Minh Tran

23 Juin 2021

Minh de rien

Si dans son atelier annécien, Minh Tran peint d’énormes cœurs débordants, des femmes aux bouches carmin intense des couleurs explosives qui réchauffent les âmes, c’est pour mieux rhabiller son monde. Mais comment peut-on concentrer autant d’énergie positive dans un corps si petit ?

Il a 60 ans et s’habille en 14, termine la plupart de ses phrases dans un éclat de rire, le regard toujours malicieux. Né en pleine guerre du Vietnam, Minh Tran est le 7e d’une fratrie de 11 enfants animant la famille bourgeoise d’un architecte. Il en sera arraché à 18 ans par le régime communiste galvanisé d’un pouvoir fraîchement acquis par les armes. Envoyé en camp de travail, il ne doit sa survie qu’à quelques paquets de cigarettes, un bon tempérament et un projet d’évasion…
“Ce n’était pas une prison, mais un camp de travail forcé. Les conditions étaient dures, le travail très physique et mes aptitudes physiques, euh… plutôt limitées (rires). Je suis tombé malade là-bas, et en 1979, je n’ai vu qu’une issue, m’enfuir. Un ami, qui venait livrer le camp en nourriture, m’a caché dans son camion, et c’est ainsi que j’ai pu m’évader, rejoindre la ville pour prendre le premier train pour Saïgon. De là, j’ai retrouvé l’un de mes frères et on a fui le pays comme boat people pour les Philippines. On a été conduits dans un camp de réfugiés”.

Activmag : Tu passes d’un camp de travail à un camp de réfugiés, tu y as gagné au change ?
Minh Tran : A peine. Au camp de réfugiés, c’est la loi du plus fort pour survivre. Et comme je n’avais pas vraiment la carrure pour intimider, mais que je parlais quelques mots d’anglais et de français, j’ai bossé pour la Croix de Malte, une sorte de Croix Rouge, pour accueillir les nouveaux réfugiés au camp. Du coup, on me respectait… J’y suis resté un peu plus d’un an avant que je sois envoyé à Montréal.

Pourquoi Montréal ?
J’avais le choix entre les Etats-Unis et le Canada. Mais je n’aime pas les Américains… La guerre du Vietnam a laissé des traces. Alors le Canada était la seule option, quitte à patienter plus longtemps au camp pour obtenir cette destination.

Tu as retrouvé tes parents depuis ?
Non, je ne les ai jamais plus revus. Il m’était impossible de retourner au pays de leur vivant. J’étais un déserteur, un sans patrie.

Du Vietnam, de tes parents, tu as gardé quelles valeurs ?
Les communistes m’ont inculqué celle du partage. Dans nos écoles privées, on était plutôt refermés sur nous. On ne vivait qu’entre riches… Quand le communisme est arrivé, j’avais 15 ans et c’est lui qui m’a appris à partager. Même si le régime s’est montré horrible par la suite, au moins, il m’aura apporté ce sens-là. Et c’est grâce à ça que j’ai pu survivre dans les camps. Si je n’avais pas partagé les quelques denrées que mes parents m’envoyaient, du sucre, du sel ou du tabac, je serais mort ! En partageant, on m’a aidé, soigné, quand j’étais à bout de force, certains ont fini mes travaux pour que je ne sois pas corrigé. Depuis ce jour-là, j’ai appris à partager, à aimer les autres. Et puis, de mes parents, c’est d’avoir des convictions et d’être juste. Il faut se battre pour que la société devienne meilleure, aller toujours de l’avant, être dans l’action et ne pas attendre que ça tombe tout seul.

Et tu débarques au Québec à 21 ans, sans formation…
Oui, et contrairement en France, les études y sont payantes. J’ai obtenu un prêt, des bourses, il fallait donc bosser en parallèle pour rembourser. J’ai trouvé un boulot dans un bar. Et j’ai repris mes études, en design au début, puis dans les arts appliqués. J’adore l’art, et sous toutes ses formes… Dans ma famille, au Vietnam, l’art était omniprésent. Mes frères et sœurs jouaient tous du piano. On a eu une belle éducation. Les plus grands sont tous allés dans des écoles françaises. Mais arrivé à moi, je suis le 7e, mon père en a eu marre qu’à table, ça ne parle que français, marre de ne rien comprendre en fait (rires). Il m’a dit : alors toi, stop ! Tu iras en école privée vietnamienne. Il était dur, mais très juste… Les aînés parlaient donc tous français, les plus jeunes anglais. Moi j’ai pioché quelques mots dans les 2… Ce qui m’a aidé au Québec. Et m’a permis de sympathiser avec une fille qui venait prendre un café dans le bar où je travaillais, une étudiante française… On a eu une petite histoire, puis elle a dû repartir chez elle. Au final, je suis resté 8 ans au Québec.

Envie de bouger ?
J’aime les voyages, mais c’était compliqué de partir, je n’avais pas de sous. J’ai réussi à économiser pour me prendre un billet d’avion «open 6 mois» pour faire le tour de l’Europe. J’ai pas mal bourlingué, visité des pays, dépensé tous mes sous. Et en arrivant en France, j’ai cherché à retrouver cette étudiante. Elle vivait chez ses parents à Poisy. Je l’ai appelée, elle m’a hébergé et au bout du compte, on s’est mariés ! Je n’ai jamais pris mon vol retour pour le Québec… On a eu 2 enfants. Au bout de 7 ans, on s’est séparés.

Mais tu es resté ici ?
Oui, j’aime trop cette région, la montagne… j’ai même appris à faire du ski.

Et t’as trouvé un job facilement en France ?
Dès mon arrivée à Annecy, je suis allé à Bonlieu, au centre culturel, il y avait un petit imprimeur qui faisait des affiches pour des associations, des spectacles… J’ai poussé la porte et j’ai demandé «vous voulez pas d’un mec comme moi ?» et ils m’ont embauché !!! J’ai dessiné pour eux, fait des affiches pendant 1 an. Avant de me mettre à mon compte, à créer des stands pour les salons, à faire encore des affiches. Ça a duré une dizaine d’années, et j’en ai eu marre. Après le divorce, j’ai eu envie de tout arrêter, le graphisme, tout…

Même les femmes ?
Ah ça non ! J’y arrive pas (il éclate de rire). Mais ce sont elles qui ne me lâchent pas ! (Rire). Et là je décide de retrouver mes premières amours, l’art. Quitte à gagner nettement moins bien ma vie, mais prendre du plaisir. Et ça me sauve de la déprime ! Je ne m’y attends pas alors, mais ma peinture plaît immédiatement. J’expose partout en galeries, je voyage beaucoup, de la Russie à l’Italie, de l’Espagne à la Slovaquie et bien sûr partout en France. C’était fou. J’ai tant brassé dans ma vie… rencontré tellement de gens magnifiques, surtout en Slovaquie. J’ai tissé des liens avec des artistes là-bas, qui durent toujours. On ne parlait pas la même langue, mais on arrivait à communiquer… en dessinant ! Pour manger, boire, pour tout… un croquis et on se comprenait ! C’était génial. J’aime les rencontres par dessus tout, mais en revanche, à l’étranger, je n’ai jamais touché une femme. Je me le suis toujours interdit. C’est trop facile, notamment dans les pays de l’Est, tu sors un billet et tu peux tout avoir. C’est inconcevable pour moi. Les « bêtises », je les fais en France, pas ailleurs ! (Rires) Je préfère, en voyage, aller boire des coups avec les copains… Et puis, il y a quelques années, j’ai décidé d’arrêter les expos, ça m’a épuisé de bouger tout le temps. Je suis bien ici, j’aime ma tranquillité, je suis confort !

Plus de voyage ?
Si, mais pour partir seul, dans le désert surtout… Pour vivre avec rien comme les peuples sur place, s’adapter, accepter les gens tels qu’ils sont, sans comparaison, sans tentation, goûter aux plaisirs simples, s’émerveiller d’un rien. J’aime le vide du désert de Mauritanie ou celui d’Algérie. Ils me fascinent. Plus il y a rien, plus je suis bien ! Et quand j’ai fait le plein de rien, je rentre.

Et le Vietnam, tu y es retourné ?
2 fois. Mais j’ai été déçu. Le pays a trop changé par rapport à l’image d’après-guerre que j’en ai gardée, et tant mieux pour lui. Mais moi, je n’y ai plus mes repères, l’image figée dans ma tête de gamin ne correspond plus à rien. Et puis j’ai une forme de culpabilité. Quelque part, je les ai abandonnés. Ma vie aujourd’hui est plus douce que la leur.

Qu’est-ce qui inspire ta peinture alors ?
Je suis un hyper sensible, je peins la légèreté pour mieux masquer la tristesse. C’est la beauté de la vie qui m’inspire. Certes la vie est dure. Très dure. Elle l’a été avec moi dans les camps, et même au Canada quand tu arrives avec que quelques mots balbutiés pour tout bagage. Et malgré tout, la vie est belle, les gens aussi. Il suffit de les regarder avec légèreté, avec sensualité et tout devient doux. Je veux mettre de la couleur dans ma vie, sur mes toiles, peindre le beau, cette quête du bonheur parfait si fugace, qui passe et s’échappe parfois si vite.

Et ton bonheur à toi aujourd’hui ?
Oh… je vis avec quelqu’un depuis 20 ans, mais j’ai négocié tout de suite !

T’as négocié quoi ?
L’indépendance. Une vie de liberté et de confiance. Chacun sa personnalité, chacun sa vie… C’est mieux ainsi, ça dure plus longtemps. Avec elle, j’ai eu 2 autres enfants, qui sont grands. Tous des passionnés.

T’es quel genre de père ?
Je suis cool, je laisse vivre, mais avec des règles et du respect. Mais je n’interdis rien ! Je les laisse explorer, tenter des aventures. A la première crise d’adolescence, plutôt que de hausser le ton quand l’aîné est devenu pénible, je lui ai tendu un billet d’avion pour le Vietnam, et je lui ai dit : va faire un tour là-bas, tout seul pendant un mois. A son retour, plus de crise, plus rien, ça a roulé tout seul ! La suivante, Mathilde, pareil, crise d’adolescence, plus compliquée, c’est une fille ! (Rires) Je l’ai envoyée aux Etats-Unis. Retour nickel aussi. (Rires) Le suivant, Hugo, désœuvré après son bac, envie de rien. Au Canada ! Et hop… Pendant 1 an, il a appris à se démerder. Retour dans les rails ! Avec ces voyages, ils gagnent tous en maturité d’un coup. Sauf ma dernière… Elle n’est pas partie, mais elle est moins chiante que les autres. Faut dire qu’elle sait, avec les 3 autres, ce qui l’attend : le goulag !! (Rires)

Et toi, maintenant ?
Je me pose un millier de questions avec l’âge… J’ai toujours vécu au jour le jour, et je crois que maintenant ça me pèse. Je tourne en rond. Je me cherche…

Tu ne nous ferais pas une petite crise de la soixantaine, là ?
Ouh là… Mince ! Tu crois que j’dois prendre mon billet pour la Russie !? (rires)  

+d’infos : http://atelierminhtran.com
Photos : Lara Ketterer

Minh, ton endroit pour…

… en prendre plein la vue ?
Au col de la Forclaz au-dessus du lac d’Annecy. Tu te poses au restaurant, avec une bonne bière et tu admires le lac en entier. Spectaculaire.
… buller ?
Au Chicago, un petit bistrot à Annecy dans un quartier reculé. Quand je me pose là-bas, je suis juste heureux.
… faire la fête ?
Ici, dans mon atelier, quartier de la Mandallaz… J’y fais souvent la fête…
… manger ?
Au Bistrot du Rhône, une rue plus loin. C’est vraiment excellent et l’accueil au top.
… se nourrir l’esprit ?
Mon atelier. Il n’y a qu’ici où je peux me ressourcer. J’y ai créé mon cocon.

Lara Ketterer

Lara Ketterer

Lara Ketterer meneuse de revue SURNOM: enfant, c’était Tatouille, en rapport avec mon prénom... PERSONNAGE DE FICTION: depuis toujours : la femme piège, d’Enki Bilal, une reporter mystérieuse et un peu paumée en 2025... OBJET FETICHE: mon téléphone portable, un vrai doudou que je traîne partout ! ADAGE: vivre sans folie, ce n’est pas raisonnable du tout ! JE GARDE: mes yeux et mon esprit rock, toujours provoc ! JE JETTE: mes coups de blues, ça abime les yeux ! DANS 20 ANS ? Adulte ? presse@activmag.fr

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