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on leur pique même leurs chaussures…

blues sweet shoes

Audrey Fallope

SES PETONS D’ENFANT À L’ABRI DANS LES WESTON DÉMESURÉES DE SON PÈRE, ELLE S’EN SOUVIENT COMME SI C’ÉTAIT HIER. CHAUSSURES RÉCONFORT À TENDANCES EXPLOSIVES, AUDREY FALLOPE SIGNE UNE COLLECTION AU CARACTÈRE BIEN TREMPÉ, UNE LIGNE D’HOMME JUSTE POUR LA FEMME, DE QUOI FAIRE TOURNER LES TALONS AUX PRÉJUGÉS !

Paris, années 80. Ses parents, jeune couple mixte un peu dandy, vivent au rythme des dimanches de fêtes entre amis, aux clapotis des semelles cirés et des foulards parfumés. Pour la créatrice tout juste installée à Annecy, c’est toute leur histoire qui se cache derrière la sienne, son regard d’enfant encore émoustillé :
“Mes parents m’ont donné le goût des belles choses. Mon papa était particulièrement attiré par les chaussures et la mode. On passait des heures à fouler les allées des grands magasins… J’ai encore toutes ces odeurs de fragrances, de cuir et de maquillage, des souvenirs plein les yeux.” Sacrée madeleine de Proust que voilà : pas de fashion faux pas !

BOND ET REBOND !

A 39 ans, Audrey a déjà la bio d’une pointure. Toujours guidée pour toucher ses étoiles, comme elle dit, il lui a fallu être bien accrochée pour résister aux coups de sandales, jetés sur sa route. Elle veut faire de l’accessoire de mode, ça c’est tout vu… Mais comment ? Pas de formation adéquate au programme. Alors, un peu par dépit, elle s’oriente dans la com’, et c’est avec un projet d’études axé sur la chaussure, qu’elle met son premier orteil hors des clous. Elle croise un jour le chemin du créateur parisien Pierre Hardy. Touché par la vocation bridée de la jeune femme, il l’aiguille sur une formation cette fois bien chaussée, mais c’est hors budget. Elle doit renoncer.
Pendant 15 ans, la jeune femme vit alors au rythme d’un poste de directrice artistique dans une agence de communication, la chaussure toujours en tête. Mais ça tourne à l’orage, elle est licenciée. Un mal pour un bien : ses droits à la formation s’ouvrent, la formation hier trop chère lui fait de l’œil, elle fonce! Elle apprend les secrets de la confection, s’adapte vite, elle a des facilités pour l’homme et elle le sait. Trois Derbys et deux Richelieus plus loin, elle fait un stage chez JB Martin où elle suit sa route, plus têtue que jamais : “Quand je suis arrivée dans l’usine, il y avait des talons, des formes et des cuirs, c’était fou ! J’ai dessiné et travaillé sur coquille, j’étais livrée à moi-même alors je me suis débrouillée ! Je suis allée voir patronniers, coupeurs, piqueuses et monteurs : j’ai accouché de 7 paires de chaussures en 6 semaines, c’était fantastique !”

PERDRE PIED…

Elle travaille ensuite quelques temps pour une bottière, son boulot l’éclate, mais là encore, l’aventure stoppe net. Elle se retrouve sur le bord du chemin. Terrible coup du sort, elle perd sa mère quelques semaines après : “J’ai enterré ma maman avec ma plus belle chaussure, et j’ai mis un terme à l’aventure. Mon rêve s’arrêtait ; sans elle, je perdais le plaisir dans cette vie-là, c’était impossible.”
La vie reprend son cours, Audrey du service dans la communication, le soulier aux oubliettes. Pourtant, en 2008, 3 ans plus tard, elle croise la route d’un fils de bottier qui redonne de l’eau à son moulin. Elle prend une grande inspiration et remet la machine en marche, mais à sa manière : elle veut faire de l’homme pour la femme, de la pièce unique, du made in France et rien d’autre !
Elle se lance tête baissée dans un concours organisé pour le Salon du Cuir à Paris, dessine sa collection et cherche à la faire fabriquer, en vain. Entre les mauvais joueurs et les usines en faillite, la créatrice galère : “c’est un milieu d’hommes, tu vas manger du tabouret ! me répondaient les bottiers…”

COUP DE TATANE !

Car faire sa trace dans l’univers de la chaussure, quand on est une fille, il y a de quoi se faire des nœuds aux chevilles ! Entre pochettes surprise et rencontres au sommet, Audrey a surtout subi les foudres d’un sexisme grinçant. La jeune femme qui frappe à toutes les portes et ne rechigne devant rien, n’a finalement pas d’autre issue que de tout faire elle-même. Elle s’endette, prend des cours du soir à l’association Maurice Arnaud – premier bottier à avoir transmis son savoir aux femmes – où Michel Boudoux lui enseigne la précision du métier. Elle entaille ses doigts, mais jamais sa volonté, et ça paie : “Tout le monde m’attendait au virage, les gens que j’avais démarchés pensaient que j’allais me planter… Quand j’ai remporté le concours, leur stupéfaction était un vrai cadeau, j’avais doublement réussi !”

A PAS DE GÉANT !

Si la route a été sinueuse encore quelques années, aujourd’hui la bagarre est finie. Reconnue pas ses pairs, elle a écumé les salons et grands magasins pour enlacer le monde à ses pieds, gagné le prix des jeunes créateurs aux ateliers d’Art de France et finalement touché les étoiles : “Du salon professionnel Maison et Objets au Grand Palais, je me suis retrouvée dans mon univers, mes chaussures élevées au rang d’objets d’art, c’est incroyable !”
Depuis 2017, Audrey Fallope fait tout de A à Z et se distingue par ses modèles androgynes au look acidulé, franchement déjantés, et ça décoiffe ! Fièvre du samedi soir ou shopping accessoire, Chelsea, bottillons, cols de cygne ou cyclistes offrent un confort pantoufle à qui vient s’y chausser : “Ce sont à la fois des chaussons et des chaussures bonne humeur ! On me dit souvent qu’une fois essayés, il n’y a plus rien à faire, on part avec ! J’aime imaginer des aventures incroyables que ces souliers vont vivre grâce aux femmes qui les portent.”
“L’histoire que mon père racontait chaque dimanche quand il glaçait ses Weston restera la plus belle, je garde de lui cette phrase toujours avec moi : « La chaussure que l’on porte reflète l’estime qu’on a de soi… » Tout est dit.”

 

+ d’infos : http://audreyfallope.com

Ludovic Cazeba

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