QUAND SYRAH, SYRAH…
… WHATEVER WILL BE, WILL BE. QUAND ELLE ÉTAIT ÉTUDIANTE, MEGHAN DWYER ENVISAGEAIT SA CARRIÈRE ENTRE DIAPOS ET CADRAGE, LA VOILÀ POURTANT QUI OFFICIE AUJOURD’HUI ENTRE COTEAUX ET CÉPAGES. LE MONDE DU VIN L’A HAPPÉE, LA SYRAH L’A ENVOÛTÉE !
PROPOS RECUEILLIS PAR MÉLANIE MARULLAZ – PHOTOS : SYLVAIN THIOLLIER
Toutes les routes mènent au Rhône. Meghan Dwyer, pour y arriver, a d’abord vendu des jets privés avec son père, puis s’est mise à la photo. Mais pour payer son loyer et ses cours à l’université de New York, elle décroche, dans le resto doublement étoilé du bouillonnant Ecossais Gordon Ramsay, un petit boulot de serveuse. “Je ne pouvais pas servir les vins sans les avoir goûtés, alors j’ai demandé à déguster avec l’équipe de sommellerie.” C’est ainsi qu’un soir, un Bourgogne et un Riesling d’Allemagne lui changent la vie : pour eux, elle décide d’arrêter ses études, de changer de métier. Signe du destin, la sommelière de Ramsay démissionne le lendemain. Meghan apprend donc sur le tas et tombe vite amoureuse de la Syrah. Elle la vinifie d’abord à Adelaida Cellars en Californie, du côté de Paso Robles, puis comprend que pour courtiser son cépage préféré toute l’année, il va lui falloir jongler entre les deux hémisphères : elle le poursuit donc jusque dans le prestigieux vignoble de Villa Maria en Nouvelle-Zélande ou les plus vastes coteaux de Torbreck, dans le sud de l’Australie – où il s’appelle Shiraz – avant de poser son tastevin dans le petit village médiéval de Malleval, chez Pierre Gaillard, puis chez Jean-Louis Chave, à Mauves. Vendanges, sélection de grappe, surveillance de fermentation, elle veut tout savoir. Dans la foulée, elle continue aussi à se professionnaliser, en enchaînant notamment les différents niveaux du Wine and Spirit Education Trust à Londres.
A 39 ans aujourd’hui, Meghan a pris de la bouteille. Depuis 2011, elle travaille pour l’hôtel Le Lana à Courchevel, où elle est directrice des vins. Elle est également experte viticole pour la plateforme américaine Born, spécialisée en lifestyle and design. Mais quelles que soient les contrées vers lesquelles le vin la mène, elle le dit haut et fort, sa région préférée, ce sont les Côtes-du-rhône Nord !

Activmag : Quel est le 1er Côtes-du-rhône que vous avez goûté, votre 1er souvenir ?
Meghan Dwyer : Un Côte-rôtie de Stéphane Ogier, d’abord chez Gordon Ramsay, puis à Hospices du Rhône, un grand salon de vins en Californie pour lequel j’étais sommelière. C’était très poivré, je l’ai dit à Stéphane quand je l’ai rencontré le soir-même et il m’a dit : “Oui, c’est exactement ça !”
Côte-rôtie, Hermitage, Cornas, Saint-Joseph… Quel est le point commun entre toutes ces différentes appellations ?
Pour les rouges, c’est tout bête à dire, c’est le cépage, la Syrah. Mais il y a tellement d’expressions différentes entre chaque appellation, que c’est presque comme si c’étaient des cépages différents, on ne peut pas les confondre. Le Cornas, c’est le grand-père de la région, un peu sicilien, costaud et corsé ; le Saint-Joseph est plus accessible, il est aussi sur l’élégance, le poivre, avec plus de fruit ; l’Hermitage serait le plus concentré, le plus austère, droit dans ses bottes ! Celui qui est vraiment à part, c’est La Côte-rôtie. La Syrah est l’un des cépages le plus tannique du monde, c’est très puissant, très sexy. Mais en Côte-rôtie, il est co-vinifié avec le Viognier, qui est un cépage blanc –ndlr : l’AOC accepte jusqu’à 20% de Viognier dans l’assemblage des Côte-rôtie–, c’est une des seules appellations qui acceptent de vinifier les deux côte à côte. Et ils ne sont pas seulement co-fermentés, mais ils poussent ensemble, dix ceps de Syrah avec un de Viognier, qui s’embrassent depuis qu’ils ont été plantés. C’est pour ça que c’est tannique et soyeux en même temps, et c’est quelque chose qu’on trouve très très rarement. J’aime cette juxtaposition de puissance et d’élégance, c’est très séducteur : une main de fer dans un gant de velours.

On connaît en effet plus les Côtes-du-rhône rouges, mais la cote des blancs monte en flèche…
Quand je suis arrivée à Courchevel en 2011, il était impossible de vendre une bouteille de Côte-du-rhône blanc, personne ne savait ce que c’était. Déjà le rouge, c’était compliqué, alors le blanc on n’y pensait même pas ! Condrieu, personne ne savait ce que c’était. Pourtant, même si c’est une des plus petites appellations du monde, 100% Viognier, c’est un des cépages les plus parfumés, comme le Riesling, il peut être sec, demi-sec, on garde un peu de sucre pour conserver les parfums… Ces blancs sont donc pleins de corps, parfumés, élégants… Et si les gens aiment bien associer le rouge avec les mecs, les blancs avec les femmes, alors là, on peut le dire : les femmes, elles arrivent, et elles sont incroyables!
Peut-être aussi que le grand public est prêt à les recevoir ?
On voit en effet que le marché est mieux éduqué aujourd’hui, qu’il se tourne plus vers l’élégance, vers ce qui n’est pas forcément le plus évident dans la région, ça vient aussi des plateformes digitales, d’internet. Moi-même, quand j’ai commencé, à 23 ans, il y avait un pub irlandais à côté de chez Gordon Ramsay, et quand on terminait le service, j’y allais et je commandais un verre de Pinot Grigio avec des glaçons ! Aujourd’hui, les gens sont plus connectés aux infos qui vont aller les faire déguster, on doit donc faire notre job de sommelier virtuel, en complément de celui de sommelier physique.
Qu’est-ce que vous aimez le plus dans cette région ?
D’abord, c’est la région où j’ai le plus d’expérience, mais je pense surtout que ce sont les meilleurs blancs du monde ! Révélés par Robert Parker, il faut le dire, car même si tout le monde ne l’aime pas, c’est quand même lui qui les a placés sur la carte. Il faut dire qu’il y a une concentration de vignerons vraiment passionnés. Prenons Jean-Louis Chave, par exemple, à Hermitage, chez qui j’ai travaillé en 2009, il a un terroir et un climat exceptionnels, mais aussi une passion, qui commence dans les vignes et finit dans la bouteille, j’ai des frissons rien que d’en parler ! Il y a, chez chacun d’entre eux, une attention et un respect pour le cépage, pour la grappe, qui commence avant même qu’elle soit née. Moi, je suis la plus âgée de 8 enfants, j’ai aimé tous mes frères et sœurs avant qu’ils ne naissent, au moment où ma mère me disait : “je suis encore enceinte”, et qu’elle n’avait pas encore de petit bidon. Ces vignerons pour moi, c’est pareil, ils aiment les vignes avant qu’elles ne soient plantées et donnent une récolte.
Le vignoble tel qu’il est aujourd’hui est plutôt jeune, puisqu’il n’a repris de la vigueur que dans les années 80, est-ce que ça lui donne un caractère particulier ?
C’est un peu comme le Barolo, en Italie, ou le Priorat en Espagne, il a un côté sauvage, familial, accueillant et sans prétention. Les vignerons de Côtes-du-rhône ont encore des choses à prouver, mais comme tous les vignerons aujourd’hui, car finalement, le monde du vin est en train de changer. Mais là-bas, c’est une combinaison de «oui, on veut vendre et être connus» mais «non, on ne fera jamais de compromis sur la qualité». Pour moi, c’est la région, avec ce niveau de qualité, la moins prétentieuse et c’est un peu comme rentrer à la maison!

C’EST LE NOOOOORD…
De Vienne à Valence, quoi que votre boussole interne vous en dise, nous sommes au nord… au nord du sud, je vous l’accorde. Il s’agit en tous cas des Côtes-du-rhône septentrionales –nord, donc– par opposition aux Côtes-du-rhône méridionales, qui s’étendent de Valence à Avignon et Arles. Cette région regroupe plusieurs appellations :
– en vins rouges : Côte-rôtie, Cornas, Saint-Joseph, Hermitage et Crozes-hermitage – cépage Syrah.
– en vins blancs : les appellations Condrieu et Château-Grillet, issues du seul cépage Viognier ; et les Saint-Joseph, Saint-Péray, Crozes-Hermitage et Hermitage, qui sont traditionnellement des assemblages Roussane et Marsanne. Voilà, maintenant, vous savez…