pas de polémique victor !
Plus de 30 000 visiteurs se pressent chaque année à Albertville et 9 000 à Val d’Isère pour rêver devant des films de voyage et d’aventure. Mais, sérieusement, comment peut-on encore être fasciné par la figure de l’aventurier ? Le monde n’est plus qu’un gros village, entièrement exploré et cartographié. Les déplacements sont de plus en plus rapides, les voyages banalisés. A priori l’aventure n’a plus sa place. Indiana Jones est-il vraiment has been et Bob Moran à jamais «égaré dans la vallée infernale» ?
«Mon mec à moi, il me parle d’aventureuuuuuu»!!! Mais où est-il passé, cet aventurier, aujourd’hui ? Celui qui Kaas la baraque. Le pionnier admiré. Le dur. Le mal rasé. Le balafré. Celui qu’évoque Jacques Dutronc dans sa chanson «je suis un aventurier, j’en ai beaucoup bavé». Où sont les Crocodile Dundee à la peau tannée par les éléments ? Tabarly ? Il a connu, en 1998, un vrai «revers solitaire», et préfère la mort en mer. C’est juste une question de tombeau… L’océan a été plus « Cousteau » que lui finalement.
Thierry Sabine, le fondateur du Paris Dakar ? Privé de désert. Hélico presto! Et les fameux Touaregs, qui perturbaient régulièrement l’épreuve, ne sont plus que de gros SUV germaniques. A la télévision, l’aventure, style années 80 à la Philippe de Dieuleveult, a laissé place à d’autres explorateurs, ceux de Koh Lanta. Bref, de l’aseptisé, du bidon, du flan. Tout fout l’camp mon brave monsieur !
LES AVENTURIERS ? UNE ARCHE PERDUE
En fait, il ne peut guère en être autrement. Nos sociétés actuelles, hyper connectées, cartographiées, surveillées, ont renvoyé les pionniers à la préhistoire. L’incertitude des premières explorations a disparu avec le GPS et le téléphone mobile. Tout semble devenu accessible, presque sans efforts. Sylvain Tesson, célèbre écrivain-voyageur, animateur du dernier festival du film d’aventure de Val d’Isère, s’interroge “l’aventure est-elle possible quand on peut rejoindre le désert de Gobi en 10 heures sur un vol low cost ?” L’aventure devrait être sans sécurité. Un saut dans l’inconnu, sans filet. Une prise de risque. Un danger. Arpenter autrefois les Andes, au Pérou, en Equateur était dangereux, à Quito double. Aujourd’hui, avec l’aide d’agences de voyages spécialisées, votre voisin peut escalader l’Everest, et vos parents, traverser l’Arctique, explorer l’Arabie sans risquer d’emmerd’Oman. Mais «Sanaa» rien à voir avec de l’aventure ! Une prise en charge tellement sécurisée que finir dans l’empire du Milieu de nulle part devient impossible. Avec la mondialisation, les Pékins débarquent en masse à Shanghai. «Chine-Chine» ! Levons un toast à tes exploits, Marco Polo de pacotille !
Alors à quoi bon tenter un exploit ? Quoi que tu fasses, cela a probablement été fait avant, et partagé sur Facebook ! La gloire ? D’autres l’ont déjà récoltée… Même la lune n’intéresse plus que les Chinois. Que reste-t-il alors ? Acheter un 4×4 et la dernière panoplie de l’explorateur chez Nature et Découvertes pour devenir un aventurier des villes prêt à affronter la jungle urbaine ? Ou alors, dernier recours, l’aventure… extra conjugale, nouvelle frontière du frisson. Le magazine GQ se demandait d’ailleurs en 2013 «où vivaient les aventuriers du sexe». Difficile pourtant d’assimiler DSK à un nouvel Indiana Jones. Bon convenons-en, «Sade dépend». Si certains adeptes du bondage sont, il est vrai, encordés tels des alpinistes, la position du missionnaire n’a, quant à elle, aucun rapport avec une quelconque évangélisation de peuplades inconnues. En somme, ce genre d’aventure permet de s’envoyer en l’air comme Bertrand «Piccard», sans risquer de finir congelé.
LA QUÊTE DE L’AVENTURE INTÉ-GRAAL
Mais stoppons là cet énième couplet sur le «c’était mieux avant». Le succès de manifestations comme le «Grand Bivouac» à Albertville, ou «Montagne en scène» est là pour le prouver : les films projetés séduisent des milliers d’aficionados. Et ce n’est pas un «écran» de fumée. L’admiration pour celui qui ose, qui semble libre et qui s’engage dans une entreprise ne se dément pas, même si on admire davantage le mode de vie marginal que la contrée parcourue.
Nombre de ces héros modernes sont soupçonnés de céder à l’attrait de la publicité et de la cupidité. Faux procès de ronchons aigris ? Bombard, Paul Emile Victor, Cousteau n’ont-ils pas, eux aussi, en leur temps, médiatisé leurs équipées ?
L’aventure avec un grand A reste un Graal. Une quête fascinante pour beaucoup. Plutôt sportive, il est vrai. Si en 1950 le Chamoniard Maurice Herzog perdit doigts et orteils sur l’Annapurna au terme d’une expédition épique et controversée, le speed-climber suisse Uli Steck aurait atteint le sommet en quelques heures seulement. Bien sûr, les exploits de ces conquérants de l’inutile nourrissent les polémiques. Sur l’ultra médiatisation par exemple. Qu’ignore-t-on de la vie de Thomas Pesquet dans l’espace ? Imagine-t-on Christophe Colomb suivi par des millions de followers ? YouTube, Facebook et Go Pro ont remplacé les précieux petits carnets que remplissait studieusement Paul Emile Victor au Groenland. Sans oublier le sponsoring. Nombre de ces héros modernes sont ainsi soupçonnés de céder à l’attrait de la publicité et de la cupidité. Faux procès de ronchons aigris ? Bombard, PEV, Cousteau n’ont-ils pas, eux aussi, en leur temps, médiatisé leurs équipées ?
Sylvain Tesson en est convaincu : “l’aventure existe toujours, mais il faut avoir de l’imagination pour trouver de nouveaux modes d’expression et des interstices où braquer le projecteur”. Certes la mondialisation a rétréci notre univers, comme un tee-shirt Zadig et Voltaire lavé à l’eau bouillante. Certes les images dont nous sommes bombardés quotidiennement nous rendent blasés. Et bien justement, plus que jamais l’aventure devient indispensable. Pas pour égaler Mike Horn. Ou alors il faudrait vraiment franchir un «cap». Mais simplement pour continuer à rêver, pour se retrouver seul. Se couper des réseaux, sortir de sa zone de confort, se libérer d’un quotidien insipide. Donner un sens à sa vie. A l’instar d’un Sylvain Tesson, adepte de la lenteur, qui écrit encore sur des carnets en papier, et parcourt le monde sans objectif à atteindre. Juste être là, au milieu de la Sibérie, seul dans une cabane par exemple. Le maire de Val d’Isère, Marc Bauer, l’affirme : “l’aventure se joue partout, ici et ailleurs”. Alors qu’attendons-nous pour réveiller l’Indiana qui sommeille en nous ? Vous trouvez que «Sean une Connerie»? Au contraire, ce serait très bénéfique. L’Avventura vous mettra sur des Charden ardents et vous évitera de finir Stone.
© alphaspirit, stokkete
