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les films d’animation & la satire

acides animés

Dans sa version adulte, le film d’animation est rarement là pour raconter de belles histoires. S’il s’engage, il aime surtout parodier, persifler, démystifier, pour mieux dénoncer tous nos travers. Entre humour grinçant et attaques à l’acide, quand le dessin crie et tique, satire à boulets rouges !

Un univers en noir et blanc qui rappelle Felix le Chat et les dessins animés des années 20, dans lequel se croisent sans se voir, des personnages tout en rondeur, leurs yeux gigantesques rivés sur leurs smartphones, qui foncent comme un troupeau vers l’abîme… En illustrant, par une véhémente critique de notre dépendance aux nouvelles technologies, le clip de Moby «Are you lost in the world like me ?», le britannique Steve Cutts a remporté le prix du jury (catégorie films de commande) à Annecy en 2017.

Il fait de la dénonciation de nos excès sa marque de fabrique. Mépris de l’environnement, des droits des animaux, inégalités Nord-Sud… les images sont fortes, le message très clair. “Les artistes prennent la température du Monde et nous la restituent”, analyse Laurent Million, programmateur-sélectionneur du Festival. “L’animation crée un décalage automatique dans lequel il y a une force de médiation phénoménale, elle permet la métaphore et les choses dites sont beaucoup plus efficaces que la vérité crue”.

South Park

SOCIÉTÉ, TU M’AURAS PAS…

C’est dans les années 70, aux Etats-Unis, que certains cinéastes commencent à utiliser l’animation pour prendre à rebours l’histoire et la culture américaines. A l’image de l’inconvenant Fritz the Cat, qui rôde dans des quartiers malfamés, entre drogue, sexe et Black Panthers. Premier film d’animation interdit aux moins de 18 ans, il tire sur tout ce qui bouge et notamment sur les causes qui fédèrent un peu trop rapidement, ne font pas appel au discernement, comme le mouvement beatnik ou la haine du communisme. Mais cette animation poil-à-gratter, alternative aussi bien esthétiquement que thématiquement, n’acquiert une véritable place de poids qu’une dizaine d’années plus tard, avec l’arrivée sur les ondes de MTV (1981). La chaîne musicale jouera un très grand rôle dans sa diffusion au niveau mondial en programmant notamment les cultissimes Simpson, Beavis & Butt-head et South Park.

Ces séries télévisées, réjouissantes d’incorrection, prennent vigoureusement le contre-pied des mythes américains : les enfants y sont bêtes et méchants, les parents sympas mais réacs. On est bien loin des modèles lisses et formatés de l’animation traditionnelle. Gyogyi Peluce, l’animatrice des Simpson, raconte d’ailleurs avoir choisi la couleur jaune pour la famille de Springfield, parce qu’elle symbolisait “une rupture avec tous les concepts qu’on avait toujours appris sur l’animation. Définitivement aussi loin que possible de Disney.”

Fritz the Cat
Beavis & Butt-head

PARABOLES ET VITRIOL

Question contenu, alors que les héros de la firme aux grandes oreilles se tiennent sagement à distance des réalités de la société, les cancres de l’animation surfent sur l’actualité pour la tourner en dérision. Dès sa première saison par exemple, South Park se moque de Thanksgiving, la plus grande fête traditionnelle américaine, ou encore de la famine en Ethiopie. Dans la 19ème (2014), les ados aux allures aussi bonhommes que leurs propos sont crus, donnent une version quasi dystopique du politiquement correct : pour mieux se moquer de l’importance grandissante des mouvements antiracistes, LGBT et féministes, leurs créateurs ont en effet inventé un monde dans lequel leurs partisans ont gagné, poussant naturellement le concept d’«on ne peut plus rien dire» à son paroxysme.

Logorama
Anomalisa

BREF, MAIS INTENSE

Mais si ces poids lourds de la satire américaine ont été déclinés sur grand écran, d’une manière générale, le long-métrage d’animation ne grince pas vraiment… à quelques rares exceptions près, dont Shrek, qui déboulonne gentiment les contes de fées, ou encore «Anomalisa», parabole d’une société uniformisée, qui sera d’ailleurs projetée cette année dans le cadre du Festival. “Du côté des longs-métrages, ce sont plutôt de grands films familiaux qui marchent, mais les courts ont presque toujours été destinés aux adultes”, résume Patrick Eveno, Directeur du Festival. “Ils sont souvent diffusés à des heures où les enfants ne sont pas devant les écrans, c’est donc un genre approprié à tout type de discours.”

Petit mais costaud, le court-métrage concentre donc images et idées, pour frapper fort. La société de consommation, notamment, prend cher. Comme dans la création française Logorama, récompensée par un Oscar en 2010 : Ronald McDonald, en cambrioleur sadique y est poursuivi par deux flics Bibendums Michelin dans une ville entièrement constituée de Logos. Dans la même veine critique, Steve Cutts revient d’ailleurs cette année à Annecy avec «Happiness», dans lequel des rats consomment, consomment, et consomment encore, dans une poursuite désespérée du bonheur. On sourit, jaune, on se questionne et on ne s’étonne même pas de se sentir, au bout de 4 minutes, fait comme un rat.

Happiness

© Steve Cutts / © South Park Studio / © Steve Krantz / © Paramount Pictures / © Cinema Public Films / © Paramount Pictures / © Steve Cutts

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