Valère Novarina

22 Juin 2021

Langue vivante

Il joue de la langue comme d’autres joueraient d’un instrument. Il compose avec les mots, choisit les plus beaux, en invente de nouveaux. Mais ce que Valère Novarina, auteur de théâtre originaire du Chablais, aime par-dessus tout, c’est les entendre prendre vie, dans la bouche de ceux pour qui il écrit.

Ça faisait longtemps qu’il voulait passer une année entière aux Gets. Le confinement l’a exaucé. Depuis 14 mois, Valère Novarina écrit avec la Boule de Gomme à portée de bureau, voit défiler les saisons sur la pointe de Nantaux, promène quotidiennement sa démarche incertaine et ses cheveux argent dans la forêt des Chavannes. Ce territoire, le nord de la Haute-Savoie et surtout le Chablais, voilà près de 70 ans qu’il en connaît tous les détours, les sommets, les hameaux… et qu’il en écoute surtout les mots. Il se régale des noms de lieudits : Ouatapan, Seytrouset, Vauverdanne… Il dissèque les surnoms si courants dans nos vallées : «Fanfoué le Piot» pour son ami descendant d’un tailleur de pierre, qui la creusait comme un piot (un pivert) creuse le bois ; «Jean la Grêle», connu pour ses accès de colère ; «Trigaline» qui possédait trois poules… et il s’émerveille des sonorités d’un patois qu’il répète avec gourmandise, le sourire complice et l’œil brillant. “On est ici à un croisement linguistique extraordinaire : vous faites une heure de voiture, on parle allemand, vous descendez on parle italien, et quand j’étais plus jeune, à trois quarts d’heure de vélo, il y avait le patois. Et ce n’est pas du tout du français estropié comme on pourrait croire, mais une autre façon de descendre du latin. Pour le printemps, par exemple, on dit «saillifeu», ça saute, ça sort, ça correspond à la poussée de sève.”

Tomber en patoison

Cette langue, il la rencontre enfant, à l’occasion d’une année passée dans une pension familiale à Morzine. Au milieu des années 50, le tourisme n’a pas encore sorti le bourg de sa ruralité. “J’ai connu des gens du 16e siècle ! Des superstitions, des rebouteux, des hommes qui avaient vu des hommes qui avaient vu le diable… La montagne était un endroit très mystérieux, magnifique, mais effrayant, les paysans y allaient pour chasser ou ramasser des myrtilles, mais pas pour se balader.” De quoi nourrir l’imaginaire d’un gamin de la ville – il a grandi à Thonon –. Dans sa tête, d’ailleurs, il se passe déjà pas mal de choses : il imagine un prisonnier dans la grange, simule des crises de folie pour se tirer de situations difficiles, et commence à rédiger des histoires qu’il cache entre les pierres du mazot, au fond du jardin.
Les germes du jeu et de l’écriture trouvent donc en lui un terrain fertile, alimenté certainement aussi par une mythologie familiale riche, peuplée de sorcières et de bûchers, de militaires italiens à forte tête, de résistants, d’un mariage entre catholiques et protestants, et d’un architecte –son père, Maurice Novarina– qui a marqué de son crayon le patrimoine savoyard, notamment religieux. Mais c’est la musique classique, une sonate de Beethoven en particulier, qui déclenche son envie de noircir du papier. Il a une dizaine d’années, entre dans l’écrit par l‘écoute, lie définitivement sa main à son oreille, et les mots à leur sonorité.

Le Jeu des Ombres ©Christophe Reynaud Delage

Pas bouger !

Après son bac, celui que les Savoyards appellent «Novarine» quand ils l’intègrent, ou «sale Macaroni» quand ils l’excluent, part à Paris pour étudier la philosophie, la philologie, et préparer le conservatoire. En 1974, il a une trentaine d’années quand sa première pièce, l’Atelier Volant, prend corps sur scène. Entre roman et théâtre, son univers a du mal à trouver sa place chez les éditeurs. Mais il s’accroche, à l’image de son ancêtre Sarde qui avait, au 18e siècle, remporté la bataille d’Assietta contre les bataillons de Louis XV : “il avait reçu l’ordre de retirer ses troupes, et il a dit en patois : «Bouja nen !». Il n’a pas bougé, et c’est comme ça qu’il a triomphé. C’est devenu une sorte de philosophie familiale : gagner sans se déplacer.”
En bougeant ou pas, sa trajectoire finit par croiser celle de l’éditeur Paul Otchakovski-Laurens (P.O.L). “Il avait un génie particulier : chacun des écrivains qu’il rencontrait avait l’impression d’être son écrivain principal, un peu comme un roi aurait sa favorite, sa légitime. Donc, c’était très fort.” Les éditions POL publieront dès lors la grande majorité de ses textes -une quarantaine de livres- constitutifs d’une œuvre dont l’originalité lui vaudra, en 2007, le Grand prix du théâtre de l’Académie Française, et en 2011, le prix Jean-Arp de littérature francophone.
Le plus récent, le Jeu des Ombres, un des événements de la saison théâtrale 2020, aurait dû être joué, si la Covid ne s’en était pas mêlée, dans la Cour d’Honneur du Palais des Papes à l’occasion du Festival d’Avignon.

Balade mêlée

Du côté des rencontres qui ont compté, si on se baladait dans la tête de cet auteur prolifique, on croiserait aussi bien le peintre Jean Dubuffet et l’acteur Roger Blin, que François Ducret et Aimé Stehlin, ses amis de Vailly qu’il appelle ses «professeurs de patois» ; on entendrait bien sûr résonner cette langue des montagnes, mais aussi tout un tas d’autres «phrases-repères », dialogues entendus dans la rue, fables de Lafontaine ou aphorismes lus sur des tatouages ; on chanterait les Rita Mitsouko, on marcherait avec Rousseau autour du Léman et on ferait l’ascension du Mont-Blanc ; on peindrait et on dessinerait par «crises», par accès ; et on jouerait évidemment avec les mots, lâchés en toute liberté, rebondissant par lapsus… Mais ce qu’on ne trouverait pas, dans cette mosaïque, ce sont des boîtes, des catégories, des cases. Aucune, en tout cas, pour y mettre Valère Novarina. 

+d’infos : http://novarina.com

Valère, votre endroit pour…

… en prendre plein la vue ?
Au sommet du Môle, ça donne sur Genève et c’est très dégagé autour, on a l’impression d’être en avion. C’est la première montagne qu’on a pu reconnaître en peinture sur «la Pêche miraculeuse» de Konrad Witz (1444), exposée à la Cathédrale de Genève.
… buller ?
A Ouatapan, près de la Vierge, placée là pour célébrer un miracle : vers 1850, presque tous les habitants du hameau étaient partis pour un pèlerinage, il ne restait plus qu’une jeune fille, enceinte. Tout à coup, s’est pointé un homme d’un village voisin qui voulait prendre l’enfant dans son ventre, pour l’apporter comme offrande à une secte. Mais une voix s’est élevée de la montagne, il s’est enfui, la mère et son bébé ont été sauvés et le miracle constaté.
… manger ?
Le Petit Savoyard, à Très Le Mont. Au-dessus, au sommet du Mont Forchat, il y a une statue de St François de Sales sur laquelle on peut lire : «j’enseigne en chaire des vérités que j’ignore complètement», j’ai toujours cette phrase sur moi, c’est la force du vide, de l’ignorance.
… faire la fête ?
Au Feufliazhe à Habère-Poche –festival des musiques de l’arc alpin– avec Marc Bron, professeur de patois.
… se nourrir l’esprit ?
A la Chapelle de la Visitation, à Thonon. J’ai eu la chance d’y exposer des peintures et des dessins, mais c’est aussi là-bas que ma grand-mère allait à la messe, j’ai encore son prie-Dieu. De toute sa vie, elle n’a fait rien d’autre que d’aller à la messe tous les jours et de faire 9 enfants ! Ou à la Maison de la Mémoire à Vailly, un tout petit musée privé où on trouve notamment un buste taillé dans la pierre par Ducret, l’ancêtre de mon ami François.

Mélanie Marullaz

Mélanie Marullaz

Journaliste SURNOM: Poulette. PERSONNAGE DE FICTION: Elastigirl. OBJET FETICHE: mon oreiller. ADAGE: à chaque Barba-problème, il y a une Barba-solution. (philosophie Barbapapienne) JE GARDE: mes épaules. JE JETTE: mes grosses cuisses de skieuse. DANS 20 ANS? la tête de mon père sur le corps de ma mère. presse@activmag.fr

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