tout ça dans une démarche respectueuse, des autres, comme de l’environnement. Pourvoir me retourner en me disant qu’on a avancé sans tout broyer sur notre passage. On a le premier resto qui n’utilise plus de plastique à usage unique. C’est un état d’esprit, vivre cette passion pleinement et pouvoir en être fier.

Ta femme, Laury (Thilleman, Miss France 2011, ndlr), quel rôle joue-t-elle dans ta vie ?
C’est un guide, ma source d’inspiration. Elle a cette capacité à accepter l’autre avec ses bons et ses mauvais côtés, ses forces et ses faiblesses. Elle m’impressionne. Pour la première fois de ma vie, j’ai l’impression non pas de regarder quelqu’un, mais de regarder dans le même sens. On grandit ensemble.

Ces 2 dernières années ont été particulières, comment as-tu vécu cette crise ?
On a réussi à s’adapter en passant très vite à la vente à emporter. Ce qui n’était pas rien à mettre en place sur tous nos restaurants. Mais c’était déjà dans nos plans d’évolution à moyen terme. Au final, le Covid nous a fait gagner 2 ans ! Et puis le confinement nous a permis, avec mes associés, de nous poser, de réfléchir à de nouveaux projets, de nouvelles offres. J’aime, devant chaque problème, me creuser la tête pour trouver une solution et grandir. Ce fut, en vrai, une période très enrichissante et constructive.

Dans quel environnement es-tu comme un coq en pâte ?
J’ai la chance d’être un bon passe-partout. Je suis comme un poisson dans l’eau en cuisine, naturellement, mais avec les clients aussi, j’adore côtoyer les gens qui font la fête, j’ai toujours aimé le contact humain, les échanges avec les médias, les réseaux sociaux… Et même dans les situations stressantes, quand je suis vraiment sous pression, j’aime ces sensations.

Les réseaux sociaux, ça fait maintenant partie de la vie d’un chef ?
Ce n’est pas une obligation. C’est un outil comme un autre… Quand on apprend à s’en servir, ça devient intéressant. Pour moi, c’est un ingrédient de plus à mes recettes. C’est un axe de communication rapide, dynamique avec lequel tu gardes un contact direct avec ton client, c’est aussi un service après-vente immédiat. Moi j’aime bien cet outil, ce partage…

Et la télévision ?
La télé, c’est différent, ce n’est pas toi aux manettes. Ce sont des gros budgets, des chaines qui décident… Il faut déjà qu’elles s’intéressent à toi et qu’elles te proposent quelque chose qui te correspond. Ça fait beaucoup d’étapes… Mais si demain, on me propose une émission cool en accord avec mon état d’esprit et mes valeurs, pourquoi pas !

Du coup, tu dirais que ta vie est un cocktail de quoi ?
Joie, amour, fidélité, passion, excès et équilibre !

Intéressant mariage qu’excès et équilibre !
En fait, je crois qu’il faut savoir salir pour nettoyer. Nettoyer quelque chose de tout le temps propre, ce n’est pas excitant. Tu vois, j’aime bien manger une volaille rôtie entière avec un jus bien gras, et une bonne bouteille de vin, sans oublier les desserts ! Et le lendemain matin, je vais aller courir une heure et demi ! J’aime les excès que j’équilibre. Je ne vis pas de brocolis et de laitue !

Ta journée type ?
C’est celle qui ne ressemble pas à la précédente !

Tes dernières vacances, c’était plutôt coquillages et crustacés en bord de mer ou coquillettes et reblochon à la montagne ?
C’était coquillages et reblochon à la plage en montagne ! En vrai! Cet été, on a pris le van et on a fait toute la côte de la Galice et comme le temps tournait au mauvais, on est rentré dans les terres. J’ai souvenir d’avoir mangé la meilleure côte de bœuf du monde dans un restaurant de montagne, là-bas, un repas bien chargé, comme j’aime. C’était parfait. J’aime particulièrement la montagne l’été, j’ai eu la chance de venir en séjour à Megève faire des randos à vélo absolument magnifiques. On ne profite pas assez de la montagne en cette saison selon moi et pourtant, c’est vraiment top.

Tes moments de détente ressemblent à quoi ?
A tout sauf de la détente ! Il faut toujours que je bouge… Je suis un hyper actif. Me poser plus de 7 minutes sur une chaise longue, c’est pas possible !

©Matthieu Khalaf

Ton paradis à toi, c’est quoi ?
J’aimerais bien avoir un resto face à l’eau. Une dizaine de places assises. Dans mon paradis, l’argent n’est plus un problème, j’ai un jardin à côté pour faire pousser mes légumes. Pouvoir mettre dans l’assiette uniquement ce que je pêche, chasse et cultive… Vivre un peu en autarcie. Un jour, je le ferai !

L’aventure Cocorico N’Co, à Val d’Isère et Tignes, ça représente quoi ?
C’est avant tout une histoire de souvenirs… Je ne skie pas depuis très longtemps, mais c’est à Val d’Isère que j’ai fait mes premiers pas sur des planches ! Et mes premières gamelles… J’adore cette station. Cocorico est un lieu festif totalement dans ma philosophie. On aime le partage, la bonne musique, se régaler. Tu sais, dans mes restos, on fait appel aux mêmes producteurs, aux mêmes produits que les étoilés, juste on les réfléchit différemment, on crée une ambiance de partage, on mange dans l’assiette de l’autre, on rigole, c’est notre état d’esprit. Et Cocorico N’Co est dans la lignée de ce qu’on aime faire. Apporter aux amateurs d’après-ski, qui en général vont faire la bringue ensuite, une offre gourmande différente, ah oui, ça va twister ! Et le faire avec Manu (Renaud), Thibault (Sombardier) et Seb (Bouillet), des copains que j’adore et que je respecte profondément, c’est une super aventure !

Un mot sur Emmanuel Renaud ?
Manu, on est obligé de l’admirer ! C’est un passionné, dévoué corps et âme à son métier… On est allé choper des champignons à 5 heures du mat’ ensemble dans la montagne. Pour moi, c’est un mentor : il est au sommet de son art, reconnu de tous et d’une simplicité incroyable, d’une vraie gentillesse. Même avec son succès, il a su garder la tête sur les épaules et les deux pieds bien ancrés au sol.

Et Thibault Sombardier ?
Thibault, c’est un copain, on est très proches, on a pas mal bringué ensemble ! Et à chaque fois que j’ai mangé chez lui, j’ai pris des claques. Il réfléchit vraiment bien sa cuisine, il a une approche géniale du produit. Je l’adore !

Quant à Sébastien Bouillet ?
Seb, c’est un pote de longue date. Un super pro qui maitrise son art à la perfection. C’est bien simple, goûter un chocolat de Seb, c’est comme mettre les doigts dans la prise : tu peux plus t’en détacher ! Il est simple et génial à la fois. Plus qu’un chef, c’est un mec magique !

FAN DE

Quel est ton acteur préféré ? J’ai toujours adoré Johnny Depp. C’est un personnage un peu taré, obscur et en même temps solaire. C’est un performer, comme Jared Leto ou Matthew McConaughey.

Quel est l’artiste dont tu adorerais avoir une œuvre chez toi ? Je suis particulièrement fan de street art, de Bansky, de Toxic. Mais une toile de Pollock, ça me dirait bien !

Ton chanteur préféré que tu doubles sous la douche ? Carlos Vives, un chanteur colombien avec une énergie folle, il a d’ailleurs signé la BO d’Encanto.

Quel est l’humoriste qui te fait mourir de rire ? Un jeune que j’ai découvert il y a pas longtemps, Paul Mirabel, complètement lunaire, une autodérision de dingue, c’est exceptionnel.

Quel est l’auteur que tu dévores ? En ce moment, je suis sur Cien anos de soledad (100 ans de Solitude) de Gabriel Garcia Marquez. Etudiant, j’étais un peu fainéant et je me dérobais sur les grands classiques imposés, avec les résumés que je trouvais sur Internet. Aujourd’hui, j’ai envie de retrouver mes racines.

Le champion que tu admires ? En dehors de Martin Fourcade que j’adore et qui est un pote, il y a Théo Curin, nageur paralympique qui se met des challenges sportifs de malade dont la récente traversée du lac Titicaca. D’ailleurs, je lui ai fait à manger pour cette traversée… Il est d’une intelligence, d’une force de caractère et d’une joie de vivre qui forcent l’admiration.

Quelle est la personnalité politique qui te fascine le plus ? De Gaulle. Un sacré personnage.

L’homme de l’Histoire ? Gandhi pour avoir prôner le pouvoir de la paix, plutôt que celle la force ou de l’arme nucléaire pour avancer.

Quel est ton héros? Oskar Schindler, que j’ai pu découvrir au travers de La Liste de Schindler. Ça c’est un héros, un homme extrêmement touchant qui a mis sa vie en danger pour les autres. Il n’a pas des supers pouvoirs, mais ce qu’il a fait est juste hallucinant.

Photo : Matthieu Khalaf

BIXENTE LIZARAZU

BIXENTE LIZARAZU

LE ROI DE LA JONGLE

Comme le loup, il a souvent besoin de solitude et de grands espaces. Comme l’ours, il est sympathique, quoiqu’un peu râleur ! Comme le requin, il faut toujours qu’il bouge. Et si vous lui mettez un ballon entre les pieds, il y a peu de chance que celui-ci ne touche beaucoup le sol… Bixente Lizarazu est décidément indomptable.

Bixente Lizarazu a tout gagné, de la coupe du monde 98 à l’Euro 2000, en y ajoutant 2 coupes des confédérations, six Bundesliga, cinq coupes d’Allemagne et autant de coupes de la Ligue. Désigné au passage meilleur arrière-gauche du monde par l’UEFA en 2001, n’en jetez plus, ses coupes sont pleines ! S’il a raccroché ses crampons voilà 15 ans, le foot coule toujours dans ses veines. Il a juste troqué son short en Lycra contre un costume de footballiste taillé sur mesure, qu’il s’empresse de quitter à la moindre occasion… Car son dressing à lui, c’est plutôt maillot de surfer. Son terrain de jeu, il le voit toujours en bleu…

Activmag : Enfant, vous étiez déjà un «kazko»… (têtu en basque) ?
Bixente Lizarazu : Le fait d’en faire qu’à ma tête, ça s’est révélé avec le temps, et surtout de ne rien faire sous la contrainte. Gamin, j’étais juste un dingue de sport. J’avais la chance d’avoir une maman qui avait le temps de m’emmener partout, des tournois de tennis à ceux de pelote basque, du foot au surf, à la voile ou la plongée en été. Je m’éclatais dans le sport. Et avec le temps, le caractère s’est affirmé, par la compétition notamment. Mais une chose est sûre, très vite, j’ai compris que j’étais particulièrement mauvais perdant ! Et ça ne s’est jamais démenti ! Mais faut dire que quand on fait de la compét’, rares sont ceux qui aiment perdre. Alors, forcément, ça arrive dans une carrière, il faut, non pas s’y habitué, mais rebondir et savoir s’en servir, y a toujours quelque chose à en tirer.

Un peu tête de bois, mais avec votre nom, y’a des circonstances atténuantes…
C’est vrai ! «Lizarazu», c’est un lieu rempli de frênes. Le bois est très important pour moi. J’aime son odeur, son contact, c’est vraiment mon élément !

Et pour cause… votre arrière-grand-père était forestier, vos 2 grand-pères menuisier-charpentier, votre père également, vous avez commencé à taper dans des ballons en bois ?
Ah Ah, non ! Mais contre la porte en bois de l’atelier de mon père, ça oui ! Dès que je rentrais de l’école, j’attrapais mon ballon et je tapais pendant des heures et des heures pour m’entrainer. Cette porte a bien reçu !

Votre père était plutôt un homme bourru, gros bosseur, qui ne parlait pas trop, il avait la carrure du rugbyman… avec des mains comme des enclumes, ça incite pas trop à la rébellion ?
(rires) Non, mais il était très gentil avec nous. Heureusement d’ailleurs, parce qu’il avait de sacrées paluches façonnées par son métier, trois fois plus épaisses que le commun des mortels, s’il avait dû nous donner une tarte -c’est jamais arrivé-, on aurait fait 15 tours sur nous-mêmes avant d’atterrir!

Groupe Les Espoirs ©Archive FFF

Petit, le foot vous a cueilli tôt. La compétition, ça a commencé avec le curé d’Hendaye…
Oui, il organisait un tournoi de quartiers, sur un terrain vague derrière l’église. Je représentais le quartier de la gare, et on jouait contre celui de la plage, de la ville… C’est là que j’ai commencé à marquer mes premiers buts et à montrer certaines qualités…

Ado, vous étiez le roi de la jongle ?
Ah oui… Je faisais pas mal de concours de jonglages, c’était des concours Adidas, et j’étais plutôt bon dans la maitrise du ballon. Ce sont des exercices qu’on utilise souvent dans la formation du jeune footballeur.

Et il vous arrivait de jouer contre un certain Didier Deschamps…
C’est vrai, j’avais 13 ans, et lui un an de plus que moi. Mais il avait déjà sa taille adulte à 14 ans, avec de la barbe et tout. Il faisait 1m75 quand moi j’en faisais 1m…20! D’ailleurs, on se plaignait à chaque fois qu’on jouait contre Bayonne, il nous est même arrivé de demander ses papiers d’identité car on avait du mal à croire son âge !

Vous avez confié avoir toujours rêvé d’être un black… ou plus précisément un All Black… Les haka dans le salon, ça se passait comment ?
Fallait pousser les meubles ! Mais c’est vrai que j’ai une passion pour eux, pour leurs valeurs, la culture de cette équipe et ce haka avant les matchs qui met en transe, qui soude. Alors nous, en 98, au travers de la Marseillaise, on vivait aussi notre moment intense de cohésion. On chantait ensemble, on se serrait… J’aime sentir, toucher les partenaires… Je suis très tactile ! Mettre de l’émotion dans le match, c’est important pour moi. Et les All Blacks, au-delà du haka, ils véhiculent des valeurs extraordinaires de solidarité, de combativité, de respect… tout ce que j’aime dans le sport collectif.

Mais alors pourquoi ne pas avoir fait du rugby ?
Par pur esprit de contradiction ! Ici, le pays basque est une terre de rugby, mon père en a fait, mon frère aussi. J’ai pas voulu prendre ce chemin. Avec Didier Deschamps, on est des dissidents !

Petit, mais costaud, comme le bonbon de la pie qui chante, et surtout viril dans les tacles et les duels, parfois un brin sanguin, vous n’aviez peur de rien, ni de personne, même des armoires à glace, c’est de l’inconscience ou vous aviez une super assurance ?
Euh, c’est un défi… Toute mon adolescence, on m’a charrié sur ma taille -j’étais plus petit, plus frêle que les autres-, et c’est resté comme une rage de leur montrer de quel bois j’étais fait. Et du coup, il y avait toujours un match dans le match, l’envie d’aller tamponner les mecs en face et plus ils étaient costauds et plus le challenge était sympa. Si au départ, ça a commencé comme une espèce de révolte, c’est devenu un amusement pour moi. Je savais que j’avais du répondant. J’avais bossé pour ça, pour m’étoffer physiquement, gagner en puissance. Et quel pied de prendre un ballon de la tête face à un mec qui en faisait 2 de plus que moi !

C’est de là que vient votre surnom «Playstation» ?
C’est Franck Lebœuf qui m’appelait comme ça, parce que quand je taclais, je me relevais en un éclair comme dans un jeu vidéo !

Vos équipiers vous affublaient d’autres p’tits noms ?
Manu Petit m’appelait «Petit bison» pour mon physique «petit mais costaud» comme vous dites. Dans le même registre, pour Didier Deschamps, c’était «potiolo» , en basque, c’est un petit mot doux qui veut dire «petit gros». Tout de suite, ça sonne pas très sympa, sauf quand ça vient de lui…

Les JO, un regret ?
C’est vrai. Je suis un peu comme Kylian Mbappé, c’est une compétition qui me fait rêver. Je ne connaîtrai pas ce village olympique où les athlètes du monde entier sont mélangés. On a raté les qualifications pour Barcelone…

Mais vous n’aviez pas dit que vous le retenteriez en skeleton ?
Si ! Mais c’est un délire ! Quand j’ai arrêté ma carrière, je suis parti aux «Etoiles du sports» à La Plagne. Et sur la piste de bobsleigh, j’ai embarqué avec moi deux rugbymen et on s’est essayé au skeleton. J’ai rigolé par qu’ils n’étaient pas fiers ! Mais ça m’a plu. Du coup, j’ai regardé sur Internet s’il y avait des champions dans cette discipline en France et il n’y avait pas grand-monde…

Et là, vous vous dites : y a un créneau !?
Je me suis dit : peut-être qu’en m’entrainant, sur un malentendu, je pourrais être sélectionné… Mais j’ai vite arrêté mes conneries ! Y avait quand même des gars balaises qui ne m’avaient pas attendu…

Des hommes ont marqué votre vie, pro comme perso. Parmi eux : le commandant Cousteau ?
A la maison, on regardait ses documentaires. Et pour moi, ce monde sous-marin si mystérieux, c’était l’aventure ! J’avais mis du ruban jaune sur mes palmes et mon masque pour ressembler à l’équipe de la Calypso. Je plonge toujours aujourd’hui avec le masque ovale qu’ils utilisaient à l’époque. Bon, quand je revois ses reportages aujourd’hui, j’ai un peu plus de difficultés, parce que sur le plan environnemental, c’était parfois limite, mais à l’époque, c’était fascinant !

Bjorn Borg ?
Mon premier modèle et le seul d’ailleurs que j’ai eu dans le sport, c’est lui ! Je jouais beaucoup au tennis enfant et je le regardais jouer à Rolland Garros avant de filer reproduire son revers à deux mains sur les cours, ou lifter comme lui, du fond du cour comme lui, je m’habillais en Fila comme lui, il y avait que sur la longueur de cheveux que j’avais lâché l’affaire !

Raymond la science ?
Ah Goethals… un amour d’entraîneur, fin psychologue et rigolo. A Bordeaux, il nous appelait «ses moustiques» Jesper Olsen et moi pour notre complicité parfaite sur le terrain.

Aimé ?
J’ai 2 entraîneurs mythiques, c’est Aimé Jacquet et Ottmar Hitzfed au Bayern. Ils sont tout en haut pour moi, tant humainement que professionnellement. On a gagné le plus beau ensemble, la ligue des Champions et plein de titre de Champions d’Allemagne avec le Bayern, et avec Aimé cette première étoile, la Coupe du Monde, en France, contre le Brésil en finale… Inoubliable.

©Archive FFF

Zizou ?
La rencontre s’est faite à Bordeaux, il arrivait de Cannes. On a formé ce trio magique avec Dugarry. On jouait les yeux fermés ! Ce qu’on a pu développer aussi en équipe de France. Zizou, c’est un joueur avec qui je me suis régalé. C’est facile de jouer avec lui, c’est même extraordinaire et en plus de ça, humainement, c’est un mec top ! C’est quelqu’un que j’aime énormément.

Beckenbauer, votre modèle de reconversion ?
Ah oui ! Quand j’étais au Bayern, il avait arrêté le foot, mais c’était la big star ! Il était demandé partout, écouté par tous. Il a été sélectionneur de l’équipe d’Allemagne qui deviendra championne du monde en 90 avec lui, entraîneur, puis dirigeant du Bayern, consultant dans toutes les chaînes allemandes. Il a tout fait, tout réussi, avec un charisme de fou. Sa seconde vie a vraiment de la gueule ! Clairement un modèle !

98, année de folie ? Quelle image gardez-vous de la finale ?
On était tellement coupés des médias, du monde extérieur, à Clairefontaine, que je n’ai réalisé l’ampleur du phénomène qu’en regardant mon père, en tribune présidentielle, ce qui, déjà en soi était dingue car on s’était trompé dans le nombre de places demandées pour cette finale et on n’en avait pas pour lui. Au dernier moment, il s’en est libérée une et… en tribune présidentielle, inespéré ! Et donc, quand on est monté pour soulever la coupe, je suis passé devant lui et je l’ai vu en larmes… C’était la première fois que je le voyais pleurer donc je me suis dit : là, il se passe un truc ! J’étais encore dans ma bulle de concentration extrême pour réaliser. Il a fallu 2 ou 3 jours pour que j’atterrisse et surtout que je savoure !

Avec Lilian Thuram ©Archive FFF

Il paraît qu’il y a une version off des yeux dans les bleus ? Qu’est-ce qu’on aurait pu y voir ?
Hum… je ne sais pas… Croyez-moi, c’est mieux que ça reste secret ! (rires)

C’est aussi à partir de là que les joueurs sont devenus plus que des joueurs, des stars, des demi-dieux, des peoples invités sur tous les plateaux télés… Vous l’avez géré comment ?
Plutôt bien. C’était marrant. On faisait la une des magazines, on était sollicités pour de la pub, on faisait des reportages sur nous, c’était rigolo. Et en même temps, je crois qu’on avait la lucidité de comprendre qu’il ne fallait pas en abuser, que ce n’était pas forcément notre place. Au bout de 6 mois, tout le monde a compris qu’il ne fallait pas trop se disperser et revenir aux fondamentaux.
Pour moi, ça n’a pas été difficile, car en revenant du mondial, le Bayern m’a offert une magnifique montre et un bouquet de fleurs pour marquer le coup, et ils m’ont dit “voilà, on est super fiers d’avoir un champion du monde dans l’équipe mais maintenant il faut gagner tous les autres titres avec le Bayern !”. Ils m’ont bien mis la pression ! Mais au niveau de l’équipe de France, je crois qu’on ne l’a pas trop mal géré au final, car deux ans après, on décrochait le titre de champion d’Europe. Mais pour moi, le titre mondial a ouvert la porte à tous les autres derrière.

Coupe du monde 98 ©L’Equipe

Depuis, il y a eu un degré de plus dans la starification à outrance, ce foot 2.0, notamment avec les réseaux sociaux… ça vous inquiète ? Le foot ne tourne plus rond ?
Je suis content qu’on n’ait pas eu à connaitre ce foot-là, nous… Ce qui m’inquiète, c’est qu’il n’y a plus de nuances. Quand aujourd’hui, un joueur fait un mauvais match, ou juste une erreur, il se fait défoncer sur les réseaux ! Y a un phénomène de meute qui est insupportable. C’est déjà quelque chose que je détestais à l’école, cette meute qui s’attaque au plus faible. Le phénomène est tout aussi violent sur les réseaux sociaux et ça tire tout vers le bas, y compris les médias qui leur accordent de l’importance.

12 ans aux Girondins, 9 au Bayern, 12 en équipe de France. Mai 2006, vous raccrochez les crampons avec votre club de cœur, le Bayern, devant 69 000 supporters et le saladier de champions d’Allemagne, le 5e. Une belle sortie ?
C’était une très belle sortie, par la grande porte de l’un des plus grands clubs au monde. C’était la classe ! Et c’était très émouvant. Mais reste que s’arrêter, c’est douloureux. C’était sans doute le match le plus difficile de ma carrière. C’était un compte à rebours… Chaque minute qui passait me rapprochait de la fin. On est encore jeune pour tourner la page d’une carrière.

Accro au bois, on l’a dit, accro aux arbres donc, et il se dit que vous avez même créé une espèce à vous, «l’arbre à 2 branches» pour avoir toujours 2 solutions…
Ou même 3 ! Oui… En fait, il me faut toujours plusieurs options, je déteste être dépendant de quoi que ce soit. C’est pour ça que j’ai poursuivi mes études en parallèle du foot. Si ma carrière avait dû s’arrêter précipitamment pour blessure ou parce que je n’étais pas assez bon, je ne voulais pas me retrouver le bec dans l’eau, dans une impasse.

Aujourd’hui encore, dans votre reconversion, votre arbre à 3 branches vous met à l’abri…
Oui, exactement ! En bossant pour la télé (TF1), la radio (Radio France) et la presse écrite (L’Equipe), j’ai 3 types de médias pour m’exprimer, et si l’un devait perdre un droit de diffusion, ou rencontrer une difficulté, j’ai suffisamment diversifié mes ressources pour passer le cap. Et puis intellectuellement, c’est sympa de multiplier les approches, de toucher à tout. Aux documentaires également. Je suis curieux et je ne supporte pas la routine, c’est donc le bon équilibre pour moi.

Vous avez même créé votre profession sur mesure : footballiste !!
Oui, parce que je déteste le terme de consultant. C’est trop moche !

Deschamps m’a dit être drogué à l’adrénaline que lui procure le foot et l’équipe de France, votre drogue à vous, c’est la même, mais vos dealers sont ailleurs ?
Oui, l’adrénaline, c’est la même. Didier est accro à la compet’, moi, aux sports à sensations. Que j’ai besoin de vivre physiquement, pas par procuration, en tout cas, tant que mon corps me le permet.

©Lizaproduction

Vous avez d’ailleurs comparé les endorphines, que vous trouvez dans le sport, à des bains de jouvence…
C’est certain. Après, il faut adapter le choix des sports à ton âge. Le vélo par exemple, tu peux le pratiquer jusqu’à tard, la natation aussi. Et c’est un bienfait indiscutable pour ton corps. A bientôt 52 ans, je m’éclate encore dans beaucoup de sports différents. J’ai besoin de ma dose. Au final, je n’ai renoncé qu’au foot!

La mer, ça toujours été votre refuge ? Un refuge mouvementé. Un refuge d’adrénaline aussi.
Oui, c’est un univers dans lequel je me sens tellement bien, autant en-dessous qu’en surface. Plongée, surf, voile… Dès le contact avec l’eau, c’est l’alchimie. Je suis un dingue de mer, et le plus bel endroit au monde pour moi, c’est la Polynésie française. J’en reviens, là et j’y retourne dès que possible.

©Lizaproduction

En 2003, vous lancez d’ailleurs «Liza pour une mer en bleu…», un moyen de lui rendre la pareil ?
Ma fibre environnementale, je l’ai d’abord développée à travers mon rôle de parrain de la Surfrider Foundation qui milite pour la protection des littoraux et océans. Et suite au naufrage du pétrolier Prestige et de la marée noire sur les côtes de Galice, j’ai créé la fondation «Liza pour une mer en bleu».

C’était donc en 2003, 20 ans plus tard, on en est où ?
C’est pas brillant ! Je trouve qu’on n’a rien compris ! On se comporte toujours aussi mal. On est incapable de cohabiter. L’animal a aussi droit à son espace, à son territoire qu’il faut respecter, la nature a besoin d’un équilibre qu’il faut là aussi respecter. On ne peut pas prendre toutes les ressources indéfiniment, on ne peut pas construire indéfiniment. On a toujours besoin de dominer, de conquérir. La notion d’équilibre est visiblement difficile à intégrer dans nos têtes !

FAN DE

Quel est votre acteur ou actrice préféré(e) ? Jean-Paul Belmondo, pour son charisme, son énergie et son attitude.

Quel est l’artiste dont vous adoreriez avoir une œuvre chez vous ? Un guerrier massaï d’Ousmane Sow

Votre champion ? Bjorn Borg, mon modèle absolu.

Quel est l’humoriste qui vous fait mourir de rire ? J’ai un faible pour Blanche Gardin.

Votre chanteur préféré que vous doublez sous la douche ? Luis Mariano et avec l’accent ! Je tiens bien Mexicoooo…(rires) et en musicien, Ben Harper.

Quel est la personnalité politique qui vous fascine le plus ? Barack Obama.

Quel est votre héros préféré, fictif ou réel ? Je n’ai pas de héros, par contre, si vous me demandez mon aventurier préféré, je vous répondrais le Commandant Cousteau… Mais c’est juste si vous me le demandez…

Photo : Christophe Chevalin – TF1

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