la guerre des étoilés : marc veyrat

21 Jan 2019

marc veyrat

L’homme ne cultive pas que les choux, les herbes, et autres légumineuses qu’il transforme, tel un alchimiste, en plat d’une autre galaxie, il cultive aussi l’ambiguïté. Aussi orgueilleux que sensible, aussi grande gueule que fragile, aussi talentueux que laborieux, aussi détesté qu’adulé… Marc Veyrat rebondit sans cesse d’un extrême à l’autre de «la force».

Activmag : Qui pourrait vous dire «Je suis ton père !» ?
Marc Veyrat :
Paul Bocuse. Forcément. Quelqu’un de génial. C’est lui qui m’a donné envie de me lancer. Je suis un autodidacte et j’ai d’ailleurs démarré avec son bouquin «La cuisine du marché», il y a 50 ans et avec celui de Michel Guérard, «Cuisine minceur», mes deux bibles. Elles sont au pied de mon lit et je les connais par cœur. Bocuse, lui, je l’ai rencontré il y a 30 ans, et il est devenu un ami, un ami intime. Et mon maître.

Y-a-t’il un conseil de Jedi qu’il vous a donné ?
Il m’en a donné plein… Un jour, c’était il y a 3 ans, il m’a dit : “t’as 65 ans. L’âge où j’ai monté mes brasseries, il est donc temps que tu attaques.” Et il m’a poussé dans l’aventure…

Quel conseil donnez-vous, à votre tour, à vos élèves ?
D’être soi. Tous les Alpins sont mes élèves : Emmanuel Renaut, Jean Sulpice, Yoann Conte, Edouard Loubet. Ils sont en train de marquer leur époque, car ils personnalisent leur cuisine. C’est formidable. Ils ont pris un peu de moi, les herbes, mes trucs… et ils se sont mis à créer une cuisine identitaire qui ne ressemble qu’à eux. Je leur ai transmis ce goût de la liberté, celle de s’affranchir des autres pour être vraiment à part. Pas de pâles copies !

C’est votre style «j’emmerde le monde entier, je fais ce que je veux !» ?
Oui, c’est vrai, je suis un peu comme ça. C’est pour ça que, même si j’ai quand même des amis, j’ai aussi beaucoup d’ennemis ! Mitterrand m’avait dit “c’est comme un Président de la République, on est élu à 52 % et le reste nous en veut ou nous déteste…” Je pense qu’en cuisine, c’est pareil.

Elle ne devrait pas rassembler, la cuisine ?
Ah, mais elle rassemble, j’ai pas dit ça. Mais quand on cherche à être vraiment différent, on déstabilise, forcément certains aiment, d’autres pas. Mais qu’importe ! On a une explosion en ce moment de jeunes talents extraordinaires en France. Et moi, j’en suis heureux.

Quel est votre côté obscur ?
Je suis cyclothymique, c’est clair. Un jour, je suis au sommet du Mont Blanc, le lendemain au fond de la piscine… Ça, c’est l’homme. Et c’est l’homme qui est au fond de la piscine qui se remet en cause, en disant : je veux reprendre de l’air. Ça s’appelle la créativité.

Et là, vous êtes plutôt en haut ou en bas ?
Là… Je suis en haut.

Et à quelques jours du Guide Michelin, vous êtes toujours confiant ?
Pff, vous savez, pour moi, le Michelin et le Gault et Millau, c’est très important pour la profession, mais ce n’est pas une fin en soi.

Pourtant, récupérer vos étoiles vous tenait à cœur…
On a eu de la chance, d’autant que j’avais écrit au Michelin pour leur dire que je ne voulais plus d’étoiles et ils m’en ont mis quand même ! C’est que l’équipe, je dis bien l’équipe et pas Marc Veyrat, les méritait, la salle, comme la cuisine. J’insiste parce que l’un ne va pas sans l’autre : si vous arrivez avec un plat que le chef a bien fait et que vous tirez la gueule, le plat n’est pas pareil. Si vous l’apportez avec le sourire, l’explication, avec l’échange, le partage, c’est formidable ! Je dis ça souvent et ça vexe certains cuisiniers, peu importe, mais pour moi, la cuisine et la salle, c’est 50/50.

Une fois qu’on a 3 étoiles, que peut-on rêver de plus ?
D’en avoir 4 !

Il faudrait les inventer juste pour vous ?
En tous les cas, pour plusieurs. Je pense qu’il y a une hiérarchie dans la cuisine aujourd’hui, qu’il y a des sommités. Et ces sommités devraient être mises à part.

Comme béatifiées de leur vivant ?
Béatifiées non, mais si le Michelin ou le Gault et Millau créaient une catégorie particulière, ça laisserait de la place aux jeunes, derrière.

Pourquoi, vous pensez que vous êtes trop en 3 étoiles ?
Non, ce n’est pas le problème…

Et cette «4ème étoile», vous la décerneriez à qui ?
Je ne sais pas… À des gens comme Pierre Gagnaire, Guy Savoy, Alain Passard, Gilles Goujon, j’en oublie plein, Gérald Passedat, Jean-François Piège… Des gens qui vieillissent dans la profession, qui ont de la bouteille et qui amènent quelque chose en plus, une identité, à transmettre aux jeunes. C’est pour ça qu’on devrait les mettre à part.

Votre élève dont vous êtes le plus fier ?
Je suis fier de tous mes élèves. J’en ai 3 qui ont 3 macarons, j’en ai 6 qui en ont 2 et je dois en avoir 18 avec une étoile. C’est quand même pas mal, hein ? Prenez Jean Sulpice, Yoann Conte et Edouard Loubet, ce sont des 3 macarons en puissance… Je le sens. Eux, ils ne plagient personne, ils ont une vraie identité… Malheureusement, on peut être au sommet et plagier les autres ! Mais il y a 3 et 3 étoiles…

Comment pourrait se traduire votre côté rebelle ?
Rebelle, moi ? Je suis un fou cinglé ! Ceux qui me connaissent le savent…

Les autres aussi, je vous assure !
Oui ?… C’est clair, je suis un fou cinglé et je le resterai ! Cette singularité me va très bien. Je suis capable du pire et du meilleur et c’est exaltant. La folie apporte une énergie incroyable.

Une énergie créative qui peut être destructrice, aussi ?
Ah bien sûr qu’elle est destructrice ! Car vous avez des moments où vous êtes complètement par terre. Ce qui est très intéressant, c’est la remise en question. Est-ce qu’on est bon ou est-ce qu’on ne l’est pas ? Et on n’est jamais bon ! Chaque fois que je vais chez des collègues, je reviens en disant : on est des nuls ! Ces gens-là apportent quelque chose de formidable.

Et alors vous, qu’est-ce que vous apportez ?
Moi, j’apporte ma créativité et ma folie. C’est tout.

En cuisine, existe-t-il des alliances contre nature ?
Vous avez plein de choses qui se marient et autant qui sont antinomiques. Le chocolat et la truffe se marient par exemple…

Qu’est-ce que vous ne marierez jamais ?
Si vous mettez une carotte cuite avec de la truffe, ça ne marche pas. Parce que les couleurs sont complètement opposées, et ça rentre aussi en ligne de compte.

On doit jouer au petit alchimiste pour être créatif ? Ou vous sentez déjà ce qui va matcher ?
Non, jamais, celui qui sait d’avance que ça va matcher, il n’est pas si créatif que ça.

Votre arme fatale en cuisine, c’est quoi ?
C’est le perfectionnisme. Si on n’y arrive pas, je deviens coléreux. Pas vis à vis de l’équipe, mais de moi-même… Même si l’équipe en fait les frais…

Vous avez une arme fatale à la maison ?
L’amour. C’est fatal ! L’amour, c’est terrible…

Vous êtes amoureux ?
Non seulement, je suis amoureux, mais j’ai appris une chose en vieillissant, c’est que je suis amoureux des autres. Et vous savez, être amoureux des autres, c’est être encore meilleur en cuisine pour donner du bonheur. Ça va au-delà de l’émotion ! J’ai vu des clients en larmes chez moi.

Votre meilleur effet spécial ?
Les effets spéciaux, j’en ai utilisé pendant une vingtaine d’années avec la cuisine moléculaire. Et j’en suis revenu. Parce que j’ai fait des bêtises. Parce que la cuisine moléculaire, ce n’est pas de la vraie cuisine. La vraie cuisine, ce n’est pas de mettre des trucs à l’intérieur qui font des flashs, de la fumée, qui mettent de la poudre aux yeux. C’est pas vrai !! Et là où ce n’est pas vrai, c’est que ce n’est pas bon pour le client. Nous devons être des résistants aujourd’hui, et je le dis à tous les jeunes. Avant, il y a une trentaine d’années, moi, comme Paul Bocuse, on achetait les pigeons, les poulets, toujours au même endroit. On connaissait nos fournisseurs, leur façon de travailler, c’était extraordinaire. Aujourd’hui, qu’est-ce qu’on donne aux poules ? Qu’est-ce qu’on met dans la terre pour faire pousser les légumes ? En tant que chef, il faut désormais se poser les bonnes questions en amont, c’est toute l’identité de la nouvelle cuisine qui est en jeu, à savoir : est-ce que je suis respectueux, un digne ambassadeur de la santé publique ? Suis-je fier de ce que je vous mets dans le corps? Après, on introduit les meilleurs produits, on les magnifie et on apporte du plaisir… C’est le tour de main. Mais cette première donne n’existait pas de notre temps, du temps de Bocuse.

Le souci de la santé publique ?
Bien sûr que non ! Puisqu’on avait des produits de première génération, des produits extraordinaires. On va désormais vers la surproduction et je n’ai pas envie qu’elle rentre dans la gastronomie française, je préférerais de loin qu’elle s’arrête. La nourriture, c’est notre carburant. S’il est de bonne qualité, vous avancerez mieux, vous serez en bonne santé. Et je parle de notre alimentation de tous les jours. Y a un vrai boulot de rééducation. Qu’on arrête d’acheter tout et n’importe quoi, sous vide ! Il faut retourner chez les paysans, chez les producteurs de proximité. D’ailleurs, il faut absolument que les cuisiniers fassent une chaîne humaine, qu’ils aillent travailler, comme moi, sur les autoroutes, les supermarchés, en disant «tiens, on enlève ça, et ça, et encore ça, pour la santé publique.» Chacun doit amener sa pierre à l’édifice de l’alimentation !

Est-ce qu’il y a d’autres chefs que vous aimeriez satelliser sur Tatooine ?
Oh, j’en ai bien un ou 2 que j’aimerais bien envoyer ailleurs… Pour faire leur promotion ! Attention : ce sont des gens tout à fait respectables, mais qui n’ont pas trouvé leur identité chez nous, et qui la trouveront sans doute davantage à St Petersbourg, n’importe où, mais pas ici. Des gens formidables, des travailleurs, qui ont beaucoup de talent. Mais qui ne sont pas à leur place ici. Ils auraient tout intérêt à aller chercher leur identité culinaire ailleurs ! Et je ne vous donnerai pas les noms ! Ils se reconnaîtront.

Aujourd’hui, quelle est votre force ? Avez-vous toujours l’envie ?
Oh que oui ! J’ai une vie incroyable. J’ai monté des tas de restaurants partout. Et je suis revenu sur le terrain de mes parents. Et on est plus fort quand on retrouve ses racines. Je n’ai jamais été aussi bien dans ma tête que depuis que je suis ici. Et je pense que ma cuisine est encore meilleure qu’avant de ce fait.

Meilleure qu’à Megève ou Annecy ?
Ouais, certain ! Certain parce qu’ici, on maîtrise tous nos produits : les œufs sont ceux de nos poules, que vous voyez juste de l’autre côté de cette vitre, le lait de nos vaches, dans l’étable en-dessous de vos pieds, on a nos chèvres, nos lapins, des jardins potagers, on vit pratiquement en autarcie, comme les paysans autrefois, c’est ce que j’ai voulu recréer ici…

Et votre faiblesse ?
Ma fragilité, c’est le doute. Ne jamais savoir si je suis bon en cuisine et si, malgré mes paroles, parfois dures, je rends assez hommage à mon équipe. Et ce doute me fait mal. Tenez, l’autre soir, pour Noël, j’ai fait un cadeau à mon équipe, ils m’ont tous fait la bise en disant “vous êtes incroyable, vous êtes un fou, mais vous êtes incroyable !”, alors que 2 minutes avant, je leur faisais des réflexions désagréables.

Pourquoi ces réflexions ?
Parce que quand on a de l’exigence, on ne laisse rien passer. Et il y a 2 façons de le faire, introvertie ou extravertie ! Moi, je suis extraverti et je dis ce que je pense. Sans filtre. Ce qui ne m’empêche pas de les aimer. Je les adore ! J’ai la plus belle équipe, là, en ce moment, que je n’ai jamais eu en 40 ans. Je leur ai dit l’autre jour, j’ai jamais eu ça, jamais !

Si je vous dis, la menace fantôme, en cuisine, vous pensez…
A l’écologie ! C’est la seule réponse à la menace qui gronde. Il faut prendre soin de nos terres, prendre soin de notre alimentation, et l’alimentation dépend de nos terres et de la façon dont on les travaille. Prendre soin de nos paysans, nos cultivateurs, ceux qui travaillent avec le cœur, qui n’ont pas les moyens de faire de la pub, pas les imposteurs !

L’attaque des clones ?
Jamais ces attaques ne nous mettront à terre, les McDo et autres ont beau sévir, la cuisine française reste en place. Le seul reproche que je fais à la cuisine française, c’est qu’elle n’a pas une pièce identitaire. Les Italiens ont la pizza, les Mexicains, les tacos… et nous, on n’a pas de plat cuisiné qui peut se manger debout. Ceci étant, notre identité à nous, c’est de s’asseoir à table pour déguster notre cuisine, de créer de la convivialité, de prendre son temps.

Vous auriez aimé créer ce plat debout identitaire ?
Ouais, j’ai beaucoup de mal. Ça reste une frustration.

Le retour du Jedi ? C’est quand tout a brûlé et que vous êtes reparti de zéro ?
Ma pauvre… Je suis reparti de zéro 4 fois dans ma vie. J’ai eu un accident de ski terrible en 2006, je suis resté paralysé un an, dans un fauteuil roulant. Après, chez ma fille où j’ai eu les 2 premières étoiles, le restaurant a pris feu : j’ai tout perdu. Je remonte ici, je refais le restaurant et la 1ère année d’ouverture, il brûle…

Vous êtes le phœnix qui renaît sans cesse de ses cendres ?
C’est ce qu’on dit….

+ d’infos :
La Maison des Bois, 3 étoiles au Michelin, Col de la Croix-Fry, 74230 Manigod.
marc-veyrat.fr

© La Maison des Bois

Lara Ketterer

Lara Ketterer

Lara Ketterer meneuse de revue SURNOM: enfant, c’était Tatouille, en rapport avec mon prénom... PERSONNAGE DE FICTION: depuis toujours : la femme piège, d’Enki Bilal, une reporter mystérieuse et un peu paumée en 2025... OBJET FETICHE: mon téléphone portable, un vrai doudou que je traîne partout ! ADAGE: vivre sans folie, ce n’est pas raisonnable du tout ! JE GARDE: mes yeux et mon esprit rock, toujours provoc ! JE JETTE: mes coups de blues, ça abime les yeux ! DANS 20 ANS ? Adulte ? presse@activmag.fr

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