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soirées diapo…

photos copieuses

Fidèles lecteurs de cette chronique désopilante, vous connaissez tous mon ami Paul. Pétri des qualités les plus diverses, mon ami Paul a néanmoins la fâcheuse habitude de croire que ses photos de vacances m’intéressent (je le soupçonne même de partir dans le seul but de m’offrir ce plaisir). Et bien sûr, il se trompe.

Je n’arrive pas encore à comprendre quelle cruauté diabolique pousse un être normalement constitué à infliger à ses semblables le spectacle de ses vacances éthiques dans l’île de Pulau Mabul (commerce équitable de tricots et entonnoirs). Et ne me racontez pas de carabistouilles, vous pensez la même chose (je le sais, je me suis livrée à un petit sondage. Fait plus étrange encore, ceux qui avouent détester ça sont en général les premiers à vous assommer de couchers de soleil, de clichés artistiques de verres de vin blanc (avec leurs ombres) et de chats grecs efflanqués et catatoniques. Les images d’enfants sur une plage (photographiés en train d’écrabouiller un pétoncle avec une pelle en plastique) sont également très prisées).

NOUS AVONS BEL ET BIEN LA MÉMOIRE COURTE

Car qui n’a pas vécu, sous Charlemagne, l’indescriptible ennui d’une soirée diapo ? L’exercice avait pourtant ses qualités, ne serait-ce qu’en raison de sa logistique. On déposait l’appareil avec une grue, son chargeur se coinçait systématiquement en faisant «tchac-tchac-tchac», une image sur deux apparaissait à l’envers et l’oncle Gustave pourrissait d’ombres chinoises un écran gondolé (qui finissait toujours par se replier dans un éclair sifflant). Bonus pénombre, on pouvait déposer une croûte de tome sur la perruque de l’oncle Gustave (son mime de la colombe finissait par lasser). Au final, c’était assez ludique. Mais surtout, c’était un évènement rare (on se demande bien pourquoi).

LES ALBUMS PHOTOS ONT COMPLIQUÉ LA DONNE…

Désormais, il faut feindre l’intérêt, se pencher de temps à autre sur un cliché et lire ces petits bouts de légende, que les plus imaginatifs d’entre nous croient bon de rajouter sous l’image (le «scrap book» est une malédiction). Ces commentaires sont ésotériques («Bien vu, Michel ! Avec les pieds ! Ah, ah !», sous la photo d’un bar à tapas apparemment en pleine guerre nucléaire. «Chouchou et son… chouchou !», griffonné à côté du cliché d’un vieux marchand de paniers en rotin), il faut donc être initié pour les comprendre. Quoi qu’il en soit, le propriétaire de l’album finit toujours par vous flanquer un bon coup de coude dans les côtes en s’exclamant : “ohlalaa, qu’est-ce qu’on a rigolééééééé !”. Et votre pauvre petit sourire en pente cache mal votre désir soudain de lui crever les yeux et de jeter son corps démembré aux orties.

…ET L’AVÈNEMENT DU NUMÉRIQUE A FAIT MONTER LA PRESSION

Aujourd’hui, on peut stocker l’intégrale de la banque de photos de cap Canaveral dans un appareil de la dimension d’une vignette Panini. L’écran est à l’avenant. L’utilisation d’un microscope subatomique est chaudement recommandée, si vous souhaitez distinguer les détails de la canopée guatémaltèque que votre ami Paul a immortalisée 72 fois (c’est du numérique, ça ne coute rien, autant se lâcher !).

L’exercice se fait à plusieurs, l’appareil passe de mains en mains et finit en général dans le lac, après avoir décrit une élégante arabesque dans les airs chacun y va de sa petite onomatopée polie (les orteils recroquevillés et la nuque raidie par l’ennui). En ce qui me concerne, j’ai redécouvert l’usage du polaroïd. Si vous voulez constituer un album digne de ce nom, le prix rédhibitoire des pellicules implique que vous soyez membre de la mafia locale du Kremlin (c’est à son polaroïd qu’on reconnaît un oligarque). Et les photos sont invariablement ratées, moches et surexposées. Ce qui m’épargne la tentation de plonger dans le coma le reste du monde avec mes clichés de voyage.

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