sans fil à la patte
72 sonneries plus tard et je me résous à répondre au téléphone «fixe». Je l’avais presque oublié celui-là ! Cordon ombilical de mon adolescence, le pauvre se trouve recalé dans le fond du placard à chaussures, d’où il continue pourtant de retentir sournoisement. Il a beau s’égosiller au risque de frôler l’apoplexie, il n’en reste pas moins furieusement agaçant. Surtout en plein repas, au beau milieu d’une altercation enfantine rimant avec enfer et damnation ou pire… Lorsque je m’essaie, désespérée, à une tentative de sieste (10 minutes montre en main).
Bref, je décroche, sachant pertinemment que je n’entendrai ni la voix survoltée d’une amie me hâtant frénétiquement de me préparer à la soirée de dernière minute qu’elle organise, ni celle bienveillante de l’Homme qui aura eu la délicate attention de me dire “Surtout ne prévois rien pour manger ce soir, je m’occupe de tout”… Euh y compris du bain, des devoirs, de la machine à étendre, du linge à plier, de l’histoire, du bisou et… OK ! Super super !!! Tu sais que je t’aime toi !
Non, rien de tout ça. Forcément. C’est donc avec un enthousiasme plus-que-parfaitement relatif que je me jette « allô ».
C’est à ce moment-là que déferle sur moi une interminable logorrhée, presque inaudible… Abasourdie, la chique coupée, j’essaye – en vain – de balbutier quelques mots. J’ai l’impression d’être passée sous un semi-remorque en pleine période de Noël.
– “Madame R., vous m’entendez ?”
– “Oui, alors déjà ce n’est pas Madame R., je n’ai jamais voulu me marier, ce n’est pas pour vous laisser piétiner en 1⁄4 de seconde le pseudo-espace d’indépendance que je défends à grand renfort de barricades. Mais dites toujours…”
– “Pardon Madame, est-ce que je pourrais parler à Monsieur R. alors ?”
– “Ben non, j’ai dit que je n’étais pas Madame R., je n’ai pas dit que j’étais neuneu, et placée sous la tutelle de Monsieur. C’était quoi la question, vous m’avez un tout petit peu perdue en route…”.
– “Nous réalisons un sondage sur les personnes adultes, actives, et qui ont entre 25 et 55 ans, c’est bien votre cas Madame ?”
– “Tout dépend ce que l’on entend par adulte, mais on va peut-être pas en débattre maintenant… Donc OUI, adulte, active, le reste aussi.”
– “Madame, nous souhaiterions évaluer votre consommation de vin…”
– “Vous êtes sérieuse ? C’est quoi ? Un mandat express de mon médecin ? C’est ça hein ? Il ne me croit pas quand je lui dis que je ne bois pas plus que de raison ? J’y peux rien si mes gamma-quelque- chose sont trop hauts, j’en produis, c’est tout. C’est physiologique. Ma consommation de vins et autres spiritueux est tout ce qu’il y a de plus modérée. En tout cas merci, vous m’avez bien pourrie ma soirée !”.
– “Mais Madame, c’était juste une enquête…”. CRRR…
C’est décidé, demain première heure, je fais un trou dans le jardin et je l’enterre définitivement : « A mon téléphone fixe, vestige de mes années collège. RIP. »