la guerre des étoilés : rené meilleur

31 Jan 2019

rené meilleur

«Frrr… je suis ton père… frrr», telle est la phrase que René Meilleur susurre à l’oreille de son fils Maxime, le son de casque Vador en moins, et ce, depuis des lustres. Bien avant qu’elle ne devienne culte au cinéma ! De la planète la Bouitte, père et fils règnent sur une galaxie, enfin sur 3 étoiles durement gagnées en 2015… la force est avec eux.

Activmag : Et vous, qui pourrait vous dire «Je suis ton père !» ?
René Meilleur : Je pourrais répondre Paul Bocuse, mais je me suis fais tout seul. Je ne suis passé par aucune maison pour me former. Je n’ai été influencé par personne. Il n’y a que mon imagination qui m’a guidé. Je suis mon propre père, aucun doute sur cette paternité-là !

Enfant, vous n’étiez pas fasciné par un chef ?
Non, d’ailleurs, la cuisine ne faisait absolument pas partie de mes projets, je voulais être moniteur de ski, comme tous mes copains du village ! Mais à 14 ans, quand j’ai fini ma scolarité – à cette époque, on n’allait pas à l’école très longtemps dans nos vallées… -, j’ai dégoté une place de plongeur et j’ai trouvé que l’ambiance de cuisine m’allait plutôt bien. Il y avait beaucoup de rigueur et j’en avais besoin ! J’ai toujours été un grand rêveur, il me fallait donc quelqu’un qui me botte les fesses pour avancer. Et puis, assez vite, j’ai été frustré. Je ne comprenais pas les autres, leur manière de travailler, je voulais mettre en place des choses, et je sentais de la résistance. J’ai alors décidé de monter mon restaurant. C’est ensuite que j’ai découvert Bocuse. Je suis allé manger chez lui et j’ai découvert cette cuisine créative. C’était en 1981, Paul Bocuse était à sa gloire, il était aussi à la mode : on allait manger chez Bocuse. C’est là que je me suis dit qu’il fallait transporter la grande cuisine, dans nos Savoie, et plus encore, en montagne.

En autodidacte, avez-vous reçu néanmoins un conseil de Jedi dans votre vie ?
Non. Aucun de la profession en tout cas. Par contre, j’ai beaucoup écouté les clients, leurs réactions, leurs conseils. Ces petites phrases : “ça, c’est très bon, mais tu devrais améliorer ça. Là, tu devrais changer les verres… Ça, c’est trop salé ou ça manque de peps…” A force, on évolue et on se fait un apprentissage personnel, expérimental en somme.

Fera feuille de pain puntarelle

Par contre, vous êtes le père «spirituel» d’un autre chef, en l’occurrence de votre propre fils, lui aussi autodidacte. Quel conseil de sage lui avez-vous donné quand il a voulu se lancer à vos côtés ?
​Ce ne sont pas des conseils, davantage une manière de faire. Maxime a démarré en pâtisserie en regardant les bouquins, en demandant des conseils autour de lui, et ça a marché, plus ou moins au début, mais ça a marché. Le conseil que je lui ai donné alors, c’est de travailler énormément, de toujours être ultra rigoureux et pointu dans ses créations. C’est primordial et il l’a d’autant bien compris, qu’à la base, c’est un sportif de haut niveau : il est bien plus carré que moi, en fait !

Quel est votre côté obscur ?

(Il réfléchit…) C’est peut-être de me lasser vite. Je prends, je m’amuse et il me faut passer à autre chose. J’aime les gens, mais une fois que j’ai compris comment ils fonctionnent, il faut que j’en voie d’autres. J’ai besoin de projets, de changements, de nouvelles têtes, de carottes ! Pour La Bouitte, heureusement, on a toujours évolué. Là on vient de monter un petit bistrot à Saint Martin parce qu’il me fallait un challenge. On en a un autre au sommet de la montagne, ça m’a occupé un moment, aujourd’hui il marche bien, il faut que je fasse autre chose. C’est mon côté obscur, ça fait partie de mon caractère. Pour moi, ça va, je gère… Ce sont les autres qui ont plus de mal, je ne suis pas quelqu’un de facile…

Et ça se traduit comment ?
Je fais la gueule et je gueule ! Je suis rentre dedans, je grimpe vite dans les tours. Je suis très impulsif, ça ne se voit pas ?

René Meilleur et son fils Maxime

Euh… pas là… pas encore. Vous qui avez besoin de carottes, qu’est-ce qu’on peut encore espérer après 3 étoiles ? Ce n’est pas le début de la dépression ?
C’est le début d’une autre chose, d’une autre vie. Quand vous grimpez sur la montagne, les derniers mètres sont parfois les plus durs… Mais une fois que vous êtes au sommet, c’est extraordinaire. Toutes les possibilités s’offrent à vous. Vous pouvez aller à droite, à gauche…

Ou redescendre …
Certes, mais pour le moment, on est en haut. Et maintenant, ce que je veux, c’est aider Maxime à aller le plus loin possible. J’ai presque 70 ans, j’espère encore m’activer au moins 10 ans à La Bouitte, parce que c’est ma vie, c’est mon ADN. La cuisine, l’accueil des clients, discuter, échanger, boire le Génépi ou la Chartreuse à la fin. Maxime n’a plus forcément besoin de moi, il est capable de gérer l’affaire tout seul. Elle est désormais à lui d’ailleurs. Mais je me dois de rester là.

Trois étoiles, c’est une arme à double tranchant ?
Pas une arme, non. Au contraire. Elles nous ont libérés des contraintes de l’avant 3 étoiles, ce moment où on ne sait pas vraiment ce qu’il faut faire. Une fois que vous avez compris, c’est facile…

Est-ce qu’il existe en cuisine une alliance contre nature ?
Pour moi, ce sont les mélanges terre-mer. Je ne les comprends pas. Ça ne me parle pas et je ne trouve pas que ça matche. On peut faire un plat, ce n’est pas un problème, tout le monde le peut, sauf que dans notre cuisine, avec Maxime, on est sur le produit pur. Donc si vous mélangez un produit de la mer avec un de la montagne, lequel va prendre le dessus ? Pour moi aucun des deux ne le doit, un produit doit être très équilibré. C’est ce qui fait que je ne me retrouve pas là-dedans. Mon truc, c’est la montagne, je ne vois pas ce que je peux faire d’autre comme cuisine.

Comment pourrait se traduire votre côté rebelle ?
Je suis rebelle tout le temps, un anticonformiste, un anti «tout ce qui ne me laisse pas de liberté». J’ai beaucoup de mal avec les cadres. Il faut laisser aux gens une petite lueur d’espoir, les laisser décider de leur manière de vivre, de cuisiner, de rouler vite, de grimper sur la montagne même si elle est verglacée. C’est notre risque à nous, après tout. Je suis un anti interdit.

Dessert Rhubarbe coquelicots

Quelle est votre arme fatale, en cuisine ?
Un grand coup de pied au cul et dehors !

Ce n’est pas un peu radical !?
C’est simple et ça me correspond tout à fait. Et ça file droit avec moi, mais ça reste très amical. C’est oui chef, point barre.

De votre fils aussi ?
De mon fils aussi. Mais ça fait plus de 20 ans qu’on travaille ensemble, on est un vieux couple avec Maxime ! On se connaît vraiment par cœur. On sait exactement ce qu’il faut faire pour ne pas fâcher l’autre et ça marche des deux côtés.

Et à la maison, c’est pareil ?
Pareil, sauf… que c’est inversé ! Ma femme a beaucoup de caractère, croyez-moi !!! Et je file droit. Même ici, au restaurant, elle veille au grain. On ne monte pas une maison comme celle-là si on n’est pas au moins deux (de la famille).

Votre meilleur effet spécial, en cuisine ?
Ce ne serait pas un effet dans la façon de cuisiner, ce fut plutôt cette émotion quand j’ai annoncé en cuisine qu’on avait obtenu trois étoiles… tout le monde en larmes. Ça, c’est de l’effet très spécial.

Votre élève dont vous êtes le plus fier ?
Maxime bien sûr. Il a réussi et ce n’est pas fini ! Ce n’est plus moi le patron… Je fais le beau, mais c’est tout à lui et ça marche mieux qu’avec moi, c’est parfait. Il m’a dépassé largement, notamment par sa manière de gérer, qui diffère de la mienne.

Et vous l’acceptez ?
Non seulement je l’accepte, mais je suis ravi, pourvu qu’il me laisse encore travailler un petit peu, c’est tout ce que je lui demande.

Dans la profession, vous est-il arrivé d’avoir envie d’envoyer quelqu’un sur Tatooine, histoire de voir si vous y êtes ?
Pas vraiment. Dans chaque chef, il y a quelque chose à prendre, même les plus… difficiles. Vous savez, surtout pour ma génération, on n’a pas toujours eu l’éducation nécessaire pour apprendre à se contrôler, on est des impulsifs, des écorchés vifs, on a besoin qu’on nous aime… Ça c’est important et même s’il y a des gens qui m’ont un peu gêné, il faut passer au-dessus, voire même au contraire, se rapprocher, pour que ça marche. Un couple, c’est pareil, ça ne fonctionne pas toujours la première fois… Faut un peu ramer pour se comprendre.

Vous êtes un grand sentimental, en fait ?
Je suis un très grand sentimental, ça c’est sûr… On peut devenir copain avec quelqu’un, après avoir été ennemis. On peut finir par se comprendre…

La brigade de la Bouitte autour de René et Maxime Meilleur

Donc si vous l’envoyez sur Tatooine, vous partez avec !
Tout à fait !

Quelle est votre force ?
Maintenant, c’est une force tranquille. Je laisse le temps au temps.

Quelle est votre faiblesse ?
La vieillesse… Faudrait pas que ma force devienne vraiment trop tranquille !

Si je vous dis : la menace fantôme, vous pensez… ?
Au vegan. A toutes ces restrictions alimentaires ! Ici, on cuisine instantanément, on ne fait rien d’avance. Alors quand un vegan nous demande un plat, on prépare quelque chose, bien sûr, on le nourrit… On essaie de donner un minimum de plaisir, mais c’est dur pour nous. On ne fait plus notre cuisine, ce n’est pas nous dans l’assiette ! Si ça ne s’arrête pas, dans les années à venir, ça va devenir un vrai problème. Sauf à nous adapter… On y réfléchit d’ailleurs, tellement la demande grossit. Pour autant, j’ai du mal… Je suis un paysan, je ne peux pas comprendre ça ! Il faut manger ce que nous donne la nature, depuis la nuit des temps. On fait partie de la chaîne alimentaire, sauf que nous, on ne se fait pas manger !

L’attaque des clones ?
Si on veut proposer une cuisine qui plaît à tout le monde, on prend chez chacun une recette, la meilleure – pourquoi pas -, c’est une manière de cuisiner. Et tout le monde copie ou s’inspire de l’autre, depuis toujours. Sauf que pour avoir 3 étoiles, ça devient plus compliqué, voire impossible. Il faut alors avoir une cuisine très personnelle. Et c’est à nous de donner le tempo ! Quitte à être copiés. D’ailleurs, tous mes copains 3 étoiles, parce qu’on se reçoit régulièrement, ont tous une cuisine personnelle. Aucune ne ressemble à l’autre. Prenez Emmanuel Renaut, on a les mêmes producteurs, les mêmes pêcheurs, et ça n’a rien à voir.

Dessert à la rhubarbe

Si je vous dis : l’empire contre-attaque ?
Ici, on est assez préservé. On évite tout ce qui vient de loin, on essaie de travailler qu’avec des producteurs près de chez nous. On n’a pas d’influence japonisante ou autre, contrairement à ce que peuvent penser certains. On est ancré montagne. Pour les bouillons, les paysans rajoutaient de la moutarde pour mettre du peps, ou des herbes, comme ma grand-mère qui cueillait du chénopode. Ce n’est pas japonisant, ce sont les bouillons qu’on buvait ici, parce qu’on avait pas les moyens de faire autrement. Cette inspiration-là, elle me parle. Pour autant, que des pays viennent concurrencer la France en matière de gastronomie, c’est plutôt bon signe. Il faut qu’on ait la possibilité de bien manger dans tous les pays et d’être étonné aussi. On ne peut pas manger que dans la rue à l’étranger. Ce n’est pas notre culture, surtout nous les Français, qui mangeons à table. Et si la gastronomie à la française fait des petits à l’étranger, grâce à des Bocuse, Ducasse et tous ces jeunes qui partent s’installer à l’étranger, je trouve ça très bien.

Et enfin, si je vous dis le retour du Jedi ?
Je vous réponds : Marc Veyrat. On pensait qu’après son accident, ce serait difficile, il souffrait tellement. Et là qu’il revienne avec 3 étoiles, c’est magique ! Mais pour moi, il n’a jamais perdu ses 3 étoiles. Un chef à ce niveau reste satellisé. D’ailleurs, à l’image du foot et de la coupe du monde, ou du col tricolore des MOF, Michelin devrait décerner une décoration à coudre sur la veste pour qu’un chef qui a eu 3 étoiles le reste à vie. C’est tellement important pour un homme. Atteindre ce sommet… Pour moi, tout ce qui s’est passé avant, c’est de la rigolade ! Je n’aurais pas vécu ça, j’aurais loupé quelque chose dans ma vie.

C’est votre Rolex à vous, ces 3 étoiles ?
Ah oui ! Et entre nous, je préfère les étoiles ! Mais j’ai surpris quelques conversations et il semblerait que j’en aurai aussi une, de Rolex, d’ici peu… Pour mes 70 ans ! Alors….

+ d’infos :
La Bouitte, 3 étoiles au Michelin, Hameau de St Marcel, 73440 Saint-Martin-de-Belleville.
la-bouitte.com

© La Bouitte / © M. Cellard

Lara Ketterer

Lara Ketterer

Lara Ketterer meneuse de revue SURNOM: enfant, c’était Tatouille, en rapport avec mon prénom... PERSONNAGE DE FICTION: depuis toujours : la femme piège, d’Enki Bilal, une reporter mystérieuse et un peu paumée en 2025... OBJET FETICHE: mon téléphone portable, un vrai doudou que je traîne partout ! ADAGE: vivre sans folie, ce n’est pas raisonnable du tout ! JE GARDE: mes yeux et mon esprit rock, toujours provoc ! JE JETTE: mes coups de blues, ça abime les yeux ! DANS 20 ANS ? Adulte ? presse@activmag.fr

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