La France a un incroyable talon
Argeline Tan-Bouquet a le sens du rythme, elle est gracieuse, fluide et aérienne sur la piste… de danse? Aussi, mais c’est surtout en télémark, entre les portillons, que la skieuse de Morillon chaloupe. Et si elle compte déjà parmi les meilleures mondiales, évidemment, elle en a encore sous le talon…
« L’alpin, c’est facile, on se met sur nos skis et on se laisse glisser, on peut ne pas faire de gros efforts – même si c’est différent en compèt’ ! – En télémark, c’est beaucoup plus fin, on est un peu funambule, sur le fil, et on part plus vite à la faute, du coup, c’est plus physique aussi, on est toujours en train de travailler. Et ce mouvement qui fait qu’on est très proche de la neige, c’est grisant.” On ne peut pas en vouloir à Argeline Tan-Bouquet de prêcher pour sa paroisse : la discipline d’origine nordique a révélé son talon. Ça s’est passé à Samoëns quand elle avait 14 ans.
Car cet alpin qu’elle trouve facile, elle le pratiquait jusqu’alors. Mais à l’adolescence, si elle aime s’entraîner, elle apprécie de moins en moins l’ambiance du club, sait qu’elle ne percera pas. Elle change donc de fixations et finit sa saison avec les télémarkeurs. “Il y avait tous les niveaux, on skiait avec les plus grands et ça m’a trop plu ! Au début, on chute, et quand ça fait plus de 10 ans qu’on fait du ski, on a un petit stade débutant, on se fait avoir et on ne comprend pas trop pourquoi, mais on se prend vite au jeu.”

MARK SANS TELE
Dès le premier hiver, son expérience en géant, combiné à son habitude de l’entraînement à un rythme soutenu, lui donne un avantage sur les autres filles, pratiquantes en loisir. Et comme il n’y a pas d’autre circuit, elle débarque rapidement en Coupe de France, vit la compétition comme une « école de la vie » : “dès 16 ans, il a fallu gérer pas mal de choses en même temps : savoir se vendre, se mettre en avant, pour trouver des partenaires.”
Pas toujours facile de se faire accompagner financièrement dans ce sport assez peu médiatisé, il est d’ailleurs quasiment impossible de voir des retransmissions télévisées, même de grands événements. “Quand on fait ça depuis des années, c’est bizarre d’avoir à expliquer tout le temps, on doit justifier ce qu’on fait, car ça reste plutôt confidentiel. Ça demande pourtant de gros investissements, en temps et en argent. Mais à l’exception de quelques coureurs, on n’est pas professionnel, on a une double vie.” Argeline, elle, travaille comme kiné et s’organise pour faire des remplacements entre-saison, d’avril à octobre.

AU TOUR DU GLOBE
Une organisation qui ne l’empêche pas de frayer avec le haut du panier. En tête du classement général à la fin de l’hiver 2018, la skieuse du Grand Massif devient même, à 24 ans, la première Française à décrocher le Globe de Cristal en télémark. Sa victoire en Coupe du Monde à Pralognan quelques mois plus tôt lui avait permis d’acquérir une belle avance : “c’est la course qui m’a le plus marquée. L’année d’avant, j’avais fait trois médailles d’argent, mais je n’étais pas assez régulière, je n’arrivais pas à concrétiser. Et là, je termine 2e en sprint et gagne en classique. C’était un accomplissement d’être arrivée là, en France, devant ma famille et mes proches. Et la Marseillaise, c’est vraiment quelque chose de particulier… J’ai même fait tomber mon trophée, parce que j’avais trop de choses dans les mains !”
Ces triomphes, elle les partage avec le reste des Bleus : “on est une sacrée équipe, on a cette chance-là. On se tire la bourre, on regarde, on apprend. Même si en course, je ne veux pas voir quelqu’un devant moi, parfois, heureusement que l’autre fait un résultat, ça sauve notre journée !” Comme ce fut le cas aux Mondiaux de 2019, les derniers de Phil Lau, un des plus grands coureurs français. “On fait une médaille en équipe, mais globalement, ce n’est pas une grande réussite pour nous… et puis je finis 3e en parallèle, Noé Claye aussi, pour son premier podium, et Phil gagne ce jour-là la toute dernière course de sa carrière, sur une manche de folie. J’en ai encore des frissons.”

EN PISTE ?
Frustrée par un hiver 2019-20 interrompu par le Covid, Argeline attend avec impatience le début de cette nouvelle saison, dont certaines compétitions ont déjà été annulées. Alors elle ronge son frein, rêve de portillons, d’adrénaline et de podiums. Comme tous les sportifs de haut niveau, elle veut toujours aller plus loin, plus vite, plus fort, repousser ses limites par tous les moyens physiques possibles. “Ça demande de la rigueur et de l’engagement, en sachant que ça ne va pas forcément payer… La compétition apprend à gagner, mais surtout à perdre, à gérer la frustration, à être patient, mais pas inactif. Avec l’expérience, j’ai moins tendance à m’énerver, j’arrive à rester calme et concentrée, mais je peux aussi être explosive, quand je suis trop dans mon truc, hurler parce qu’il s’est passé quelque chose de bien ou mal, il faut que ça sorte ! Il y a des moments où on se bat contre nous-mêmes et puis il y a un déclic. Et quand ça marche, c’est tellement génial, ça paraît tellement facile, qu’on oublie le reste et qu’on se dit qu’on veut faire ça toute sa vie !”