ciao macho ?
En 2007, quand Marika Jordan quitte l’Italie, la femme doit encore se battre pour son autonomie. Aujourd’hui, ce n’est toujours pas gagné: dans le panorama des inégalités hommes-femmes publié par le forum économique mondial, entre 2015 et 2017, la péninsule a chuté de la 41ème à la 82ème place, juste derrière Madagascar.
Aux portes de Syracuse, le port d’Augusta est l’un des principaux d’Italie. On y vit comme dans un village, mais les hommes partent en mer et ramènent des envies d’ailleurs. “Mon père, mécano sur un bateau de la marine marchande, était absent plusieurs mois, mais quand il revenait et qu’il ouvrait sa valise, il y avait toujours ces odeurs d’autres pays, ça a construit mon imaginaire”. Avec une certaine liberté, basée sur la confiance et le respect des règles, Marika et ses frères sont donc élevés par leur mère, entièrement dévouée à son foyer. “Elle avait pris cet engagement, mais, du coup, elle n’a pas pu vivre sa vie. Je me suis toujours dit que je ne ferais pas ce qu’elle a fait, que je ne pourrais jamais dépendre d’un homme”.
MARIAGE À L’ITALIENNE
Dans le schéma italien classique des relations hommes-femmes, l’homme joue au macho tant qu’il est célibataire, “mais dès qu’il est marié, c’est la femme qui décide. En réalité, il veut se marier avec sa mère!” Dans ce schéma, les jeunes – filles ou garçons – ne vivent jamais seuls. Ils terminent d’abord leurs études, puis construisent leur nid, mais n’y emménagent qu’après le mariage – au jour duquel on souhaite encore au jeune couple du bonheur et des fils, «auguri e figli maschi!».
Si elle avait suivi cette voie, comme ses amies du village, Marika ne se serait pas installée en colocation le temps de ses études, sa future belle-mère aurait eu raison de son autonomie. Après son diplôme de sociologie, elle aurait épousé son fiancé militaire, en devenant prof comme il le voulait, pour qu’elle puisse suivre ses mutations, mais n’aurait pas beaucoup exercé. A 43 ans, elle verrait ses enfants partir et se demanderait quoi faire, sans indépendance financière.

Mes tantes n’en reviennent pas quand je leur dis que mon mari passe l’aspirateur !
SOLO E CRESCENDO
Mais Marika a tout envoyé balader, à commencer par le fiancé. “Un mois après notre séparation, j’avais mon permis, une voiture, un appart’, j’étais devenue une femme des années 2000 ! Mais j’étais un peu le mouton noir… Quand j’ai rencontré Gaël (ndlr : son mari, un Savoyard), on a d’abord eu un enfant, puis on s’est marié et enfin on a construit. Un désordre total par rapport à la tradition. Et hors d’Italie, avec un étranger en plus ! Pour cette seule raison, ma mère, si elle avait été une vraie Mamma sicilienne, aurait pu couper les ponts.”
PARITÀ E LIBERTÀ
En France, elle découvre la discrétion de sa belle-famille – “ici, on ne se mêle pas des décisions des autres” – et l’implication des hommes dans les tâches domestiques… “Mes tantes n’en reviennent pas quand je leur dis que mon mari passe l’aspirateur !” Elle vit selon ses envies : “je suis libre dans toutes les sphères, personnelles et professionnelles : chaque choix est d’abord le mien, puis le nôtre. C’est le type de relation auquel chaque femme a droit, et c’est ça, pour moi, l’égalité. En Sicile, j’aurais certainement pu avoir la même liberté… mais en tant que femme seule.”
EN BREF
Conséquence de la crise économique, avenir incertain, politique familiale insuffisante… L’Italie cumule 2 tristes records : le plus grand nombre de femmes sans emploi et sans enfant. Avec 1,40 bébé par femme, la botte a en effet l’un des plus faibles taux de fécondité au monde.
Photos : Guillaume Desmurs