VILLES THERMALES : LA LÉCHÈRE-LES-BAINS

VILLES THERMALES : LA LÉCHÈRE-LES-BAINS

UN DESTIN FAIT BAINS

Sans être connue pour ses bouteilles d’eau, son hippodrome ou son casino, La Léchère est pourtant la deuxième station thermale savoyarde la plus visitée. Discrète, mais efficace, elle est aussi la dernière-née… Sortie des eaux.

La Léchère-les-Bains – Vue générale face au Massif de la Vanoise

« Fin XIXe, La Léchère n’était qu’un lieu-dit, pas même un hameau« , décrit l’historien spécialisé dans le tourisme, Marc Boyer. “Il dépendait d’un bourg industriel situé de l’autre côté de l’Isère, Notre-Dame-de-Briançon. Des eaux exceptionnellement chaudes (à 63°C) jaillissant (ndlr : à la suite d’un affaissement du terrain qui fit apparaître deux étangs), quelques paysans les utilisaient pour forcer leurs récoltes de légumes et de fraises. En 1890, il y eut un très petit essai d’exploitation. Le notable local n’avait pas d’argent, un petit café-hôtel et une baraque appelée thermes n’attira pas grand monde, si ce n’est des habitants du lieu pour prendre des bains de propreté.”* Dans le style d’une villa normande, ce petit Hôtel des Bains de 12 chambres fait tout de même travailler les gens de la vallée. Il jouxte donc les grandes serres des forceries, chauffées à l’eau thermale, dont les premiers melons seront expédiés à Paris en 1913.

UNE STATION BIEN EN VEINE

En 1925, le couple parisien Jean et Fira Stern tombe amoureux de l’endroit et le rachète. Il fait raser les premiers thermes pour en construire de nouveaux : appelés les «thermes blancs». Ils sont surmontés d’une tourelle crénelée aux allures de minaret, qui leur donne un style mauresque. Une nouvelle villa sert d’annexe à l’hôtel avant que ne soit érigé, en 1931, le Radiana, impressionnant bâtiment de six étages, «paquebot au milieu des monts», dont les motifs floraux et géométriques sont typiques de l’architecture Art Déco.
Malgré la crise, la station démarre rapidement. Quelques particuliers ont ouvert de petits hôtels et meublés qui viennent compléter les 200 chambres de la société des thermes, mais ce n’est pas suffisant. Les curistes doivent retenir leur lieu de résidence longtemps à l’avance ou se loger dans les environs, jusqu’à Moûtiers ou Brides. Ce ne sont pourtant pas les distractions -il n’y a pas de casino- ni les mondanités -même si les familles royales belges ou suédoises sont devenues des habituées- qui attirent dans cette vallée. Ce n’est pas non plus le charme du site, car les deux rives de l’Isère, à un kilomètre en aval du complexe thermal, sont occupées par des usines et une centrale électrique ! Si les gens ayant de mauvaises veines viennent à La Léchère, c’est vraiment pour les bienfaits de l’eau, la qualité des soins et l’expertise en phlébologie. On y croise donc plus de curistes que de touristes, ce qui est assez inhabituel pour l’époque.

Un des premiers hôtels-restaurants de La Léchère. Début XXe siècle (© DR-CC-BY-NC-SA 2.0 -Creative Commons/E.Reyaud)

DESTINÉE COMMUNE

Cette clientèle, plus constante, permet aux thermes de traverser le conflit mondial sans trop de pertes. Les Stern, à qui ils ont été confisqués en 1943, les récupèrent à la fin de la guerre. Ils rénovent l’établissement, agrandissent l’Hôtel des Bains, entretiennent l’ensemble jusqu’à son rachat, en 1985, par le district du Bassin d’Aigueblanche (future Communauté de Communes des Vallées d’Aigueblanche – CCVA).
Entre-temps, de lieu-dit, La Léchère est devenue commune : le 30 juin 1972, Notre-Dame-de-Briançon s’est en effet associée à quatre de ses voisines pour former cette nouvelle entité. La réputation de la station en a déterminé le nom. En d’autres termes, la municipalité de La Léchère n’aurait probablement jamais existé sans la découverte des eaux et l’activité thermale.
À la fin des années 80, une extension contemporaine, appelée «thermes bleus» est ajoutée aux thermes et l’Hôtel des Bains est détruit. La Léchère est ensuite intégrée dans le projet olympique d’Albertville : elle accueille les 17 000 m2 du centre de presse international, sur la rive droite de l’Isère, en face des thermes. Un tiers de ce «Village 92» est démonté à la fin de l’événement, le reste est reconverti en salle de spectacles, médiathèque, commerces et logements, reliés au quartier thermal par une passerelle sur la rivière.

©Jérôme Carret

RÊVER PLUS EAU ?

Les thermes ont accueilli jusqu’à 9000 curistes par an, mais la fréquentation a chuté à 5-6000 depuis 1997, suite à un problème de bactérie”, explique Christophe Mansouri, chargé du développement territorial à la CCVA. “Depuis, nous avons fait de gros investissements, dans de nouveaux forages plus profonds, dans la rénovation de l’hôtel et dans la géothermie : les eaux chaudes de rejet sont utilisées pour le chauffage du Radiana et du nouveau spa (ndlr : plus grand spa thermal de Savoie, 1500 m2 inauguré en 2012). Le thermalisme reste donc un de nos piliers de développement. Avec 200 emplois directs, il représente le 2e plus gros employeur du bassin, derrière la station de ski de Valmorel. Et il y a un gros transfert de personnel d’une activité à l’autre en fonction de la saison. La Léchère pourrait donc devenir un camp de base l’hiver, nous avons d’ailleurs lancé une navette gratuite entre les deux cette année. Au même titre que Valmorel, le complexe thermal tient donc une place fondamentale dans notre stratégie touristique des prochaines années”.

*Les villégiatures du XVIe au XXIe siècles – Marc Boyer – EMS Management – Janvier 2008

Image : Jérôme Carret

VISITE DE MAISON, à Charbonnières

VISITE DE MAISON, à Charbonnières

AU PREMIER REGARD

Dans les films romantiques, il y a évidemment les histoires de passion immédiate, de coup de foudre, d’amour au premier regard. Mais l’autre schéma classique, ce sont deux personnages que tout oppose, qui commencent par se mépriser avant de succomber. À Charbonnières-les-Bains, c’est un peu ce qui s’est passé.

« Quand on est arrivés ici, j’ai détesté ! Je ne m’y sentais pas bien. Il m’a fallu 8 ou 10 mois pour être inspiré…” On l’aura compris, cette maison n’est pas un coup de cœur pour Lionel Levy. Il l’a achetée dans la précipitation -“j’achète toujours dans la précipitation”, reconnaît-il- après avoir vendu la précédente, une construction des années 80, sans charme particulier, qu’il avait convertie en villa contemporaine avec piscine intérieure, salle de ciné et boîte de nuit.
Convertir, transformer, ré-inventer des lieux, c’est son truc. Un manoir du XVIIIe, un loft minimaliste ou un pavillon de lotissement… Tous les quatre à cinq ans, il embarque famille et collaborateurs pour un nouveau défi, à une nouvelle adresse. Car il travaille où il vit, et sa passion, c’est justement de rénover des bâtiments.

LA JACHÈRE APPRIVOISÉE

Avant il les vendait. Mais passionné d’art et de mode, issu d’une famille implantée dans le milieu de la haute-couture lyonnaise -le créateur de robes de mariées Max Chaoul, décédé en 2020, était son parrain-, il ne s’épanouissait pas totalement. Il s’est donc mis à racheter et réhabiliter, en imaginant même la déco et le mobilier. “De fil en aiguille, les gens sont venus me chercher pour les aider dans leurs projets.” Et il y a pris beaucoup de plaisir. Au point de lancer, en autodidacte, sa propre agence d’architecture d’intérieur. C’était il y a 15 ans. Et quoi de mieux, pour stimuler son inventivité, que d’habiter ses propres chantiers ? À Charbonnières-les-Bains, ancienne station thermale à proximité de Lyon, c’est donc sur une propriété très récente, cubique, à toit plat, qu’il jette, sans émotion, son dévolu. Il installe ses bureaux dans le garage, ne sachant pas trop quoi faire du reste. “Les murs étaient oranges, les portes toutes petites, l’ensemble plutôt fermé, très sombre, un peu bricolé, avec une minuscule terrasse sur un terrain très raide qui descendait en pente vers le ruisseau.” Pour se donner du cœur à l’ouvrage, il commence donc par travailler les extérieurs. A grands renforts d’enrochement et de paliers, il relie maison et garage par une vaste esplanade en bambou qui accueille un couloir de nage. Le talus est dompté, la machine lancée, l’endroit commence à lui parler.

NOIR C’EST NOIR

Sans modifier la structure, on a complètement repensé l’intérieur, en commençant par ouvrir les espaces pour dégager de beaux volumes”. Et ça, on s’en rend compte avant même de franchir le palier. En effet, deux parois de la maison sur quatre, très généreusement vitrées, permettent de visualiser d’un seul coup d’œil la hauteur dans la pièce de vie. Avec cette abondance de luminosité, en déco, Lionel a pu jouer la carte des couleurs sombres sans arrière-pensée. La dominante ? Du noir mat, pour le mobilier -dont lui et ses collaborateurs ont d’ailleurs dessiné et fabriqué certaines pièces, comme la table à manger ou le meuble de rangement du bureau à l’étage- ou pour la cuisine, dans laquelle le velouté des plans de travail en fenix, une sorte de résine extrêmement résistante et douce au toucher, répond à celui des placards.
Grands les placards, comme le sont également les portes de chaque pièce, qui courent du sol au plafond, afin d’accentuer l’effet de hauteur, et sont recouvertes d’un revêtement effet cuir, pour se fondre dans le décor. Car dans cet espace ouvert, l’idée est aussi de faire disparaître tout ce qui pourrait être inesthétique : les charnières sont invisibles, l’électro-ménager encastré, et les soffites -décaissements de faux-plafond- masquent gaines, câbles ou climatisation… Mais revenons à ce qui se voit, et à la palette ! Jusque dans les deux chambres, le noir côtoie donc du gris foncé pour les escaliers en béton ou les murs, sur lesquels les grandes dalles de kerlite, un grès cérame ultra fin, renforce le sentiment d’élévation, de hauteur ; et enfin du gris plus clair au sol. Cette déclinaison appelle en contre-point des touches de bois clair qui réchauffent l’atmosphère, apportent du relief et de la matière.

IDENTITÉ RÉVÉLÉE

Mais on peut se douter, au rouge vif des lunettes hexagonales du maître des lieux, qu’il n’est pas resté longtemps sans égayer cet ensemble à coups d’éclats de couleurs. Les plus évidents sont les toiles de l’artiste lyonnais Frédéric Adrait, une série de regards et de portraits urbains qui vous interceptent d’une pièce à l’autre. Et un peu partout, Lionel a également glissé des clins d’œil, des références, au street-art avec ses bombes accrochées au mur par la peinture ; au cinéma ou au comics avec des stickers qui transforment les luminaires en négatifs photos ; au design, avec toute l’artillerie des lampes Gun de Starck, l’incontournable Pipistrello, le Balloon Dog de Jeff Koons… Ou les assises surprenantes des Italiens avant-gardistes d’Edra, comme cet énorme ours polaire –noir évidemment !– sur sa banquette-banquise, contre lequel on peut se pelotonner pour regarder la télé, et ce fauteuil drapé de fourrure douce, aux allures de Mont-Blanc au marron, pour prendre le thé.
Au final, dans cette maison qu’il a appris à aimer, Lionel s’est amusé. Il a cherché à faire sourire et étonner, mais surtout à donner, à cet intérieur qui n’en avait pas, une identité. Son identité.

+ d’infos : rehome.fr

Photos : Sabine Serrad

en CHANtier : ALLONZIER-LA-CAILLE

en CHANtier : ALLONZIER-LA-CAILLE

ALLONZIER VA S’A-MUZER !

ALLONZIER AURAIT-ELLE EU LES YEUX PLUS GROS QUE LE VENTRE ? L’ÉNORME PROGRAMME IMMOBILIER «LES MUZES D’ALLONZIER» VA GÉNÉRER AU MOINS UN TIERS DE POPULATION SUPPLÉMENTAIRE D’ICI 2024. UNE VRAIE RÉVOLUTION POUR LA COMMUNE, QUI NE COMPTE QUE 2291 HABITANTS ! UN DÉFI DE TAILLE POUR LA NOUVELLE MUNICIPALITÉ QUI HÉRITE DU (GROS) BÉBÉ.

D’accord, c’est lourd à gérer, mais on tout un village qui se réinvente en plaçant l’habitant au cœur le savait quand on a sollicité l’avis de nos compatriotes”, reconnait Brigitte Nanche, maire d’Allonzier depuis octobre 2020. “On y travaille et on fera en sorte qu’il y ait un développement harmonieux. Le fait qu’on ne puisse pas aller vers la population, en ce moment, est très frustrant : on ne peut pas expliquer ce que l’on fait et je ne voudrais pas que les habitants croient qu’on valide sans essayer de changer les choses, ni qu’on focalise tout notre argent sur ce secteur et qu’on ne fait rien ailleurs. La difficulté, c’est de trouver l’équilibre.

Vue générale du programme

TOUCHE REWIND !

Les Muzes d’Allonzier, ce sont “600 m2 de commerces, des logements innovants, une halte-garderie, une voie verte… C’est tout un village qui se réinvente en plaçant l’habitant au cœur des considérations”, annoncent les promoteurs (Crédit agricole immobilier, Safilaf et Neoxia). Ce nouveau «quartier» réunit 6 résidences (Callisto, Flore, Gaïa, Isis, Olympe et Thalia) répar- ties en 23 immeubles ! Forcément, ça se voit. “En tout, ce sont 365 logements”, précise Brigitte Nanche. “Mais avec les autres permis qui ont été délivrés autour, ça fait 665 en tout. C’est un projet d’envergure et relativement impactant au niveau de l’utilisation de l’espace : 8 hectares, dont la plupart était des prés”.

Extérieur Olympe

TOUT EST DÉJÀ FICELÉ

L’opération immobilière comprend des bâtiments de deux à quatre étages, avec et sans attique, qui sont conçus pour créer une «osmose parfaite avec la nature». Toitures-terrasses végétalisées et toitures à deux pans avec des tuiles aux teintes «rouge d’antan» ; façades de couleur pierre et à parements bois ; bardage bois… l’association des «lignes contemporaines et traditionnelles» est revendiquée.
Je comprends que les habitants soient frileux, voire inquiets”, confie Brigitte Nanche. “Je suis native d’Allonzier. Mes collègues élus et moi sommes très attachés à notre commune. Ce n’est pas ce que nous aurions souhaité pour elle. L’apport (d’habitants, ndlr) est trop important par rapport à l’existant (l’accompagnement culturel, scolaire…). Ce cadre de vie n’a pas été envisagé dès la création du projet et tout est déjà ficelé. On se retrouve dans l’obligation de faire un restaurant scolaire en six mois, à trouver une solution pour le périscolaire. Nous devons créer quatre classes… En revanche, dès lors qu’on a pu travailler sur les prix, on l’a fait. On a aussi fait en sorte d’intégrer une piste cyclable dans le projet de la route (RD2) et de choisir ce qu’on voulait pour les espaces verts (agrandir l’espace, ajouter des jeux pour enfants, un terrain de boule, une table de ping-pong et une aire de pique-nique). Et on travaille sur un projet de jardins partagés.

Square Flore et Callisto

POUSSÉE DE CROISSANCE

Sur les 23 immeubles, deux sont habités, trois doivent être terminés ce printemps et trois autres à l’automne. La livraison des derniers devrait avoir lieu fin 2023. “Ce qui veut dire qu’il y aura sans doute des nuisances pour les riverains jusqu’en 2024, même si on essaie d’être vigilants”, commente Brigitte Nanche. Un projet tellement gros que d’après l’élue, il ne reste aujourd’hui pas assez de foncier pour réaliser d’autres infrastructures.
Côté finances, la construction du restaurant scolaire représente 3,3 M€ alors que le projet compte 77 % de logements qui sont exonérés de taxe foncière pendant trente ans. “Et puis il y a la vie de tous les jours”, pointe Brigitte Nanche. “Toutes ces personnes qui arrivent, on ne connaît pas leurs besoins”, ajoute-t-elle. “On voudrait les interroger, mais on ne peut pas faire de réunion publique. On échange avec nos administrés grâce à des applicatifs (le site de la commune…), mais ça ne remplace pas un contact direct.
Nul doute que cette poussée de croissance spectaculaire sera suivie de près par la nouvelle municipalité, et qu’il faudra mettre la dose d’huile dans les rouages pour opérer le grand virage…

Images : Visiolab

VILLES THERMALES :  BRIDES-LES-BAINS

VILLES THERMALES : BRIDES-LES-BAINS

EN CHAIR ET EN EAUX

Là où il n’y avait que quelques cabanes entourées de vignes, une source d’eau chaude et sulfureuse a fait pousser tout un village, mobilisé autour du traitement de l’obésité, qui, ironie du sort, a lui aussi fini par devoir se serrer la ceinture.

Image : Valentin Vion

Entrée de l’Hôtel des Thermes et du Casino (©Archives Départementales de Savoie 2fi 1155)

Brides-les-Bains n’existe pas au moment où l’on commence à exploiter l’eau”, Jean-Paul Bergeri, attaché culturel de la ville de Moûtiers, rappelle le contexte. “C’est parce qu’il y a du thermalisme qu’on construit une paroisse et une commune.” En 1839, en effet, quand sont rassemblés les hameaux de Brides, celui des Bains et le petit village de Saulce, pour former la commune de Brides-les-Bains, un premier établissement rudimentaire accueille déjà des curistes depuis près de 20 ans. Même si beaucoup sont hébergés à Moûtiers, ils peuvent aussi loger sur place, dans l’un des six hôtels bâtis près des thermes. “Les premières constructions à Brides sont donc des constructions thermales.” En voiture à cheval, le long du Doron, les derniers kilomètres qui mènent aux thermes sont tortueux. Faciliter l’accès à la commune est la première priorité. Une route plus directe (l’actuelle) remplace d’abord l’ancienne, complétée plus tard par un tramway. La capacité d’accueil se résume encore à quelques pensions, dont le Belvédère qui existe toujours, mais la noblesse sarde, russe ou anglaise commence à découvrir les charmes et les bienfaits de la Tarentaise.

Tramway Moûtiers-Brides

SUR LES RAILS

Parmi eux, la richissime Marie Blanc, femmes d’affaires allemande, qui a fondé, avec son mari, l’Opéra, le Casino et l’Hôtel de Paris, à Monte-Carlo. Elle acquiert les bains en 1880 et envisage, avec les élus locaux, un plan pharaonique : la construction, à Moûtiers, d’une station «intégrée», avec thermes, parc, hébergements et distractions, dans laquelle elle ferait venir les eaux de Brides et de Salins. Depuis la fermeture des Salines, les «eaux de mer thermales» de ce village voisin sont en effet associées à celles de Brides, notamment dans le traitement de l’obésité. Mais elle meurt avant que ne se concrétise ce projet. Les repreneurs des thermes choisissent plutôt de les reconstruire, ainsi que ceux de Salins, et d’édifier un nouvel hôtel. C’est l’arrivée du chemin de fer à Moûtiers, en 1893, qui va définitivement amorcer le succès de la station. La gare portera d’ailleurs le nom de «Moûtiers-Salins-Brides-les-Bains». À cette époque, Brides est une «ville-rue», sur la rive gauche du Doron, où se concentrent l’église, les thermes, les établissements de prestige : le Grand Hôtel des Thermes, le Grand Hôtel des Baigneurs, la villa du Bel-Air ou celle de l’Edelweiss, dont les propriétaires passent l’été à la montagne et l’hiver sur la côte méditerranéenne. La villa des Roses, elle, est habitée par le Comte François de Greyfié de Bellecombe. Sous son impulsion -il sera maire de 1900 à 1908-, Brides va connaître des améliorations notables comme l’aménagement de routes, la construction d’hôtels et de chalets mais surtout l’installation de l’électricité alors que même à Paris, les rues n’étaient éclairées que par de tristes réverbères à gaz.*

La Rue Centrale – La Poste – L’Hôtel de la Vanoise et L’hôtel du Centre (©Archives Départementales de Savoie 2fi1154)

VILLAGE EAU-LYMPIQUE

Entre 1920 et 1930, sont édifiées les dernières villas, une roseraie et le Golf Hôtel. Avec ses colombages et ses grandes baies vitrées, son lustre de nacre, ses arabesques gravées et son bow-window, sa flamboyance Art-nouveau symbolise le faste de Brides pendant les années folles. Durant cette décennie, les thermes et le casino seront également agrandis, mais la morphologie de la ville, dessinée au début du XXe siècle, ne changera pas pendant longtemps. La prochaine vague importante d’urbanisation n’est plus le fruit du thermalisme, elle correspond au tournant «ski» de la station. En 1983, alors que, pour la première fois depuis l’après-guerre et la prise en charge des cures par la sécurité sociale, la fréquentation des thermes baisse, Brides intègre le Plan de Développement Touristique de la Tarentaise, axé sur les sports d’hiver. Chalets, villas et lotissements poussent, notamment sur la rive droite du Doron, assez peu construite jusque-là. C’est également à cette époque que la décision est prise de faire de Brides le village olympique des JO d’Albertville. Les grands hôtels et le casino sont rénovés, on crée une nouvelle mairie, un nouvel établissement thermal et le télécabine de l’Olympe, qui relie le village au domaine des Trois Vallées. Mais ces lourds investissements mettent la commune dans le rouge, elle passe sous le contrôle de la Cour des Comptes.

Établissement thermal, 1917 (©Archives Départementales de Savoie 2fi-3616)

EN THERMES D’IMAGE

65 % de notre activité économique est avant tout thermale”, rappelle Bruno Pideil, maire de Brides-les-Bains. “Mais depuis 1992, le télécabine nous permet d’avoir une activité annuelle, la ville se transforme en fonction des saisons. Si certains hôtels ont été transformés en résidences, beaucoup fonctionnent encore (le Grand Hôtel de Thermes, le Savoy, le Golf Hôtel, le Belvédère…). Ce qui les a maintenus, c’est de pouvoir fonctionner l’hiver, grâce au ski, et le fait d’être adaptés aux besoins des curistes, à l’équilibre alimentaire qui correspond aux cures (ndlr : Brides est spécialisée dans les cures d’amaigrissement). Avec les thermes, ces hôtels sont la carte de visite de Brides. D’ailleurs, si certains des bâtiments construits dans les années 70-80 ne correspondaient pas au style thermal, ce ne sera pas le cas de la nouvelle résidence qui devrait sortir de terre d’ici deux ans. Nous avons également un projet de rénovation de la Villa des Roses et la Place de la Mairie avec cette idée d’unité architecturale. Les thermes ont été rénovés (2018), le télécabine aussi (2021), même si on a longtemps vécu sur nos acquis, maintenant il faut se développer et on y arrivera.

Avec l’aide de Jean-Paul Bergeri, attaché culturel de la ville de Moûtiers

*Bulletin Municipal de Brides-les-Bains – Juin 2021

le top des thermes

le top des thermes

SOURCES D’INSPIRATION

Pour voir la vie en bleu, il faut parfois voir plus loin que le bout de sa baignoire et chercher à nager dans d’autres eaux. Voilà donc une sélection – très subjective – des lieux les plus chouettes pour en prendre plein les mirettes pendant qu’on fait trempette.

LES PLUS AUDACIEUX – BATH GRANDE-BRETAGNE)

The Royal Crescent ©Visit Bath

Impossible de parler thermes sans évoquer Bath. C’est là que tout a (re)commencé -les Romains avaient bien mariné en leur temps, mais la pratique s’était ensuite un peu perdue-. En même temps, quand on s’appelle «Bain», il faut s’attendre à prendre l’eau… Dans la première moitié du XVIIIe siècle, cette cité du Somerset perçoit donc avant les autres son potentiel thermal. Rapidement, elle devient à la fois la plus élégante et la plus populaire des villes d’eaux européennes et sert de modèle à ses homologues continentales, Spa, Baden… Comme la Britannique, toutes instaureront des routines quotidiennes pour les curistes : boire et se baigner le matin, se promener l’après-midi puis terminer la journée en se montrant au bal, au concert ou aux tables de jeu.
Avec ses thermes romains, son abbaye, son pont bâti et son croissant -ni au beurre ni ordinaire, le «Royal Crescent» est un ensemble trente maisons disposées en croissant, donc, autour d’un parc- Bath est classée au Patrimoine Mondial de l’Unesco et reste l’un des sites touristiques les plus visités d’Angleterre. visitbath.co.uk

LES PLUS HARMONIEUX – MONTECATINI TERME (ITALIE)

Thermes Montecatini, Toscane ©Gabriele Maltinti

En Italie, on a souvent l’impression de remonter le temps. À Montecatini Terme, «la plus grandiose des stations thermales toscanes», si les eaux sont appréciées depuis l’Antiquité, c’est pourtant dans l’ambiance Belle Epoque, fin XIXe-début XXe, que la ville vous replonge. Dans les allées arborées du parc ou dans les cafés, il n’était pas rare jadis d’y croiser du beau monde, Giuseppe Verdi, Luigi Pirandello… Ici, se discutaient enjeux politiques et affaires juteuses. Aujourd’hui, des avenues entières de bâtiments thermaux distribuent encore les eaux de plusieurs sources, aux propriétés toutes différentes, mais celui à côté duquel il serait dommage de passer, c’est le majestueux Tettuccio, mélange de styles néo-classique et Art Nouveau, avec ses colonnades, fresques et vasques de marbre. Comme son homologue britannique, Montecatini Terme est inscrite depuis juillet 2021 au Patrimoine Mondial de l’Unesco. termemontecatini.it

LES PLUS INATTENDUS – MONT-DORE (FRANCE)

©Matthieu Olivier (Frenchvadrouilleur.fr)

De l’extérieur, rien à voir avec le faste italien ou le raffinement anglais. On est en Auvergne, à 1000 m d’altitude, et, nous sommes bien placés pour le savoir, le montagnard ne se livre pas au premier rencard. Il ne faut donc pas se fier à la sombre façade en pierre de lave de ces thermes du Massif Central, car à l’intérieur, le décor est d’une grande richesse d’inspiration byzantine : peintures, mosaïques, fresques, plafonds peints, coupoles, ruines romaines, sculptures… On doit même la charpente métallique du Hall des Sources à l’équipe de Gustave Eiffel… N’en jetez plus ! Le tout, hormis certaines structures de soins modernisées, est resté dans son jus depuis le XIXe siècle. C’est ici que Balzac et George Sand venaient soigner leurs rhumatismes ou problèmes pulmonaires. Tout comme Proust. Dans un décor Belle Epoque qu’il aurait pu connaitre, un salon de thé au cœur de la ville propose d’ailleurs de rechercher le temps perdu en dégustant une madeleine…http://chainethermale.fr/le-mont-dore

LES PLUS POPULAIRES – SZÉCHENYI (HONGRIE)

©RH2010©Sandor

La Hongrie, l’autre pays des bains… (après le Japon, 1re destination mondiale pour le thermalisme). On y compte plus de 1300 sources d’eau thermales, dont 123 pour la seule capitale Budapest, de part et d’autre du Danube. Et beaucoup des thermes qui les abritent sont de véritables monuments historiques. Les plus célèbres restent incontestablement les Bains Gellért, hymnes à l’Art Nouveau, aménagés dans la serre d’hiver de l’Hôtel du même nom. Mais Széchenyi, situé dans le bois de la ville Varosliget, constitue le plus grand complexe thermal d’Europe. Propice donc également aux bains de foule… Mais l’ensemble est tellement vaste qu’il n’est jamais bondé. Les Budapesti y passent de longues heures, à jouer notamment aux échecs tout en barbotant. Le must ? Attendre l’hiver et profiter des bains extérieurs dans lesquels la brume des vapeurs d’eau, le jaune des bâtiments et le bleu de l’eau, dégagent une atmosphère encore plus particulière… http://szechenyispabaths.com

LES PLUS DÉROUTANTS – VALS (SUISSE)

©Global Image Creation

À l’âge d’or du thermalisme (fin XIXe-début XXe) sont associés de grands architectes, confrontés à deux défis majeurs : les thermes devaient, d’une part, répondre aux contraintes sanitaires, hygiénistes de l’époque, et, d’autre part, porter, le plus magistralement possible, l’image et l’ambition de la ville dans laquelle ils s’implantaient. Un véritable pari. Que fait également la commune de Vals, dans les Grisons, quand elle rachète en 1986 le complexe thermal en faillite, et le confie à l’architecte Peter Zumthor. Il n’a encore quasiment rien construit. Il imagine alors un ensemble dépouillé et minéral, constitué d’une quinzaine de blocs tous différents, construits en dalles de gneiss, la pierre que l’on retrouve sur le toits des chalets locaux. Pour ne pas gâcher la vue sur la vallée aux clients de l’hôtel principal, il enterre à moitié le bâtiment dans la colline et recouvre les toits de végétation. Loin des codes classiques de l’architecture thermale, mais parfaitement cohérents avec leur environnement, ces thermes, à nuls autres pareils, vaudront à leur concepteur le Prix Pritzker (l’équivalent du Nobel, en architecture), en 2009. http://7132.com

VILLES THERMALES : ST GERVAIS-LES-BAINS

VILLES THERMALES : ST GERVAIS-LES-BAINS

ENTRE 2 HAUTS

S’il suffit parfois d’une étincelle, à Saint-Gervais, c’est une goutte qui a donné au village sa vocation touristique, attiré les regards vers ses sommets et leurs ascensions épiques. Mais si, aujourd’hui, la station a toujours les pieds dans l’eau, elle regarde plus vers le haut.

Saint-Gervais-«Mont-Blanc». Depuis 2009, la ville a remplacé «les-Bains» par la référence au toit de l’Europe.
Dans la dynamique de cette station, qui a largement diversifié sa palette d’activités touristiques, voilà donc une évidence : les sports d’hiver et l’alpinisme de haut-niveau ont supplanté, dans sa communication, l’offre thermale.
Elle fut pourtant l’un des facteurs déterminants de son développement. Mais la géographie des lieux en fait un cas particulier dans le paysage des villes d’eaux locales : contrairement à Aix, Evian ou Divonne, cette commune rurale ne s’est pas urbanisée autour de ses thermes. Au début du XIXe siècle, Saint-Gervais est en effet un ensemble de hameaux, dont le bourg se résume à l’église, la mairie et une taverne . La source, elle, ne jaillit pas en son centre, mais au Fayet, une centaine de mètres en contrebas –à 5 km par la route–, sur les bords du Bonnant, au fond d’une vallée encaissée.
Les paysans du coin la connaissent bien. Leurs troupeaux viennent paître à cet endroit où l’herbe est toujours verte. Mais c’est un notaire, Maître Gontard, qui, en 1806, la fait analyser, achète le terrain et construit un premier bâtiment. “Les curistes se promènent par les sentiers jusqu’au bourg, mais ne peuvent loger qu’aux thermes, Gontard n’autorise pas d’autres hébergements”, précise Gabriel Grandjacques, historien et adjoint au patrimoine à Saint-Gervais. “C’est le seul hôtel sur la route de Chamonix, les épouses de Napoléon 1er, Joséphine, puis Marie-Louise, s’y arrêtent donc pour une nuit”. Et comme il n’existe pas, en ce temps-là, de meilleure publicité que les visites impériales, même brèves, les thermes acquièrent rapidement une certaine renommée, accueillant baigneurs et non-baigneurs.

Les thermes ©Service Culture St Gervais

TOUJOURS PLUS EAU

Un médecin belge, le Dr de Mey, rachète l’ensemble en 1838. Il le rénove, l’agrandit et obtient de la commune de pouvoir utiliser la cinquantaine d’hectares adjacents pour en faire le parc thermal. L’établissement prospère. Mais l’homme est très pieux, il fait d’ailleurs bâtir sur le site une énorme chapelle, et, loin de l’ambiance mondaine des stations thermales de l’époque, impose aux curistes un règlement strict, quasi monastique, avec de vraies ambitions thérapeutiques. Cette approche plus médicale des cures, ainsi que le développement de l’alpinisme –en 1855, les Anglais Hudson et Kennedy ouvrent «la voie royale», seconde voie d’accès au Mont- Blanc, au départ de Saint-Gervais– participent à propager l’activité touristique sur le plateau de Saint-Gervais (lieu-dit la Forêt), qui devient un nouveau lieu de séjour, plus proche du bourg*. Il s’y ouvre deux hôtels, dont le monumental Mont-Joly, doyen de la station, construit entre 1860 et 1911 par 3 architectes différents, qui mélange les styles d’influences sarde, éclectique et Art Nouveau.

Les thermes, avant et après la catastrophe, fin 19e siècle.

DES EAUX ET DES BAS

Mais à l’aube du XXe siècle, alors que les thermes, repris par la Compagnie de Vichy, sont devenus une structure médicale de premier ordre, une tragédie frappe le fond de vallée. Dans la nuit du 11 au 12 juillet 1892, en pleine saison thermale, une poche d’eau, accumulée sous le glacier de Tête Rousse, se rompt, libérant des centaines de milliers de m3 de boue, de glace et de roches. Ce torrent rase le hameau de Bionnay, ravage une partie de celui du Fayet et détruit presque entièrement l’établissement, où l’on dénombre plus de 150 victimes.
Ce pourrait être la fin de l’aventure thermale de Saint-Gervais. “Mais en France”, comme le souligne le géographe Philippe Duhamel*, “la surenchère sur les eaux thermales est à son zénith et la crise agricole sévit. On se mobilise : hôteliers, guides, voituriers, conseil municipal en tête, le tourisme représente alors la ressource économique principale. Un nouvel établissement thermal et le Grand Hôtel de Savoie sont construits en aval, à l’entrée du parc. Le train PLM arrive au Fayet (1898) et le projet d’un train à crémaillère pour la Forêt est avalisé. Le Tramway du Mont-Blanc sera construit, quant à lui, en 1906. La commune installe les adductions d’eau, l’éclairage électrique, un égout et même un réseau téléphonique (1894-1900). À ce coup d’accélérateur, se surajoute un phénomène nouveau : l’apparition de villas, sur le plateau, autour des hôtels. En une décennie, le lieu a muté du bourg rural à la petite ville. Cette dynamique se poursuit jusqu’à la guerre, à la veille de laquelle Saint-Gervais est devenue une grande station touristique avec 120 villas, 15 hôtels et 5 palaces.

EN BONS THERMES

Le traumatisme a cependant été profond. Dans les années 30, alors que d’autres stations savoyardes connaissent un bel essor, les bains de Saint-Gervais stagnent. La construction d’un casino et de gros investissements ne solutionnent pas un problème majeur : transportées sur 400m de tuyaux jusqu’au nouvel établissement, les eaux perdent une bonne partie de leurs propriétés. La commune rachète donc l’ensemble et reconstruit un bâtiment à l’emplacement initial, qui a été sécurisé. Mais la fréquentation n’est plus la même, la clientèle de luxe a dis- paru, la crise a rendu difficile la gestion des grands hébergements touristiques, auxquels on préfère les chalets… La plupart des palaces ferment pour être transformés en appartements (comme le Grand Hôtel de Savoie, le Splendid-Royal ou le Mont-Joly).
Après plusieurs changements de mains, les bains font aujourd’hui partie du groupe L’Oréal. Le thermalisme est redevenu une affaire privée, mais son empreinte sur la ville est encore bien visible. “Le centre actuel a été façonné par les grands hôtels et les villas de cette époque”, résume Gabriel Grandjacques. “Et on essaie toujours de faciliter la circulation entre le Bourg et le Fayet, avec, notamment, un projet d’ascenseur valléen, qui relierait les deux.” Il permettrait également des échanges plus fluides avec le Parc Thermal, où se trouvent maintenant, en plus des thermes, le Centre Sportif Intercommunal, le parc aventures, une via ferrata, un rocher d’escalade, des terrains de tennis et de pétanque… Avec l’objectif de lui redonner un rôle central dans la vie de la commune, d’en faire «la salle de jeux de Saint-Gervais».

Avec l’aide de Gabriel Grandjacques, historien, adjoint au patrimoine et à la culture à Saint-Gervais

*Les Grands Hôtels, Témoins de l’Histoire du Tourisme, Le Splendid et Royal Hôtel à Saint-Gervais-les-Bains (Haute-Savoie) – Mireille Bruston, Philippe Duhamel – Mappemonde 59 -2000

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