Mec plus-ultra : Alain Souchon

15 Déc 2020

Pas banales songs

Il est passé à côté d’une carrière de peintre en bâtiment. La tenue ne lui plaisait pas. Pour notre plus grand bonheur, Alain Souchon a donc remplacé l’acrylique par la musique, s’est équipé de notes et de poésie, pour continuer à dépeindre, mais en chansons, les mouvements d’une foule presque toujours sentimentale.

Il est passé à côté d’une carrière de peintre en bâtiment. La tenue ne lui plaisait pas. Pour notre plus grand bonheur, Alain Souchon a donc remplacé l’acrylique par la musique...

En 1974, quand les Français découvrent sa chevelure indomptée et son air détaché, Alain Souchon a 10 ans depuis bientôt 15 ans, des billes plein les poches et ça fait quelques 45 tours qu’il Rame. Il n’est pourtant pas Bidon, mais c’est peut-être lui qu’il faut en convaincre le premier. Car malgré le succès de sa virée dans la cour de récré, il n’est Jamais Content, mal en campagne et mal en ville, peut-être un petit peu trop fragile… Vite, heureusement, On avance, avec un premier disque d’or au début des années 80, un disque de platine dans la foulée et bientôt le diamant. Avec ça Y’a d’la rumba dans l’air, non ? En tout, il décrochera d’ailleurs dix Victoires de la Musique, dont la meilleure chanson des vingt dernières années en 2005 pour Foule Sentimentale, et l’album de l’année 2020 pour Ame Fifties, écrit avec ses fils Pierre et Ours. Aucun de ces trophées, ni ses deux Césars non plus, ne trône pourtant sur sa cheminée, ce serait trop Au ras des pâquerettes.
Témoin attendri et empathique de l’Ultra moderne solitude de ses contemporains, lui qu’on qualifie régulièrement de Dandy, assume son penchant pour la mélancolie, mais veut aussi du cuir, S’assoir par terre et voir Sous les jupes des filles. Ses chansons sont comme des instantanés, en prise avec l’actualité, C’est déjà ça. Et entre clins d’yeux, sourires malicieux ou conjugaisons à l’imparfait, il est toujours sur Le fil, léger, amusé, pas blasé. Confinement oblige, c’est au téléphone qu’il nous répond aujourd’hui. “Vous êtes la dame ?” et c’est parti pour 54 minutes et 10 secondes de pur régal. Alain Souchon raconte sa vie comme on raconterait une histoire, accélère, ralentit, chante, parodie, minaude un peu et rit. Va et vient permanent entre facétie et nostalgie. “Une chanson, ça a un pouvoir évocateur du passé incroyable ! Vous l’écoutiez peut-être il y a 20 ans, vous la ré-écoutez, et paf ! Vous repartez 20 ans, en arrière, c’est fort…” Alors si je vous dis : t’ar ta gueule à la récré… Vous replongez ?

Activmag : Dans la chanson «  Ame fifties  », sur votre dernier album, vous décrivez le monde des années 50, de votre enfance, avec des références au cinéma, aux voitures, et une seule référence musicale, l’accordéoniste André Verchuren… C’est vraiment ce que vous écoutiez à cette époque ?
Alain Souchon : Vous savez, dans les années 60, tout le monde avait des électrophones, mais pas dans les années  50 ! Seuls les parents avaient un appareil et écoutaient de la musique classique. Y’avait un peu la radio qui diffusait des chansons d’Elvis Presley, mais vraiment très peu. On n’avait pas les moyens, ni la possibilité d’acheter des disques et de les écouter, on subissait ce qu’on entendait à la radio. J’étais d’une famille snob qui trouvait que l’accordéon c’était populaire, qui écoutait Debussy et les concerts du dimanche soir, et ma foi, André Verchuren, moi, je trouvais ses airs sympas, ça ne me dérangeait pas.


Quand vous avez pu choisir, quelles sont les premières fois où vous vous êtes dit : “ça, c’est vraiment ce que j’aime !” ?

C’était un mélange. Petit, mon frère m’impressionnait parce qu’il était agrégé d’anglais et en même temps guide de haute-montagne, et il écoutait des chansons de Georges Brassens. “Voir le nombril d’la femme d’un flic n’est certainement pas un spectacle, qui du point d’vue de l’esthétique puisse vous élever au pinacle”. J’écoutais des choses comme ça, j’avais 11 ans, et je me disais : c’est dingue ces chansons ! Et j’étais dans un collège où les garçons écoutaient sur des transistors des chansons américaines d’Elvis Presley, de Paul Anka, de tous les rockers de cette époque. Je trouvais ça sympa, en même temps, je trouvais que Brassens était mieux écrit, ça m’évoquait quelque chose de plus profond. Ce que j’aimais bien dans la musique américaine, c’était que c’était léger, qu’il y avait un rapport avec la danse, les filles, le sexe. Ça me donnait envie de gigoter, les filles aussi gigotaient, et les filles quand ça gigote, c’est rigolo. Mais j’étais beaucoup plus ému par les poèmes d’Aragon chantés par Léo Ferré, Jean Ferrat ou Brassens : “il n’y a pas d’amour heureux”, ça me bouleversait. J’étais plutôt du côté chiant des garçons, quoi.

Ce collège dont vous parlez c’était l’Ecole d’Horlogerie de Cluses. Quels souvenirs en gardez-vous ?
C’était un pensionnat. Il y avait des gars qui faisaient des études d’horlogerie et de mécanique, mais moi j’étais au collège d’enseignement général, interne avec les gars de l’école d’horlogerie. J’étais dans un autre monde que celui de ma famille. Les collèges, c’est comme le service militaire, on rencontre des gens de toutes sortes, des garçons de votre âge qui sont très différents, certains qui étaient très violents, d’autres très timides, on voyait de tout. Et on s’acoquine avec l’un plus que l’autre, on discute, les amitiés sont fortes, on parle de la vie, des filles, de l’amour, de ce qu’on pourrait faire dans l’avenir. Ça m’a beaucoup plu. Le manque de liberté, l’uniforme, la blouse, les grilles autour du parc, c’était chiant, alors on se raccrochait à ça, aux discussions avec les copains, c’était très fort.


A quel moment avez-vous su que la musique serait votre voie ?
Ça a été très progressif. Je ne savais pas quoi faire de ma vie, je ne savais pas du tout que j’étais capable de devenir chanteur, je me disais, c’est grotesque. J’ai rêvé de faire l’Everest, mais en sachant que je ne le ferais jamais. C’était un peu du même ordre. Donc je gagnais ma vie comme ça, comme ci, je faisais un peu de peinture en bâtiment, en me trainassant… Et puis, j’ai rencontré ma femme, qui elle, faisait des études supérieures de biologie. J’étais extrêmement amoureux d’elle. Quand j’allais la chercher à la fac, dans les salles de sciences, là-bas, du côté de la Gare d’Austerlitz, j’étais habillé en peintre, j’avais de la peinture dans les cheveux… Elle, elle était avec des gens raffinés, cultivés, et elle me recevait gentiment, elle était amoureuse de moi aussi. Ça m’a beaucoup ému qu’elle aime bien un type comme moi, un peu clochard. Alors, je me suis dit que j’allais me marier avec elle ! Mais pour ce faire, il fallait que je fasse autre chose que ces métiers manuels. Comme j’aimais bien gratouiller la guitare et que les chansons, c’est une passion, je me disais, je vais faire une chanson que je vais donner à quelqu’un qui vend beaucoup de disques, et je vais gagner de l’argent pour pouvoir épouser cette fille et être habillé sans avoir de peinture sous les ongles, porter une cravate.

Bob Socquet m’a dit : Je vais te faire rencontrer un musicien formidable,
qui s’appelle Laurent Voulzy, qu’essaie d’être chanteur comme toi,
mais qui n’a pas de succès… comme toi”.

Et qui vendait beaucoup de disques à l’époque ?
Frédéric François par exemple. Alors j’ai fait une chanson un peu maline, avec un air facile parce que je suis un mauvais musicien. Ça s’appelait « l’Amour 1830 ». J’ai été voir un éditeur qui m’a dit : “viens, je connais un mec, Bob Socquet, qui veut remonter RCA, une maison de disques qui est un peu tombée. Ils ont besoin de quelqu’un qui gagne un concours pour relancer la boîte, et elle a l’air bien ta chanson”. “Non, mais c’est pas pour moi, moi j’ai pas de voix !” “Si si, ta voix elle est marrante”. Alors j’ai fait le concours, j’ai pas gagné, mais j’ai eu le 2e prix ou un truc comme ça, et Bob Socquet m’a dit : “faut faire un album. Et pour cet album, je vais te faire rencontrer un musicien formidable, qui s’appelle Laurent Voulzy, qu’essaie d’être chanteur comme toi, mais qui n’a pas de succès… comme toi”. Avec mes chansons nulles et ses arrangements, on a fait « j’ai 10 ans », “t’ar ta gueule à la récré”, qui nous a mis sur une fusée, nous a dépassés l’un et l’autre.

En 1974, quand vous rencontrez Voulzy, c’est pile l’année de vos 30 ans.
30 ans, c’était un âge très important pour les gens de notre génération. Yves Duteil a fait une chanson qui faisait « Qu’est-ce que c’est bien d’avoir 30 ans  », Julien Clerc a chanté une chanson qui faisait «  J’ai eu 30 ans, je suis content, bonsoir  » (qu’il chantonne avec le chevrotement de Julien Clerc), et puis moi j’ai fait «  Toto 30 ans, rien que du malheur  ». Tous les trois la même année, on a chanté notre chanson des 30 ans, comme quoi, pour notre génération, ça nous a marqués.

Et Laurent Voulzy, c’est votre âme sœur ou votre âme damnée ?
Ame sœur  ! C’est lui qui m’a sorti de l’ornière… C’est un génie musical, Laurent. Il a écrit des mélodies qui ont fait que mes chansons ont eu du succès. Je ne l’aurais pas rencontré, je ne serais pas chanteur aujourd’hui. Il m’a fait découvrir une certaine complexité dans la musique, des harmonies beaucoup plus riches. Je faisais des chansons en trois accords, lui il faisait comme Georges Brassens, pratiquement un accord par syllabe. Je lui ai aussi apporté quelque chose, une certaine profondeur dans les paroles, c’était un peu ma nature et ça lui plaisait beaucoup.

Cette évidence, cette complicité, vous la retrouvez avec vos fils aujourd’hui ?
C’est tout à fait autre chose, parce que ce sont mes enfants et que ça crée une connivence. Les enfants s’éloignent de leurs parents normalement, c’est la vie. Ils ont des femmes, des enfants, des attirances vers d’autres choses. Et là, on est réunis pour un travail qui vient du cœur et de l’âme.

Cet album, fabriqué avec eux, est sorti l’année dernière, mais si vous regardez toutes vos chansons, y’en a-t-il qui occupent une place particulière ?
Y’en a une qui s’appelle « 18 ans que je t’ai à l’œil », qui est sur un sujet familial un peu lourd, que j’aurais peut-être pas dû aborder (NDLR : la mort de son père dans un accident de voiture, quand il n’avait que 15 ans). Y’a pas à faire d’exhibition de ça, c’est un truc qu’on garde en soi, qui vous marque pour toujours, et donc, peut-être que j’aurais mieux fait de ne pas la chanter…


Y’en a-t-il d’autres pour lesquelles vous avez de la tendresse ?
Non… Enfin, y’en a une, où je suis très content, et elle n’a pas eu de succès du tout ! Elle s’appelle « Caterpillar », c’est une transposition des grands travaux, des terrassements, avec l’amour, avec ce que je ressens dans mon cœur et… j’étais content ! Et Même (il chante) : “passer l’amour à la machine, faites-le bouillir, pour voir si les couleurs d’origine…”

… peuvent revenir…
Ça me fait plaisir d’avoir trouvé ça. Il y a une espèce de malice. Mais je le dis sans prétention, je suis content. Et puis, il y a des chansons qui vous débordent, comme « Foule sentimentale ». J’ai donné mon avis sur le monde, sur la société, comme ça. Il y a l’infini, il y a des choses qui nous dépassent et on est aveuglés par les Porsche et les robes, c’est émouvant. Quand j’ai enregistré l’album, des personnes de ma maison de disque sont venus écouter au studio et il y en a une qui m’a dit : “on va réécouter ton hymne”. Mon Hymne ? C’était Foule Sentimentale. A partir de ce moment-là, j’ai senti qu’elle avait plus d’impact que les autres. Elle m’a dépassé, cette chanson.

Dans vos chansons, on oscille en permanence entre humour fin et mélancolie douce. Vous n’avez pas l’air d’être un homme d’excès…
Vous savez, moi, ce que j’aurais aimé, c’est faire rire beaucoup. J’admire les gens qui font rire, je les admire de tout mon cœur. Thierry Lhermitte, Edouard Baer… Je leur dis : “j’aimerais être toi”. Ça les gêne, ils trouvent ça idiot. Mais c’est pour dire que j’aurais aimé faire sourire les gens. Quand Thierry Lhermitte apparaît, les hommes sourient, les femmes sourient, tout le monde est content de le voir. Edouard Baer, c’est pareil, il me fait rire à gorge déployée, c’est extraordinaire ! Et Jean-Jacques Goldman… Il a pas l’air, mais il ne place pas une phrase sans qu’il y ait une connerie dedans, pour faire rigoler tout le monde. Il est très fin. Adjani aussi, elle est brillantissime de drôlerie, elle est vive, du tac-au-tac. J’admire ces gens-là, beaucoup beaucoup. Eux et les gens d’église.

Les gens d’église ?
Avec le monde dans lequel on vit, passer sa vie dans un monastère à prier pour que les autres hommes aillent bien, je suis scié  ! J’en parle souvent avec une bonne sœur que j’aime beaucoup, Sœur Marie-Gabrielle, et elle me dit : “on prie pour vous, on prie pour tout le monde”. C’est extra-ordinaire comme idée !!! Entre l’envie d’avoir une Porsche et Sœur Marie-Gabrielle, c’est fou la différence. J’admire ça. Parce que ça m’est étranger, je ne comprends pas. Et l’idée de vouloir faire rire son contemporain, c’est généreux, parce que le monde est dur, la vie est dure… C’est un truc qui est extrêmement difficile et j’y arrive pas bien…

Je ne suis pas d’accord avec vous, il y a de l’humour dans vos chansons, elles font sourire, et vous faites rire en concert quand vous les annoncez…
Je dis des bêtises, oui. Quand on enchaîne une suite de chansons un peu pesantes comme ça, il faut toujours les aérer en essayant d’être drôle. Alors des fois, les gens rient et je suis vraiment heureux. Mais enfin, je ne suis pas à la hauteur d’Edouard Baer ou de Thierry Lhermitte.

Quels sont les moments qui vous font le plus vibrer dans votre métier ?
La camaraderie qu’il y a entre nous, on est quatre musiciens et moi, c’est très émouvant, parce qu’on est comme une équipe, on va un peu au danger, faut pas se tromper, faut pas déconner, faut avoir de la mémoire, faut être en forme physique… Et quand on arrive et que tout le monde applaudit, comme ça, gentiment, comme un salut, ça fait de l’effet. Et puis, je chante une chanson sur le fait qu’on ne sait pas s’il y a un dieu, qui s’appelle « Et si en plus y’a personne » et ça fait un tel contact avec les gens, les applaudissements n’en finissent plus, c’est pas des applaudissements d’ailleurs, c’est une chaleur qui sort de la salle et qui n’en finit plus… Ça c’est bouleversant, c’est comme si ça me soulevait de terre. Ça me fait du bien, parce que je suis comme tout le monde, je me pose 1000 questions, mais quand on trouve un tel écho chez son prochain, ça rend heureux.

Photos ©Nathaniel Goldberg

Mélanie Marullaz

Mélanie Marullaz

Journaliste SURNOM: Poulette. PERSONNAGE DE FICTION: Elastigirl. OBJET FETICHE: mon oreiller. ADAGE: à chaque Barba-problème, il y a une Barba-solution. (philosophie Barbapapienne) JE GARDE: mes épaules. JE JETTE: mes grosses cuisses de skieuse. DANS 20 ANS? la tête de mon père sur le corps de ma mère. presse@activmag.fr

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