mec plus-ultra : Jean Dujardin

11 Déc 2020

JEAN DE CONFIANCE

Il y a des Jean que la caméra révèle. Aux autres. A eux-mêmes. Avec elle, ils s’amusent beaucoup, se laissent bousculer parfois. Son regard exigeant mais bienveillant les galvanise, leur donne la confiance qu’ils n’avaient peut-être pas. Dujardin est de ces Jean-là.

Il a tout du bon pote. Celui qui mime, imite, « casse », dont « le visage trop grand et les sourcils indépendants » déclenchent des vagues de rire, mais n’auraient pas dû ouvrir les portes du cinéma. Il pourrait aussi être notre mec, celui qui traîne sur le canapé, sous lequel il camoufle ses petites lâchetés, ce gars qui ne sait pas balayer, sauf nos contradictions de filles, d’une vanne bien placée ou d’une invitation à roucouler. Il est surtout le seul Français à avoir raflé -en 2012, au nez de George, et à la barbe de Brad quand même!- l’Oscar du meilleur acteur mondialement convoité. En lycra jaune, costard noir & blanc ou uniforme de l’armée, Jean Dujardin porte donc très haut les couleurs du cinéma français. Un cinéma auquel il reconnaît d’ailleurs devoir son épanouissement.
Depuis une chambre d’hôtel, en Corrèze où il tourne «Présidents», le film d’An- ne Fontaine, dans lequel “deux anciens chefs d’état, un qui s’appelle Nicolas, l’autre qui s’appelle François, vont se retrouver pour débattre sur la vie après le pouvoir”, celui qu’on a parfois appelé «le nouveau Belmondo», nous parle énergie, confiance en soi et trentaine. Action !

Activmag : Vous aviez 30 ans en 2002, quelles impressions gardez-vous de cette période ?
Jean Dujardin :
C’est une époque assez charnière dans ma vie artistique : je passe de la télé, des sketches avec mes potes de «Nous c’est Nous», à un programme court qui s’appelle «Un gars une fille». Je sens que je peux explorer le jeu, lâcher un peu la perruque pour aller plus en profondeur. Avec cette opportunité, où je peux jouer sur des plans séquence pendant 2 minutes, j’apprends véritablement mon métier : j’apprends les ruptures, j’apprends à gérer mon débit, les mots, mes émotions. Je passe d’amuseur, à, c’est un grand mot mais, un peu acteur. Je sens que j’évolue, ça me plaît, j’ai envie d’aller vers le cinéma. J’ai toujours pensé que j’étais plus un acteur de caméra qu’un acteur de planches. J’ai commencé par le café-théâtre, mais sur la scène, j’avais l’impression que je n’étais pas vraiment dans les variations de jeu que je voulais apporter. La caméra vient chercher chaque petite variation, chaque pensée on peut la voir et l’entendre, j’aime cet outil-là. Donc à la trentaine, je me suis totalement épanoui. D’ailleurs je pense que l’épanouissement pour un acteur, il est entre 30 et 40, c’est là qu’il faut faire les meilleurs choix dans ses films, c’est là qu’on dessine la carrière qu’on va avoir par la suite.

Justement ces choix, avez-vous l’impression d’avoir toujours fait les bons ? Vous les assumez tous ?
Carrément ! Déjà, je ne suis pas du genre à regarder derrière, parce que tout ce qui est fait est fait. Il y a le fameux être ou avoir, moi c’est faire. Du moment que je fais, je suis dans l’action et j’avance. Si j’avance, je suis vivant, et si je suis vivant, j’ai des émotions. L’idée de vivre, c’est d’avoir des émotions, sinon, c’est l’immobilité, c’est chiant. Donc, tout ce que j’ai fait, je devais le faire. Brice de Nice (2005) par exemple, a été un accélérateur de liberté formidable ! Le fait de l’initier, de l’écrire et de le proposer, me permet de rentrer dans le cinéma… en défonçant un peu la porte. Et c’est vrai, ça colle ce genre de personnage… Mais c’est aussi fait pour être décollé, pour en faire d’autres, et arriver à vivre sa vie d’artiste sans complexe, sans étiquette, sans écouter forcément la bien-pensance, faire ce qui vous anime et vous amuse. Et si ça m’amuse, parfois, j’ai la prétention d’amuser, de faire rire 10, 100, 1000 ou 100 000 personnes.

Quel est le premier rôle pour lequel vous avez dû sortir de votre zone de confort, faire autre chose que de la comédie ?
Sur «le Convoyeur» (en 2003), un film avec Albert Dupontel. Nicolas Boukhrief m’a demandé de faire un personnage de félon, de traitre, mais très normal. Il m’a dit : “tu dégages quelque chose d’assez sympathique, a priori, si je te mets dans le film, on ne devrait pas trop se douter de ce que tu es.” C’était la première fois que je n’avais ni à jouer ni sur-jouer, ni m’amuser ni vouloir amuser, juste à être. Dans «Mariages» (en 2004) aussi, j’ai accepté de travailler un peu plus mes zones d’ombres. Ou avec Nicole Garcia (Un Balcon sur la mer, en 2010)… Mais, c’est comme dans la vie, parfois on a une image qui nous colle ou qui nous précède, alors que ce n’est pas véritablement nous. On nous imagine tout le temps en train de faire le con, de rire… Mais non. J’ai des moments où je suis inquiet, où je suis sombre, où j’ai pas envie de parler, où je suis souriant par politesse, mais pas plus… Et des fois, on accepte de donner cette part-là pour des projets. Et quand on se sent bien regardé, on les donne encore mieux.

Brice… Ça colle ce genre de personnage, mais c’est aussi fait pour être décollé… et arriver à vivre sa vie d’artiste sans complexe…

Est-ce qu’il y a eu des films plus éprouvants que d’autres, qui ont demandé plus de vous ?
«99 Francs» (2007), c’était assez éprouvant. La dynamique déjà, la mise en scène de Jan Kounen, le personnage inventé par Beigbeder, cette espèce d’outrance… Jouer l’outrance, c’est pas simple, ça demande beaucoup de sacrifices, physiques et psychologiques, parce que ça vous atteint parfois. On reste des humains, on n’est pas que des bécanes ! Mais j’avais envie, j’y allais bien volontiers. C’est une énergie que j’ai encore sur les plateaux, parce que c’est un des endroits où je me sens le plus heureux dans ma vie. On peut me demander beaucoup, beaucoup, tant que j’ai de l’endurance.

A contrario, quels sont les films dans lesquels vous vous êtes senti comme un poisson dans l’eau ?
Les OSS ! J’aimais déjà tellement cette idée de singer des films des années 50… J’ai été biberonné à ça petit, parce que je regardais ce que regardait mon père, et j’ai vu très vite des Sean Connery, des Hitchcock… Donc cette imagerie, la mythologie de ce cinéma-là, je la connaissais, je m’amusais à faire les voix françaises de doublage avant de commencer. C’est comme si ce rôle m’attendait, c’est très bizarre… Je ne remercierai jamais assez mes producteurs, Nicolas et Eric Altmayer, de chez Mandarin, de m’avoir offert ce personnage-là.

Est-ce qu’il y a des qualités, un relief particulier que doivent avoir ces personnages pour vous séduire ?
D’abord, ce n’est pas tellement le personnage, c’est le projet. Je lis un film comme un spectateur, comme on lirait une histoire, une nouvelle. Ce qui va m’intéresser, c’est ce que ça raconte : si c’est une comédie, quelles sont les situations ? Est-ce qu’elles sont assez gênantes pour créer du décalage ? Est-ce que les dialogues sont assez élaborés ? Est-ce que j’ai envie de les dire ? Est-ce que je n’ai pas le sentiment de les avoir entendus avant ? Est-ce que je les joue immédiatement ? Si je les joue immédiatement, ça veut dire que je m’amuse, déjà c’est bon signe ! Est-ce que je lis le scénario jusqu’au bout, d’une traite ? Ça, c’est vraiment, vraiment bon signe. Est-ce que j’ai été ému si c’est un drame, est-ce que j’ai ri si c’est une comédie, est-ce que j’ai envie de le voir au cinéma?… Pour toutes ces raisons, j’ai envie de le faire.

On a parlé des personnages, mais quels sont les «vrais» hommes de votre vie ?
Mes proches déjà, mon père, mes fils, et puis les gens qui m’ont aidé à rêver, qui m’ont permis d’imaginer que ma vie d’adulte serait chouette. Jean-Paul Belmondo notamment, Lino Ventura… des acteurs que j’aimais, y’en a eu plein. Quand on est enfant, et pas seulement quand on est enfant, on se cherche derrière tout le monde, on se cherche une identité et on va voir ce qui se fait de mieux. Quand je voyais Jean-Paul Belmondo, je me disais que c’était un enfant dans un corps d’adulte. Sa lumière, son empreinte me plaisaient, je voyais ça dans chacun de ses films. Et c’est peut-être pour ça que je suis heureux là où je suis, parce que je peux me réinventer à chaque fois. Il y a toujours un film pour dire: je ne suis pas figé dans ce que je suis. Pour certains, ça peut polluer ; la notoriété peut faire péter les plombs à des gens… Moi, au contraire, je trouve que ça m’améliore, parce que ça me donne de la confiance, et la confiance me fait faire des choses que je n’aurais peut-être pas pu faire sinon.

Mon père m’a toujours dit: quand tu t’engages, tu vas au bout. Il faut que ta vie ait de la gueule quand tu te lèves le matin.

Est-ce qu’il y a des hommes qui ont joué un rôle décisif dans votre carrière ?
Oui, mon père. Quand je fais des rôles assez importants, des rôles d’autorité en tous cas, comme dans «La French» (2014) ou dans «J’accuse» (2019), ça convoque forcément une partie de mon père, de ce que j’ai vu de lui, de ce que j’ai aimé, des valeurs d’homme, ou de famille qu’il m’a inculquées. Je les trouvais honorables et justes. Il m’a toujours dit : “quand tu t’engages, tu vas au bout. Il faut que ta vie ait de la gueule quand tu te lèves le matin. Il faut que tu sois excité, que tu aies envie de faire quelque chose de bien”… Mais ça, sans sur-jouer le Papa d’ailleurs, parce que ça m’aurait probablement énervé aussi.

J’ai appris que vous aviez commencé professionnellement avec lui, en tant que serrurier : on ne pense jamais à cette voie-là pour devenir acteur. C’est une bonne option ?
(Rires) En fait, mon père avait une petite entreprise de métallerie-serrurerie, et vu que je voulais être dans le concret, il m’a proposé de travailler. J’ai dit oui, mais sur les chantiers. J’ai commencé comme manœuvre : j’ai appris à souder, tronçonner, porter, j’avais une intelligence manuelle. C’était avant le service militaire… Non seulement je travaillais de mes mains, mais je gagnais un salaire ! Et j’écrivais à ce moment-là aussi, j’imaginais que j’allais peut- être faire de la scène un jour. Le temps du service militaire m’a permis d’y aller, de me jeter sur les planches, en 96.

Vous disiez que la notoriété vous avait plutôt équilibré, mis en confiance. Du coup, auriez-vous pu faire une autre carrière ?
J’aurais pu travailler dans un métier créatif, j’aurais aimé ça, peut-être la publicité, peut-être toujours dans le cinéma, mais dans une autre zone. Mais quand je parle de la confiance, j’ai le sentiment que quand on est acteur, humoriste, comédien, on a une envie d’être un peu plus aimé que les autres. Peut-être parce qu’il y a eu, à un moment, un petit mal-être ou une hyper-sensibilité qui fait qu’on a perdu de la confiance et qu’on doit la retrouver. Et cette idée d’aller sur scène ou en salle montrer des films, se montrer, c’est clairement pour se faire aimer. C’est pas pour être reconnu, adulé, on n’en a rien à foutre, c’est pour ces moments où les gens vous regardent bien, et où on vous dit : “merci de m’avoir amusé”. Moi, je réponds merci d’avoir été là, merci de votre regard, c’est très très agréable. Alors quand on vous demande si c’est pas trop chiant la notoriété, les photos, j’ai envie de répondre, si c’est que ça notre problème, franchement, y’a aucun problème, c’est gérable.

Mais c’est aussi une prise de risque de s’exposer au regard des autres, surtout quand on est hyper-sensible. En réclamant cet amour, on peut aussi malheureusement trouver autre chose…
Oui, mais attention, on ne vit pas QUE par ça non plus. Il faut aussi s’en écarter. Ça peut être un faux-ami le cinéma, donc je pense qu’il faut y aller, donner le meilleur et s’en écarter, retrouver la vie, retrouver les siens et ne pas sur-jouer l’acteur chez vous. Y’a d’autres moments pour ça. C’est toujours très amusant de se voir au Festival de Cannes quand il y a une liesse, une folie autour de vous, alors que la veille vous étiez au Monoprix et qu’il ne se passait rien du tout. Le chaud-froid est assez amusant. Moi j’essaie de me protéger et de ne pas forcément croire à tout ce qu’on dit. Même si parfois c’est très agréable, il faut le prendre et le jeter. En cas de petite crise d’égo, ça peut faire du bien, ça vous rassure et ensuite vous reprenez le cours de votre vie.

Pour finir, nous avons posé, à tous nos interlocuteurs une série de questions sur les chanteurs, acteurs, auteurs dont ils étaient fans, vous n’avez pas voulu y répondre, pourquoi ?
Parce que ces questions, si vous me les reposez dans 5 ans, les réponses ne seront plus du tout les mêmes. Parce qu’en fait, je n’ai aucune envie d’avoir une préférence, une habitude, je n’en ai pas, vraiment, c’est très sincère. Je n’ai pas de meilleur film, de meilleur livre, c’est comme quand j’entends “c’est ma meilleure amie ou mon meilleur ami”… Il y a certainement une peur de l’enfermement, mais j’ai du mal avec ces questions-là, ça ne me ressemble pas. Ce sont des certitudes qui m’effraient.
C’est exactement comme quand on me demande : “pourquoi vous refusez de faire mouler votre visage, d’entrer au Musée Grévin ?” Mais parce que je n’ai pas du tout envie d’être empaillé ! Pas du tout envie d’être immobile à vie ! Je n’ai pas envie de définitivement vous dire ce que je préfère, au même titre que je me sens trop vivant pour qu’on me touche le nez dans un musée !

Photos : Getty Images : Jemal Countess / Patrick Aventurier / Rindoff Charriau

Mélanie Marullaz

Mélanie Marullaz

Journaliste SURNOM: Poulette. PERSONNAGE DE FICTION: Elastigirl. OBJET FETICHE: mon oreiller. ADAGE: à chaque Barba-problème, il y a une Barba-solution. (philosophie Barbapapienne) JE GARDE: mes épaules. JE JETTE: mes grosses cuisses de skieuse. DANS 20 ANS? la tête de mon père sur le corps de ma mère. presse@activmag.fr

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