femmes made in iran

18 Mai 2018

regard persan

Décembre 2017, une jeune iranienne, perchée sur une armoire électrique en plein centre de Téhéran, retire son voile pour protester contre la loi qui lui impose de le porter. Des dizaines de femmes, suivant l’exemple, postent ensuite des images d’elles tête nue, au risque de se faire arrêter. La république islamique n’est pas encore prête à se dévoiler…

Susan Habachi, elle, n’a jamais porté le voile. L’Iran des années 60-70, dans lequel elle grandit, est un pays «avant-gardiste, multi-culturel et multi-religions». Un pays où les femmes peuvent être juges, militaires, pilotes d’avion ou ministre de l’éducation. Si sa mère ne travaille pas, c’est qu’elle s’occupe de ses neuf enfants. Susan en est la septième. Autour d’un père promoteur immobilier, la famille est nombreuse, mais plutôt aisée. Susan entame donc des études universitaires en sciences économiques et politiques, qu’elle abandonne après avoir rencontré son mari, pour le suivre en Europe. Il y est envoyé par le ministère des Affaires Etrangères pour travailler au sein de la mission permanente de l’Iran auprès de l’ONU.

Quand ils quittent Téhéran en 1977, ils pensent revenir. Mais deux ans plus tard, la révolution islamique renverse le Shah, les mollahs prennent le pouvoir et imposent leur loi. Depuis Genève, ils voient les manifestations à la télévision et il n’est plus question de rentrer, ni de travailler pour ce régime. Le mari de Susan quitte son poste. Ils repensent leur vie en Suisse.

En 40 ans, Susan n’est retournée que deux fois à Téhéran, mais l’Orient affleure toujours, subtilement, dans le dessin de ses yeux, l’élégance de son port de tête, la sérénité qu’elle dégage. Et elle suit de près le parcours des celles qui sont restées là-bas, sa mère, ses sœurs, ses nièces… toutes celles qui portent le combat des femmes. Elle cite Marzieh Ebrahimi, dont le visage brûlé par un jet d’acide est le symbole des violences faites aux femmes ; Darya Safai, activiste militante des droits de l’homme qui lutte contre le port obligatoire du hijab et l’interdiction faite aux Iraniennes d’assister à des matches de foot masculin; Maryam Mirzakhani, la première femme lauréate de la médaille Fields, décédée l’année dernière ; ou Nasrin Sotoudeh, l’avocate qui défend les femmes non-voilées… Elle croit en elles, parce qu’elle croit surtout, dur comme fer, que le salut de son pays viendra des femmes.

Susan Habachi

Petit à petit, les femmes juges n’ont plus eu le droit d’exercer, ma sœur aînée, qui travaillait dans une banque, a été virée parce qu’elle disait ce qu’elle pensait… Ma mère m’a conseillé de ne plus essayer de revenir, de rester où j’étais et de garder une belle image de mon pays.

Activmag : A quoi ressemblait l’Iran quand vous l’avez quitté ?

Susan : Le Shah avait offert aux femmes iraniennes leur liberté sur un plateau d’argent même Shirin Ebadi, Prix Nobel de la Paix en 2003, l’a dit. Il avait commis des erreurs, mais il menait le pays vers un grand progrès. Avec la «Révolution blanche» (ndlr : série de réformes lancées en 1963 par le Shah Mohammad Reza Pahlavi, qui accorda notamment le droit de vote aux femmes), les choses avaient changé fondamentalement. Par exemple, alors que son père, Reza Shah le Grand, roi laïque et modernisateur, avait fait interdire le hijab, lui, avait laissé aux femmes le droit de choisir. Mais ma mère ne l’a jamais porté, mes tantes non plus, comme la plupart de Iraniennes à l’époque d’ailleurs.

L’arrivée des mollahs au pouvoir, avec l’ayatollah Khomeini, a tout bouleversé ?

La situation des femmes a changé très rapidement. Il y a d’abord eu des massacres dans l’armée et parmi les ministres, puis ils se sont attaqués aux femmes et aux autres opposants politiques. Je suis rentrée en Iran, quelques mois après, et ma mère m’a demandé de me voiler pour aller au bazar, ce que nous n’avions jamais fait auparavant. Comme toutes les femmes de ma famille, elle avait pourtant participé aux manifestations contre le hijab au lendemain de la révolution islamique. Elle avait vu des hommes en civil se fondre dans la foule et sortir des bâtons pour les frapper. Petit à petit, les femmes juges n’ont plus eu le droit d’exercer, ma sœur aînée, qui travaillait dans une banque, a été virée parce qu’elle disait ce qu’elle pensait… Ma mère m’a conseillé de ne plus essayer de revenir, de rester où j’étais et de garder une belle image de mon pays.

Quand une femme ou une jeune fille part le matin, on n’est pas sûr qu’elle rentrera le soir. Il suffit d’un geste, d’un voile mal mis, d’une conversation avec un garçon…

Les choses se sont-elles améliorées depuis ?

Pas vraiment, les mollahs ont peur des femmes. Il y a 10 ans, 65% des étudiants étaient des étudiantes. Aujourd’hui, il y a des quotas, pour favoriser l’accès des hommes à l’université, limiter celui des femmes. D’autre part, mes amies restées là-bas me le disent, quand une femme ou une jeune fille part le matin, on n’est pas sûr qu’elle rentrera le soir. Il suffit d’un geste, d’un voile mal mis, d’une conversation avec un garçon… Une femme mariée ne peut toujours pas sortir du pays sans l’autorisation de son mari, ou de son père pour une jeune fille, comme ce fut le cas pour cette joueuse de Futsal, Niloufar Ardalan, dont le mari avait confisqué le passeport pour l’empêcher de se rendre aux championnats d’Asie en 2015 (ndlr : deux mois plus tard, une décision de justice lui permettait d’obtenir un visa pour se rendre à la Coupe du Monde au Guatemala). D’ailleurs, je rends hommage à toutes ces femmes qui jouent au foot, au volley, font du cheval ou du ski, avec le hijab, elles n’ont pas renoncé, elles se couvrent, mais elles continuent leur activité.

Quels moyens ont-elles trouvé pour s’en sortir ?

Le contexte oblige les gens à tricher. Pour voir les matches de foot d’équipes masculines, par exemple, les jeunes filles se déguisent en garçons… Elles sont incroyables! Ou alors, pour pouvoir se côtoyer, les jeunes détournent le sigheh. C’est une sorte de mariage par contrat, qui, à l’origine, permettait aux hommes mariés d’avoir une autre femme, pour une durée déterminée, et qui était illégal à l’époque du Shah. Il est notamment encouragé par les mollahs, «pour le confort des hommes» pendant leurs pèlerinages sur les lieux saints, comme à Mashhad, et ce n’est ni plus ni moins qu’une officialisation de la prostitution. Mais les jeunes font des sigheh entre eux, en lisant éventuellement une ligne du Coran pour l’officialiser, ce qui leur permet de s’afficher ensemble. La force des jeunes Iraniens, ce sont les réseaux sociaux, ils voient ce qui se passe ailleurs, ils ont une grande ouverture. La situation est peut-être pire aujourd’hui qu’à l’arrivée des mollahs, mais il n’y a jamais eu autant d’espoir. Ça va déborder, parce que trop, c’est trop. Mais s’il y a un changement en Iran, même les hommes le disent, il sera porté par les femmes.

Dates clés

1936 : création d’un système d’éducation nationale ne faisant aucune distinction entre garçons et filles. Les femmes font également leur entrée à l’Université de Téhéran et une loi interdit le port du voile.

1963 : droit de vote et d’éligibilité.

1967 : vote de la loi de protection de la famille limitant le droit unilatéral des hommes au divorce et à la polygamie.

1979 : abrogation de la Loi de protection de la famille. L’Etat fait du port du hijab une obligation pour toutes les femmes, les soumettant à des règles strictes de conduite en société. De nouveau soumises à la charia, elles sont écartées de toutes les hautes fonctions publiques, tous les acquis du XXème siècle sont perdus : abaissement de l’âge légal du mariage à 9 ans, ségrégation dans les bus…

28 décembre 2017 : le gouvernement Iranien annonce l’abolition du port du voile islamique… Mais dans les faits, il ne s’agit que d’un assouplissement pour les voiles mal portés, et uniquement à Téhéran.

 

En chiffres

A l’arrivée des mollahs et leur idéologie nataliste, la démographie iranienne s’est affolée, chaque femme ayant en moyenne 5 enfants. Mais à la fin des années 90, le gouvernement a encouragé la régulation des naissances, le taux de fécondité est aujourd’hui tombé à 1,89.

En 2015, près de 17% des femmes étaient actives, contre 71% des hommes. L’année précédente, le guide suprême Ali Khamenei affirmait de toutes façons que “l’emploi n’est pas une question majeure pour les femmes”.

Même si, au Parlement iranien, les femmes restent très minoritaires, le nombre de députées issues des dernières élections législatives, en 2016, est le plus important depuis près de 40 ans (17 femmes sur 288 représentants).

Photos : Guillaume Desmurs

Mélanie Marullaz

Mélanie Marullaz

Journaliste SURNOM: Poulette. PERSONNAGE DE FICTION: Elastigirl. OBJET FETICHE: mon oreiller. ADAGE: à chaque Barba-problème, il y a une Barba-solution. (philosophie Barbapapienne) JE GARDE: mes épaules. JE JETTE: mes grosses cuisses de skieuse. DANS 20 ANS? la tête de mon père sur le corps de ma mère. presse@activmag.fr

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