PHILIPPE CONTICINI

8 Déc 2021

ÉCLAIR DE GÉNIE

Paris 7e, Rue de Varennes, une surprise m’attend, mais je ne sais pas laquelle, à quelques pas de là je tâtonne, mais je suis le tracé… Le numéro 37 m’arrête net, je lève la tête et j’atterrie ! Le meilleur gâteau de ma vie m’attend, avé Paris Brest, Philippe Conticini !

Né dans les casseroles de ses parents restaurateurs, celles qu’on traine comme les gourmandes, à 58 ans, le chef pâtissier porte l’évidence d’un métier passion qu’il blottit sous son gilet de soie, les émotions avec, ça va de soi. Et ça déborde ! De bonheur pour nourriture, de rigueur dans le carburateur, depuis ses débuts en famille, avec son frère à la Table d’Anvers en 1986, il ne parle qu’à travers ses créations «câlins» et son amour du goût, un langage bien à lui, entre tracas et plaisir de la vie.

D’une pâtisserie revisitée à l’innovation osée, d’une bouchée craquante à une saveur surprenante, il désarçonne ses pairs et ne s’arrête jamais en chemin, la créa sinon rien et tout ira bien. Transgresseur de techniques de cuisine dans des desserts à l’assiette, inventeur de la verrine, utilisateur de produits de grande distribution dans la gastronomie d’excellence, chef de cuisine étoilé, aussi, Philippe Conticini se nourrit de tout et balaye sa bienveillance partout, le sourire de mise et le rire gouleyant. Entraineur de l’équipe de France championne du monde de pâtisserie en 2003, invité chouchou dans Le Meilleur Pâtissier, quand il ne revisite pas tarte tatin, Saint Ho ou pâte à choux, il pioche une nouvelle recette dans sa gustatothèque, à moins qu’il ne réponde à mes questions, espérons que j’ai tout bon !

Activmag : Si je vous dis «émotion», vous répondez ?
Philippe Conticini :
Sensations fortes, plaisir, goût et surtout compréhension du travail derrière ce goût. La densité, dans mon métier, est quelque chose de très important. Plus il y a de densité, plus il y a de matière. Plus il y a de temps de mâche, plus il y a de sensations. Plus il y a de sensations, plus il y a de goût, de plaisir et finale- ment d’émotions. Mon travail va de la densité à l’émotion, donc si vous me dites émotion, je vous réponds : densité.

C’est une forme d’hypersensibilité et d’altruisme, vous avez toujours été comme ça ?
Depuis tout petit. Ma mère disait même : “toi tu donnerais ta chemise”. Ça fait partie de mon caractère. Et mon poids aidant, j’ai développé le fait de vouloir me rapprocher des autres, il y a forcément un rapport de cause à effet, mais oui, j’ai toujours été comme ça.

Et vous débordez, jusqu’à pleurer comme une madeleine ?
Si ça concerne ma femme, ma fille, ma famille, là oui, sans aucun doute. Il y a 25/30 ans, quand je voyais un film, je pouvais pleurer. Aujourd’hui, je me suis formé une carapace et j’ai grandi, ce n’est plus le cas. Mais je suis touché de la même manière. Un enfant, un animal ou quelqu’un qui souffre me touche profondément. Je suis très empathique, j’ai beaucoup de compassion et je ressens les choses. C’est comme ça, je suis né avec…

Petit, d’ailleurs, on raconte que vous mangiez sur le passe-plat du restaurant de vos parents ?
Oui au début, avant que mes parents achètent un appartement digne ce nom, on habitait un petit 2 pièces au-dessus du restaurant. Au bas de l’escalier, la sous-chef de ma mère me servait ce que je voulais, des noisettes d’agneau par exemple. Elle me faisait les plats de la carte, j’ai été biberonné à la nouvelle cuisine !

Un plat souvenir ?
Ce n’est pas un plat, mais un dessert : l’éclair au café. Mes parents étaient restaurateurs, ma mère, cuisinière, faisait un peu de pâtisserie, mais pas beaucoup. Et avant de devenir un restaurant gastro, ils faisaient des mariages. A ces occasions, ils avaient des petits fours qu’ils achetaient chez le boulanger ou le pâtissier, comme des petits éclairs au café et au chocolat appelés Caroline. Et à l’heure où le personnel mangeait, je descendais au restaurant et j’allais au fond de la cuisine où il n’y avait personne, j’ouvrais le frigo, je prenais 7 ou 8 carolines au café et hop ! je montais dans ma chambre. Je les mangeais vite pour que personne ne me voit, et ma mère râlait toujours parce qu’il lui en manquait. Je lui ai avoué ça dans un livre que j’ai écrit en 1996, où j’ai raconté cette histoire et enfin avoué que c’était moi !

Ah le goût palpitant de l’interdit ! Mais cette nourriture n’a pas toujours été votre meilleure amie pourtant, votre santé a été mise en danger ?
En fait ce qui n’a pas été ma meilleure amie, ce n’est pas la nourriture, ce sont les excès. Et bien sûr qui dit «excès» dit «raisons» derrière. On ne mange pas comme ça pour rien, surtout quand on est jeune, la nourriture n’est que le moyen de les mettre en scène. Je mangeais pour combler un vide affectif, c’est un schéma classique.

Et comment fait-on pour transformer cette addiction en cadeau et en faire un métier ?
Je crois avoir toujours eu en moi une sensibilité exacerbée et ce besoin de m’exprimer. Si mes parents avaient été médecins, j’imagine que cela aurait été différent. Mais ils étaient restaurateurs et j’ai été nourri à tout ça, ça a forcément un impact. Je me souviens, quand j’avais 13-14 ans, comme ils travaillaient tous les soirs et que j’étais tout seul, je regardais le feuilleton «la planète des singes» et je me faisais des sandwichs où je superposais plein de couches de plein de choses comme de la Savora, du jambon, du beurre et bien plus encore… Et ça, c’est quelque chose que j’ai refait à peine 20 ans plus tard, dans les verrines en superposant les couches. (Philippe Conticini est l’inventeur de la verrine en 1994 NDLR) Je crois que j’ai toujours eu ce quelque chose en moi… De Tennessee, comme disait Johnny !

Vous analysez beaucoup non ?
J’intellectualise tout dans mon métier ! Si vous venez assister à un atelier, vous allez comprendre. Dans un jaune d’œuf, je sais ce que je vais faire de l’eau, du gras et des protéines du jaune. Non seulement j’intellectualise tout, mais je range ça dans ma gustatothèque ! Par contre, au moment de créer, je n’intellectualise plus, je vais simplement piocher dans cette gustatothèque et je me sers de ce que je ressens. La vraie technique, c’est l’émotion.

Vous innovez beaucoup, cette créativité, vous allez la chercher quelque part ou ça sort comme la crème de la poche à douille ?
Ça sort tout seul, c’est tout le temps comme ça ! Je n’ai pas besoin de chercher, mais je pense qu’on a tous quelque chose, un talent inné, et moi, c’est ça. Je ressens les choses. En fait, je mets ce que je suis et ce que je ressens dans ce que je fais.

Bûche Yuzu 2021

Ça a toujours été une évidence, ce métier ?
Oui, je dirais depuis mes 8-9 ans, je me suis toujours dit que je travaillerais avec mon frère, et c’est ce qui s’est passé d’ailleurs, à la Table d’Anvers. Je ne me suis jamais posé la question : qu’est- ce que je vais faire plus tard ? C’était très clair.

D’ailleurs, au côté de votre frère, vous surprenez par vos premiers desserts à l’assiette, puis vous partez suivre votre route et refusez même les sollicitations de grands chefs, comme celle de Joël Robuchon…
Alain Ducasse, Joël Robuchon ou encore Pierre Gagnaire. Je me souviens d’une histoire avec Pierre que je connaissais bien. Il voulait que je vienne travailler à Londres avec lui. A l’époque, ma femme et moi avions besoin l’un de l’autre pour traverser une époque difficile. C’était compliqué. Et en plus de ça, il souhaitait que nous fassions la carte des desserts en commun. Je me souviens lui avoir dit : “Avec tout le respect que j’ai pour toi et tes 3 étoiles, je n’ai pas besoin de toi pour faire une carte de desserts. Ça a coupé court à la conversation.

Forcément… Vous avez du tempérament ! Vous êtes un homme de challenge ?
Je n’ai pas arrêté, oui ! Je me suis toujours mis la pression et c’est comme ça. J’aime bien me créer un cadre pour ne pas partir dans tous les sens… Par contre, j’ai tendance à écarter les bords du cadre, je les écarte beaucoup même !

Et cette étoile obtenue chez Petrossian en 1999 ? Tout le monde ne le sait pas, mais vous êtes cuisinier aussi !
Je suis pâtissier de métier, même si la cuisine, j’en ai fait tout le temps ! J’ai commencé par un apprentissage, je ne l’ai pas terminé, mais quand on m’a proposé de cuisiner chez Petrossian en 1999, j’ai fait de la cuisine «officiellement». Et effectivement, en moins de 2 ans, j’ai obtenu une étoile Michelin et 17/20 au Gault et Millau, exactement comme à la Table d’Anvers quelques années auparavant avec mon frère.

Vous rebondissez et innovez, inventez et réinventez sans cesse, vous mettez même de l’air à la place du beurre dans le Paris Brest, quelle est votre limite ?
Il n’y en a pas. Si j’en mets une, c’est fini, je sais que la création est terminée. Il m’a fallu du temps, mais je me vois aujourd’hui comme un artiste.

Et comme tout un artiste, vous avez un grigri ou une phrase fétiche ?
J’en ai deux ! La première : laisser libre court à ses envies et ses émotions est peut-être le meilleur moyen de rester libre. Et la seconde : être créatif, c’est simple, mais comprendre pourquoi c’est simple, ça, ça peut prendre toute une vie.

Aujourd’hui, vous avez vos propres boutiques, depuis 5 ans, vous animez des ateliers autour du goût, vous êtes très proches des gens, notamment sur les réseaux où vous répondez vous-même à la communauté. C’est important pour vous de maintenir l’humain et la transmission ?
C’est fondamental, j’ai besoin de ça. Les gens en sont hyper heureux et je le sens. Autant pour eux que pour moi, c’est vraiment bien.

Vous avez toujours l’air de bonne humeur et dans la bienveillance, mais qu’est-ce qui peut vous mettre en colère ?
En colère, c’est vraiment très rare. Par contre, dans mon travail, je suis très directif. Le travail, c’est le travail ! Je considère qu’on peut travailler très bien, donc il n’y a aucune raison de ne pas travailler ainsi. Travailler mal, c’est impossible. Je suis rigoureux avec moi, d’abord, et avec les autres ensuite. Mais jamais je ne me mets en colère.

Et côté tendresse alors, vous dites que la pâtisserie est un câlin. Quel est votre câlin votre préféré ?
Le millefeuille, quand il est fait comme il se doit et les éclairs au café ! Deux gros câlins !

Et vous êtes un papa gâteau ?
Oh oui, il faut d’ailleurs que je me calme. Maintenant, elle a 20 ans !!! Mais oui, je suis comme ça et ma fille, comme ma femme, pour moi, c’est tout. L’amour est essentiel au jour le jour, j’en ai besoin, d’en donner beaucoup comme d’en recevoir.

Vous employez souvent l’expression ça craquouille, c’est craquouillant, qu’est-ce qui vous fait craquouiller ?
Sincèrement : tout ! Mais quand c’est vraiment, très, très bon. Dans ce cas, tout me fait craquer… craquouiller!

Vous avez des coups de cœur dans la sphère pâtissière aujourd’hui ?
Il y en a plein ! On vit une période extraordinaire en pâtisserie. Maxime Frédéric, Claire Damon, Claire Heitzler ou Jessica Préalpato dont j’aime beaucoup l’état d’esprit.

Comment voyez-vous demain ?
Chaque jour est différent et c’est pour ça que c’est formidable, et je ne sais jamais ce qui va arriver !

FAN DE

Quel est le dernier film qui vous a fait vibrer ? Miracle en Alabama film de 1962.

L’acteur ou l’actrice qui vous touche ? Christian Bale.

Quel est le dernier morceau qui vous a fait danser ? Jérusalema.

Celui que vous chantez sous la douche ? Jérusalema.

Quel est l’artiste dont vous adoreriez avoir une création chez vous ? Yahnn le Toumelin (femme peintre, maman de Mathieu Ricard)

Le dernier auteur que vous avez dévoré ? Je suis en train de relire tout Victor Hugo.

Le personnage historique que vous admirez ? Léonard de Vinci et Aristote.

Le ou la politique avec qui vous aimeriez débattre ? François Hollande ou encore mieux Simone Veil.

Le (super)-héros dont vous auriez aimé avoir les pouvoirs ? Spiderman

Photos : Kevin Rauzy Foodography


Magali Buy

Magali Buy

SURNOM : Mag... (d'ailleurs activ'mag c'est pour moi, non ?) PERSONNAGE DE FICTION : Xéna la guerrière OBJET FETICHE : mon piano, il m’écoute, me répond et me comprend mieux que personne. ADAGE : « si tout le monde sait où tu vas, tu n’arriveras jamais à ta destination. Laisse-les croire que tu dors.» JE GARDE : mon mauvais caractère, ma langue bien pendue, mon cœur ouvert et mes yeux verts JE JETTE : mon insécurité, ma cellulite et ma paranoïa... DANS 20 ANS : la même en pire, si c'est possible !

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