douleurs de croissance
La Haute-Savoie, ses lacs, ses sommets, ses panoramas à couper le souffle… Au dos de la carte postale, une démographie galopante, un marché de l’immobilier en tension, des axes de circulation saturés et un air moins pur que les paysages ne le laissent imaginer. Ça pousse, ça tire dans tous les sens et ça fait mal aux articulations !
800 000 Haut-savoyards. Avec plus de 10 000 habitants supplémentaires par an – 833 par mois, 192 par semaine, 27 par jour, 1,125 par heure… On sonne à votre porte ? C’est le bras droit de votre nouveau voisin, le reste du corps débarquera d’ici demain matin ! – la Haute-Savoie aurait la croissance démographique (+1,4%) la plus forte de l’ensemble des départements français1. Attractivité du pôle genevois, dynamisme du bassin annécien, la santé économique du département fait que l’on s’y installe plus qu’on ne le quitte (solde migratoire : +0,8%), et qu’on y fait des bébés plus qu’on y meurt (solde naturel : +0,6%).
RÉSI-DENSE
Mais plus rapidement encore que la population, le nombre de foyers ne cesse d’augmenter : beaucoup de familles certes, depuis 2003, mais aussi davantage de «petits» ménages (parents isolés, personnes âgées…) qui génèrent une importante demande de logements, non couverte par la construction.
En raison des contraintes géographiques, et dans un contexte de limitation de consommation d’espace, les constructions et la population se concentrent donc majoritairement en zones urbaines, notamment autour d’Annecy, Annemasse et Thonon-les-Bains, mais leur répartition ne se fait pas de manière étale et équilibrée : 40% des arrivées se concentrent sur la partie frontalière de la Suisse – en accueillant 4000 nouveaux habitants par an, l’aire urbaine d’Annemasse progresserait deux fois plus vite que celle d’Annecy1. Les infrastructures (logements, mais aussi routes, écoles…), elles, ne suivent pas.
Avec plus de 10 000 habitants supplémentaires par an : 833 par mois, 192 par semaine, 27 par jour, 1,125 par heure… la Haute-Savoie aurait la croissance démographique la plus forte de l’ensemble des départements français
TEMPS DE LATENCE
“Est-ce qu’on est en retard ? On court un peu après tout ça, c’est vrai”, reconnaît Christian Dupessey, président d’Annemasse Agglo. “On ouvre 5-6 classes de maternelle par an et on construit un groupe scolaire par mandat. La population qui arrive est jeune et exigeante en services, et pour la petite enfance, par exemple, nous n’avons pas les moyens financiers et fonciers pour répondre, c’est le revers de la médaille.”
De son côté, Jean-Luc Rigaut, président du Grand Annecy, reconnaît également que les «mondes» de la mobilité et de la construction ne suivent pas le même tempo que la démographie : “aujourd’hui, il nous faut 10 ou 15 ans pour créer une nouvelle voirie. Ce n’est pas un manque de volonté, c’est une question d’organisation. Le temps de l’action publique est long. Ce n’est pas non plus un manque d’anticipation : la croissance démographique s’est accélérée.”
“En 2007, quand nous avions imaginé le premier Grand Genève, confirme Jean Neury, à la tête de Thonon Agglo, nous avions tablé sur 1 million d’habitants à échéance en 2025-2030, on y est déjà en 2017 ! La courbe est beaucoup plus forte qu’on ne l’avait imaginée.”
BATAILLE D’ACRONYMES
Pour gérer cet afflux de population et ses impacts, un catalogue de schémas et de plans régissent l’aménagement du territoire: SCOT, PLUI, PDU et autres PLH – n’essayez pas de les caser dans un SMS, ce ne sont pas vraiment les potes de LOL et MDR…
Mais les pièces du puzzle ne s’imbriquent pas aussi facilement. “La Haute-Savoie a une structure très particulière”, explique Arnaud Dutheil, directeur du CAUE 74 (Conseil d’Architecture, d’Urbanisme et d’Environnement). “Elle est constituée d’un réseau de petits pôles économiques urbains. Il n’y a pas une seule grande ville-centre avec une périphérie, comme Lyon ou Strasbourg. Par contre, nous sommes tous à 10 minutes d’un espace naturel, d’une vache à caresser. Une vraie chance. Tout l’enjeu est donc de conserver ces atouts, sanctuariser ces espaces dans ce contexte de forte croissance démographique. Il faut réfléchir à une nouvelle forme de ville où le maillage urbain s’interpénètre avec l’agricole et le naturel, et c’est un vrai challenge.”
Un schéma inédit qui n’a pas de précédent sur lesquels on pourrait s’appuyer.
1 INSEE Analyses N°220 – Haute-Savoie : un des départements les plus dynamiques de France – Janvier 2014.
Photo : Jean-Marc Favre – Wooloomooloo. Texte : Cécile Boujet De Francesco et Mélanie Marullaz
