baie, ton sur ton
Ce sont des baies vitrées hors normes qui font communier les espaces intérieurs de cette maison avec le paysage du lac Léman. Quelques mètres plus bas, d’un ponton, les heureux propriétaires peuvent s’élancer en ski nautique ou à la nage…
Faire bâtir une maison d’exception n’est pas chose évidente, encore faut-il trouver un architecte dont l’ouvrage étonne d’originalité, mais ne se révèle pas inhabitable à l’usage quotidien. Propriétaire d’un terrain descendant en pente douce jusqu’aux eaux du Léman, côté rive sud, un couple avec ses deux filles tâta d’un promoteur, puis d’un premier architecte. C’est au second qu’il arrêta son choix : Pierre Minassian était jeune, son audace se renouvelait à chaque demeure qu’il édifiait. Avec lui, l’expérience aussi était au rendez-vous, accumulée depuis la première habitation qu’il avait construite, la sienne. Chacune lui ayant été commandée grâce au succès des précédentes, preuve était faite que le confort de ses créations lui importait autant que leur esthétique.
Entre les époux et l’architecte, l’accord va s’établir naturellement. Le second surprend d’abord les premiers en proposant d’implanter la bâtisse non point en haut du terrain, près de la route d’accès comme ses voisines, mais au bas de la pente, proche de l’eau. “Elle ne doit pas boucher la vue sur le lac”, explique-t-il. Idée adoptée. L’autre point essentiel à ses yeux est de confier le chantier aux entreprises dont il a éprouvé le savoir-faire lors de précédentes commandes. Peu importe qu’elles soient basées comme lui en région lyonnaise, leur présence s’impose en raison des deux points fondamentaux de son projet : une architecture où le béton brut doit rester apparent en façade comme en face intérieure, un enchaînement de baies vitrées qui vont cumuler les superlatifs.
TECHNIQUES SECRÈTES
La plus grande de ces baies atteindra le record de 13 mètres de long en un seul vitrage, sur 3,10 mètres de haut, soit un poids approchant les deux tonnes ! On pourrait croire que de telles dimensions vont engendrer des cadres très massifs. Mais depuis des années, notre homme perfectionne des procédés pour qu’aucune armature métallique ne vienne rompre le caractère absolument immatériel de ses immenses vitrages (lesquels, de plus, ne génèrent aucun pont thermique source d’inconfort). Procédés si particuliers qu’il garde secrets les noms des entreprises les élaborant avec lui.
En toute logique, cette baie se situe face au lac, et l’absence d’armatures métalliques donne la sensation que rien ne sépare l’ample espace de vie commune – séjour et cuisine -, du panorama d’eau, de collines et montagnes. L’exposition au nord, de ce côté-ci, procure une lumière naturelle toujours égale et ne fait craindre aucune surexposition solaire, synonyme d’éblouissement et de surchauffe inconfortables. De même, dans le bureau attenant du maître des lieux, ainsi que dans la suite parentale juchée au-dessus du séjour. A chacun des autres points cardinaux, les surexpositions solaires sont évitées par un dispositif particulier. Les baies vitrées en façade Est bénéficient de stores. Au sud, elles se reculent par rapport à leur cadre de béton, qui ainsi empêche le soleil au zénith d’entrer. Côté ouest, enfin, la façade la plus vaste se trouve à l’étage, formée par l’enfilade d’une chambre d’enfants, de sa salle de bains, du dressing de la suite parentale et de la double hauteur du séjour : elle est protégée par un système double, associant les deux massives croix de Saint-André en béton qui assurent la stabilité de cet étage, et le moucharabieh des coques en Corian blanc. Celles-ci, telles d’ondulantes créatures lacustres flottant en suspension (de très discrets filins d’inox leur servent d’accroche), apportent un contraste inattendu à l’orthogonalité des lignes du béton.
LE CIEL ET LA CAVERNE
Les baies vitrées ne sont pas seules à associer geste esthétique et dispositif de régulation thermique pour le confort de vie. Le béton, restant nu côté façade et côté intérieur pour exprimer toute sa puissance minérale, comporte entre ce recto et ce verso un isolant intégré dans la masse, tenant le rôle de l’habituelle isolation par l’intérieur ou l’extérieur.
Régnant en maître sur une bonne part des plafonds et murs intérieurs, le béton apparent est utilisé de sorte soit à dilater l’espace, soit à le comprimer. Développé en double hauteur, le séjour atteint ainsi six mètres à la dalle de couverture, et touche l’infini du ciel grâce aux trois verrières découpant cette dernière. L’effet ascensionnel se fait d’autant plus marqué que juste à côté, au point d’entrée principale dans la maison, le plafond est limité à 2,10 mètres, comme coincé sous la passerelle desservant la partie haute et ses quatre chambres. Le ciel et la caverne, pareil contraste entre effets d’écrasement et effets de hauteur, voilà bien le troisième point marquant de cette architecture.
Photos : Studio Erick Saillet
