Site icon ActivMag

design : bertille laguet

LE RÉVEIL DE LA FORGE

Je suis ton fer…” a dû lui souffler une pièce de métal, la première fois que Bertille Laguet l’a prise en main. Installée sur les bords suisses du Léman, cette jeune designer au caractère (en acier) bien trempé va donc au charbon depuis 4 ans.

Bertille Laguet n’est pas du genre à avoir un plan de carrière. Si c’était le cas, elle ne serait pas passée par la case prépa scientifique ENS Cachan, la voie la plus pointue -en vue de devenir prof de design- pour façonner du métal en fusion. Elle n’est pas complètement marteau. Elle a même l’air plutôt sérieux… Jusqu’au moment où son œil vert taquin et ses boucles joyeuses révèlent la petite Bertille qui est en elle. “Je suis originaire du Jura, le pays du jouet, je pense que cet aspect ludique est toujours ancré en moi.” Pour preuve, «Safari», son tout premier projet de design à l’Ecole Cantonal d’Art de Lausanne (ECAL) qu’elle rejoint, un joyeux bestiaire coloré aux corps de mousse et squelettes de métal. “Alors que je ne suis pas du tout manuelle à la base, j’ai été une des seules à tout faire moi-même, à tordre mes bouts de métal –déjà-, on m’appelait «la petite entreprise».
Si elle avait eu un plan de carrière, Bertille n’aurait peut-être pas non plus étudié l’électronique et les sciences de l’ingénieur pour faire du design. A une élève brillante, on propose des voies scientifiques, “mais le dessin et la créativité me manquaient trop…”. D’où la prépa, puis l’ECAL, raconte-t-elle, assise sur une Cesca de Marcel Breuer : “mes parents ont toujours eu des objets iconiques. Avec cette chaise, petite, je me faisais des cabanes. Ses tubes et son cannage symbolisent parfaitement mon parcours, entre design industriel et artisanat.

BACK TO BLACK

Après Boris l’hippopotame, Olga la girafe et Ernest l’éléphant, entre fin de diplôme et premiers mandats professionnels, la trentenaire nourrit un certain penchant pour le noir, dont elle analyse les pigments, la texture. Elle fait aussi un premier détour par les fourneaux, dans la fonderie pour laquelle travaille son père : “souvent, ce sont les processus de fabrication eux-mêmes qui m‘inspirent, pour la fonderie par exemple, ça n’a aucun sens de faire des formes carrées, sinon on soude.” Il en ressort différents objets, arrondis donc, comme un miroir et un banc en série limitée, ou un radiateur qui lancera la marque Gris Fonte. Pour l’ensemble de ce travail, elle reçoit le Swiss Design Award. Mais en 2018, la fonderie fait faillite. De toute façon, Bertille ne se voyait pas gérer une marque de radiateurs toute sa vie, elle s’interroge aussi sur son métier de designer, sur la difficulté d’en vivre et toute la logique de consommation de masse à laquelle il est lié.
Depuis quelques mois déjà, elle va chaque semaine à Chexbres, petit village en plein Lavaux, voir le ferronnier d’art Philippe Naegel, “comme d’autres iraient au foot ou à la piscine”. Le forgeron lui donne de son temps, elle lui en donne aussi, jusqu’à ce qu’il la mette au pied du mur : “Il m’a dit :Tu es tout le temps dans mes pattes, alors décide-toi ! Le challenge, c’était d’apprendre avec quelqu’un de bourru qui pensait que je n’y arriverais pas… Mais c’est agréable de faire quelque chose de manuel et au bout d’une année, je me suis fait prendre par le métier”. Elle s’installe donc dans l’atelier et en rachète le matériel. Dans cette nouvelle configuration, elle maîtrise toutes les étapes de la production de ses objets, ce qui n’est pas pour lui déplaire.

FONDUE DE MÉTAL

La Vaudoise d’adoption décroche ensuite une bourse qui lui permet de se consacrer à 95% à sa nouvelle activité, de fusionner avec sa matière. “Le métal, c’est re-formable à l’infini, ça ne casse pas comme le verre et on n’enlève pas de matière comme avec le bois. C’est aussi très sensible, on travaille la couleur, du blanc au rouge en fonction de la température, sans thermomètre, plutôt à l’œil. Et on a une main sans cesse en contact avec, c’est comme un prolongement de son corps, il devient chaud, puis se tord, se rigidifie… Il a une vie”. Elle, qui a commencé à apprendre le swing à peu près en même temps que la forge, compare les deux, dans leur rapport au corps et au tempo. “Dans la forge, on travaille au son de l’enclume, au rythme du marteau, c’est très physique, mais très subtil aussi. Evidemment, on peut taper comme un bourrin, ou taper «juste», donc moins”.
Artiste, artisan, designer, Bertille est tout à la fois, c’est sa force. Mais, ne rentrer dans aucune case à 100 %, c’est aussi sa faiblesse : “ça pose parfois des problèmes aux gens en face de moi…” Qu’importe, elle n’a même pas eu besoin de ça pour se forger un caractère. Et pour ce qui est du chemin à suivre, elle ne se considère prise dans aucun étau : “après avoir été forgeronne, alors que je ne savais pas ce que c’était il y a 5 ans, je suis ouverte à tout ce qui peut se présenter…” Si Bertille Laguet avait un plan de carrière, ça se saurait…

http://bertillelaguet.ch

Quitter la version mobile