en verre & contre tout
Si je vous dis Lalique ? Vous visualisez des vases monumentaux, un cristal au dessin très ornementé, un effet satiné devenu signature. Mais il y a 130 ans, c’est par la joaillerie et ses bijoux «vivants» que René Lalique a imposé son style. Un style qui traverse les époques et reste propre à ce monument de la cristallerie, même entre d’autres mains, même avec une autre tête.

2008 «Meuhhhhhhhhh» ! S’il était français, nous cocorico-ririons fièrement en présentant l’homme qui a redonné toute sa flamboyance à l’un des fleurons du savoir-faire tricolore. Mais Sivio Denz est suisse, ce n’est donc pas le coq, mais la vache qui exulte.
Depuis plus de 20 ans, il collectionne les flacons anciens de Lalique – il posséderait plus de 650 pièces originales -. Il est passionné et il a du nez. Après avoir fait d’Alrodo, l’entreprise familiale, la plus grande chaîne de parfumeries en Suisse, il l’a revendue à Marionnaud et s’intéresse de plus près à l’objet de sa convoitise : la Maison Lalique. Mais en pleine crise, l’iconique entreprise est sur le point d’être rachetée par un groupe indien. On parle licenciement et délocalisation. Silvio Denz, qui n’était, à l’origine, intéressé que par la branche «parfums», rachète alors l’ensemble des activités de la cristallerie. Et la sort de l’impasse.

SIÈGE DE CRISTAL
“Le positionnement de Lalique ciblait principalement les objets décoratifs et se concentrait sur les listes de mariages qui n’existent malheureusement plus”, se rappelle-t-il. “Il est vital, dans la vie d’une entreprise, de savoir s’adapter sans oublier son histoire et son héritage tout en créant des synergies entre le passé et l’avenir. Nous avons souhaité réinventer Lalique en une Maison lifestyle et intemporelle avec différents piliers : les objets décoratifs, les parfums, les bijoux, l’architecture intérieure, l’art et l’hôtellerie-restauration. Entourés des meilleurs artisans (ndlr : 8 MOF, rien que ça, officient dans la manufacture), de talents créatifs à la tête de chacun de nos piliers, nous mettons le cristal au cœur de notre quotidien.”
En 2012, il relance donc l’activité joaillerie, près d’un siècle après que René Lalique l’ait abandonnée. Retour aux sources.


AUX ORIGINES DE L’UNI-VERRE
1888. Depuis plusieurs années déjà, René Lalique dessine pour les plus grands joailliers parisiens, Boucheron ou Vever. Mais au moment où il s’installe dans un atelier en plein cœur de la capitale, il dépose son poinçon «RL», élément fondateur de sa marque.
Alors que la joaillerie traditionnelle utilise l’or, l’argent, les perles ou les pierres précieuses, Lalique expérimente des matériaux peu communs pour l’époque, comme la corne ou l’ivoire, auxquels il donne les formes les plus folles, tirées des trois F qui l’inspirent : Femmes, Faune et Flore. “Souvent, le dessin est au service de la matière, de pierres magnifiques qu’on a envie de valoriser, mais René Lalique, lui, était surtout un grand génie de la composition”, admire Marc Larminaux, actuel directeur de la création de la Maison Lalique. “Il créait d’abord un dessin parfaitement équilibré, très bien composé et allait ensuite chercher le matériau qui le mettrait le plus en valeur. C’est comme ça qu’il a commencé à travailler l’émail, pour venir ensuite au verre.”


RUÉE VERS L’OR VERRE
Si l’exposition universelle de 1900 consacre le génie technique d’Eiffel, le foisonnement créatif de Lalique y fait également sensation. Sur son stand, entouré d’une inédite balustrade de femmes ailées en bronze, se bousculent têtes couronnées et personnalités, comme l’actrice Sarah Bernhardt, cliente de la première heure. On s’arrache ses épingles de chapeaux, ses broches ou ornements de corsage, et il est sacré «inventeur du bijou moderne».
Mais il ne s’arrête pas là, se réinvente. En 1907, la rencontre avec le parfumeur François Coty marque un tournant décisif : il crée un premier flacon pour la fragrance «Ambre Antique» et devient ainsi le premier à fabriquer des contenants luxueux pour le parfum. Le flacon lui fait travailler le verre, il en repousse les limites, dompte sa transparence, en fait son matériau de prédilection. Trois ans plus tard, il abandonne définitivement la joaillerie pour décliner le cristal sous toutes ses formes, du vase au bouchon de radiateur d’automobile, en passant par les lustres, la décoration des wagons du train Côte d’Azur Pullman-Express ou celle du paquebot Normandie.


ART (RE)NOUVEAU 2018
“Ce qui caractérise Lalique, c’est son atemporalité, résume Marc Larminaux. L’Art Nouveau et l’Art déco sont des styles qu’on peut réinterpréter, réinventer quelle que soit l’époque, dans lesquels on peut apporter des touches de modernité”.
D’autant que René Lalique a laissé derrière lui tout un catalogue de croquis à partir desquels ses équipes continuent de travailler, comme les hirondelles des collections éditées pour les 130 ans ; cette série de motifs de 1927 et 28, qui ont inspiré une série éponyme de bijoux ; ou encore l’Odyssée du Feu Sacré, cet ensemble de pièces d’exception qui a marqué la renaissance du secteur haute joaillerie au sein de la Maison.
Et pour vivre avec son temps, faire parler de lui, le cristal s’encanaille, s’offre des virées hors cadre par le biais de collaborations ponctuelles et prestigieuses : les architectes Zaha Hadid ou Mario Botta, l’artiste britannique Damien Hirst, Jean-Michel Jarre, les whiskies Macallan, Bugatti ou Caran d’Ache…

Aujourd’hui, la cristallerie n’est donc plus une simple maison, c’est un empire.
Autour des bijoux, flacons et objets décoratifs, ses cœurs de métier, Lalique, c’est aussi une ligne de mobilier, un musée et un relais château – la villa de René Lalique, transformée en hôtel-restaurant, dans le village alsacien où est implantée la verrerie – mais pour Silvio Denz, cette diversité d’activités reste cohérente avec les choix qu’avait faits, en son temps, le père fondateur.
Mais il l’assure, la Maison se cantonnera uniquement à ce que René Lalique a initié. Il est exclu qu’elle confectionne un jour des vêtements, des chaussures, des ceintures…
LALIQUE EN 10 DATES :
- 1860 : Naissance de René-Jules Lalique.
- 1888 : Premières parures et dépôt du poinçon «RL».
- 1900 : Exposition universelle de Paris.
- 1907 : Début de la collaboration avec le parfumeur François Coty.
- 1921 : Création de la verrerie d’Alsace à Wingen-sur-Moder.
- 1945 : Mort de René Lalique. Son fils Marc prend sa relève, reconstruit et modernise l’usine détruite pendant la guerre.
- 1977 : Marie-Claude Lalique, fille de Marc, prend la tête de l’entreprise.
- 1994 : Rachat de Lalique par la cristallerie française Pochet.
- 2008 : Reprise de Lalique par Art & Fragrance, groupe suisse dirigé par Silvio Denz.
- 2018 : La Maison Lalique fête ses 130 ans.

Adriana Tripa LOOX / © Pascal Faligot