PASCAL OBISPO

PASCAL OBISPO

SA LIBERTÉ DE CHANTER

Quand un artiste sort un album tous les 2 ans, lui en livre 20 en 9 mois ! Et toujours avec la même intensité. Et s’il en a vendu des millions dans sa carrière, Pascal Obispo n’est jamais plus heureux qu’en écrivant pour les autres, de Johnny à Pagny, de Patricia Kaas à France Gall… Musique !

Il y a des signes du destin qu’il faut saisir à deux mains. Un train au départ de Lyon, mon homme dedans, et un rang derrière, reconnaissable au premier regard, derrière ses lunettes noires, Pascal Obispo, celui dont les titres te prennent aux tripes, dont la voix te dresse les poils sur les bras, et dont le cœur, derrière ses airs de rocker, déborde de pudeur. Bref, mon homme avait 2 heures de trajet (et la promesse que je saurais me montrer très, très gentille) pour le convaincre de m’appeler. Je ne sais pas si c’est la perspective de me voir si reconnaissante, mais résultat des courses, le lendemain, Pascal m’appelait (oui, maintenant, il fait un peu partie de la famille !).
Une vingtaine d’albums «physiques» en 30 ans, des tubes comme s’il en neigeait, et une autre vingtaine d’albums «numériques» (disponibles sur son appli) livrés en seulement 9 mois ! L’artiste est prolifique et engagé, l’homme magnifique, un rien écorché.
Il a écrit ou composé pour les plus grands, mis le feu pour Johnny, fait «chanter» Florent Pagny, rendu zen Zazie… Garou, Marc Lavoine, Patricia Kaas et livré tout un album pour France Gall qu’elle ne chantera pas. La déception digérée, c’est lui qui le fera, 24 ans plus tard, avec «France» sorti il y a tout juste quelques semaines.
Au bout du fil, sa voix grave, conversation en chansons…

Activmag : Ado, vous avez été bercé à quoi, c’était qui votre «Chanteur idéal» ?
Pascal Obispo :
Dès 13 ans, quand je suis arrivé à Rennes, ça a été Philippe Pascal de «Marquis de Sade» qui a ensuite fondé «Marc Seberg». Alors que j’étais bassiste dans un petit groupe au Lycée, on a même fait leur première partie.

Le premier album acheté, celui dont vous avez dit : «Il est celui que je voulais»?
L’album de Police «Regatta De Blanc», après avoir entendu «Message in a Bottle». J’avais 15 ans.

Le 1er concert, le groupe dont vous êtes «Fan» ?
Marc Seberg ! Mais plus largement, mes premiers concerts, c’était aux Trans Musicales de Rennes. J’y allais pour prendre ma dose de rock.

Comment avez-vous su que vous en feriez votre métier, que «Chanter, vous ne savez que chanter» ?
Sans doute quand j’ai signé mon premier contrat, en 91, avec une maison de disque. J’allais pouvoir sortir du RMI, j’étais en fin de droit au chômage après avoir bossé à la Fnac à Paris… Donc, là, oui, avec cette signature, j’ai commencé à y croire.

Un père footballeur, ça ne vous a pas tenté une carrière à la «Zinedine» ?
Le problème, c’est qu’on n’hérite pas des gènes de nos parents ! Ça se saurait ! On hérite plutôt d’un environnement et d’un contexte social. Et mon père est parti quand j’avais 8 ans. Fin de l’histoire. Du coup, je n’ai même pas essayé.

Au final, vous avez bien fait. Le succès arrive très vite, en 92 dès votre 2e album, c’est ce que vous attendiez «Plus que tout au monde» ? Comment vous l’avez vécu ?
Je n’y ai pas vraiment prêté attention. Avec mes valises un peu trop lourdes, je me devais juste d’avancer dans mon rêve et ma passion, sans réfléchir, sans m’arrêter pour apprécier le moment. Juste vivre intensément les bons et les mauvais moments. Je ne me regarde pas, je trace.

«Et un jour une femme», Céline Dion, dont vous faites la 1re partie de sa tournée en 96, rencontre dingue ?
C’était super. Mes premiers grands moments sur scène, j’ai découvert le plaisir que ça pouvait engendrer. Un moment très étonnant. J’étais parti pour 3 ou 4 dates, et au final, ils en ont ajouté une dizaine.

Après ça, c’est l’explosion, vous «Allumer le feu», celui des autres aussi : Pagny, Hallyday… c’est un autre cap ?
J’ai le sentiment que ça a toujours été l’unique cap, à vrai dire. Ecrire pour les autres. Et encore aujourd’hui. Et c’est pour ça que je suis assez désinhibé quand je me présente sur scène, ce n’est pas mon cœur de métier, je suis sans pression, sans trac du coup. En fait, je ne me sens pas chanteur. Je suis un musicien. Mon truc, c’est d’être au service de la musique, d’en faire pour les autres.

Pour bien écrire pour les autres, c’est un peu «La moitié de moi» qui devient l’autre, faut savoir changer de peau ?
Faut surtout être très curieux, aimer la musique de l’autre, la comprendre, savoir la décomposer, pour en saisir l’essence. Après, ce sont des ingrédients à réinterpréter, à composer comme une recette de cuisine, jusqu’à être en phase. Vous n’allez pas proposer un «Allumer le feu» à Etienne Daho, ou « Une chanson douce » à Johnny, quoi que… On «profile» ! J’ai pas fait d’études dans ma vie, je n’ai ni diplôme, ni bagage intellectuel, en revanche, je suis un féru de musique que j’apprends en autodidacte. J’écoute la musique des autres que je dissèque, et comme j’ai des goûts très éclectiques, je me nourris de tout. Et puis, j’ai conservé une âme d’enfant, cette spontanéité, cette simplicité qui me sont essentielles pour créer. Trop de questions tuent la création. Faut rester simple, une fois que vous avez compris la technique, la musique de l’autre, quand vous aimez l’artiste, vous avez déjà tout à votre disposition, vous faites alors comme si vous étiez l’autre. Comme si vous lui faisiez un costume sur mesure. J’essaie de faire de la haute couture, parfois les coutures craquent, le sur mesure n’était pas parfait, et puis quelques fois, ça a bien fonctionné !

«D’un piano à l’autre», quelle est la chanson que vous avez écrite pour un autre dont vous êtes le plus fier ?
C’est compliqué. Peut-être que les plus nobles à mes yeux sont celles qui ne m’appartiennent plus, à tous les niveaux. Quand une chanson devient un succès, elle ne vous appartient déjà plus, et elle vous échappe totalement quand vous ne percevez aucun droit dessus. Là, elle devient noble. J’ai donné pour «Ensemble contre le sida» (devenu depuis Sidaction, ndlr) des titres, dont un qui a pris une dimension extraordinaire, presque un hymne, c’est «sa raison d’être».

Et dans votre propre répertoire quel est votre meilleur «Millésime», le titre le plus personnel ?
«So many men» que je chante en duo avec Youssou N’Dour. Une chanson sur la liberté, le métissage, la fraternité…

Vous êtes «Un chercheur d’or» du quotidien : vous pouvez écrire sur tous les sujets, même sur le Covid ?
Oui, on a écrit une chanson «Pour les gens du Secours», en hommage aux soignants avec Marc Lavoine et Florent Pagny. Il fallait lever des fonds pour les hôpitaux. Il y avait urgence. Il y a toujours d’ailleurs. Confinement oblige, on a dû enregistrer nos voix chacun de notre côté, Marc en Normandie, Florent à Miami et moi à Paris.

Même dans ces situations de crise, vous restez «Zen» ?
On ne peut pas rester zen dans le monde dans lequel on vit, hyper violent. Faut faire attention à ce qu’on dit, ce qu’on fait, à protéger les siens. C’est un moment difficile, encore davantage pour les jeunes, qui démarrent dans leur vie dans des conditions folles. Zen… oui, il faudrait l’être… mais en gardant les yeux bien ouverts.

Et puis il y a des causes, les restos du cœur, le sidaction, vous êtes toujours mobilisé contre «L’injustice», «L’inacceptable» ?
Ça me semble un minimum ! Ma vie, c’est de me mettre au service des autres, de la musique, des artistes… Mais la santé, c’est quand même autrement plus important. C’est une priorité. Chacun fait avec ce qu’il a. Je ne me verrais pas fermer les yeux.

Au final, vous êtes un boulimique de musique. Vous êtes vraiment «Tombé pour elle» ?
Oui, il y a comme une forme de stakhanovisme généré sans doute par la peur de ne pas avoir suffisamment créé ce que j’avais envie de faire. Aujourd’hui, j’en profite tant que j’ai l’énergie et la voix pour ça. Je travaille beaucoup sur mon application pour générer le plus d’albums possible. J’ai besoin de chanter. De chanter les gens que j’aime. D’explorer d’autres genres musicaux, du jazz, du flamenco, du classique… Il n’y a que la musique qui puisse me faire sup- porter la vie. C’est mon moyen à moi de reste en vie.

Tellement boulimique, que le rythme d’un album tous les 2 ans, c’est plus possible. Vous vous dites alors : «Je ne sais plus, je ne veux plus» être enfermé dans un système formaté. Et vous créez votre propre espace de liberté artistique, cette appli «Obispo All Access», un journal intime de rencontres, de découvertes, d’invités, de créativité, de lâcher prise en somme ?
C’est en tout cas une façon de vivre à mon propre rythme, d’appréhender la musique dans mon tempo. Celui qu’on me propose ne me va pas. C’est comme si j’avais une formule 1 et qu’on me demandait de rouler à 30 à l’heure ! C’est pas possible. Ma formule 1, ce sont tous mes amis musiciens, des centaines d’idées, de chansons qu’on a envie de faire. Dans mes studios, on fait de la musique non stop. C’est impossible pour moi de faire un album tous les 2 ou 3 ans. Je deviendrais fou ! Et cette application est le moyen que j’ai trouvé pour faire toute la musique que j’ai envie de créer, sans restriction. Qui m’aime me suive ! Pour autant, je ne délaisse pas la musique «physique», je viens de sortir l’album «France». J’ai été disquaire, la musique qu’on va chercher en magasin, ça a du sens pour moi. L’appli, c’est pas pour signer la fin du physique, mais pour avoir un espace pour pouvoir m’exprimer entre deux. Et c’est comme ça qu’en 9 mois, on sort 20 albums. Dans le circuit «officiel», on ne nous le permet pas. J’ai acheté ma liberté. Elle a un coût, le salaire des musiciens, techniciens, des arrangeurs… Et les bénéfices de mes concerts, de mes tournées vont directement alimenter cette espace de création, que je partage chaque semaine, avec mes abonnés. La semaine dernière, c’était un album au piano, la semaine prochaine, je reprends toutes les chansons que j’ai écrites pour Florent Pagny, avec mes arrangements, et au fil des semaines, on va découvrir des ballades entre amis… Je travaille sans cesse sur des chansons que j’ai composées ou celles d’artistes que j’aime et dieu sait qu’il y en a ! Christophe, Chamfort, Aznavour, Jonasz, Cabrel… et tant d’autres.

C’est en alimentant cette appli, que vous êtes retombé sur les morceaux écrits pour France Gall qu’elle ne chantera jamais, ayant décidé alors de mettre un terme à sa carrière. C’est pour ne pas connaître «La valse des regrets» que vous en avez fait un album ?
Exactement, c’est en voulant l’alimenter que je suis retombé sur «Ma génération», et puis, en fouillant davantage, j’ai retrouvé des inédits que j’avais complètement oubliés, qui n’avaient pas été redonnés à d’autres, comme «A qui dire qu’on est seul»… Et j’ai voulu les sortir, en m’amusant, en créant un son à la Berger… Je voulais être solaire comme lui.

Dans vos «cartons», y a d’autres «Secret perdu» ?
Oui, j’ai encore un gros gros dossier qui va arriver d’ici peu. Et plein de pépites qui devraient suivre… Ce sont des choses qui seraient, en temps «normal» (le lent), sorties post mortem. Pour Prince, on aurait retrouvé 6000 titres… Moi, je n’en ai qu’un millier. Alors autant que je travaille dessus tant que je suis là. Au moins, ils seront livrés comme je l’entends ! Et partagés, comme tant d’autres choses (entretiens avec d’autres artistes, documentaires, coulisses…), avec les abonnés, les férus de musique comme moi, tous les vendredis sur l’appli.

La scène, votre «Raison d’être», ou en tout cas celle qui vous permet d’exercer votre passion, c’est pour quand ?
Pas avant 2023, sauf surprise.

+ d’infos : Appli «Obispo All Access», seul moyen d’écouter ses anciens albums, retirés des autres plateformes de streaming et ses nouvelles créations… 5,99 € / mois.

Photos : Dominique Gau

FAN DE

Quel est votre acteur ou actrice préféré(e) ? J’ai toujours adoré Marlon Brando et Meryl Streep.

Quel est l’artiste dont vous adoreriez avoir une création chez vous ? Si vous me l’offrez, une peinture de Klimt !

Votre humoriste ? Louis de Funès.

Votre chanteur préféré que vous doublez sous la douche ? Sous la douche, ce serait ACDC !

L’auteur que vous dévorez ? Là, je lis plusieurs choses en même temps. David Byrne «Qu’est-ce que la musique», j’aime les romans de Stefan Zweig : la confusion des sentiments, 24 heures de la vie d’une femme, Amok, Lettre d’une inconnue… Ou la poésie.

Votre champion ? Zinedine Zidane.

La personnalité politique qui vous fascine le plus ? Barack Obama

Quel homme de l’Histoire admirez-vous ? Nelson Mandela.

Quel est votre héros ? Mon fils, Sean.

Philippe starck

Philippe starck

STARCK-SYSTEM

Il y a ceux qui entretiennent leur corps, l’alimente, le challenge, le font monter dans les tours. Depuis plus de 40 ans, Philippe Starck, lui, nourrit son imagination, défie son potentiel de projection, fait tourner sa force d’invention à plein régime. Mais quand certains pratiquent le sport à haut-niveau, sa discipline, son addiction, c’est la création.

Par où commencer ? Par le tabouret Bubu 1er, le presse-agrumes Juicy Salif, le fauteuil Louis Ghost ou la flamme olympique des JO d’Alberville ? Par la déco des mythiques Bains Douches ou des appartements privés de l’Elysée -sous Mitterand 1er-, la rénovation du Meurice ou du Royal Monceau, le lancement des hôtels Mama Shelter ou du Café Costes ? Par le bateau de Steve Jobs ou le plus long voilier du monde, le premier bâtiment privé gonflable d’Europe ou les logements de l’équipage du module d’habitation de la Station Spatiale Internationale (ISS) ? On en oubliera forcément… Car il y a plus d’idées dans la tête de Philippe Starck que de bulles dans une bouteille de champagne. Chaque centimètre carré de son cerveau, chacun de ses neurones, est mobilisé par un besoin de créer, permanent, urgent, dévorant… Une effervescence tourmentée là-dedans, mue par une obsession : améliorer la vie des gens.

Dans la droite lignée de ce design démocratique qu’il revendique, il imagine d’ailleurs aujourd’hui des maisons qui ne doivent pas “coûter plus cher qu’une voiture”, écologiques et esthétiques. La sienne de maison ? Un havre reculé au milieu des dunes, de l’eau, de la forêt ou une cabane perchée au sommet d’une montagne portugaise. Loin mais proche, sage mais enfantin, rêveur mais bûcheur, le plus populaire des designers français assume ses paradoxes avec lucidité, entre légèreté et gravité.

Photo Sophie Delaporte

Activmag : En ce moment, vous travaillez plutôt sur des projets d’architecture, comme la Villa M à Paris ou la Maison Heler à Metz, est-ce que c’est un temps de récré par rapport à la création d’objets ?

Philippe Starck : Non, pas du tout, parce que l’architecture est encore un métier totalement archaïque. C’est une somme incroyable d’ennuis, on ne crée pas un projet, on résout une multitude sans fin de surprises extraordinairement inventives. Alors pour moi qui suis l’empereur des maniaques, des « control freaks », ça devient extrêmement laborieux. Nous, en plus, nous ne faisons pas de l’architecture répétitive ou commerciale, tout est un prototype, c’est un service de haute-couture. Chaque projet a son propre style, ses propres meubles, ses propres accessoires, sa propre solution architecturale. Chaque projet est une aventure, c’est ça qui m’amuse. Parce que s’il fallait répéter, je me serais endormi depuis longtemps ! Je m’ennuie extrêmement facilement. Ces aventures m’amusent au moment de la création et me détruisent le cerveau pendant les années qui suivent pour les construire. En architecture, il est très difficile de dépasser 60% -et c’est extraordinaire d’avoir 60% !- de cohérence avec le rêve, le projet. Alors qu’en design, on peut très facilement atteindre 99,9%, avec beaucoup moins de travail et le grand plaisir d’avoir un objet parfait. Le design reste donc un grand plaisir, parce qu’on a l’idée et en quelques minutes, on la dessine, on l’imprime. Quand je dis que je peux dessiner une chaise en quatre minutes, ou que j’ai dessiné le bateau de Steve Jobs en 2h30, c’est vrai. Je travaille en manipulant mes rêves et mon inconscient, tout est prêt dans ma tête : j’ai un hologramme dans mon crâne. Je ne suis que l’imprimante de ma maladie mentale qui s’appelle la créativité.

Vous avez imaginé plus de 10 000 objets, est-ce qu’on met autant de soi dans la conception d’une brosse à dent, d’une chaise, d’une maison, du plus grand voilier du monde ou de l’habitacle d’une station spatiale ?
Strictement. Je ne peux pas faire autre chose parce que c’est ma nature. Ma nature est d’un genre passionné, -pas irresponsable, mais pas très loin- : je ne mesure rien. Quand je fais, je fais. C’est un fonctionnement, un devoir et un honneur pour moi de donner la même valeur à un cure-dent, à un méga-yacht ou une station spatiale. La qualité de créativité, la rigueur que j’y mets, morale, éthique, politique, économique, écologique, est strictement identique. Après, ce sont les paramètres qui changent, qui en font toute l’aventure et la diversité.

Fauteuil Louis Ghost
Lampe Bedside Gun

Vous avez travaillé auprès de très fortes personnalités, de Pierre Cardin à Steve Jobs, en passant par François Mitterand ou Serge Trigano, quelles ont été les rencontres les plus déterminantes dans votre parcours ?
Aucune rencontre n’est déterminante dans mon parcours, parce que je suis totalement autiste, légèrement Asperger. Je vis dans mon monde, totalement étanche, totalement autarcique, et je ne rencontre jamais les gens. Je fais ce que j’ai à faire avec eux. Certains sont pourtant des amis. Parce que je suis un sentimental, quand je travaille avec quelqu’un, ma récompense, c’est de voir son sourire au moment où je révèle le projet. La deuxième récompense, c’est quand les clients de mes clients ont le même sourire, que pour eux aussi, c’est un cadeau de Noël. En fait, j’adore faire plaisir.

Galerie Pompadour, Hôtel Le Meurice. Photo Pierre Monetta

Vous vous dites un peu autiste, vous vivez de manière très isolée, avec votre femme et votre fille. Ces périodes de pandémie, d’isolement forcé, vous les avez donc bien traversées ? Qu’en avez-vous tiré ?
Ça n’a strictement rien changé… Ça fait plus de 40 ans que je suis totalement enfermé. Chaque jour, je me lève tôt, je rêvasse dans mon lit pour reprendre bien tout ce que j’ai dans la tête, et je me mets à ma table jusqu’à temps que le projet soit dessiné. Le télétravail -même si j’ai horreur de ce mot- n’est pas une nouveauté : je gère ma compagnie depuis toujours par téléphone et par mails, et tout le monde en est très content. Comme je suis assez pénible à cause de mon souci de perfection, qui frôle l’hystérisme, qui tend tout le monde autour de moi, ils sont très contents de me voir une fois par mois ou moins. Parfois, on se rencontre à Tokyo, à Los Angeles, à Milan, mais le bureau, je souffre affreusement d’y aller. Ce qui est paradoxal, parce que j’ai une équipe formidable, que j’aime d’amour ! Ils sont tous jeunes, beaux, brillants, charmants, bien élevés, rigolos… Ce sont des gens que j’adorerais voir dans le privé, mais on a des relations professionnelles, et je ne vois jamais les personnes avec qui j’ai des relations de travail.

Photo Paola de Grenet

Vous avez parlé tout à l’heure d’ennui, vous avez aussi raconté l’ennui viscéral de votre enfance. Est-ce qu’il vous arrive encore de vous ennuyer ? Est-ce que tout ce que vous imaginez occupe votre cerveau totalement ?
Hélas, ce n’est pas que ça occupe 100% de ma tête, ça en occupe 1000%! Il y a tellement de projets que ça déborde… Donc, je n’ai pas le temps de m’ennuyer, ce qui est très ennuyeux… Parce que l’ennui est un extraordinaire fédérateur de créativité, de calme, de réflexion. C’est comme ça que j’ai commencé d’ailleurs, parce que je me suis ennuyé tellement étant jeune, que pour ne pas sauter par la fenêtre -ce que j’ai failli faire plusieurs fois-, je me suis occupé, puis sur-occupé.

Vous avez aussi comparé le foisonnement de votre cerveau à une maladie mentale. Une maladie, on en souffre… Malgré tout le plaisir que vous prenez à imaginer, à créer, est-ce que ça vous fait souffrir aussi ?
C’est à peu près le même équilibre que pour un drogué. Je ne sais faire que ça et je ne peux pas m’en passer. Quand je le fais, je suis très content, parce que je suis ailleurs. Mais c’est très désagréable pour les gens qui m’entourent, parce que je suis une sorte de fantôme, bien que je sois poli, gentil, aimable, amoureux, même plutôt rigolo, tout le monde sait bien que je suis absent. Donc même s’il ne s’agit pas de souffrance physique, la souffrance est un peu faustienne : j’ai vendu mon âme au diable pour la créativité, je n’ai aucune vie réelle sur le moment. Certains vivent chaque instant de leur vie. Moi, je mourrai en ayant jamais rien vécu de l’immédiat, car je suis un homme de projets, j’en ai plusieurs dans la tête, dans l’avenir, qui sont toujours plus passionnants que le présent. Je suis ailleurs. Malgré le fait que tout ça soit une vie passionnante, formidable, dans des lieux sublimes, avec des gens extraordinaires, ça ne me touche pas… Je mourrai sans avoir vécu.

Vous avez dit : “quand on naît, on signe un contrat avec sa communauté”, quel était le vôtre et pensez-vous l’avoir rempli ?
Mon contrat, je ne sais pas s’il est inné, s’il est vraiment à moi, ou s’il est acquis par le fait de ma courte, mais lourde éducation religieuse. J’étais dans un collège catholique, après la guerre. Ils avaient des véhicules tout terrain, des véhicules militaires cachés, ce sont des gens qui avaient sûrement dû évacuer des Nazis… C’était suffisamment lourd pour me faire accepter que tout ça était inacceptable, et en particulier la croyance. Mais malgré tout, j’ai entendu des choses : qu’il fallait partager et qu’il fallait servir. J’ai eu l’impression que mon destin était d’aider ma communauté à avoir une meilleure vie, d’essayer de partager le maximum de mon savoir-faire, du peu de talent que j’avais. J’ai fait tout ça avec la plus grande foi et la plus grande rigueur. Est- ce que j’ai l’impression d’avoir réussi ? Non. Pour la bonne raison que la chose la plus belle, c’est de créer la vie… J’en suis incapable. L’autre plus belle, c’est de sauver la vie… J’en suis incapable. J’ai été capable, peut-être, de donner un peu de rêve, c’est très faible, surtout à une période vitale où il n’est plus question d’améliorer la vie, mais de la sauver, avec une violence et une urgence extrême. Donc, je me sens incapable, impuissant, et je regrette énormément mon manque de confiance en moi, ma solitude, qui m’ont coupé entièrement de la société étant jeune.

Lustre Joe Tzar

Comment ça ?
Si j’avais été un peu plus à l’école, j’aurais pu faire des choses plus intéressantes que des brosses à dents, qui auraient peut-être pu sauver des vies. Quand je travaille sur un sujet, même des sujets très sophistiqués comme les navires ou les stations spatiales, je suis très bon, je comprends tout. Donc, si j’avais eu plus de formation, j’aurais pu faire mieux. Ce qui aurait été dans la continuation… Mon père, à 17 ans, fabriquait de ses mains ses propres avions, avec lesquels il volait. Il les a construits, il avait une usine d’avions. Donc j’avais un héritage mental clair. Et moi aussi j’ai créé, mais je suis reparti en faisant des balais pour les toilettes ou des brosses à dents… Il y a donc une rupture de charge dans la créativité de la famille, que j’essaie de récupérer en travaillant dans l’espace, ou pour des projets écologiques, des choses très techniques, mais malgré tout, je n’en suis pas l’auteur, je suis autour…

Ce qui est déjà énorme, tout le monde n’est pas «autour» non plus…
Oui, mais si je n’ai pas d’ambition du tout, j’ai une exigence absolue. Donc, à l’intérieur de ma bulle, ce que j’ai créé, je l’ai fait super bien, sauf que ma bulle est inutile. Ça ne servait à rien de faire aussi bien une bulle.

Vous vous définissez plus comme un explorateur que comme un designer ou un architecte. L’explorateur part en terres inconnues, il y en a certainement que vous n’avez pas encore explorées, en dehors de cette bulle ?
Sûrement, mais j’en ai quand même bien fait le tour. Les sujets que je voulais voir, je les ai vus. Maintenant, ce ne sont plus des défis scientifiques qui sont devant moi, mais un défi sentimental, peut-être le principal : être gentil avec ma femme, être présent pour mes enfants, être empathique, être humain au lieu de «sur-humain», comme dit ma femme, mais je pense que ça veut aussi dire «inhumain». Donc, c’est vers l’humanité qu’il faudrait que j’explore plus. Je suis une bonne personne, une très bonne personne, mais je suis un théoricien…

Vous êtes dur avec vous-même…
Oui ! Il faut l’être. Ce n’est pas de la dureté, c’est de la lucidité. Si on n’est pas lucide avec soi-même comment va-t-on s’améliorer, comment va-t-on changer ? On existe simplement en tant qu’animal ayant pour but d’améliorer notre espèce. Basta cosi ! Les gens à la recherche du bonheur me consternent, ceux qui cherchent la richesse me font honte. La seule beauté, c’est de recevoir un acquis de ses parents et de la société, de travailler toute sa vie pour faire mieux et de le transmettre aux enfants et à la société future. Le reste n’a pas d’importance. Il y a devoir d’évolution permanente. Moi, j’évolue en permanence. Chaque seconde, j’évolue.

FAN DE

Quel est le morceau qui vous fait vibrer en ce moment ?
Oh la ! J’ai une sélection tellement formidable… Comme je travaille 20h sur 24, pour me concentrer, le mieux, c’est Brian Eno. Ou le très bon Alva Noto, l’excellent Jóhan Jóhannsson, ou encore le très joli Max Richter… Mais un des meilleurs chanteurs du monde, bien qu’il chante faux et pratiquement à voix basse, s’appelle Owen Ashworth, c’est magnifique. J’ai une grande affection pour lui, parce que si la 1re partie de ce que je vous ai dit est une musique totalement théorique, l’autre est une musique absolument sentimentale, totalement humble.

Un artiste dont vous aimeriez avoir une création chez vous ?
En peinture, j’aime bien mon «frère», Gérard Garouste, et j’aimais beaucoup son beau-frère, David Rochline. Et en tant qu’artiste étranger à ma tribu, j’aime Néo Rauch, mais c’est introuvable hélas.

Un auteur que vous dévorez ?
Je suis amoureux de Victor Hugo, non pas pour ses livres, mais pour son rôle de grand professeur. S’il a été enterré au Panthéon, ce n’est pas pour la qualité de ses livres, mais parce que tout le monde sait ce qu’il a appris aux gens.

Un personnage historique que vous admirez ?
Platon, Ptolémée, Eratosthène, qui mesure la terre avec un chameau, un puit et un bâton de 30 cm. Je suis aussi impressionné par Napoléon, le génie absolu -mais évidemment dans la 1re partie de sa vie- quand il prépare sa campagne d’Egypte. C’est d’une intelligence extraordinaire ! Il est au-delà de l’ultra-modernité : il ne sait pas faire une invasion sans remplir ses bateaux de scientifiques de haut niveau. C’est le génie absolu, mais hélas, le pouvoir corrompt, rend fou, et après ça s’inverse totalement.

Un super-héros dont vous aimeriez avoir les pouvoirs ?
Etre invisible, ça doit être rigolo, mais assez rapidement, ça doit tourner mal, on doit faire des choses pas bien. Lire dans les pensées des autres ? Mais c’est aussi dangereux, on peut en abuser. Un pouvoir qui doit être sympathique, c’est de voler… Nous sommes la seule espèce animale terrienne qui a voulu détacher son ombre du sol, depuis toujours, il y a une pulsion de vouloir voler qui est extraordinaire.

Photo James Bort

https://www.starck.fr/

Thierry Martenon

Thierry Martenon

HOMME DES BOIS !

«Je n’ai ni Dieu ni maître ! Je ne veux personne au-dessus de moi !» s’amuse Thierry Martenon, sculpteur perché sur les hauteurs d’Entremont-le-Vieux en Savoie. Depuis son atelier et à même la matière, il rentre dans la masse et taille à l’émoi.
De petits billots en séquoia, bien plus longs que le bras, il fait feu de tout bois !

À la cool et plutôt bien dans ses baskets, Thierry crée comme il se marre, loin des exigences esthétiques bling-bling qui font mouche. Hors de question d’y céder ! Préoccupé par l’imperfection qui semble dépasser de l’immense sculpture accrochée au mur, il m’explique qu’il n’y a pas de règles dans la création, qu’il bosse au feeling et sans contrainte, et laisse chacun libre de voir ce qu’il veut, inutile de fausser la pensée : “Je n’ai jamais donné de nom à mon travail. Ça laisse la liberté d’imaginer. Nommer, ça oriente et ça referme. Je ne crée pas d’après une idée ou un concept, je suis dans la recherche graphique.” Et c’est réussi ! Des courbes enroulées sur elles-mêmes ou des arabesques à la volée, des formes plutôt carrées, géométriques et parfaitement calibrées, il ressort de son art, l’importance de la ligne, l’horizon de son inspiration, toujours à l’infini, un trait qui donne juste un sens et emmène finalement très loin. Un peu comme son histoire.

Promenons-nous !

Thierry est un enfant du coin. Et là où d’autres ont décampé pour se rapprocher des grandes villes, lui n’a jamais bougé d’un pied. “Ma famille est originaire d’ici, on est du village. Avec mon frère Franck, qui bosse avec moi, nous sommes descendants de paysans de montagne et beaucoup, jusqu’à nos grands-parents, travaillaient le bois. Des transporteurs, des bûcherons, des scieurs… J’ai toujours baigné là-dedans. J’ai fait des études rapides, je n’étais pas fait pour ça, je n’aimais pas  !” Et il ne faut pas longtemps pour comprendre, qu’encore à 54 ans, le sculpteur est un électron indomptable, allergique à toute règle et frustration. Alors, c’est sur mesure qu’il s’est taillé un boulot. “J’ai passé un CAP d’ébéniste, j’étais content.

Tête de bois

Parce que si la théorie lui fait pousser l’urticaire, la pratique, c’est son affaire. “Je bricolais beaucoup enfant déjà. J’étais musicien aussi. L’important est de faire, que ce soit physique, que j’utilise mes mains, ça fait marcher la tête après !” Et pour marcher, elle marche ! Parce que s’il est facile de se laisser embarquer par des mouvements artistiques branchés, Thierry préfère ses branches à lui. Et c’est aussi ce qui le démarque depuis 25 ans, cette identité propre qui ne ressemble à personne et qui l’a un jour, propulsé : “Je suis arrivé là par hasard, un peu par atavisme. Mon travail a été remarqué, j’ai été invité dans un milieu de collectionneurs et adoubé pour participer à une résidence d’artistes aux Etats-Unis. Dans mon esprit, ça a été un facteur déclencheur. Vous savez, quand on vient de la montagne, on a toujours un petit complexe d’infériorité et même si je le vis très bien, ça m’a libéré en tant que…” Il réfléchit parce qu’il ne dit jamais le mot artiste ! “Sculpteur… C’est bien et c’est ce que je suis, ça définit le job et c’est parfait !”

Au bois joli

Et démarrer en pleine effervescence, comme ça, quand on a 30 ans, forcément, ça marque ! Les collectionneurs ont commencé à acheter, les galeries aussi et quel palmarès depuis ces années ! Ateliers d’Art de France, Museum of fine arts à Boston, The Minneapolis Institute of art, idem dans les restaurants étoilés de Christophe Arribert, Laurent Petit, Jean Sulpice ou Serge Vieira, au musée de l’Ours des cavernes d’Entremont-le-Vieux aussi, bien accroché aux racines. Parce qu’elles sont un ciment, la nature originelle qui lui insuffle une forme d’inspiration, symbiose dans laquelle il se réalise. “Je passe beaucoup de temps en montagne, à grimper, j’adore ça. J’ai longtemps utilisé des essences de Chartreuse, mais j’ai de plus en plus de mal à avoir de jolis bois. Mais une chose est sûre, je reste toujours dans la région pour ma matière.”

Aux abois

Frêne, épicéa, noyer ou érable, Thierry dessine ses modèles avant de tailler directement dans le bois. Patine à l’encre, effet brûlé ou brûlé tout court, totems, statuettes, tableaux ou que sais-je, l’art tourne sur lui-même, s’emberlificote et s’entortille, entre recroquevillé sur soi, et ouvert sur le monde : “J’aime les artistes comme Brancusi, ce que font les autres m’inspire beaucoup. Je suis raide dingue de l’art africain et tout ce qui gravite autour des arts premiers. J’ai un peu plus de mal avec le contemporain, sauf le sculpteur David Nash qui travaille du bois très brut. J’ai été bouleversé par celui de Barbara Epworth aussi, une Américaine, c’est complètement fou ce qu’elle fait. Je me suis même dit : Mais pourquoi je n’ai pas eu cette idée avant ! Mais bon, on se marre et on prend la vie comme elle vient et c’est très bien comme ça !”
Aujourd’hui, Thierry planche sur une petite série, dans l’idée de faire plus modeste, un objet précieux façon bijou, plus pratique qu’une sculpture de 2 mètres dans un salon ! Comme il le fait à l’occasion, il choisit de réaliser sa collection en bronze, parce que la seule limite qu’on fixe à la création et celle qu’on s’impose, chez l’home des bois, c’est sûr, on fait feu de tout bois.  

+d’infos : http://thierrymartenon.com

Thierry, ton endroit pour…

… en prendre plein la vue ?
Le sommet de la Cochette ! Un excellent rapport vue/dénivelé ! Il suffit de monter peu pour atteindre un paysage superbe. J’aime beaucoup cet endroit.

… pour buller ?
Les bords du Cozon. Toujours dans le parc de la Chartreuse, c’est un affluent du Guiers, avec des gorges plutôt rafraîchissantes. C’est calme et très apaisant, moins fréquenté que le Cirque de Saint Même.

… pour faire la fête ?
Rock’n Ruines, un micro-festival organisé au Château d’Entremont-le-Vieux. Il se tient tous les ans au printemps, c’est cool et sans chichi, du son, des potes et quelque bières, parfait !

… pour manger ?
La table du moulin des Chartreux 1733 à Saint Pierre d’Entremont. C’est simple et raffiné, tenu par un jeune couple très sympa. Face aux massifs de la Chartreuse, c’est un resto idéal pour passer un bon moment de convivialité, et la convivialité c’est la vie !

… pour se nourrir l’esprit ?
En Chartreuse, les Lances de Malissard sud. C’est vraiment très beau. C’est un sommet de montagne qui permet une déconnexion totale, essentiel pour se ressourcer et booster la créa.

Phanee de Pool

Phanee de Pool

Pied de Pool !

Elle est sauterelle, hirondelle, dentifrice à la coco, un ciel zébré de comètes. Originaire du canton de Berne, Phanee de Pool manie les mots comme d’autres jouent au loto et ça gagne ! En version symphonique ou toute intimité recroquevillée, elle chante comme elle pose ses pieds en vers et contre tout, et ça claque des genoux.

©Yann Zitouni

32 ans, les cheveux relevés à la flou, petit pull marine et accent suisse à couper à la faux, elle deale son autodérision contre rimes et syllabes culottées. Dans un flow total planant, elle «avale et recrache» les mots comme elle déballe les surprises d’une écriture spontanée qui réveille. Dans ce ni queue ni tête de palabres en farandole qui s’affolent, riff, swing, swag, groove et oula hop font slamer sa créativité allumée… Et olé ! Deux albums dans les poches, comme l’auteure compositrice suisse déverse avec humour son inspiration délirante, elle rappe ses épisodes de vies, sans nous laisser Fanny. Rencontre.

Activmag – La musique te colle à la peau, Phanee, tu es tombée dedans ?
Phanee de Pool : Maman Pool est pianiste concertiste et prof de piano, Papa Pool est collectionneur de disques de jazz et ex-homme de radio. Les deux ont créé et dirigé RJB (Radio Jura Bernois ndlr) pendant mon enfance. J’ai été bercée entre Chopin, Rachmaninov, Bach  et Louis  Armstrong,  Ella Fitzgerald, Franck Sinatra et j’ai grandi au milieu de tout ce beau monde!

Difficile de prendre un autre chemin ?
Je ne voulais pas faire de musique. A 7 ans, mes parents m’ont obligée à choisir un instrument. J’ai fait de la clarinette, j’étais mauvaise et j’ai détesté ça. Et puis vers 14 ans, ils n’avaient toujours pas lâché l’affaire, alors j’ai acheté une guitare et quelle belle révélation ! J’ai commencé à faire une école de jazz à Lausanne, mais je n’arrivais pas à lire la musique, j’ai baissé les bras et décidé d’être autodidacte. Je n’ai jamais été très bonne en fait. J’ai commencé à écrire mes premiers textes vers 14-15 ans et je me suis rendu compte que j’aimais manier la plume. J’ai voulu en vivre, mais ce n’était pas possible. Alors je suis devenue flic!

Sacré retournement de situation !
C’est clair… Pendant 7 ans, j’ai été policière et j’ai arrêté en 2018 et repris à 100% la musique. C’est ce passage de vie qui m’a créé un besoin d’exécutoire. Je l’ai trouvé dans la façon d’écrire, de tourner des mots. J’adore la langue française, même si je ne la manie pas bien, et que je fais des fautes, je suis très humble avec ça. Il y en a qui le font beaucoup mieux, moi, je m’amuse !

©Yann Zitouni

Mais d’où vous vient cette plume alors ?
Je n’aime pas lire et on ne peut pas dire que j’ai une culture littéraire ! J’ai lu Germinal à l’école parce que j’étais obligée et les seules choses que j’aime sont les dictionnaires. Je les lis comme on lit une bible. Mais je ne suis pas du tout dans le roman ou l’étude de textes. Quand je sais que certaines de mes chansons sont étudiées à l’université, ça me fait doucement sourire parce que je les ai vraiment écrites sans connaissance de cause. Il parait qu’il y a de l’alexandrin, de la prose en 4, des choses que je ne connais pas, c’est drôle et à la fois joli de vivre ça. Mes premières chansons étaient des amas de rimes, ça ne voulait rien dire, et que de sujets planplan !!! Et puis ma vraie première chanson avec «un peu de succès» est arrivée, c’était Luis Mariano !

Qu’est-ce qui a fait la différence ?
Elle retrace un peu ma vie. Elle raconte que je voulais vivre de la musique et que je n’arrivais pas à remplir mon frigo, qu’il me fallait trouver un autre métier. Et les disputes avec ma mère qui disait : “mais bosse, fais quelque chose, tu ne vas pas rester à ne rien faire toute ta vie.” Cette chanson a vraiment lancé ma carrière, j’avais 27 ans !

Tes textes traitent de sujets lourds parfois… Plus qu’un exutoire, c’est engagé ?
Il y a beaucoup de choses qui ont marqué mon passé, mais dans ma vie musicale, je refuse d’être porte-drapeau. J’essaie de faire passer des messages avec un regard candide et enfantin, mais je ne prends pas parti. Aujourd’hui, pas mal de gens me demandent de soutenir leurs militations politiques ou autre. Et je refuse ! Après, je fais quand même quelques entorses : question écologie, parce que personne ne peut me jeter la pierre en disant : “t’es trop bête d’aborder la question du climat !” Et pour le droit des musiciens, faire comprendre que les streaming ne nous rapportent rien, qu’il faut acheter les albums !

Comment te viennent tes chansons alors ?
Ce ne sont pas forcément des coups de cœur, de gueule ou de sang. En fait, c’est marrant, mais je crois à l’écriture connectée. Il m’arrive d’écrire un truc le soir, et le lendemain matin, je me relis et me demande comment ça peut venir de moi, ce ne sont pas des mots que j’utilise en général. Quand je pars dans des gros délires comme ça, je me dis que je suis une passeuse et qu’on me dit quoi noter. Sans tomber dans le religieux, l’ésotérique ou quoi que ce soit. J’ai juste l’impression d’avoir recraché au travers d’un stylo, sans aucune explication, il doit se passer des trucs un peu farfelus dans ma tête !

Et tu en joues beaucoup, du farfelu, et de l’autodérision…
C’est qu’il y a matière ! Je suis un vrai Gaston Lagaffe, je les enchaîne, je suis maladroite, ma vie est un film ! Je suis à nonante pourcents dans les sketches de Danny Boon. Un ramassis de malentendus, de bêtises, de choses qui vont en travers et partent en cacahuète, on ne s’ennuie pas !

PHANEE, TON ENDROIT POUR…

… en prendre plein la vue ?
Le sommet du Chasseral (BE). Le panard du panard, c’est d’y arriver avant le lever du soleil ou alors d’y aller à l’heure où il se couche. Ne pas oublier le croissant et/ou le demi d’vin blanc avec le paquet de chips, selon l’heure (ou l’humeur).

… buller ?
La vieille ville de Bienne (BE). Il y a quelques années encore, c’était un endroit éteint malgré la beauté du quartier. À l’heure actuelle, ce coin de paradis hors du temps remonte dans le classement des endroits les plus bobos de suisse. Vous y trouverez de tout: des magasins de seconde main, de petits artisans chocolatiers, des bistros adorables, des caves de jazz, un magnifique petit théâtre… bref, c’est ZE place to be pour flâner la tête en l’air.

… faire la fête ?
La coquette à Morges (VD). Festival à ciel ouvert sur le bord du lac Léman. Des concerts gratuits, une joyeuse petite restauration, un cadre paradisiaque. Bref, c’est souvent là que les soirées commencent, se prolongent et se terminent…. et puis paf, oh, on est déjà demain !! Allez, bonne nuit 😉

… manger ?
Le Nénuphare à Saint-Joux (NE). Encore un bistrot pour avoir les yeux dans l’eau (et aussi les pieds, pour autant qu’on ait le courage de faire 60 mètres jusqu’au lac). C’est un endroit que j’adore. Si vous y allez, saluez bien le patron de ma part. Vous verrez que sa moustache ne laisse personne indifférent.

… se nourrir l’esprit ?
Le Jardin botanique de Neuchâtel. J’aime y aller sans le prévoir. Genre, je suis à Neuchâtel et tout à coup, à défaut de rentrer chez moi, je décide de faire le détour pour m’y aérer les idées.

Ton endroit doudou, celui où tu vas pour te ressourcer ?
En balade sur l’île St-Pierre. Quand j’étais petite, mes parents avaient un petit bateau à moteur. Nous partions le matin avec un pique-nique dans une glacière et passions la journée amarés à cette île. Depuis, à chaque fois que j’y vais, je sens ce côté rassurant de mon enfance. C’est un peu ma madeleine de Proust.

+d’infos : www.phaneedepool.com

Sur terre : Gilles Lansard

Sur terre : Gilles Lansard

Photo, boulot, rando

Gilles Lansard met sentiers et sommets sur papier glacé. Mais pour décrocher d’incroyables clichés, il faut commencer par grimper. Un bon reporter en montagne est donc forcément expert en randonnées…

On pourrait presque dire que c’est en montagne qu’il a fait ses premiers pas. Quand on est né ici, c’est souvent comme ça. Mais vers 13-14 ans, Gilles Lansard a eu envie de capturer ces lumières et ces ambiances particulières qu’il découvrait en marchant vers les sommets, un peu comme il aurait rapporté des trophées, mais surtout pour les partager. “Parcourir la montagne, ça permet aussi de déconnecter, de se ressourcer… C’est comme un médicament. D’ailleurs, il y avait un slogan de la Fédération de randonnée dans les années 2000 : «une journée de sentier, 8 jours de santé», c’était très parlant”.

Activmag : Qu’est-ce qui fait une bonne randonnée ?
Gilles Lansard : Avant toute chose, c’est un moment de convivialité, avec des amis ou en famille. C’est aussi un circuit, je trouve des fois un peu bête de revenir par le même chemin. Enfin, c’est un parcours varié, qui n’est pas tout le temps en sous-bois par exemple, qui permet de découvrir différents biotopes. Voilà les trois principaux éléments.

Haute Savoie (74) massif des Aravis, randonnée vers la pointe des Carmélites, dans les Lapias sous la pointe Percée

Vous avez publié plusieurs livres sur la rando, qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire sur les randonnées insolites ?
Dans les bouquins, les randonnées se déclinent souvent par thème : vers les cols, vers les lacs, autour d’Annecy ou d’un massif… Mais aujourd’hui, le randonneur a envie de sortir des sentiers battus, d’aller voir des trucs un peu plus curieux, exceptionnels, comme un nouveau lac qui vient de naître parce qu’un glacier a reculé, ou une formation géologique, une arche, moi j’aime bien les arches… Donc dans ce livre, on n’est pas toujours sur des sentiers bien balisés et encadrés, mais ça permet de découvrir une nature un peu plus sauvage et sauvegardée.

Haute-Savoie, vue de la Tournette sur le lac d’Annecy

Est-ce qu’on trouve encore des balades dépaysantes, quand on a grandi ici et qu’on a traîné ses baskets sur pas mal de sentiers ?
Ah oui ! Allez vous balader sur les lapiaz, par exemple, que ce soit au Parmelan, au Désert de Platée, ou même vers la Pointe Percée, la Pointe des Carmélites. A chaque fois, ça m’épate de voir ce que la nature peut nous proposer, ça me coupe le souffle cette espèce d’univers de dalles inclinées, toutes tortu- rées par l’usure de l’eau, et là-dedans, il y a un arbre qui pousse au milieu d’une fissure… On est vraiment ailleurs alors que c’est juste à côté. Ajoutez à ça la saison, la lumière… C’est tout le temps différent.

On parlait tout à l’heure de circuits, quels sont ceux que vous affectionnez particulièrement ?
J’aime bien le Tour de la Vallaisonnay, du côté de Champagny-en-Vanoise. C’est un petit tour de 3-4 jours accessible avec des enfants, même assez jeunes, parce qu’il est possible de louer des ânes sur le parcours, et qu’il se fait par petites étapes. On monte à des cols assez hauts en altitude, pas loin de 2800m, il y a des marmottes, des lacs, des sommets enneigés en toile de fond, c’est très varié et c’est vraiment une belle initiation à la montagne sur plusieurs jours.

Savoie, massif de la Vanoise, Réserve de Tignes, Aiguille Percée

Vous avez une randonnée «coup de cœur» que vous faites régulièrement ?
Celle que je fais le plus souvent est à côté de chez moi, à la Montagne des Princes, parce que quand j’ai 1h ou 2, je peux vite y monter. J’en connais à peu près tous les chemins. Et en fait, il y en a beaucoup plus que sur les cartes. C’est aussi ça la randonnée en montagne : découvrir des sentes, des chemins de chasseurs, des anciens chemins ou parfois, à côté de chez soi, un bois, un massif, une petite montagne et se rendre compte qu’elle a plein de ressources cette montagne, plein de facettes cachées en dehors des grands chemins balisés qui la parcourent. Dans le Val de Fier, j’ai des chamois pas loin, et on a découvert une espèce de grotte, un abri sous roche. Donc la randonnée, c’est pas forcément symbole de massif du Mont-Blanc ou de grands spots, non, c’est être immergé dans un milieu assez préservé, qui peut être près de chez soi et qui est de toute façon un lieu de décompression et de ressourcement, je le répète, ça vaut tous les médicaments.

+ d’infos : http://gilles-lansard.com
– Savoie, Haute-Savoie, Randonnées Insolites – 2016 – Ed. Glénat
– Les plus belles randonnées du Massif des Bauges – 2017 – Ed. Glénat

Photos : Gilles Lansard

Minh Tran

Minh Tran

Minh de rien

Si dans son atelier annécien, Minh Tran peint d’énormes cœurs débordants, des femmes aux bouches carmin intense des couleurs explosives qui réchauffent les âmes, c’est pour mieux rhabiller son monde. Mais comment peut-on concentrer autant d’énergie positive dans un corps si petit ?

Il a 60 ans et s’habille en 14, termine la plupart de ses phrases dans un éclat de rire, le regard toujours malicieux. Né en pleine guerre du Vietnam, Minh Tran est le 7e d’une fratrie de 11 enfants animant la famille bourgeoise d’un architecte. Il en sera arraché à 18 ans par le régime communiste galvanisé d’un pouvoir fraîchement acquis par les armes. Envoyé en camp de travail, il ne doit sa survie qu’à quelques paquets de cigarettes, un bon tempérament et un projet d’évasion…
“Ce n’était pas une prison, mais un camp de travail forcé. Les conditions étaient dures, le travail très physique et mes aptitudes physiques, euh… plutôt limitées (rires). Je suis tombé malade là-bas, et en 1979, je n’ai vu qu’une issue, m’enfuir. Un ami, qui venait livrer le camp en nourriture, m’a caché dans son camion, et c’est ainsi que j’ai pu m’évader, rejoindre la ville pour prendre le premier train pour Saïgon. De là, j’ai retrouvé l’un de mes frères et on a fui le pays comme boat people pour les Philippines. On a été conduits dans un camp de réfugiés”.

Activmag : Tu passes d’un camp de travail à un camp de réfugiés, tu y as gagné au change ?
Minh Tran : A peine. Au camp de réfugiés, c’est la loi du plus fort pour survivre. Et comme je n’avais pas vraiment la carrure pour intimider, mais que je parlais quelques mots d’anglais et de français, j’ai bossé pour la Croix de Malte, une sorte de Croix Rouge, pour accueillir les nouveaux réfugiés au camp. Du coup, on me respectait… J’y suis resté un peu plus d’un an avant que je sois envoyé à Montréal.

Pourquoi Montréal ?
J’avais le choix entre les Etats-Unis et le Canada. Mais je n’aime pas les Américains… La guerre du Vietnam a laissé des traces. Alors le Canada était la seule option, quitte à patienter plus longtemps au camp pour obtenir cette destination.

Tu as retrouvé tes parents depuis ?
Non, je ne les ai jamais plus revus. Il m’était impossible de retourner au pays de leur vivant. J’étais un déserteur, un sans patrie.

Du Vietnam, de tes parents, tu as gardé quelles valeurs ?
Les communistes m’ont inculqué celle du partage. Dans nos écoles privées, on était plutôt refermés sur nous. On ne vivait qu’entre riches… Quand le communisme est arrivé, j’avais 15 ans et c’est lui qui m’a appris à partager. Même si le régime s’est montré horrible par la suite, au moins, il m’aura apporté ce sens-là. Et c’est grâce à ça que j’ai pu survivre dans les camps. Si je n’avais pas partagé les quelques denrées que mes parents m’envoyaient, du sucre, du sel ou du tabac, je serais mort ! En partageant, on m’a aidé, soigné, quand j’étais à bout de force, certains ont fini mes travaux pour que je ne sois pas corrigé. Depuis ce jour-là, j’ai appris à partager, à aimer les autres. Et puis, de mes parents, c’est d’avoir des convictions et d’être juste. Il faut se battre pour que la société devienne meilleure, aller toujours de l’avant, être dans l’action et ne pas attendre que ça tombe tout seul.

Et tu débarques au Québec à 21 ans, sans formation…
Oui, et contrairement en France, les études y sont payantes. J’ai obtenu un prêt, des bourses, il fallait donc bosser en parallèle pour rembourser. J’ai trouvé un boulot dans un bar. Et j’ai repris mes études, en design au début, puis dans les arts appliqués. J’adore l’art, et sous toutes ses formes… Dans ma famille, au Vietnam, l’art était omniprésent. Mes frères et sœurs jouaient tous du piano. On a eu une belle éducation. Les plus grands sont tous allés dans des écoles françaises. Mais arrivé à moi, je suis le 7e, mon père en a eu marre qu’à table, ça ne parle que français, marre de ne rien comprendre en fait (rires). Il m’a dit : alors toi, stop ! Tu iras en école privée vietnamienne. Il était dur, mais très juste… Les aînés parlaient donc tous français, les plus jeunes anglais. Moi j’ai pioché quelques mots dans les 2… Ce qui m’a aidé au Québec. Et m’a permis de sympathiser avec une fille qui venait prendre un café dans le bar où je travaillais, une étudiante française… On a eu une petite histoire, puis elle a dû repartir chez elle. Au final, je suis resté 8 ans au Québec.

Envie de bouger ?
J’aime les voyages, mais c’était compliqué de partir, je n’avais pas de sous. J’ai réussi à économiser pour me prendre un billet d’avion «open 6 mois» pour faire le tour de l’Europe. J’ai pas mal bourlingué, visité des pays, dépensé tous mes sous. Et en arrivant en France, j’ai cherché à retrouver cette étudiante. Elle vivait chez ses parents à Poisy. Je l’ai appelée, elle m’a hébergé et au bout du compte, on s’est mariés ! Je n’ai jamais pris mon vol retour pour le Québec… On a eu 2 enfants. Au bout de 7 ans, on s’est séparés.

Mais tu es resté ici ?
Oui, j’aime trop cette région, la montagne… j’ai même appris à faire du ski.

Et t’as trouvé un job facilement en France ?
Dès mon arrivée à Annecy, je suis allé à Bonlieu, au centre culturel, il y avait un petit imprimeur qui faisait des affiches pour des associations, des spectacles… J’ai poussé la porte et j’ai demandé «vous voulez pas d’un mec comme moi ?» et ils m’ont embauché !!! J’ai dessiné pour eux, fait des affiches pendant 1 an. Avant de me mettre à mon compte, à créer des stands pour les salons, à faire encore des affiches. Ça a duré une dizaine d’années, et j’en ai eu marre. Après le divorce, j’ai eu envie de tout arrêter, le graphisme, tout…

Même les femmes ?
Ah ça non ! J’y arrive pas (il éclate de rire). Mais ce sont elles qui ne me lâchent pas ! (Rire). Et là je décide de retrouver mes premières amours, l’art. Quitte à gagner nettement moins bien ma vie, mais prendre du plaisir. Et ça me sauve de la déprime ! Je ne m’y attends pas alors, mais ma peinture plaît immédiatement. J’expose partout en galeries, je voyage beaucoup, de la Russie à l’Italie, de l’Espagne à la Slovaquie et bien sûr partout en France. C’était fou. J’ai tant brassé dans ma vie… rencontré tellement de gens magnifiques, surtout en Slovaquie. J’ai tissé des liens avec des artistes là-bas, qui durent toujours. On ne parlait pas la même langue, mais on arrivait à communiquer… en dessinant ! Pour manger, boire, pour tout… un croquis et on se comprenait ! C’était génial. J’aime les rencontres par dessus tout, mais en revanche, à l’étranger, je n’ai jamais touché une femme. Je me le suis toujours interdit. C’est trop facile, notamment dans les pays de l’Est, tu sors un billet et tu peux tout avoir. C’est inconcevable pour moi. Les « bêtises », je les fais en France, pas ailleurs ! (Rires) Je préfère, en voyage, aller boire des coups avec les copains… Et puis, il y a quelques années, j’ai décidé d’arrêter les expos, ça m’a épuisé de bouger tout le temps. Je suis bien ici, j’aime ma tranquillité, je suis confort !

Plus de voyage ?
Si, mais pour partir seul, dans le désert surtout… Pour vivre avec rien comme les peuples sur place, s’adapter, accepter les gens tels qu’ils sont, sans comparaison, sans tentation, goûter aux plaisirs simples, s’émerveiller d’un rien. J’aime le vide du désert de Mauritanie ou celui d’Algérie. Ils me fascinent. Plus il y a rien, plus je suis bien ! Et quand j’ai fait le plein de rien, je rentre.

Et le Vietnam, tu y es retourné ?
2 fois. Mais j’ai été déçu. Le pays a trop changé par rapport à l’image d’après-guerre que j’en ai gardée, et tant mieux pour lui. Mais moi, je n’y ai plus mes repères, l’image figée dans ma tête de gamin ne correspond plus à rien. Et puis j’ai une forme de culpabilité. Quelque part, je les ai abandonnés. Ma vie aujourd’hui est plus douce que la leur.

Qu’est-ce qui inspire ta peinture alors ?
Je suis un hyper sensible, je peins la légèreté pour mieux masquer la tristesse. C’est la beauté de la vie qui m’inspire. Certes la vie est dure. Très dure. Elle l’a été avec moi dans les camps, et même au Canada quand tu arrives avec que quelques mots balbutiés pour tout bagage. Et malgré tout, la vie est belle, les gens aussi. Il suffit de les regarder avec légèreté, avec sensualité et tout devient doux. Je veux mettre de la couleur dans ma vie, sur mes toiles, peindre le beau, cette quête du bonheur parfait si fugace, qui passe et s’échappe parfois si vite.

Et ton bonheur à toi aujourd’hui ?
Oh… je vis avec quelqu’un depuis 20 ans, mais j’ai négocié tout de suite !

T’as négocié quoi ?
L’indépendance. Une vie de liberté et de confiance. Chacun sa personnalité, chacun sa vie… C’est mieux ainsi, ça dure plus longtemps. Avec elle, j’ai eu 2 autres enfants, qui sont grands. Tous des passionnés.

T’es quel genre de père ?
Je suis cool, je laisse vivre, mais avec des règles et du respect. Mais je n’interdis rien ! Je les laisse explorer, tenter des aventures. A la première crise d’adolescence, plutôt que de hausser le ton quand l’aîné est devenu pénible, je lui ai tendu un billet d’avion pour le Vietnam, et je lui ai dit : va faire un tour là-bas, tout seul pendant un mois. A son retour, plus de crise, plus rien, ça a roulé tout seul ! La suivante, Mathilde, pareil, crise d’adolescence, plus compliquée, c’est une fille ! (Rires) Je l’ai envoyée aux Etats-Unis. Retour nickel aussi. (Rires) Le suivant, Hugo, désœuvré après son bac, envie de rien. Au Canada ! Et hop… Pendant 1 an, il a appris à se démerder. Retour dans les rails ! Avec ces voyages, ils gagnent tous en maturité d’un coup. Sauf ma dernière… Elle n’est pas partie, mais elle est moins chiante que les autres. Faut dire qu’elle sait, avec les 3 autres, ce qui l’attend : le goulag !! (Rires)

Et toi, maintenant ?
Je me pose un millier de questions avec l’âge… J’ai toujours vécu au jour le jour, et je crois que maintenant ça me pèse. Je tourne en rond. Je me cherche…

Tu ne nous ferais pas une petite crise de la soixantaine, là ?
Ouh là… Mince ! Tu crois que j’dois prendre mon billet pour la Russie !? (rires)  

+d’infos : http://atelierminhtran.com
Photos : Lara Ketterer

Minh, ton endroit pour…

… en prendre plein la vue ?
Au col de la Forclaz au-dessus du lac d’Annecy. Tu te poses au restaurant, avec une bonne bière et tu admires le lac en entier. Spectaculaire.
… buller ?
Au Chicago, un petit bistrot à Annecy dans un quartier reculé. Quand je me pose là-bas, je suis juste heureux.
… faire la fête ?
Ici, dans mon atelier, quartier de la Mandallaz… J’y fais souvent la fête…
… manger ?
Au Bistrot du Rhône, une rue plus loin. C’est vraiment excellent et l’accueil au top.
… se nourrir l’esprit ?
Mon atelier. Il n’y a qu’ici où je peux me ressourcer. J’y ai créé mon cocon.

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