emancip’ action
Sur les femmes au Vietnam, la culture parfois pèse de tout son poids. Sans heurts et en douceur, le pays évolue toutefois vers une reconnaissance accrue de la féminité et davantage d’égalité.
Depuis 3 ans, Châu Nguyen Delapierre vit à Aigue-blanche, petite commune de Savoie, berceau de la famille de son mari. Un changement radical pour la jeune femme de 28 ans, qui a toujours vécu dans le tumulte de Hô-Chi-Minh-Ville (Saïgon), sa métropole natale du sud du Vietnam.
Châu grandit auprès d’un père policier, d’une mère au foyer et de deux sœurs cadettes. Une enfance studieuse : les écoliers vietnamiens – et les adultes qu’ils deviennent – sont habitués à beaucoup travailler… Filles et garçons sans distinction, enchaînent sous pression les cours et les leçons. Après sa majorité, Châu se lance dans des études d’anglais : trois années avec un diplôme de professeur à la clé. Son assiduité n’exclut pas quelques distractions. Dans un bar, en 2011, Châu rencontre Nicolas, un jeune Français en villégiature. Durant deux ans, les amoureux se retrouvent dès que possible, bravant les difficultés d’une relation à longue distance. Ils se marient enfin en 2014, après que Châu ait validé sa formation à l’international. Le couple s’installe en France en 2015 et donne naissance en 2016 à une petite Inès Ly.

DU ROSE ET DES BLEUS
“Quand ma grand-mère a su que j’étais enceinte, elle m’a tout de suite demandé de quel sexe était le bébé que j’attendais. Et quand elle a su que c’était une fille, elle s’est assurée que ça ne dérangeait pas mon mari et sa famille. Même si les mentalités évoluent, les parents vietnamiens préfèrent toujours avoir un garçon. Culturellement, ce sont en effet les fils, en particulier les aînés, qui restent vivre chez leurs parents et s’en occupent jusqu’à la fin de leurs jours. Leurs épouses les suivent et perdent ainsi leurs relations avec leurs propres familles. Certaines doivent par ailleurs subir la dureté de leur belle-mère qui ne les considèrent pas comme étant de leur sang” expose Châu.
Outre le fait qu’elles doivent assumer les tâches domestiques, ces femmes (et d’autres) peuvent également être victimes de violences conjugales. Un fléau apparemment accentué par un alcoolisme masculin relativement répandu dans le pays. Prise en compte par les autorités, cette problématique a contribué au lancement cette année d’un projet national en faveur de l’égalité des sexes et sur l’éradication de la violence faite aux femmes.
GUERRE CONTRE NAGUÈRE
Ces mesures prennent tout leur sens au regard de l’importance que revêt l’institution du mariage au Vietnam. Une quasi-sacralisation qui peut dissuader les femmes de demander la séparation. “Si une femme veut divorcer, elle pense avant tout au sort de ses enfants et à l’impact moral sur ses parents, ce qui peut contribuer à la freiner. Malgré tout, depuis quelques années, les divorces sont plus courants. Pour autant, au Vietnam, il est culturellement très mal vu qu’une épouse critique son conjoint ou même le contredise. Jusqu’à il y a peu, si le mari disait «c’est un chien» en montrant un chat, la femme ne pouvait qu’approuver ! Heureusement, cela change petit à petit. Les femmes osent s’exprimer davantage, elles sont plus fortes qu’avant, plus en mesure de décider de leurs vies”, explique Châu, aujourd’hui professeur d’anglais dans deux écoles savoyardes.
La place que les femmes vietnamiennes gagnent peu à peu dans la société, découle aussi de l’histoire du pays et des conflits qui l’ont ravagé (certaines se sont rendues au front, d’autres se sont battues pour la survie de leur famille et n’ont pas souhaité redevenir femmes au foyer). Ce sont aujourd’hui des combats d’un tout autre genre qu’il leur faut continuer à mener…
EN BREF
Les femmes sont désormais presque au même niveau que les hommes en termes d’alphabétisation, et les écarts de niveau d’éducation ont nettement diminué. Chez les 55 ans et plus, les hommes sont en général cinq fois plus nombreux à posséder un diplôme. Au sein des plus jeunes, le taux applicable aux hommes ne représente plus qu’une fois et demie celui des femmes.
Les revenus des hommes seraient en moyenne une fois et demie plus élevés que ceux des femmes.
Le droit de vote a été accordé aux Vietnamiennes en 1946.
Le Vietnam a le pourcentage le plus élevé de femmes membres du parlement en Asie (27% en 2017).
Un rapport des médecins de la maternité centrale d’Hanoi annonçait en 2014 que 40% des grossesses finissaient par un avortement au Vietnam. Légal jusqu’à 22 semaines et facilement accessible, l’IVG est souvent utilisé comme moyen de contraception.
L’homosexualité tant féminine que masculine est autorisée au Vietnam, mais les couples homosexuels n’ont pas droit à la même protection légale que les couples hétérosexuels. Pour autant, le code criminel interdit tout ce qui peut «aller contre la morale publique». Cette loi vague peut être invoquée pour persécuter les personnes homosexuelles ou les organisations de lutte pour leurs droits.
Photos : Guillaume Desmurs