genre : humain

3 Mai 2017

Caroline Dayer et l’anti-sexisme

A 38 ans, Caroline Dayer est
 une référence en suisse sur les questions d’égalité, de genre 
et de discrimination. Docteure, chercheuse, formatrice, consultante, elle est, depuis cette année, experte en prévention des violences et des discriminations pour le canton de Genève. Rencontre avec une « pointure du genre ».

«Arc-en-ciel». Son mot préféré. Diversité des couleurs. Mélange du soleil et de la pluie. Pont flottant dans le ciel. Une image qui illustre à merveille la vie et le parcours intellectuel de Caroline Dayer. Elle ne cesse, depuis des années, d’établir des liens, des passerelles, entre les individus, entre les disciplines, l’histoire, la philosophie, la sociologie, la biologie, l’anthropologie, afin de mieux cerner le fonctionnement des inégalités et des violences. Chercher, écrire, publier, débattre. Emboîter les pièces du puzzle. Et sans relâche, dénoncer le sexisme, le racisme, l’homophobie.

Ces questions la taraudent depuis longtemps. Enfance valaisanne. Famille aimante et chaleureuse. Mais complètement décalée dans ce canton conservateur où la religion exercent une forte emprise sociale. Premiers questionnements identitaires. Premières révoltes. Détendue, rieuse, mais déterminée et combative, elle nous livre ici un propos précis, scientifique et percutant.

Caroline Dayer

Activmag : Féminisme, mot honteux ?
Caroline Dayer :
Ce mot est souvent assigné à une forme de discrédit, de caricature. Le féminisme, ce n’est pas être contre les hommes, mais contre le sexisme.

Vous travaillez sur les questions du genre et des inégalités depuis presque 20 ans. Quels principaux changements et quelles permanences avez-vous pu constater ?
Selon moi, 3 phénomènes se sont amplifiés. D’abord, la recrudescence de la banalisation du langage injurieux (raciste, sexiste, homophobe, etc…) et sa légitimation au niveau politique, notamment par Trump aux Etats-Unis, en France ou en Suisse par certains courants conservateurs. Ensuite, la volonté permanente de contrôler le corps des femmes. Comme sur la question de l’avortement qui revient sans cesse sur le tapis. Quand même, en 2017, on entend encore : «est-ce les femmes ont le droit de disposer de leur corps ?»!! Enfin, la question récurrente de l’inégalité salariale. La loi sur l’égalité existe, mais pour qu’elle ne soit pas une coquille vide. Il faut passer aux actes de façon plus systématique.

Votre dernier livre, le 10ème, «Le pouvoir de l’injure», est justement consacré à cette question.
L’injure est pour moi une question centrale, au cœur des rapports de pouvoir. L’injure, qu’elle soit raciste, sexiste ou homophobe, relève d’une logique identique. Blesser, dévaloriser, stigmatiser, exclure. Non seulement un individu, mais aussi un collectif. Elle amène même certaines personnes à modifier leur comportement quotidien pour éviter des injures. Une injure va sanctionner une jupe trop courte, ou trop longue. En ce sens, l’injure est une véritable «épée de Damoclès », un moyen de contrôler les individus. Mais elle n’est que la partie émergée de l’iceberg des violences. Elle reflète des rapports d’oppression beaucoup plus profonds.

La parole se libère-t-elle plus facilement face à ces expériences violentes ?
Les violences sexistes ne sont hélas pas des phénomènes nouveaux et les vécus sont divers. Mais la nouveauté est que davantage de femmes osent s’exprimer. La parole est indispensable pour donner à ces faits une visibilité, pour qu’ils soient reconnus. Car en général, dans ces violences, l’argumentaire est toujours le même, on constate une banalisation et une minimisation : «elle exagère», «ce n’est pas grave», «elle l’a cherché». La femme est systématiquement suspecte, alors qu’elle est la cible. Cela est extrêmement destructeur pour l’estime de soi. Plus il y aura d’échos, plus on rapprochera les expériences, plus on pourra casser ces mécanismes. Et moins les femmes se sentiront seules. Une personne doit pouvoir se dire : «je ne suis pas seule à vivre ça, et ce que je vis est inacceptable» pour pouvoir transformer cette situation.

Alors, quand la réalisatrice de «Divines», Houda Benyamina déclare en 2016 au festival de Cannes «j’vais te dire, t’as du clito, toi!», c’est bon signe? Le courage doit se féminiser?
L’expression est intéressante. Elle utilise le langage pour surprendre. C’est réussi, car la bravoure est systématiquement liée au masculin et sexualisée. Mais en même temps l’expression questionne. Pourquoi véhiculer le même stéréotype? Pourquoi le courage doit-il se centrer dans les organes génitaux, quels qu’ils soient? On cantonne cela à de la biologie et de l’anatomie. C’est réducteur. Par ailleurs, certaines femmes ont plus de testostérone que certains hommes!

L’inégalité homme/femme serait donc devenue plus insidieuse, comme le prétend l’historienne Michelle Pérot ?
Absolument ! Il y a eu des avancées bien sûr. Mais elles cachent le sexisme ordinaire, la question de la violence conjugale, extrêmement présente, ou le harcèlement de rue. Il faut lutter contre ces manifestations de sexisme ordinaire, mais également s’attaquer à la base, à la partie immergée de l’iceberg, c’est-à-dire au système idéologique qui perpétue cette inégalité profonde et qui crée des hiérarchies. Contrairement à ce qu’on entend, l’égalité n’est pas concrètement acquise.

Certaines femmes sont sexistes et certains hommes féministes. N’enfermons pas les filles et les garçons dans des carcans stéréotypés.

Vous développez des concepts étranges et imagés pour traduire les inégalités : plafond, paroi, plancher collant…
Je révise des concepts qui proviennent de différentes recherches et renvoient à des phénomènes de ségrégation; verticale, le plafond de fer; horizontale, les parois de verre. Mais avant de se cogner, il faut pouvoir quitter le plancher, décoller. Pourquoi certaines femmes décollent? Pourquoi certains hommes échouent? Cela dépend de plusieurs facteurs qui se croisent, liés au racisme, à l’origine sociale, au capital culturel, aux conditions matérielles de vie. Tous ces aspects sont imbriqués pour produire des inégalités. On ne peut donc pas raisonner en catégories homogènes hommes/ femmes. La situation est plus complexe. Regardez, beaucoup de femmes ont voté pour Trump ! Mais ce sont principalement des électrices blanches et aisées. Certaines femmes sont sexistes et certains hommes féministes. N’enfermons pas les filles et les garçons dans des carcans stéréotypés.

Il n’y a donc pas de gène du bleu ou du rose?
Ah ah ! Sûrement pas ! Avec l’histoire ou l’anthropologie notamment, on peut aisément démonter ces éléments qu’on nous présente comme «naturels» ou biologiques. Les filles ne vont pas par nature vers les poupées et les garçons vers les camions. Le rose autrefois était attribué aux garçons et le bleu, couleur du voile de la Vierge, aux filles. En Ecosse, les garçons mettent des kilts ! Le gène de l’aspirateur ou du talon aiguille n’existe donc pas. Comme tout cela relève de décisions sociales, on peut proposer des solutions, ouvrir des horizons. Et ainsi expliquer à une jeune fille qu’elle peut être ingénieure ou mécanicienne. Mais en lui montrant les obstacles structurels qui peuvent l’empêcher d’y arriver et l’accompagner. L’important est de ne pas avoir un discours victimaire. Il est vital d’agir dans une démarche réaliste et constructive.

Certaines femmes ont plus de testostérone que certains hommes!

Comment aller au-delà de l’indignation ? Faut-il s’exhiber comme les Femen ?
Il s’agit de passer de l’indignation personnelle à la mobilisation collective, de déjouer les systèmes de domination en évitant de les renforcer, de faire preuve de créativité. Se dévoiler comme elles le font peut être considéré comme émancipateur, dans un pays bien précis. La question perpétuelle est de se demander ce qui fait bouger les lignes dans un contexte donné. Le féminisme ne consiste pas à imposer ce qui est censé être fait ou non. Il est nécessaire d’articuler trois niveaux de réflexion et d’action. Au niveau des citoyens et citoyennes, sur un plan de responsabilité individuelle. Puis le niveau de l’action collective, les associations par exemple… et enfin la dimension politique. La parité, les quotas, sont des outils, mais pas une fin en soi et visent un objectif plus général. On ne peut pas compter sur le temps qui passe. Il est essentiel de travailler sur l’éducation, des jeunes notamment et écouter les femmes, dans toute leur diversité. Et surtout ne pas penser à leur place, ici ou ailleurs. Toutes n’ont pas les mêmes envies, les mêmes conditions de vie. Le comble, c’est quand des femmes dictent à d’autres femmes ce qu’elles doivent faire.

Vous dites souvent «le sexisme n’a pas de frontières». Y a-t-il une différence entre la France et la Suisse ?
Les thématiques principales sont les mêmes, ce sont les focalisations et la façon dont elles sont traitées qui diffèrent, notamment en raison de la différence de système poli- tique. Les élections présidentielles en France sont ainsi l’occasion de vifs débats sur ces sujets. La démarcation se joue parfois moins entre les pays qu’entre les zones urbaines ou rurales ou les régions. Dans les deux pays, on observe des partis qui instrumentalisent la perspective féministe et prétendent défendre l’égalité pour gagner un électorat alors que leurs programmes ne vont pas du tout dans ce sens.

+ : à lire : Le Pouvoir de l’injure I Sous les pavés, le genre I Les éditions de l’aube

Quelle «Her» est-elle ?

Activmag : un mot détesté ?
Caroline Dayer :
« Putain » et son utilisation permanente dans les propos, comme interjection.

C’était mieux avant quand…
… Non !! ce n’était pas mieux avant !

Ce sera mieux demain quand…
… Les inégalités se réduiront !

Une femme pour illustrer un nouveau billet ?
Angela Davis. De telles figures manquent aujourd’hui.

Un livre favori ?
« King Kong Théorie » de Virginie Despentes, pour son écriture percutante, pour l’utilisation de sa propre expérience.

Une époque favorite ?
Les années 60, époque des grands mouvements sociaux, aux Etats-Unis, avec une solidarité, une dimension collective, humoristique et politique.

Une devise ?
«Il n’y a que les poissons morts qui vont dans le sens du courant» ou «à force de vouloir être dans le moule, on finit par ressembler à une tarte !».

© beeboys, © Nina Malyna, © svitlychnaja

Emmanuel Allait

Emmanuel Allait

Chroniqueur SURNOM : Manu. Mais je préfère qu'on m'appelle Emmanuel. Un peu long, mais plus c'est long, plus c'est bon, non? PERSONNAGE DE FICTION : bob l'éponge. J'ai passé 40 ans à faire la vaisselle et ce n'est pas fini ! Je suis un spécialiste. OBJET FETICHE : un stylo plume. Beaucoup plus classe qu'un ordinateur. Ou une montre, automatique bien sûr. Regarder le temps qui passe pour en profiter au maximum. ADAGE : mon cerveau est mon second organe préféré (woody allen). JE GARDE : joker. JE JETTE : mes pieds. DANS 20 ANS ? je serai sur une scène, guitare à la main, pour jouer Europa de Carlos Santana. presse@activmag.fr

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