on the rhône again : le domaine Vintur

on the rhône again : le domaine Vintur

Gentlemen viticulteurs

Il y a 40 ans, dans son guide des vignobles de France, le « Pape du vin » Alexis Lichine consacrait trois chapitres à la Bourgogne, trois au Bordelais et… un paragraphe aux vins « légers et fruités » des Côtes de Ventoux. Deux Anglais sont bien décidés à prouver qu’aujourd’hui, les choses ont changé…

Graham Shore (©Mélanie Lévêque) et James Wood (©Clément Sirieys)

Juillet 2012. Bradley Wiggins est le tout premier Britannique à remporter le Tour de France. Son fair-play lui a surtout permis de gagner le cœur du public et des journalistes : à l’occasion de la 14e étape, dans les Pyrénées, il a en effet ralenti et incité tous les autres coureurs à le faire pour que l’Australien Cadel Evans, son principal adversaire, victime de plusieurs crevaisons successives, puisse rattraper le peloton. Des clous avaient été lancés sur la route, provoquant cette série d’incidents. Critiqué jusque-là, accusé d’agressivité, voire de triche, c’est le désormais «Gentleman» Wiggins qui arrive donc en vainqueur sur les Champs-Elysées une dizaine de jours plus tard. En son hommage, ses compatriotes James Wood et Graham Shore, qui viennent de reprendre un domaine viticole au pied du Mont Ventoux, près de Carpentras, nomment leur cuvée phare «le Gentleman». C’est avec un œil sur l’étape du jour de l’édition 2021 du Tour –on est début juillet– que Graham Shore raconte cette histoire. L’ancien financier, semi-retraité reconverti en vigneron, navigue aujourd’hui entre l’Angleterre et sa Provence d’adoption.

COUP DU SHORE

A la fin des années 90, alors que sa vie professionnelle l’a trimballé des vignes australiennes à celles du Chili, d’Argentine ou de Nouvelle-Zélande, ce passionné de vin pose ses valises entre Manosque et Forcalquier : “je suis tombé amoureux de tout ce qui est provençal, la nourriture, le paysage, les gens, les marchés, l’histoire… J’achetais souvent des vins des Côtes du Luberon ou de la Vallée du Rhône, des vins intéressants, mais qui n’avaient pas la reconnaissance qu’ils méritaient.” Il creuse donc la question, lit beaucoup sur le sujet : “plus vous en savez, plus vous comprenez qu’il y en a encore plus à savoir, et ça, ça correspond bien à ma personnalité”. En parallèle, il se met en quête de vignes.
En 2010, il rachète l’ancien domaine Ribas. Dans les années 60, il avait été l’un des premiers producteurs indépendants, équipé d’un caveau, dans un Ventoux dominé par les coopératives. “J’ai fait les choses à l’envers, car après l’avoir acheté, je me suis dit : quitte à faire du vin, autant savoir comment on le fait. Alors je suis retourné à l’école.” Il s’inscrit donc en viticulture et œnologie à Plumpton, au nord de Brighton. “C’est petit, mais tous les Anglais qui veulent faire du vin finissent à Plumpton, ou connaissent quelqu’un qui en sort, c’est comme une école de commerce, il y a un vrai réseau.” C’est là que son chemin croise celui de James Wood, alors assistant-maitre de chai dans un domaine voisin de celui qu’il vient d’acquérir.

GREEN WOOD

Quadra à la carrure de rugbyman, initié dès son plus jeune âge à l’Hermitage blanc par son père et fan du travail du savoyard Dominique Belluard à Ayze -“mon héros”-, James prend donc la direction des opérations. “Quand on est arrivés, la terre était morte, le sol béton”, explique-t-il. “On a commencé par couper les arbres dans les vignes, arracher, replanter. Ici, la montagne est un peu sauvage, il y a des animaux, de la menthe, du thym, de l’aubépine, les nuits sont fraîches grâce au Mont Ventoux, c’est très bon pour l’acidité… Peu à peu le terroir s’est révélé. Et Shore m’a donné un chèque en blanc.” En 2013, il lance la conversion des vignes en bio, et très vite, pour les critiques, Vintur devient «le domaine sur lequel garder un œil». Vintur ? “Un article expliquait que le nom du Mont Ventoux venait de Vintur, dieu gaulois du feu, de la lumière et de la montagne, aussi appelé Belenos”, raconte Graham Shore. “Je ne pense pas que ce soit vrai… Une des dernières fois que le Tour de France y est monté, ils ont dû arrêter la course plus bas à cause du vent… Vent, Ventoux, ça paraît assez évident. Mais j’aimais ce nom Vintur, il marche aussi bien en français qu’en anglais.

NEW VENTOUX ?

En cave, James Wood multiplie les expériences –“c’est pour ça que je suis ici”, sourit-il– comme avec L’Effervescence, ce pétillant très fin, «prosecco-esque», mariage de Bourboulenc et de Roussanne, ou la cuvée Ariadne, assemblage de 5 millésimes de cépages blancs, élevés en cuves de vieilles vignes. “Faire du bon vin, c’est comme cuisiner”, résume Graham Shore, “il faut avoir des notions de chimie et de la créativité, savoir combiner les deux. Tout en ayant un immense respect pour les traditions et le terroir français, nous essayons donc d’introduire des idées d’un Nouveau Monde. Et quand ça marche, que les gens aiment ce que vous faites, c’est très satisfaisant, c’est même difficile à décrire avec des mots, mais c’est incroyablement épanouissant ! L’appellation Ventoux n’est pas encore très connue, le prix du terrain n’est pas très élevé, ce qui a encouragé pas mal de gens à s’installer, expérimentés ou non, locaux ou non, des gens qui aiment le vin et veulent innover, faire les choses un peu différemment… Et si on commence à faire du bon vin, ça profitera à tous les autres producteurs du Ventoux.” De là à se mettre sur le côté de la route pour attendre qu’ils raccrochent le peloton…

Le Mot de CHARLY

Je suis allé dans le sud-Vaucluse il y a 3 ans, pour une semaine de dégustation avec un ami sommelier de longue date, Daniel Chaussée. On voyait trois vignerons par jour, et puis on s’est arrêtés à Vintur et on est restés plus longtemps que prévu ! James Wood, qui a beaucoup de personnalité, nous a fait goûter plein de choses, mais j’ai été impressionné par la qualité du vin, du Ventoux blanc notamment, Tradition ou Séléné, ils avaient quelque chose de différent, une fraîcheur, une expression… Il y a certainement beaucoup de Clairette dans ses assemblages. Je le recommanderais avec une viande blanche ou un saumon beurre blanc. Depuis cet été, notre chef Christophe Le Digol propose un tartare de veau et de seiche, un terre-mer, qui peut très bien se marier avec la fraîcheur de ce vin.

+ d’infos : http://vintur.fr

Photos : Clément Sirieys

on the rhône again : le domaine Montirius

on the rhône again : le domaine Montirius

Extraits naturels de fruits

Premier domaine certifié en biodynamie sur les appellations Gigondas et Vaqueyras, Montirius, à Sarrians, met la nature en bouteilles. Plus qu’une philosophie, c’est un choix de vie : raisins ou gamins, ce qui pousse sur cette terre ne connaît pas la chimie !

Rendez-vous au chant du coq… ou plutôt au chant du paon. Perché sur le toit de la maison, où il passe ses nuits, le chatoyant volatile nous accueille avant de rejoindre sa femelle pour un petit-déjeuner en terrasse. Au sommet de la tour qui abrite le dynamiseur*, posté à l’entrée du domaine comme une sentinelle, un carillon de Woodstock mêle son chant à celui des oiseaux. Le jour pointe tout juste au-dessus des vignes, mais la famille Saurel, père, mère et filles, est déjà sur le pont depuis longtemps, car s’il y a un endroit où on vit au rythme du soleil, à l’écoute de la nature et de ses cycles, c’est bien à Montirius.

*cuve dans laquelle l’eau et les préparations biodynamiques sont mélangées, selon un principe de dynamisation qui consiste à créer un vortex en mettant la préparation en mouvement dans un sens, puis à casser ce vortex en la faisant tourner en sens inverse.

PREMIERS SOINS

C’est au début des années 90, à la naissance de Justine, leur fille aînée, qu’Eric et Christine ont remis en question leur manière de travailler la vigne. Alors que les médecins prescrivent au bébé une année d’antibiotiques pour soigner un problème rénal, les parents optent plutôt pour l’homéopathie et un changement d’alimentation. “Au bout d’un an, les analyses étaient bonnes”, se rappelle Christine, “elles confirmaient que ça marchait, c’était pragmatique.” Pour être en cohérence avec ces choix, ils arrêtent progressivement pesticides et chimie sur leurs terres : “sans rien dire à personne, pour ne pas déranger les esprits, on «sulfatait», mais ce n’était plus du sulfate qu’il y avait dans nos pompes…
En 1996, ils rencontrent François Bouchet, vigneron à Saumur, «paysan-poète» précurseur de la biodynamie. “Il nous a demandé de l’emmener sur une parcelle que nous n’aimions pas travailler, il nous a dit : «elle a froid, cette vigne ! On va lui préparer une tisane ! On va utiliser des choses que vous ne connaissez pas pour avoir un sol vivant, de beaux raisins et faire du bon vin.» Nos amis pensaient qu’on allait droit dans le mur, ils nous emmenaient voir des parcelles malades, en nous disant que les nôtres finiraient comme ça si on continuait… Mais dès la première année, les sols ont paru plus beaux.” Les doses homéopathiques, à l’échelle de leur domaine, ça marche aussi.

PREMIÈRE ET CHAI

Tu es précurseur pour arrêter les produits chimiques, ton grand-père était précurseur pour les lancer”, lui dit à ce moment-là l’aïeule d’Eric. Car il est la 5e génération d’une longue lignée d’hommes et femmes du cru, qui faisaient déjà du vin de propriété et le vendaient même à Hong-Kong au début du siècle ! Il est également le fruit du mariage de deux familles, deux appellations, deux modes de production du vin : Vaqueyras en cave particulière d’un côté, Gigondas en coopérative de l’autre. Pendant les premières années où Christine et lui travaillent au domaine, leurs raisins partent encore en coopérative. C’est d’ailleurs à l’occasion d’un transport de fruits, une année à mildiou, que son père remarque leur étonnante bonne santé : “je ne sais pas ce que vous faites, je ne comprends pas, mais ça m’a l’air bien.” L’étape suivante, c’est le chai. En 2001, les Saurel veulent récupérer leur vin. “Même si la coopérative était bien équipée, il manquait des cuves”, raconte Christine, “il fallait les vider trop vite pour laisser la place aux autres, on ne pouvait donc pas laisser le processus de vinification et d’infusion se faire, ce n’était pas abouti. Alors on a imaginé une cave dans laquelle on pouvait rentrer la totalité des raisins de nos vendanges, et laisser chaque cuve travailler à son rythme.” L’année suivante, ils sortent leur premier millésime sous le nom de Montirius, contraction des prénoms de leurs trois enfants : Manon, Justine et Marius.

PASSAGE DE FLAM-BIO

Si seules les deux filles travaillent aujourd’hui sur le domaine, les jeunes Saurel ont acquis ensemble «Trinity», une parcelle entre les lignes de laquelle pousse du petit épeautre, et que les salariés sont justement en train de travailler. “Chaque tailleur a sa rangée”, explique Justine, “ils ne se les échangent pas : chacun veut voir comment elle évolue. La taille, c’est comme une coupe énergétique pour les cheveux, ce n’est pas juste du bois, et si on taille bien, juste en suivant le cycle biologique de la plante, on a le bon nombre de raisins à maturité, pas besoin de faire de vendange en vert.” (Ndlr : faire tomber un certain nombre de grappes au début de la maturité des raisins, pour faciliter le mûrissement des grappes restantes). Justine n’en a jamais fait. “Les vignes, telles qu’on les travaille, se sentent bien. Leur moyenne d’âge est de 60-70 ans. De toute façon, en moins de 25 ans, elles n’ont pas accès au terroir.
A 28 et 32 ans, les filles, elles, y sont directement connectées, à ce terroir. Après son école de commerce international, Manon aurait pu travailler ailleurs, mais pourquoi vendre un autre vin que celui qui coule quasiment dans ses veines ? De son côté, Justine est allée jusqu’en Nouvelle-Zélande, “pour prendre de la hauteur, mieux comprendre, voir tout ce qu’on peut faire et que je ne veux pas faire, comme les barriques”. Parce que le bois, il est bien sur le grand chêne, l’arbre-maître qui veille sur leurs parcelles et en impose l’axe de plantation, mais pour l’élevage, à Montirius, on est plutôt béton.

Et pour la fermentation ? Le temps d’une tournée de crêpes et confiture maison, Eric explique comment, à l’aide d’une canne à air de son invention, il favorise l’oxygénation, en soufflant dans la cuve comme un enfant soufflerait, avec sa paille, dans son sirop. Mais le soleil au-dessus de Sarrians est déjà haut, l’Asie du Sud-Est attend pour une visio, alors le paon, à son poste de vigile sur la table du jardin, criaille –oui, le paon criaille– pour la reprise du boulot…

Le Mot de CHARLY

Quand je travaillais dans le sud de la France, j’ai dégusté pas mal de Gigondas, mais ils ne m’avaient pas convaincu. Celui de Montirius m’a réconcilié avec cette appellation. J’y ai trouvé ce que je cherchais : un vin un peu rustique, volumineux, chaleureux comme les personnes qui le font. On peut l’acheter aujourd’hui, et dans 10 ans, il sera encore là, si on l’oublie, on n’aura pas de surprises, il peut aller très loin… Dans la cuvée Terre des Aînés, on retrouve des notes épicées, de garrigue, du thym et du romarin, des tannins équilibrés, bref, du plaisir !
Pour moi, c’est plus un vin d’automne. Avec le gibier, on a besoin de vins généreux, puissants : avec un lièvre à la royale et ce vin, on passe un moment superbe !

+ d’infos : montirius.com

Photos : Clément Sirieys

on the rhône again : Domaine de la Canorgue

on the rhône again : Domaine de la Canorgue

Cep-tième art

Extérieur Jour – Une belle bâtisse en pierres dorées sous les platanes, des boules de lavande et de hauts cyprès qui encadrent la vue sur le village de Bonnieux, perché sur son coteau… On dirait le Sud… Ça tombe bien, on y est : Château la Canorgue, en plein cœur du Luberon. Moteurs, action !

La Canorgue a tout de la carte postale. On serait même tentés d’y poser projecteurs et caméras pour tourner un film… Dans les rôles principaux, Jean-Pierre Margan, chevelure cendrée, esprit libre et accent chantant ; et Nathalie, sa fille, regard vert, large sourire et mots précis. A eux deux, ils ont fait en sorte que ce domaine de 40 hectares ne soit pas qu’un bel écrin, une affiche alléchante avec un casting de rêve pour une romance un peu facile. Non, pionniers en bio sur le Rhône méridional, depuis 40 ans, les Margan produisent des vins qui raflent palmes après palmes et cartonnent au box-office.

Sans effets spéciaux

Depuis cinq générations, le château appartient à la famille de Martine, la mère de Nathalie. Mais quand elle y revient avec Jean-Pierre, au début des années 70, il est tombé en désuétude, suite au décès brutal de son père. “Il n’y avait plus qu’un hectare de vigne”, se rappelle Jean-Pierre, “on a quand même fait quelques millésimes en ayant récupéré des parcelles en fermage. Mais on n’avait pas beaucoup de finances… Alors au début, pendant 6-7 ans, j’ai travaillé à côté, dans les assurances.” Entre emprunts et courtes nuits, Jean-Pierre replante, fait avec les moyens du bord, mais sans effets spéciaux : ni engrais ni pesticides, dès le départ. “J’avais travaillé sur d’autres domaines en conventionnel avant, et quand j’enfilais les gants et les masques, je me disais que je ne ferais jamais ça chez moi.” Et puis « Canorgue» vient du mot canalisation : la maison, bâtie sur une ancienne villa romaine, possède sa propre source, que la famille a toujours préservée. En 1979, les efforts du viticulteur-assureur sont récompensés par une première médaille au concours général agricole de Paris. C’est aussi l’année de naissance de Nathalie.

Entrée de champ

S’ils ne se ressemblent physiquement pas tellement, père et fille ont en commun leur amour pour le vin, évidemment, mais aussi pour l’huile d’olive et… les tubers melanostrum, les truffes. “Quand j’étais petite et que quelqu’un venait voir mon père pour les caver” (ndlr : trouver les truffes), se souvient Nathalie, “je séchais l’école pour aller les chercher avec eux.” Actrice de ses propres aventures, elle découvrait tout autant de choses en vadrouillant sur le domaine, avec son chat, son chien-loup et son poney, ou dans les déserts qu’elle traversait avec ses parents en 4×4, à la rencontre des peuples de Mauritanie, du Maroc ou de Tunisie. “On lui a appris à ne pas avoir peur des gens”, sourit Jean-Pierre. A tel point qu’à l’âge adulte, elle décide de partir seule faire le tour du monde. “C’est quelqu’un de très prudent, mais je lui ai dit : fais au moins un art martial !” Les cours de ju-jitsu qu’elle suit sur les conseils paternels lui permettront en effet de gérer une agression au couteau, en Equateur… Curieuse, baroudeuse, mais réfléchie, Nathalie est donc armée pour la vie.
Au moment de choisir sa voie, elle écoute également les recommandations du père, qui réussit quasiment à la détourner du remake : “je voulais tout faire, sauf du vin !”, raconte-t-elle. “Je rêvais d’être grand reporter, de partir aux Etats-Unis, en Amérique du Sud…” Mais après Sciences-Po Aix et des études de commerce, elle a un coup de moût : l’histoire familiale la rattrape, elle part vinifier en Australie. Elle finit ensuite son MBA en commerce international du vin sur le terrain, « à la maison », et fait son premier millésime en 2000, avec Jean-Pierre, qui a transmis sa passion malgré lui…

Co-production

Et elle n’est pas là pour jouer les doublures : “elle est arrivée avec une précision incroyable dans les dégustations, elle est pointue ! Ça, c’est un trait commun aux femmes”, s’amuse-t-il. “Elle a aussi apporté du recul, de la modernité, du savoir, le mien était plus empirique. Avec elle, les vins sont devenus plus élégants.”Les gens disent que c’est un peu comme si on était revenus à ce que faisait mon père au début”, ajoute Nathalie en contre-champ. Les deux Margan sont raccords : “Souvent, on n’a pas besoin de se parler, il suffit d’un geste, un regard… En 20 ans, on a dû s’engueuler une seule fois. Ma fille a peut-être un défaut, elle est très perfectionniste, elle a du mal à déléguer”, dit celui qui, hospitalisé à Paris pendant la 1re vinification de Nathalie, avait fait punaiser un grand tableau sur le mur de sa chambre pour suivre les courbes de températures des cuves. “Je les appelais tous les jours, et je disais, là, il y a un truc qui ne va pas… Le professeur qui me suivait s’était pris au jeu, et moi, j’ai fait des vendanges virtuelles.”

Nouvelle séquence

Dans les années 90, Jean-Pierre flirte avec la biodynamie : “mais je n’ai pas été impressionné par les effets sur la terre et sur les vins, peut-être parce que je faisais déjà du bio. Et puis, un jour, quand elle était petite, en nous voyant faire, Nathalie a mis une pancarte “Madame Irma” sur la porte… ça m’a vexé.” C’est pourtant sous l’impulsion de la jeune femme, que depuis 3 ans, la Canorgue a accentué son engagement biodynamique, en surveillant le calendrier lunaire pour les jours de soutirage ou de mise en bouteille, et en remettant à neuf le dynamiseur. En cave, changement de décor : celle du grand-père a été prolongée par une autre grande cave très moderne, enterrée pour profiter de la gravité. A l’intérieur, pas de bois traité, mais de la peinture naturelle végétale et une isolation au chanvre. Quant aux cuves, elles sont reliées entre elles et à la terre par un fil de cuivre, qui leur permet de rester connectées à l’énergie de l’eau des canalisations romaines. “Il faut se servir du patrimoine, de l’histoire”, conclut Nathalie, “et arriver à créer avec, ne pas rester sur ses acquis, s’inspirer de ce qui a été fait pour que ça reste harmonieux, tout en essayant d’avancer de façon logique.
Et logiquement alors, le millésime 2021 : « une Grande Année » ? Ça ferait un bon titre de film, si on en parlait à Ridley Scott ?

+ d’infos : http://chateaulacanorgue.com

Photos : Clément Sirieys

LE MOT DE CHARLY

Quand je suis arrivé chez Edouard Loubet, dans le Luberon, il n’y avait que trois vins locaux à la carte, alors je suis parti découvrir tous les autres ! A raison d’un ou deux par jour pendant mes jours de congés… Le seul que j’ai gardé à Talloires, c’est la Canorgue, pour son authenticité : le rouge est très expressif, sur la garrigue, le romarin, le thym, le fruit rouge, et le blanc sec, nerveux, avec une petite pointe de fruit derrière, qui exprime bien cette appellation. Je conseillerais le rouge avec une viande pas trop forte, voire rosée comme un canard ou un pigeon rôti, ou même une belle côte de bœuf sur le grill avec des tomates à la provençale. C’est le genre de vin qui donne de la joie aux mets.

On the rhône again : le Domaine des Maravilhas

On the rhône again : le Domaine des Maravilhas

Alice au pays des Maravilhas

Elle est légère, Alice, avec sa belle robe claire et son nez de cerise, son velouté stricto Cinsault et son accent des garrigues. Légère et gorgée de soleil, parce qu’elle a été élevée à Saint-Laurent-des-Arbres, rive droite du Rhône, au pays des merveilles, «maravilhas», en Occitan.

A la terrasse du Bistrot des Vignes, cœur battant de l’appellation Lirac, c’est en attendant une assiette de pieds et paquets, spécialité provençale à base de panse de mouton –et de pieds… évidemment– , que Morgane et Jean-Frédéric Bistagne nous présentent Alice. Elle est très bien roulée –sur les galets argilo-calcaires– et extravagante de fruits –c’est le cépage Cinsault qui veut ça–. Oui, Alice est une cuvée, la petite dernière de ces nouveaux vignerons installés dans la région depuis 2014.
A l’époque, Morgane travaille dans l’industrie pharmaceutique, Jean-Frédéric dans l’informatique. Elle est bretonne, il est marseillais –ils le sont toujours–. Mais ils vivent à Genève, à mi-chemin entre leurs deux contrées natales, quand l’envie leur prend d’aller voir au Sud si le Rhône est plus bleu et les crus plus capiteux. Le couple est fin gour- met, amateur de vins éclairé, mais la vigne, c’est un métier… “On a plongé du bateau, en pleine mer”, sourit Jean-Frédéric, “sans savoir s’il y avait des requins, si l’eau serait froide ou même si on saurait nager”.

ROMAN DE GARD

Ils ont quand même un peu étudié les courants et l’horaire des marées : en repérage depuis 4 ans, ils ont déjà failli reprendre un premier domaine du côté d’Orange. Jean-Frédéric s’y est frotté aux gestes-clés de la viticulture comme la taille ou l’ébourgeonnage, mais la propriété a finalement été cédée à des Chinois. “Ils ont fait une offre au moment de signer, on n’a pas pu rivaliser.” Malgré ce chavirage, pas question de changer de cap, seulement de département. Dans le Gard, ils entrent alors en pourparlers avec deux frères vignerons et associés qui envisagent de se séparer. Leur père, arrivé d’Algérie en 1967, avait acheté des garrigues à la sortie de Saint-Laurent-des-Arbres pour y planter des vignes. Quand les Bistagne les découvrent, elles sont déjà travaillées en biodynamie depuis une dizaine d’années. Séduits par cette philosophie, par la bonne santé évidente des ceps et la vue sur les remparts médiévaux du village, ils plongent. Le domaine s’appellera Maravilhas, en référence à ce premier moment d’émerveillement.

Saut dans le grand vin

Accompagnés par un des anciens salariés, une bonne caviste et un œnologue attentif, les nouveaux propriétaires apprennent sur le tas et font donc leurs premières vendanges en 2014. “Quand on s’est lancé, un ami m’a dit : tu verras, dans la vigne, sur 5 ans, il y a une seule mauvaise année”, se rappelle Jean-Frédéric. “Au début, c’est plutôt l’inverse… ” Si 2015 est une très belle année, 2016 est marquée par la sécheresse. “Mon voisin n’avait jamais vu ça en 40 ans ! Et 2017 a été pire encore… En 2018, la météo était bonne, mais c’est le mildiou qui a fait des ravages ; en 2019, les vignes brûlaient dans le Languedoc, et en 6 mois, les nôtres ont reçu moins d’un litre d’eau par m2…” Pas le temps de tergiverser, les apprentis vignerons sont tout de suite dans le bain. “On n’aurait jamais imaginé avoir cette vie il y a 15 ans, mais on s’est vite habitués!”
Habitués peut-être, rassérénés pas encore tout à fait, malgré le très bon accueil fait à leurs vins, les demandes de réservations ou d’allocations, et l’ouverture sur les marchés internationaux. Si Morgane est présente sur le domaine, elle a conservé, en parallèle, son activité professionnelle. Quant à Jean-Frédéric, il est en mouvement permanent. “C’est un monde qu’on idéalisait peut-être un peu, dont on n’imaginait pas les difficultés quotidiennes, les problèmes de frigo, les retards de livraison…” Entre deux explications, il file arrêter le feu sous une infusion de reine des prés, un antalgique qui doit améliorer la capacité des vignes à lutter contre le mildiou. Car les Bistagne travaillent dans la continuité de leurs prédécesseurs, dans le respect du vivant.

Palette de cépages

Sur la parcelle qui s’étend au pied du chai, les vieux plants côtoient les plus jeunes, pour donner des jus plus équilibrés. Et un peu plus haut dans le «Pradau», une grande prairie en amphithéâtre, entre chênes et thym citron, ce sont les cépages qui se mélangent. Le Grenache blanc, sensible et précoce, cohabite avec le rustique, mais plus tardif, Bourboulenc, “un très beau cépage, qui ne monte pas trop en alcool et récupère le côté minéral et salin du sol argilo-calcaire”. Résultat ? “Chacun garde ses spécificités, mais ils mutualisent leurs forces”. Ils se retrouvent ensuite en bouteille dans le Lirac Blanc, symbolisés sur l’étiquette par deux danseuses aux robes différentes, créées par Richard Campana, un ami artiste marseillais.
Chaque cépage a d’ailleurs sa danseuse, en rayures orangées pour le Bourboulenc, bleues pour le Mourvèdre, grenat pour la Syrah. Cépages assemblés et déclinés en Côtes-du-Rhône, Laudun, Lirac ou… Châteauneuf-du-Pape. Comme certains ont franchi le Rubicon, Morgane et Frédéric ont, en effet, enjambé le Rhône pour compléter leurs 16 hectares rive droite par 2 hectares rive gauche… 
Une ouverture sur le fleuron de la région, qui leur va à merveille. 

 + d’infos : domainedesmaravilhas.com

LE MOT DE CHARLY

Je les ai rencontrés par hasard sur le salon « Millesime Bio » à Montpellier. J’ai eu un coup de cœur pour leur Laudun rouge, la cuvée Maestral. Laudun, c’est une appellation dont on parle très peu, qu’on ne trouve pas sur toutes les cartes, alors c’est toujours intéressant d’aller dénicher des choses qui sortent de l’ordinaire. La Syrah lui donne un côté épicé, le grenache de la rondeur ; il a une vraie identité, un équilibre, de l’aromatique et une belle longueur en bouche. Avec ce vin, on peut facilement aller sur un gigot d’agneau, de Sisteron par exemple, avec un jus au thym et romarin, une viande délicate complétée par la souplesse du vin. 

Photos : Clément Sirieys

on the rhône again : le Clos du Caillou

on the rhône again : le Clos du Caillou

Clos-working

Dans la famille Vacheron, on partage l’espace de travail : une cinquantaine d’hectares de vignes à Courthézon, à côté de Châteauneuf-du-Pape, dont l’épicentre est le Clos du Caillou, un domaine qui, s’il est entouré d’un mur, n’a rien de fermé… 

D’abord, il y a le lieu, enchanteur. Derrière le muret en pierres et les grands pins qui entourent la propriété, un ensemble de bâtisses claires aux volets lavande surplombe un luxuriant jardin. Le début d’été a été généreux en précipitations, les couleurs des lauriers n’en sont que plus vives et la pelouse est couverte de petites fleurs blanches… A y regarder de plus près, ce sont en fait de minuscules escargots blancs, des mourguettes, perchés par centaines sur les brins d’herbe. 
L’ensemble est lumineux, chaleureux, joyeux. Comme le sont les accents, les regards et l’accueil de l’équipe du Clos. Il y a Bruno, le responsable cave et vignoble, Axel, le fils de la maison, fraîchement diplômé de l’école de viticulture et d’œnologie de Changins (Canton de Vaud), Marilou, la fille, en charge de l’export  et Sylvie, la mère. Le Clos du Caillou, c’est le domaine de sa famille. 

Une famille en hors

Quand son grand-père l’achète, en 1956, il est vigneron dans le Nord-Vaucluse et cherche à installer ses trois fils. Le Caillou, ce sera pour Claude, le père de Sylvie. A l’époque, c’est une réserve de chasse, 17 hectares de bois et quelques parcelles de vignes, propriété de la famille Dussaud, des ingénieurs en bâtiment qui ont notamment travaillé aux côtés de Ferdinand de Lesseps à la construction du Canal de Suez. Mais en 1923, quand il a été question de délimiter l’aire d’appellation Châteauneuf-du-Pape, le gardien du domaine a chassé les experts, faisant du Clos une enclave hors zone, non classée dans l’appellation. Qu’à cela ne tienne, Claude est conscient du potentiel de ce terroir, et malgré les critiques des locaux, il déboise, défriche, replante et structure.
Sylvie grandit évidemment sur le domaine, traîne dans les vignes, aime, plus que ses deux sœurs, ramasser les sarments : “une enfance royale, simple, une vraie famille. J’étais la dernière, un peu gâtée, je me laissais porter par la vie.” Une vie qui la mène en BTS viti-œno à Mâcon, où elle rencontre Jean-Denis Vacheron, fils d’une pointure de la viticulture sancerroise. Il l’emporte avec lui vers l’exploitation familiale, sur les bords de Loire.

Savoir Parker

Mais en 1995, Claude veut ranger sa serpette et pose un ultimatum à ses filles : “soit il y en a une qui reprend, soit on vend !”. “On est une famille de gros caractère !” commente Sylvie dans un sourire. “J’avais ma vie à Sancerre, mon boulot à l’INAO (Institut National de l’Origine et de la Qualité), on venait d’acheter une maison… Mais à Courthézon, il y avait tout à faire et ça donnait une place énorme à Jean-Denis. Il m’a dit : là-bas, je pourrai m’exprimer. Alors en deux conversations, on s’est lancés. Il a fallu prendre beaucoup de décisions en très peu de temps, ça a été une vie folle, mais très riche.”
Il faut quand même 2 ou 3 ans pour que le couple trouve ses marques, que le gars de la Loire s’acclimate, s’habitue au vent et au manque de pluie, dompte ces vins du sud plus chargés en alcool que les Sauvignon ou les Pinot qu’il connaît par cœur. Et puis ils décollent. En 2001, Robert Parker attribue une note de 100/100 à leur Côtes-du-Rhône «Réserve». “Les articles disaient que Jean-Denis vinifiait à la Bourguignonne, avec beaucoup de fraîcheur, de la finesse”, se souvient Sylvie. “Le fax sonnait sans arrêt, les commandes n’arrêtaient pas !” ajoute Marilou qui n’avait pourtant que 7 ans à l’époque. “Les vins de cette année-là sont magiques, il y a toujours une charge émotionnelle quand on en ouvre une bouteille…”. Car c’est le dernier millésime de Jean-Denis, qui perd brutalement la vie dans un accident de la route l’année suivante.

Pour que la vie…gne continue

“Marilou m’a dit : je te laisse les vacances de Pâques et on rouvre le caveau  !”, raconte Sylvie. La petite fille y accueille les visiteurs, leur parle du vin, des cépages. Si, plus tard, elle suit des études de commerce à Lille, c’est «pour voir autre chose». Mais elle retrouve le domaine en 2016 : “on a vu ma mère se battre, revenir était presque naturel, une suite logique. La vigne, c’est plus qu’un métier, c’est une vie.” A laquelle Sylvie s’accroche. En traversant la canicule et les «raisins de Corinthe» de 2003, les grands froids de 2004, mais “après, ça n’a été que du velours.”
En partie grâce à Bruno Gaspard. Scientifique de formation, œnologue, il se frotte aux vins du sud depuis la fin des années 80, de Corbières à Gigondas, en passant par Bandol ou Laudun. En arrivant au Caillou, en 2002, “il a repris les notes de mon père, essayé de comprendre le vin qu’il voulait faire, il a consolidé la certification bio et su gagner la confiance de ma mère”, confie Marilou, “ils ont formé un super duo !” Que Parker gratifie encore de plusieurs 100/100 entre 2010 et 2016.

Héritage et assemblages

Aujourd’hui, pour continuer à gérer les 44 hectares en Côtes-du-Rhône et les 9 en Châteauneuf-du-Pape que compte le domaine, un autre duo est en train de se former, avec le récent retour à  Courthézon d’Axel, le petit frère de Marilou. 
Pour écrire leur part de l’histoire familiale, ensemble, ils ont repris le Domaine de Panisse, dont ils vinifient les cuvées au Caillou. “Marilou a une connaissance fine des marchés, sait ce que le client attend. Lui n’a pas le même caractère, réfléchit beaucoup, mais connaît mieux la partie vigne”, résume Sylvie. “Ils sont très complémentaires, et moi, je me laisse porter maintenant. Quand il n’y plus rien à faire au bureau, je file à la vigne. Là, on respire, on réfléchit… Je n’ai aucune frustration à lâcher aux enfants, mais je leur ai dit : ce n’est pas un échec si on divise le Caillou ! Moi, je n’aurais pas pu m’entendre avec mes sœurs… Alors rendez-vous dans 10 ans !”, pour savoir si les jeunes Vacheron auront su perpétuer la tradition et réussi à Clos-worker. 

 + d’infos : http://closducaillou.com  

©photos : Clément Sirieys

LE MOT DE CHARLY

Le domaine m’a été recommandé par une amie sommelière, et ce qui m’a plu dans leurs vins, qu’ils soient rouges ou blancs, c’est cette explosion, avec une grande finesse, une subtilité. « Les Safres », leur Châteauneuf-du-Pape blanc est très floral, très frais, très expressif, et caillouteux aussi en note finale. Comme tous les vins de ce domaine, ils ont un certain niveau d’alcool (autour de 14°C) qu’on ne ressent pas à la dégustation, on prend du plaisir jusqu’au bout. Pour l’accompagner, j’irais sur un poisson, pas trop fort, comme un omble chevalier meunière ou un plateau de fromage savoyard avec du reblochon, de la tomme de Savoie, de l’Abondance ou du Beaufort.

Charles-André Charrier

Charles-André Charrier

Dandy de grand Chenin

Charles-André Charrier à la ville, il devient Charly quand il entre en scène. Dans un registre plus Bordeaux que Feydeau, c’est sa passion du vin qu’il communique, celle qui l’a mené de ses Fiefs-Vendéens à un lac alpin, du Chenin à Chignin, des bords de Loire à l’Abbaye de Talloires.

« Un sommelier, c’est comme un musicien : même s’il est doué, pour atteindre un haut niveau, il faut vraiment qu’il apprenne.” Lui-même a été sacré, en 1996, «Master of Port», meilleur sommelier expert en vins de Porto. Compétitif, Charly l’est, évidemment, mais il reconnaît avant tout qu’on n’en arrive pas là sans avoir engrangé un maximum de connaissances.
Yeux bleus et sourire généreux, cet avenant quinqua est natif de la région vendéenne. C’est avec les vins de Loire, et cornaqué par une femme, qu’il a fait ses gammes. Il n’est qu’un jeune employé, quand sa «Mère du vin», Martine Courbon, patronne du restaurant gastronomique où il travaille, décèle en effet son potentiel et l’inscrit avec elle au concours des sommeliers de Val de Loire. Ils potassent ensemble, mais l’élève dépasse le maître : il se classe 3e. “Ce n’est pas une science exacte, tout le monde peut se tromper, mais c’est comme un jeu. D’ailleurs, dans un concours, celui qui n’identifie pas le vin, mais qui en a parlé avec plaisir va gagner, par rapport à celui qui l’aura trouvé, mais n’aura rien exprimé.”
Joueur, sensible et curieux surtout, Charly va donc goûter, goûter et goûter encore, pour distinguer les notes, imaginer des harmonies, devenir un virtuose des aromatiques. A 23 ans, après l’armée, il se représente au concours et termine premier sommelier du Val de Loire, qualifié pour la finale du meilleur sommelier de France. Il quitte ensuite la Vendée pour découvrir la Touraine et son terroir, puis l’Oxfordshire, le Lyonnais, l’Alsace, le Luberon… avant de reprendre, en 2007, la cave de l’Abbaye de Talloires. 10 ans plus tard, elle reçoit le titre de «meilleure carte de vins en France, catégorie restaurant gastronomique». L’histoire ne dit pas si, comme un musicien, Charly a une bonne oreille, mais ce qui ne fait pas de doute, c’est qu’il a du nez…

Activmag : Quelles ont été vos premières amours en matière de vin ?
Charly  : Le Chenin Blanc (cépage phare de la Vallée de la Loire). Un cépage très ouvert au terroir. Si vous avez des terroirs différents, il aura des identités différentes. Vous pouvez aussi l’avoir avec différents types de vins, pétillants, secs, moelleux, demi-sec… et à différents âges, vous pouvez le goûter jeune comme très vieux.

Un de vos meilleurs souvenirs, une émotion forte ?
Ce sont plutôt des partages, avec les sommeliers de l’association des sommeliers du Val de Loire (ndlr : il est aujourd’hui président de l’association des sommeliers Savoie-Alpes-Bugey). Un jour par exemple, j’avais organisé un repas autour des vins moelleux d’Anjou, et un de mes grands souvenirs, c’est un Coteaux-du-Layon Moulin-Touchais 1892, que j’avais pu avoir par un vigneron. On s’attendait à un vin complètement terminé, parce que les vieux vins, parfois, en 2 minutes, ils sont partis, mais lui, il a pu supporter 100 ans ! Il était vraiment là, on a pu en parler, le déguster, parce que le Chenin, le sucre et l’acidité étaient là pour ça. Un autre de mes plus grands plaisirs gustatifs, c’est un Château Latour 1988. Je me souviens encore du moment et des personnes qui étaient avec moi le jour où je l’ai dégusté.

Du coup, vous êtes plutôt rouge ou blanc ?
Plus blanc en général. Au niveau accord vin-mets, beaucoup de plats vont aller avec le blanc, comme les viandes blanches, les volailles, le porc, le veau… et c’est aussi ce qui a fait ma réputation, quand on parle de Charly, on parle de «fromage – vin blanc»: jamais de rouge avec un fromage! Il n’y a rien de plus mauvais au monde, c’est amer, aigre, métallique après. Le tanin du vin rouge ne peut pas s’associer avec le laitier du fromage, alors que si vous avez un morceau de reblochon, et que vous prenez derrière une belle Roussette de Savoie avec de la fraîcheur, ou une Jacquère, automatiquement, l’acidité va compléter le crémeux, tout ça va se combiner sur le palais, il n’y aura pas de conflit. Je dis toujours que le mariage vin-mets, c’est comme le mariage de deux êtres, ils doivent se respecter pour avoir du plaisir.

Dans chaque maison où vous avez travaillé, vous avez découvert un terroir. Ici, vous avez rencontré les Savoyards, vous avez été surpris ?
Le plus surprenant, ce sont tous ces jeunes vignerons qui s’installent. Pendant le confinement, on en rencontrait 3 ou 4 par semaine, des gens qu’on ne connaissait pas du tout, comme Ludovic Archer ou le Domaine des 13 Lunes, installés depuis 2-3 ans, en bio ou biodynamie. Il y a un mouvement énorme sur la Savoie. Comme dans le Languedoc-Roussillon, ça bouge beaucoup aussi. Bien sûr, je ne connais pas tous les vignerons, mais au moins les trois quarts de ceux qui sont présents sur notre carte. Il y a ceux avec lesquels on entretient des relations particulières, ceux avec lesquels on travaille depuis 30 ans, ceux qui vont vous recevoir merveilleusement bien… C’est pour ça qu’il faut être curieux, aller les rencontrer, le sommelier qui reste chez lui dans son restaurant, ce n’est pas un sommelier.

Et quand vous présentez un vin, ça vous permet de parler du vigneron, de mettre de l’humain…
La qualité d’un vin, c’est le vigneron. Le terroir, le millésime, c’est son identité. Je compare toujours ça à un homme, prenez M. de Menthon par exemple, il est né dans une grande famille, mais s’il a été mal éduqué, ce sera une mauvaise personne. C’est pareil pour le vin.

Vous avez également officié 11 ans dans le Luberon, aux côtés du chef doublement étoilé Edouard Loubet, les Côtes du Rhône Méridionales, vous les connaissez bien. Quelles impressions en gardez-vous ?
Tout ce côté soleil, la garrigue, le sud… Quand je retourne là-bas, on a ces odeurs, le romarin, le thym et quand on goûte un vin de la Vallée du Rhône Sud, on les retrouve dans cette fraîcheur, cet aromatique, cette flatterie. Avec leur 100% Syrah, les Côtes du Rhône Nord sont plus épicés, plus dans le côté poivré, alors que dans le Sud, il y a très peu de vins mono-cépages, ce sont surtout des vins d’assemblage : Syrah pour la puissance et l’aromatique, Grenache pour la souplesse, la rondeur, et Mourvèdre. Et dans le blanc, il va y avoir de la Clairette, de l’Ugni blanc, de la Roussanne, avec lesquels il va falloir affiner, trouver l’équilibre. On sait que sur Châteauneuf-du-Pape, ils ont droit d’assembler jusqu’à 13 cépages en blanc ou en rouge, avec le Grenache à 60% et après Mouvèdre, Counoise, Terret Noir… Des cépages qu’on n’a pas l’habitude de trouver tout seuls, et qui d’ailleurs ne marcheraient pas seuls. Aujourd’hui, le bio, la biodynamie, le respect du terroir, prennent beaucoup d’importance là-bas aussi. Quand on parle du Domaine de Montirius, ils sont extraordinaires sur le partage de leur vin, sur la manière dont ils vont le faire, en respectant l’environnement. Dans les Côtes du Rhône aussi, il y a un vrai renouveau du vignoble.

Qu’est-ce qui fait qu’on est toujours aussi curieux ?
Ma curiosité c’est de rencontrer de nouveaux vignobles et de jeunes vignerons, parce que c’est un monde où il y a toujours des choses à découvrir, toujours de nouvelles années. Là, par exemple, je vais m’intéresser aux vins européens. Celui qui a l’impression de tout connaître, il n’aura jamais tout appris. Je suis admiratif d’Olivier Poussier (Meilleur Sommelier du Monde en 2000), il peut vous parler de n’importe quel vin, c’est une véritable encyclopédie, mais il sait qu’il a encore des choses à découvrir. La passion, on l’aura jusqu’au bout.

Et à quel moment a-t-on enfin l’impression d’avoir pris de la bouteille ?
Un de mes plus grands plaisirs actuellement, c’est de transmettre. Cette année, j’ai avec moi Augustin Belleville, un apprenti, un élève   - mais là d’ailleurs, je le considère plus comme un sommelier- : il a passé le concours «Meilleur élève sommelier en vins du Sud-Ouest», il est arrivé 1er, et 2e au «Meilleur élève sommelier de France». C’est là, quand on commence à transmettre, qu’on se dit qu’on a peut-être pris de la bouteille.

+d’infos : http://abbaye-talloires.com

Photos : Clément Sirieys

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