Graffmatt

Graffmatt

Quand on n’a que le mur

Mur : cloison, enfermement, séparation, lamentations… Mais pour qui manie les feutres et la bombe, c’est avant tout un support d’expression. C’est le cas de GraffMatt, street-artiste savoyard, accro à l’acrylique et expert ès-spray.

Un matin de printemps, en plein centre de Chambéry. Matthieu Lainé, AKA GraffMatt, inspecte sa dernière œuvre : le visage d’une femme de profil, point de départ d’une figure géométrique qui pourrait être une longue vue ou un porte-voix, sur une fresque à laquelle vont venir se greffer les créations d’autres artistes, graffeurs ou non. L’idée ? Que ces panneaux éphémères, devant l’entrée de l’Espace Malraux occupé par les intermittents du spectacle, clament que la culture est toujours bien vivante, malgré la crise sanitaire. L’éphémère, c’est un caractère intrinsèque du street-art, mais Graffmatt, lui, joue -et c’est le cas de le dire- sur plusieurs tableaux. Depuis toujours, il veut vivre de son art, alors il le décline aussi sur toile, carton, palette….
Contrairement à ce que pourrait laisser croire le titre de cet article, il n’a pas QUE le mur, mais il a AUSSI le mur, évidemment. Même s’il n’a jamais été du genre à tagger en 5 minutes, la peur au ventre et l’adrénaline en bombes. Quand il habille une cloison abandonnée sur le site d’Alpina à Chambéry, il ne demande pas la permission, mais informe de sa venue. L’échange reste courtois. “Il a fallu qu’on leur montre, mais les gens commencent à comprendre. Par contre, quand j’ai un projet à soutenir, je dis encore peinture ou décoration urbaine, j’évite de parler hip-hop et graffiti.” Comme en 2019, lorsqu’il honore sa première commande officielle à Metz, pour illustrer l’héritage culturel de la ville. Puis tout s’enchaîne, transformateurs, murs d’école, festivals, réseau de galeries d’art contemporain… Matt graffe encore et encore.

Maise en commun

Vivre du fruit de son imagination, il en rêve depuis qu’il a taillé ses premiers crayons. Mais les grandes écoles d’art sont très compétitives : il a peur de n’y trouver ni sa place ni un débouché, aussi talentueux qu’il soit. Alors cap sur le graphisme, la communication visuelle, puis les boulots dans de petites agences à taille humaine. En parallèle, il expose de plus en plus, dans des bars avec des copains, ou s’exprime au sein du collectif savoyard de la Maise. “Quand on fait un projet commun, c’est plutôt des retrouvailles entre potes, avec un mélange de challenge et de surprises. On ne se parle pas de nos expos, on fait un barbecue et on met du son !” Du scratch et des samples, des rythmes simples et des paroles qui bousculent, bref, du « Boom-Bap », rap new-yorkais du début des années 90, dont GraffMatt est nostalgique. Il n’avait pourtant que 5 ou 6 ans à l’époque, et tournait déjà autour des pots.

Vesoul

Plein la rue !

Les effluves de peinture sont en effet pour lui ce que les madeleines sont à Proust : elles le ramènent à son enfance, à l’atelier de sa mère, dans lequel il était toujours fourré. “Elle était mère au foyer, mais aussi artiste peintre. Elle a souvent été exposée en Suisse. Quand je rentrais de l’école, je faisais mes devoirs à côté d’elle et j’adorais les odeurs, même celle de l’essence de térébenthine quand elle nettoyait ses pinceaux.” Mais la culture urbaine, le foisonnement de la rue, c’est évidemment hors de sa maison et hors de Savoie qu’il les découvre. “J’allais souvent en vacances chez ma grand-mère à Taverny, dans le Val d’Oise, et je lui réclamais de prendre le RER pour aller à Paris. J’aimais voir les trains, les gares, les aiguillages… Ce qui n’est pas forcément beau, mais moi, j’étais fasciné par le monde souterrain, le métro, les labyrinthes, je ne dessinais que ça ! Et quand j’ai été en âge de bouger seul, je lui faisais croire que j’allais au musée, alors que je me rendais sous les ponts et là, je voyais des graffs.”
Aujourd’hui encore, s’imprégner de grosses villes, observer le contraste entre le fourmillement de leurs artères et la nonchalance des ruelles du coin avec la chaîne des Belledonne pour arrière plan, reste pour lui essentiel : “j’ai besoin de masses urbaines pour me sentir vivant, la profusion m’inspire.”

Bleu au cŒur

Paris, Los Angeles, New York… Son univers est donc peuplé de façades, peintes d’après ses photos -un talent qu’il tient de son paternel-, réalistes, mais toujours ré-interprétées. Elles y côtoient des visions de la ville plus fantasmées, proches de la science-fiction, et de nombreux visages croisés dans la rue. Une base sombre, choquée par des éclairs de couleur vive, souvent du bleu. Alors forcément, on pense à Enki Bilal et la référence n’est pas fortuite. “A l’école, on nous incitait à nous inspirer d’un artiste, à réutiliser ses techniques et je l’avais choisi. Je m’en suis vraiment imprégné et ça a été difficile d’en sortir, compliqué de se détacher d’une technique qu’on aime, je recherchais la force qui se dégage de ses dessins. D’ailleurs, je suis toujours en recherche, si un artiste veut être complet et durer, pas sûr qu’il doive s’enfermer dans un style… et puis, j’ai peur de l’ennui, du cercle vicieux.”
Entre remise en question et traces de markers, c’est au pied du mur qu’on voit le graffeur. 

+d’infos : http://graffmatt.com

Matt, ton endroit pour…

… en prendre plein la vue ?
La Dent du Chat. Il faut prévoir la demi-journée, mais après l’effort, le réconfort ! Si tu prends par le col, tu montes en forêt, tu ne vois rien pendant 4 heures, mais quand tu arrives là-haut, sur le bout de rocher, après quelques mètres un peu aériens, tu as tout le panorama à 360° sur le côté lac du Bourget, le Mont-Blanc, les Belledonne, l’aéroport de Chambéry et l’avant-pays savoyard.
… buller ?
Le Cap des Séselets sur le lac du Bourget. Il y a environ 10 ans, ils ont tout refait, on peut se balader à pied, en poussette ou à vélo, un peu comme sur une voie californienne en bord de plage. Il y a des petits pontons, les bords du lac sont vraiment remis en valeur, tout en préservant la faune et la flore. Le Cap est hyper dégagé, tu peux te poser là, tranquille et regarder les kite-surfeurs qui font le show quand il y a du vent.
… faire la fête ?
Je ne suis pas très clubbeur, je préfère les endroits plus authentiques… Lorsqu’il y a des concerts, j’aime bien le B’Rock Art Café à Chambéry, dans le carré Curial. Ils font souvent venir des artistes ou des DJ en vogue. C’est voûté, pas très grand, le son propulse bien et ils servent de bons burgers maison. Je vais aussi au Fût d’Chouette à Drumettaz, pour les bières du monde entier, pour les concerts hip-hop et électros sur la petite scène au fond et pour l’énorme terrasse.
… manger ?
Le Belvédère de la Chambotte pour les produits frais, de saison. Tu peux y monter par des sentiers très sympas. C’est bien d’arriver là-haut en fin de journée, pour avoir le coucher de soleil droit devant… sinon, on mange très bien chez mes darons !
… se nourrir l’esprit ?
La Maise évidemment ! Le collectif s’aggrandit, et il a pris un nouveau virage pour recevoir, devient progressivement une galerie avec pignon sur rue dans le centre de Chambéry. C’est bien pour voir ce qui se passe ou se faire connaître : il suffit que tu traînes un peu dans le coin et que tu saches dessiner pour pouvoir t’inscrire.
Ton endroit doudou, celui où tu vas pour te ressourcer ?
Je n’ai pas d’endroit doudou. J’aime à la fois me ressourcer en milieu urbain et en forêts… Mais ce serait peut-être chez mes parents, à la Motte-Servolex quand même… Ils partagent un grand terrain avec un parc, un étang et tout, il y a un petit côté préservé, nature, tu te sens coupé du monde… et en même temps, il y a souvent du passage, parce qu’ils aiment bien recevoir, c’est toujours vivant !

Valère Novarina

Valère Novarina

Langue vivante

Il joue de la langue comme d’autres joueraient d’un instrument. Il compose avec les mots, choisit les plus beaux, en invente de nouveaux. Mais ce que Valère Novarina, auteur de théâtre originaire du Chablais, aime par-dessus tout, c’est les entendre prendre vie, dans la bouche de ceux pour qui il écrit.

Ça faisait longtemps qu’il voulait passer une année entière aux Gets. Le confinement l’a exaucé. Depuis 14 mois, Valère Novarina écrit avec la Boule de Gomme à portée de bureau, voit défiler les saisons sur la pointe de Nantaux, promène quotidiennement sa démarche incertaine et ses cheveux argent dans la forêt des Chavannes. Ce territoire, le nord de la Haute-Savoie et surtout le Chablais, voilà près de 70 ans qu’il en connaît tous les détours, les sommets, les hameaux… et qu’il en écoute surtout les mots. Il se régale des noms de lieudits : Ouatapan, Seytrouset, Vauverdanne… Il dissèque les surnoms si courants dans nos vallées : «Fanfoué le Piot» pour son ami descendant d’un tailleur de pierre, qui la creusait comme un piot (un pivert) creuse le bois ; «Jean la Grêle», connu pour ses accès de colère ; «Trigaline» qui possédait trois poules… et il s’émerveille des sonorités d’un patois qu’il répète avec gourmandise, le sourire complice et l’œil brillant. “On est ici à un croisement linguistique extraordinaire : vous faites une heure de voiture, on parle allemand, vous descendez on parle italien, et quand j’étais plus jeune, à trois quarts d’heure de vélo, il y avait le patois. Et ce n’est pas du tout du français estropié comme on pourrait croire, mais une autre façon de descendre du latin. Pour le printemps, par exemple, on dit «saillifeu», ça saute, ça sort, ça correspond à la poussée de sève.”

Tomber en patoison

Cette langue, il la rencontre enfant, à l’occasion d’une année passée dans une pension familiale à Morzine. Au milieu des années 50, le tourisme n’a pas encore sorti le bourg de sa ruralité. “J’ai connu des gens du 16e siècle ! Des superstitions, des rebouteux, des hommes qui avaient vu des hommes qui avaient vu le diable… La montagne était un endroit très mystérieux, magnifique, mais effrayant, les paysans y allaient pour chasser ou ramasser des myrtilles, mais pas pour se balader.” De quoi nourrir l’imaginaire d’un gamin de la ville – il a grandi à Thonon –. Dans sa tête, d’ailleurs, il se passe déjà pas mal de choses : il imagine un prisonnier dans la grange, simule des crises de folie pour se tirer de situations difficiles, et commence à rédiger des histoires qu’il cache entre les pierres du mazot, au fond du jardin.
Les germes du jeu et de l’écriture trouvent donc en lui un terrain fertile, alimenté certainement aussi par une mythologie familiale riche, peuplée de sorcières et de bûchers, de militaires italiens à forte tête, de résistants, d’un mariage entre catholiques et protestants, et d’un architecte –son père, Maurice Novarina– qui a marqué de son crayon le patrimoine savoyard, notamment religieux. Mais c’est la musique classique, une sonate de Beethoven en particulier, qui déclenche son envie de noircir du papier. Il a une dizaine d’années, entre dans l’écrit par l‘écoute, lie définitivement sa main à son oreille, et les mots à leur sonorité.

Le Jeu des Ombres ©Christophe Reynaud Delage

Pas bouger !

Après son bac, celui que les Savoyards appellent «Novarine» quand ils l’intègrent, ou «sale Macaroni» quand ils l’excluent, part à Paris pour étudier la philosophie, la philologie, et préparer le conservatoire. En 1974, il a une trentaine d’années quand sa première pièce, l’Atelier Volant, prend corps sur scène. Entre roman et théâtre, son univers a du mal à trouver sa place chez les éditeurs. Mais il s’accroche, à l’image de son ancêtre Sarde qui avait, au 18e siècle, remporté la bataille d’Assietta contre les bataillons de Louis XV : “il avait reçu l’ordre de retirer ses troupes, et il a dit en patois : «Bouja nen !». Il n’a pas bougé, et c’est comme ça qu’il a triomphé. C’est devenu une sorte de philosophie familiale : gagner sans se déplacer.”
En bougeant ou pas, sa trajectoire finit par croiser celle de l’éditeur Paul Otchakovski-Laurens (P.O.L). “Il avait un génie particulier : chacun des écrivains qu’il rencontrait avait l’impression d’être son écrivain principal, un peu comme un roi aurait sa favorite, sa légitime. Donc, c’était très fort.” Les éditions POL publieront dès lors la grande majorité de ses textes -une quarantaine de livres- constitutifs d’une œuvre dont l’originalité lui vaudra, en 2007, le Grand prix du théâtre de l’Académie Française, et en 2011, le prix Jean-Arp de littérature francophone.
Le plus récent, le Jeu des Ombres, un des événements de la saison théâtrale 2020, aurait dû être joué, si la Covid ne s’en était pas mêlée, dans la Cour d’Honneur du Palais des Papes à l’occasion du Festival d’Avignon.

Balade mêlée

Du côté des rencontres qui ont compté, si on se baladait dans la tête de cet auteur prolifique, on croiserait aussi bien le peintre Jean Dubuffet et l’acteur Roger Blin, que François Ducret et Aimé Stehlin, ses amis de Vailly qu’il appelle ses «professeurs de patois» ; on entendrait bien sûr résonner cette langue des montagnes, mais aussi tout un tas d’autres «phrases-repères », dialogues entendus dans la rue, fables de Lafontaine ou aphorismes lus sur des tatouages ; on chanterait les Rita Mitsouko, on marcherait avec Rousseau autour du Léman et on ferait l’ascension du Mont-Blanc ; on peindrait et on dessinerait par «crises», par accès ; et on jouerait évidemment avec les mots, lâchés en toute liberté, rebondissant par lapsus… Mais ce qu’on ne trouverait pas, dans cette mosaïque, ce sont des boîtes, des catégories, des cases. Aucune, en tout cas, pour y mettre Valère Novarina. 

+d’infos : http://novarina.com

Valère, votre endroit pour…

… en prendre plein la vue ?
Au sommet du Môle, ça donne sur Genève et c’est très dégagé autour, on a l’impression d’être en avion. C’est la première montagne qu’on a pu reconnaître en peinture sur «la Pêche miraculeuse» de Konrad Witz (1444), exposée à la Cathédrale de Genève.
… buller ?
A Ouatapan, près de la Vierge, placée là pour célébrer un miracle : vers 1850, presque tous les habitants du hameau étaient partis pour un pèlerinage, il ne restait plus qu’une jeune fille, enceinte. Tout à coup, s’est pointé un homme d’un village voisin qui voulait prendre l’enfant dans son ventre, pour l’apporter comme offrande à une secte. Mais une voix s’est élevée de la montagne, il s’est enfui, la mère et son bébé ont été sauvés et le miracle constaté.
… manger ?
Le Petit Savoyard, à Très Le Mont. Au-dessus, au sommet du Mont Forchat, il y a une statue de St François de Sales sur laquelle on peut lire : «j’enseigne en chaire des vérités que j’ignore complètement», j’ai toujours cette phrase sur moi, c’est la force du vide, de l’ignorance.
… faire la fête ?
Au Feufliazhe à Habère-Poche –festival des musiques de l’arc alpin– avec Marc Bron, professeur de patois.
… se nourrir l’esprit ?
A la Chapelle de la Visitation, à Thonon. J’ai eu la chance d’y exposer des peintures et des dessins, mais c’est aussi là-bas que ma grand-mère allait à la messe, j’ai encore son prie-Dieu. De toute sa vie, elle n’a fait rien d’autre que d’aller à la messe tous les jours et de faire 9 enfants ! Ou à la Maison de la Mémoire à Vailly, un tout petit musée privé où on trouve notamment un buste taillé dans la pierre par Ducret, l’ancêtre de mon ami François.

Edouard Hue

Edouard Hue

Esprit de corps

Danser pour sortir de sa condition d’humain, rendre les corps explosifs, élastiques, presque surnaturels, voilà ce qui titille Edouard Hue, artiste annécien, sensible et spontané, qui, de rencontres en rencontres, chorégraphie ses envies et trace son chemin.

On dirait qu’on serait à la terrasse d’un café, qu’il ferait beau, qu’on aurait commandé deux expressos et un verre d’eau… A l’époque où nous rencontrons Edouard Hue, les bistrots n’ont pas encore repris vie, alors on fait semblant, on « joue à », autour d’une petite table posée sur la scène de l’Auditorium de Seynod. Un endroit dont le gracile trentenaire connaît tous nippons. Edouard connaît les visages et les moindres recoins, puisqu’il y est en résidence artistique depuis bientôt cinq ans. C’est également ici, en mars 2022, que sera joué Yumé, son premier spectacle jeune public, inspiré des films d’animation du studio Ghibli (Mon Voisin Totoro, Princesse Mononoké…) et de contes nippons. Edouard connaît très bien le Japon, contrée de son épouse, les mangas sont sa passion et la danse son équilibre, son espace de création.

A CORPS OUVERT

Une grande liberté !” voilà ce qu’il a ressenti le jour où il a fait ses premiers pas en chaussons, ou plutôt sans, d’ailleurs, car il n’est bien que pieds nus. Il a 16 ans et son sport de prédilection, c’est le basket, une porte d’entrée sur la culture américaine, surtout sur le hip-hop et ses troupes de danse, qui, à l’image des mythiques Jabbawockeez, sont régulièrement invités pour faire le show pendant la mi-temps des matchs de la NBA. Une chance, le Conservatoire d’Annecy est à une foulée de chez lui…
Quand il entre dans le studio de Lyli Gauthier, il ne sait pas vraiment à quoi s’attendre, mais prend rapidement conscience des possibilités : “C’était des sensations illimitées ! Ce qui a été dur, c’est d’utiliser toute l’envergure de mon corps. Comme j’étais ado, j’étais plutôt tourné sur moi-même, et là, il fallait s’ouvrir, se retrouver en position de vulnérabilité, faire des mouvements que tu ne fais jamais dans la vie. Mais cette ouverture de corps m’a fait évoluer aussi dans la tête.” Dès la 2e classe, il sait qu’il veut en faire son métier.

COUP DE BALLET

Une fois son talent révélé, il goûte au classique, puis au contemporain. “Tu peux être inventif dans le hip-hop, mais il y a un vocabulaire, des codes très précis, je trouvais ça trop cadré, alors qu’avec la danse contemporaine, tu peux faire ce que tu veux, mélanger, créer quelque chose de nouveau, c’est une autre dimension.” A laquelle l’initie Robert Seyfried, chorégraphe à l’origine, avec Jean-Claude Gallotta à la fin des années 70, du groupe Emile-Dubois, considéré comme élément fondateur de la nouvelle danse française. Une figure qui le couve encore du regard.
Comme le font Patrice Delay et Sean Wood, les deux directeurs du Ballet Junior de Genève, où il se forme pendant trois ans après le conservatoire. “Quand j’y suis allé, j’ai fait une audition moyenne, mais ce sont des gens qui croient au potentiel, ils m’ont fait confiance. Aujourd’hui encore, Sean est toujours de bon conseil, il a un point de vue différent, du recul, c’est très précieux.

MAÎTRES À DANSER

Et puis sa route croise celle de monstres sacrés, de ceux qui prennent de la place, transforment la matière, font vibrer l’air. Le premier, c’est le détonant Hofesh Shechter, qui s’impose depuis une décennie comme l’une des figures les plus reconnues de la scène internationale, et avec qui il travaille pendant un an, à Londres. “La meilleure chose qui me soit arrivée dans ma carrière, c’est d’entrer dans sa compagnie et d’en sortir ! C’est un génie du mouvement, il a révélé des qualités de corps nouvelles pour le public et il y a chez lui les meilleurs danseurs que je n’aie jamais rencontrés. Il a changé ma perception des choses, m’a amené à un haut niveau, mais il a une patte précise, très identifiable. Quand je suis parti, ça m’a forcé à chercher autre chose, à me demander comment j’avais envie de danser.
Pour définir les contours de son propre langage, en 2014, Edouard crée donc Beaver Dam, sa compagnie. En parallèle, il continue à danser pour les autres, et notamment pour une autre bombe des plateaux, l’explosif Olivier Dubois. “J’ai commencé avec Tragédie –pièce dansée entièrement nu– , puis Prêt à Baiser, pour laquelle on se roule une pelle pendant 30 minutes. C’est une vraie performance physique, parfois même assez violente, mais j’ai accepté de le faire avec lui, car c’est quelqu’un d’incroyable, de solide. Il a été aussi le mentor pour une de mes créations, en studio, et m’a clairement fait gagné 10 à 15 ans de vie artistique en 3 minutes, m’a appris que tout est possible.

Tout, et partout. Aujourd’hui à Annecy et Genève, demain en Autriche, en Israël, au Japon ou au Panama, Edouard Hue est comme le castor (beaver en anglais) qui construit son barrage (dam), il bâtit sa carrière petit à petit, de scène en scène, toujours conscient de sa chance : “je suis un diesel, je préfère prendre mon temps plutôt qu’exploser. Je veux pouvoir faire mes choix pour les bonnes raisons, parce qu’artistiquement je m’éclate, pas pour qu’on parle de moi.” Edouard veut rester libre, quoi… Une Hue-topie ?

EDOUARD, TON ENDROIT POUR…

… en prendre plein la vue ?
Le Pâquier avec la vue sur le lac d’Annecy et les montagnes, c’est tellement vaste et panoramique ! J’y vais tôt, avec ma petite famille, et ce mélange de gris, de vert… Par tous les temps c’est magnifique !

… buller ?
Sur la promenade Sainte-Thérèse du Québec (derrière le quartier de la Mandallaz à Annecy) dans le virage, il y a un petit escalier qui descend à gauche, et je me pose sur les bancs à côté de l’eau, accompagné d’un manga bien sûr ! J’ai l’impression d’être un petit papy…

… faire la fête ?
Je ne suis pas vraiment un oiseau de nuit, les boîtes, tout ça, c’est pas mon truc, je préfère aller chez mes potes. Mais j’aime bien retrouver les amis d’enfance pour un pot au Finn Kelly’s Irish Pub dans la vieille ville.

… manger ?
Une Autre Histoire, rue Royale, c’est simple, raffiné, quasi gastro. Chaque fois qu’on y va, c’est du lourd !

… se nourrir l’esprit ?
L’atelier du peintre Marc Limousin, Côte Perrière dans le vieil Annecy. Tu es en pleine ville, dans le réel, et dès que tu franchis la porte de son atelier, que tu entres dans son univers, c’est un autre temps, un autre espace, c’est coloré, épuré, très puissant.

Ton endroit doudou, celui où tu vas pour te ressourcer ?
La Promenade du Thiou en direction de Cran-Gevrier, tu te retrouves au bord de l’eau dans la forêt, avec l’odeur présente de la nature, ça fait du bien ! Tu as vraiment l’impression d’être dans un bois, plus du tout en ville, et je trouve ça assez rare.

+ d’infos : http://beaverdamco.com
« Yumé » du 24 au 26/09/21, salle du Lignon, à Vernier, Suisse.
« Molten », le 18/11/21 à l’OCA de Bonneville.

©Grégory Batardon

Olivier Föllmi

Olivier Föllmi

A hauteur d’âmes

Il a atteint des sommets, parcouru le monde et apprivoisé son toit. Mais son truc à lui, ce ne sont ni les défis, ni les exploits : les hommes tracent sa voie. Regard vert, sourire doux et tutoiement immédiat, rencontre avec Olivier Föllmi, le photographe voyageur originaire de St-Julien-en-Genevois.

Le Jura, le bassin genevois, le Salève et une rangée de sommets alpins encore enneigés, c’est sur cette vue panoramique que donne le bureau d’Olivier Föllmi. Un bureau nomade et autonome, un camping-car qu’il pose au Mont-Sion. Pour gérer l’administratif, c’est à la maison. Pour écrire, il s’enferme dans l’une des tours de la Chartreuse de Pomier, à une poignée de kilomètres de là. Et quand il a besoin de calme et d’inspiration, c’est au milieu des champs, sur ce bout du chemin de St Jacques de Compostelle, qu’il gare son camion.
Mais qui aurait cru que celui qui a capturé visages et paysages aux quatre coins du globe finirait par poser plume et trépied là où il est né ? Il en est le premier étonné. L’amour pour une fille du pays et la vie de famille l’ont récemment amarré en Haute-Savoie. A 63 ans, le photographe-voyageur multi-primé goûte donc avec ravissement à la tranquillité.

Grande marche pour tenter de quitter le fleuve et échapper au piège du canyon, Zanskar, Inde.

Cordées et clichés

Car depuis l’adolescence, il est surtout habitué à l’itinérance, au mouvement et à la frénésie. Ça commence avec sa passion pour la montagne. Ou plutôt pour les fonds marins, mais un problème de tympan l’empêchant de plonger, il décide de grimper. Il se rêve alors guide et finit par passer plus de temps en cordée qu’au lycée. Quand, à 17 ans, des copains alpinistes, plus âgés, lui proposent l’Afghanistan, il fonce. Il potasse tout ce qu’il y a à potasser sur ce pays et décroche, auprès du Rotary, de quoi financer son voyage. Et parce qu’il doit évidemment documenter ce périple, il le fait en photos : la pellicule est enclenchée.
Débarqué à Kaboul quelques semaines avant ses acolytes, il parcourt le pays à pied. “C’était inouï de beauté et c’était tout ce que j’aimais : l’effort, arriver dans des villages hors du temps… Ça m’a mis le pied à l’étrier du voyage. Mais ce n’est pas le sommet qui me plaisait le plus, c’était la marche d’approche et le retour au camp de base, avec les caravaniers. Là, j’ai compris que la montagne ne m’intéressait que s’il y avait des hommes.” L’année d’après, il reprend la route des Indes dans un bus postal rempli de hippies et d’un nuage de hash, vise le tour du monde et reste scotché au Népal.

Le pèlerinage de Bodh-Gaya
Paldmo 10 ans, habillée pour le nouvel an tibétain, dans la région du Kham (Chine).

Chang et Bang

A partir de ce moment-là, sa connaissance de la région himalayenne lui permet de gagner sa vie en encadrant des treks pour une agence de voyages genevoise. Un pied en Europe, l’autre en Asie, Olivier s’imprègne petit à petit de la culture bouddhiste, de son application dans tous les gestes du quotidien. Jusqu’au jour où se réveille une envie plus profonde de spiritualité… au volant d’une golf GTI. “Quand on met ce genre d’engin entre les mains d’un gamin de 20 ans, on sait comment ça finit…” Dans l’Arve en crue, après un saut de 8 mètres et la rencontre avec une ligne à haute tension. Chute, électrocution, noyade ? Rien de tout ça : « Il échappe trois fois à la mort ! », lit-on en gros titres dans la presse locale.
Il en ressort exalté, ayant goûté à une sorte de plénitude qu’il aimerait retrouver. Auprès de moines peut-être ? Il part donc un hiver entier pour une retraite au Zanskar, la plus haute vallée peuplée de l’Himalaya : un monastère suspendu à une paroi, en face d’une rivière gelée, à 4000 m d’altitude, dans une cellule à -30°C, avec une ration quotidienne de farine d’orge. “J’ai adoré. C’est un monde plutôt gai en fait, mais trop intérieur. J’aimais trop les vices de la nature humaine pour devenir moine, j’avais besoin de vie. Un jour où je n’avais pas le moral, le chef spirituel m’a emmené dans les maisons de l’autre côté de la rivière. Il a demandé aux habitants de faire la fête, on a commandé du chang (sorte de bière traditionnelle), il m’a saoulé et je suis remonté complètement requinqué !”

Ici et là-bas ?

A cette époque, s’il rentre régulièrement en France, pour lui, la vérité est dans l’Himalaya. “Quand je revenais, c’était pour gagner de l’argent. A St Ju, j’étais habillé en Tibétain, ça a dû faire rire pas mal de gens, mais pour moi, le monde occidental, c’était de la merde. J’avais 20 ans, j’étais entier…” Jusqu’au jour où la jeune épouse d’un de ses amis tibétains meurt en couches. “Là, j’ai réalisé que la technologie a du bon. J’ai aussi compris je ne pouvais pas être entièrement tibétain, j’étais les deux. J’aimais aussi revenir ici, retrouver ma famille, mes amis, ma culture, la nourriture, une partie de moi-même… Quand j’ai compris ça, j’ai appris à être bien partout, j’étais vraiment un voyageur.”
Peu à peu, sa passion pour la haute montagne s’effrite aussi. Il en supporte de moins en moins l’âpreté. “Au-delà de 7000, ça ne va jamais bien ; à 8000, tu n’as plus que 20% de tes capacités mentales, tu n’as pas la force de parler, tu as mal à la tête, envie de vomir, tu passes ton temps à regarder ton réchaud pour faire de l’eau, tu tournes en rond – c’est le grand bleu, quoi !” Une dernière expédition particulièrement éprouvante, au Népal, marque l’arrêt de ces courses. “Quand je suis redescendu, j’ai vu un premier brin d’herbe, puis une fumée de cheminée, j’ai entendu le braiement d’un âne, une voix de femme, et je me suis mis à pleurer : je n’en pouvais plus de toute cette minéralité”. Dès lors, il se concentre sur l’humain.

Mage et images

Et la photo est un miroir de ces échanges. Des échanges qu’il provoque, non pas avec son boîtier, mais avec des tours de magie ou même une simple boîte à meuh. Au fond d’une vallée du Ladakh, dans un village du Burkina, ou en Amérique du Sud, quel que soit l’endroit, ça marche toujours. “Tu dis : « j’ai amené ma vache », et avec un truc aussi con que ça, tu fais rire tout le monde, toutes les portes s’ouvrent. Ça m’oblige aussi à transcender mes états d’être : je suis obligé de donner le meilleur de moi-même. Comme un troubadour avec son public.”
Et c’est souvent là qu’il réalise ce qu’il considère comme ses plus beaux clichés. “Tu en as toujours, dans l’assemblée, qui ne s’intéressent pas, qui ont perdu leur joie de vivre. Quand je repère une personne comme ça, je demande à la photographier, mais souvent elle ne veut pas, elle a perdu sa confiance en elle, sa dignité. Alors, je la prends par la main et je l’installe sur un muret ou une pierre, pour qu’elle soit à l’aise, je la bichonne et on déplie les réflecteurs, le trépied, la totale… Je prends mon temps, j’attends que tout le monde ait fini de se moquer, que le silence s’installe. Et petit à petit, la personne relève d’abord les épaules, la tête, puis elle est capable de regarder l’objectif. Quand j’ai la chance de vivre ça, j’en ai les larmes aux yeux, et la personne que je photographie aussi. Valoriser l’autre, c’est ce que j’adore. Ne faire que de la photo pure et dure, ça ne m’intéresse pas, ce que je veux, c’est me relier à l’âme de l’autre.”


Olivier, ton endroit pour…

… en prendre plein la vue ?
Sur les crêtes du Jura face à Genève et au Mont Blanc, sur les crêtes du Salève pour admirer le bassin genevois, sur les crêtes du Mont Veyrier pour m’émerveiller du lac d’Annecy, ou celles du Semnoz pour m’enivrer de beauté et d’espace !

… buller ?
Pour moi buller, c’est aller dans n’importe quel champ de chez nous au début de l’été pour m’étendre dans l’herbe, écouter les chants d’oiseaux et me relier à l’univers.

… faire la fête ?
Au festival de Guitare en Scène à Saint-Julien-en-Genevois. Un petit festival très convivial et chaleureux qui a le pouvoir d’attirer les plus grands noms de la musique et de la guitare.

… manger ?
La Perle du Lac à Genève ou les Terrasses du lac à Annecy. Des emplacements de rêves face au lac et aux montagnes, tout en se régalant le palais ! A Evian, le Royal est inouï de finesse et de beauté et le peu de fois où j’ai eu la chance d’y être invité (la carte dépasse mon budget…), cela me marque encore.

… se nourrir l’esprit ?
J’aime m’inspirer au musée éthnographique ou au jardin botanique de Genève, au Musée de l’Elysée (qui va déménager à la plateforme 10) à Lausanne et à la fondation Gianada à Martigny. J’ai toujours du plaisir à revoir le Musée Alpin à Chamonix pour honorer le courage des pionniers de l’alpinisme.

Ton endroit pour te ressourcer ?
La Chartreuse de Pomier, réputée pour l’organisation d’évènements sur les flancs du Salève dans le bassin genevois. J’y ai un bureau d’inspiration au sommet de l’une des tours emplies des bonnes ondes des Chartreux. C’est là que j’écris.

+d’infos : olivier-follmi.net

BELINDA FRIKH

BELINDA FRIKH

A l’encre de ses yeux

Barbarella, Mireille, Mata Hari ou Madame Claude, ces héroïnes mutines posent, s’affichent avec force sous les traits de pinceaux de Belinda Frikh. Un mix clash trash élégant et sensuel que l’artiste annecienne gribouille dans les yeux, on a dit les yeux.

Sexy, glamour, chic, provoc’ ou libertin, chacun y verra ce qu’il veut, ses dessins parlent autant que Belinda est bavarde, et c’est dire ! Mais pas de blaba : “Je ne vends pas de message, ce n’est pas conceptuel, c’est du feel good, même si, mine de rien, je tape dans l’inconscient !”, cadre-t-elle d’emblée. Parce que son inspiration vient de partout. De sa boulimie pour le cinéma, la littérature et l’Art en général, de ses 25 années anglaises dont elle atterrit à peine, de sa vie, chanceuse et un peu cabossée, mais sûrement pas tourmentée ! “Je ne suis pas torturée ! Je travaille sur les codes de beauté des années 20 aux 80, je peux passer de l’Art déco à l’Art Nouveau en passant par les sixties. En gros, j’essaie de mixer 8 ans d’histoire de l’art avec mon travail dans la mode, les nombreuses illustrations faites, entre autres, pour Stella McCartney… Au départ, je cherchais mon style comme tout artiste. J’aimais ce que je faisais, mais je savais que je n’étais pas totalement parvenue à être moi. Aujourd’hui, c’est chose faite.”.

Raisons et sentiments

Des cheveux blonds jusqu’aux épaules, la malice planquée derrière ses lunettes rondes, la dessinatrice de 48 ans pétille comme les bulles du champagne, délicieuse par endroit, grisante d’un autre, et si elle ne dit pas 1000 mots à la minute, on y est presque. Rentrée depuis peu à Annecy, elle porte les marqueurs de la vie londonienne, l’originalité, le décalage, cette élégance so british qui ne s’explique pas et ça lui va bien. A 23 ans, tête brûlée, elle avait débarqué dans la capitale anglaise, une créativité folle dans les mains, et une (pas si) fâcheuse tendance à nager à contre-courant. L’art est subjectif, pas rassurant comme projet pro, et dans les années 80, il fallait un sacré plan B pour convaincre ses parents d’aller dans cette direction. Alors Belinda conjugue deux cursus, un commercial, un artistique et rafle deux bacs ! Mais dare-dare, l’art gagne la partie. Elle fait les Beaux-arts à Annecy, part pour Lyon fignoler le sujet et direction donc Londres, où l’emporte le vent.

La chevauchée fantastique

Et les années vont être fantastiques, unbelievable même ! Elle travaille au Westbourne, un pub branché de Notting Hill. Elle fait des rencontres dingues, griffonne un peu, sans plus, mais suffisamment pour se faire connaître et tatouer les esprits. Une collaboration de ci, de là, tout s’enchaîne et s’emballe à l’accéléré. Massive Attack, Philippe Starck, Jamiroquaï, elle croise l’improbable et savoure l’instant. Du fashion design pour Sonja Nuttal ou Julia Clancey, elle crée pour Levi’s, Sony, Bonds Australia ou MTV et croise la route d’Inkie, figure incontournable du street art anglais. Il lui reconnaît un truc, ce petit quelque chose qui saute aux yeux. Il la booste, elle s’envole, quand le temps s’arrête net. Victime d’un accident grave, Belinda, contrainte à de longs mois de rééducation, s’enferme dans sa bulle pour revivre, une bulle de culture où films, livres et histoires en tous genres bousculent sa créativité. Elle synthèse son parcours et passe tout au shaker… Eurêka, son style est là…

Et Dieu créa la femme

La femme explose en plein jour, franche et charnelle, version haute couture. J’y vois du Klimt, du Chantal Thomass, mais il n’y a pas de règles. “Tout le monde, même ceux qui ne kiffent pas trop l’art, y trouvent quelque chose. Ce sont les yeux des héroïnes qui aimantent. La sensualité passe par là, sans jamais tomber dans le cru, ce n’est pas mon truc : on n’est pas obligé de tout montrer. Un jour, j’ai fait un dessin avec des fesses bombées, une culotte dorée et des Stiletto, il est parti en 5 minutes, alors que j’étais gênée de le faire, d’être allée trop loin.” Et cette image de la femme, de l’esthétique dominante au respect profond, répond à son admiration pour la période pré-Raphaélite, celle qui rend grâce à une beauté juste, éclatante et surtout morale. Des femmes en pagaille, l’œil perçant et appuyé, marquantes et pleines de charisme, qui cachent derrière la noirceur des traits, l’impact séducteur de leur féminité. Courbes généreuses, bouches carminées, elles interpellent, attirent et appellent à la curiosité, révélées par des notes d’or qui les mettent en lumière. “Les héroïnes que je dessine ne baissent pas le regard et c’est très rare. Dans l’histoire de l’Art, les peintres qui étaient majoritairement des hommes, demandaient toujours à la dame de le baisser et d’être un peu soumise…” Aujourd’hui ne reste plus qu’à y plonger, ça tombe bien, Belinda a jeté l’encre. 

BELINDA, TON ENDROIT POUR…

… en prendre plein la vue ?
Le lac des Confins, je pourrais y passer des journées entières. Il y a notamment le restaurant Le Foly, chez Etienne -un caractère haut en couleur-, il a une super terrasse sur le lac. C’est mon cimetière des éléphants et l’automne, avec les 50 nuances de vert, c’est incroyable. C’est mon lieu préféré et de loin.

… buller ?
Les bords du lac d’Annecy. J’ai la chance de vivre à 200m. Pour moi, c’est Méditation Ponton Paddle… Sacré cliché !

… faire la fête ?
Le Vin Chez Moi, pour l’ambiance, la gentillesse de l’équipe et de son patron Anthony. On y fait de belles rencontres, les gens ne se prennent pas la tête et c’est un bon compromis pour faire la fête ! Et la carte de vins est super étoffée en plus de ça.

… manger ?
La Brasserie Saint Maurice. J’ai l’impression d’y être comme à la maison. Il y les habitués, ça bouge, ça court dans tous les sens, c’est plein de vie ! C’est une institution où tout le monde se retrouve. Et puis je suis totalement conquise par le risotto aux noix de Saint Jacques et le magret de canard sauce foie gras.

… se nourrir l’esprit ?
Chez moi, avec mes livres, mes films, mes plantes et ma musique. Après mes années à Londres où la vie culturelle est si intense, et avec le confinement, je n’ai encore pas pu éplucher toute la région pour avoir un coup de cœur. Vivement que je parte à la découverte des richesses du coin !

Ton endroit doudou, celui où tu vas pour te ressourcer ?
Le château de Morgenex, près de Vallières. Mon ami est propriétaire de ce magnifique domaine et j’y vais très régulièrement pour recharger mes batteries, j’ai même mes «quartiers» pour dessiner tranquillement. Il y a une forêt, des lamas, des chevaux, il y a toujours quelque chose à faire, pour moi c’est le domaine magique et idéal. C’est mon paradis caché !

+d’infos : Instagram belindafrikh

en station : Jérôme Obiols, photographe

en station : Jérôme Obiols, photographe

Pics & clics

Image : Grimpeur au sommet de l’Aiguillette d’Argentière la nuit avec un faisceau lumineux. En arrière plan, l’Aiguille Verte et la voie lactée. Un bouquetin curieux assiste au spectacle en silence.

Elles lui ont littéralement tapé dans l’œil, bousculé la focale et imprimé la rétine. Depuis que le photographe lyonnais Jérôme Obiols a découvert les Alpes, il convoite leurs sommets, lorgne sur leurs courbes, a des vues sur leurs aiguilles et n’attend que de les capturer, avec ou sans philtre.
Jérôme Obiols n’était pourtant pas le premier monchu venu. Depuis tout petit, il arpentait, avec parents et fratrie, les chemins du Capcir, au-dessus de son Aude natale. Il connaissait la pêche à la mouche dans les torrents, les feux de camp, le zip de la tente qui révèle le soleil et son incroyable lumière. Mais les plateaux pyrénéens ne l’avaient pas préparé au choc alpin.
En 2001, après des études d’ingénieur, il accepte un premier poste à Lyon, et c’est à l’occasion d’un week-end entre copains qu’il découvre la vallée de Chamonix. “On avait fait la route de nuit, je n’avais rien deviné du paysage, et je me revois le lendemain matin, sur la terrasse du chalet à Argentière, au pied de l’Aiguille Verte recouverte de neige, avec le glacier, tout ça… Un vrai choc ! On a fait une petite randonnée sur les Aiguilles Rouges, et ma mâchoire tombait, je ne savais plus où donner de la tête. Ça a été le déclic. J’y suis retourné dès que je pouvais ».
C’est à force de revenir qu’il découvre aussi que la montagne, ce ne sont pas que des chemins et des sentiers, mais aussi des faces, des couloirs, des cordées. “Je savais marcher, lire une carte, me repérer, mais je ne connaissais pas l’alpinisme, je n’avais aucune idée de comment on grimpe, comment on descend… Alors j’ai commencé à me documenter, à lire pour connaître les bases.
Jusqu’à s’inscrire pour un stage et, à 25 ans, faire ses premiers pas sur un glacier. “C’était la 1re fois de ma vie que je montais au-dessus de 3000 mètres, ça reste gravé. Bien sûr, on peut prendre le téléphérique pour s’immerger, voir de beaux paysages depuis l’Aiguille du Midi, mais ça n’a pas la même saveur que quand on a fait un effort pour mériter la vue, ce sont des images qui marquent.

Massif du Mont-Blanc.

EXTERIEUR, NUIT

Les images, à cette époque, ça fait déjà quelques années que Jérôme essaie de les fixer. Etudiant, il avait d’ailleurs transformé sa salle de bains en chambre noire : avec du scotch pour calfeutrer la porte, une grande planche et trois bacs sur la baignoire, il développait les clichés pris avec son premier Reflex. “Même si je me disait que ça resterait un hobby, j’ai toujours essayé de faire «comme les pros» : bien.” Mais il découvre le numérique en même temps que le piolet et pendant presque 10 ans, sa passion dévorante pour les sommets réduit son activité photographique à la simple collection de souvenirs, «un peu accessoires». Jusqu’à ce qu’il s’offre LE matos, à la naissance de son fils en 2012. Avec l’hyper-sensibilité de cette technologie de pointe, et les conseils d’Eric Courcier, un ami photographe chamoniard, il commence à voir des choses que les autres ne voient pas encore… Il voit la nuit !
Ce qui m’a plu, c’est qu’on montrait la montagne différemment, pas avec un grand ciel bleu, mais un grand ciel noir ! Je ne savais même pas que c’était possible. L’appareil, avec un objectif adapté, perçoit beaucoup plus de choses que l’œil humain.” Et c’est là que sa connaissance de la montagne s’avère précieuse. “Quand on fait de l’alpinisme, on part très tôt le matin, à la frontale, ce ciel incroyable, c’est quelque chose que j’avais déjà vu. Je savais donc où me placer, parce que la nuit, comme on ne voit strictement rien, il faut avoir tout repéré d’avance. Et ça ne sert à rien de regarder dans le viseur ! Quant à la mise au point, à l’aveugle, ce n’est pas simple…

Image de nuit du massif du Mont-Blanc avec la voie lactée au-dessus du Mont-Blanc et de la Vallée Blanche (mer de Glace).

JOURS DE NEIGE

Jérôme passe donc beaucoup de temps à dénicher des points de vue depuis lesquels capturer la voie lactée. Car elle ne se donne pas au premier venu, elle impose sa saison, ses conditions, une direction… et de la patience. “Je me souviens de sessions qui ont duré jusqu’au lever du jour. Pour la photo de la voie lactée au-dessus de la Mer de Glace, par exemple, on allait dormir au refuge du Couvercle après 4 heures de marche assez technique. On arrive, il pleut, on se dit que c’est fichu. Mais vers minuit, quand les premiers alpinistes se lèvent pour repartir, j’ouvre la fenêtre et tout s’était éclairci. La pluie avait rincé l’atmosphère, il n’y avait plus une particule en suspension. On est sorti faire des photos pendant 2 ou 3 heures, il ne faisait pas froid, alors on est resté là, et en fin de nuit, on a réussi à prendre le jour qui se lève, avec les étoiles. Quand on a le temps, on voit des choses différentes.
Mais le photographe alpiniste n’est pas qu’un animal nocturne. Et il sait aussi être extrêmement réactif, saisir l’instant. Comme pour cette photo de l’Aiguille des Deux Aigles, enveloppée de brume, prise en dix minutes depuis la vallée, après trois jours de tempête. “J’étais au bon endroit au bon moment. C’était il y a 8 ans maintenant, mais je l’aime toujours autant, elle représente la pureté de la montagne après les premières neiges, son côté inaccessible, et on dirait un peu une estampe japonaise.” Une esthétique qui lui parle. “J’aime beaucoup le travail de celui qu’on considère comme le maître incontestable de la photo de paysage en noir et blanc, l’Américain Ansel Adams, ses compositions sont absolument parfaites, hyper soignées. J’aime aussi les clichés épurés d’Emmanuel Boitier. Quand on les regarde, on pense que c’est très simple, mais on s’aperçoit vite que c’est très compliqué de faire de belles photos simples, et c’est ce que je cherche.

Arbre isolé sur une falaise entourée de nuages. Massif du Mont-Blanc.

+ d’infos : http://www.jeromeobiols.com

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