en station : Tess Ledeux

en station : Tess Ledeux

Big Little Tess

1,58 m d’explositivité, un mélange d’audace et de légèreté. Depuis 5 ans, Tess Ledeux squatte les podiums mondiaux de freestyle en enchaînant les figures les plus haut-dacieuses. Et quand elle s’envole, difficile de ne pas être scotchés…

©Louis Garnier / Red Bull

« Petite, je suivais beaucoup de skieurs, mais le premier qui m’a mis des étoiles dans les yeux, c’est mon cousin, Kevin Rolland ! Toute la famille se réveillait au milieu de la nuit pour suivre ses compétitions.” Forcément, quand on a des gènes communs avec un champion du Monde de half-pipe, on est naturellement plus excitée par l’idée de défier les airs que celle de toucher du piquet. “On nous obligeait à faire deux ans d’alpin avant de passer au freestyle, et ce n’était pas du tout mon truc, je n’étais pas à ma place. C’était quand même un bon terrain de jeu, mais je regardais tous les matin les freestyleurs partir à l’entraînement et je n’attendais que d’intégrer leur groupe.” Une petite tête de Gretel, de la détermination jusqu’au bout des tresses et un sacré carafon, les coaches de La Plagne n’ont pas le choix : à 9 ans, soit deux ans avant l’âge requis, Tess est exaucée, elle rejoint le côté « libre » du ski.
Avec Charlie, sa sœur aînée, elles ne sont que deux filles dans un groupe de garçons plus âgés, qui les tirent vers le haut, sans les ménager. « Je me rappelle très bien mon jour de test. On est parti en freeride, en dehors des pistes, et tout le monde a sauté un rocher. Moi, je ne suis pas allée assez loin, à l’atterrissage, je me suis pris un genou dans le nez ! » Mais il faut plus qu’un nez cassé pour l’effrayer. « Pour commencer, il faut être un peu insouciant. Après, on a besoin d’une part de peur pour canaliser les choses, ne pas faire n’importe quoi. En grandissant, on réalise qu’on n’est pas invincible, qu’on peut se blesser, c’est là que l’adrénaline s’installe. Mais jamais personne ne m’a dit « fais attention, tu vas te faire mal !»”.

Saas-Fee, Suisse, Octobre 2020 ©Louis Garnier / Red Bull

UNE GRANDE PARMI LES GRANDS

Pour être sûre de sa vocation et s’occuper à la fonte des neiges, Tess s’essaie quand même à d’autres sports : danse classique, escalade, tennis… mais elle n’a que le ski en tête. Et dans le sang. Très rapidement, ses résultats confirment qu’elle a trouvé sa voie. Elle a tout juste 15 ans quand elle prend son envol au niveau international. “Je venais d’entrer en équipe de France, tout était nouveau, les sponsors, la pression… Pour ma 1re Coupe du Monde, je pensais que j’étais à la ramasse, je n’attendais rien. Mais finalement les conditions étaient horribles, il neigeait, il y avait du brouillard. C’était à celle qui arriverait à poser son run du haut en bas, et j’ai gagné. J’ai vu que j’avais des qualités, que je pouvais prendre les choses au sérieux, que mes rêves pouvaient devenir réalité.
A peine quelques mois plus tard, elle est la première Française à participer aux XGames, l’événement mythique qui concentre, à Aspen aux Etats-Unis, tout ce que la glisse extrême compte de surdoués. Elle y décroche une médaille d’argent en slopestyle -descente sur une piste aménagée avec des tremplins et des rampes sur lesquels les skieurs ou snowboardeurs peuvent réaliser des figures–, avant de finir la saison 2016-2017 couronnée du titre de championne du Monde. Alors oui, à ce niveau-là, on peut dire que les choses deviennent sérieuses.

©Perly

ENTRE CIEL ET TERRE

Un peu trop peut-être. “Tout se passait super bien, je m’impressionnais de compétition en compétition. Je suis donc arrivée aux J.O. de PyeongChang sur petit nuage, en mode « c’est acquis ». Mais je me suis rendu compte que même avec de bons résultats, tout pouvait basculer…” Tess est en effet éliminée dès les qualifications, après une chute. C’est sa première défaite. Son monde s’écroule. “Après ça, j’ai eu une espèce de dégoût, je n’ai participé à aucune compétition pendant 6 mois.” Elle fait alors un gros travail sur elle-même, avec son coach, pour retrouver sa confiance en elle, réussir à dédramatiser, gérer le surplus de pression et garder les pieds sur terre. Sans réfréner son incroyable élan. Elle se remobilise donc, de la pointe des bâtons jusqu’au bout des spatules, pour devenir, l’année suivante, la toute première championne du Monde de Big Air, ce tremplin sur lequel il faut «plaquer» les plus belles figures et qui sera discipline olympique en 2022. Mais n’en parlons pas trop tôt. Non pas que la Plagnarde soit superstitieuse. En début de carrière, c’est vrai, elle portait les mêmes sous-vêtements à chaque compétition, mais aujourd’hui, le petit cochon en peluche qui l’accompagne partout n’est pas un gri-gri, c’est un doudou qui lui rappelle ses premiers coaches et la rassure. Elle n’est donc plus superstitieuse, mais veut, tout en avouant avoir de « gros objectifs » pour Pékin, rester concentrée sur le moment présent.

©Louis Garnier / Red Bull

FAIM DE LOOP*

Après une blessure au genou qui l’a privée des dernières compétitions de 2019-2020, Tess aborde donc cette nouvelle année à la manière d’une bouteille de champagne qu’on aurait sabrée, prête à pétiller après avoir projeté son bouchon haut et fort. C’est en effet un double «cork» (bouchon en anglais), série de rotations désaxées qu’elle n’avait jamais réussi à poser en slopestyle, qui lui vaut son premier or de la saison en Coupe du Monde en novembre. La belle 2e place qui a suivi début janvier ne l’a pas tout à fait contentée. Issue d’une famille de restaurateurs, Tess est une vraie gourmande, elle adore la pâtisserie, mais cet hiver, si elle est affamée, c’est de victoires qu’il faudra la rassasier.

*Lincoln Loop, rotation à 360° désaxée sur le côté

en station : Ben Cavet

en station : Ben Cavet

Des creux & un boss

Une pente au relief tourmenté, des tremplins dont il faut s’envoler en toute légèreté et 2 fois 20 secondes pour montrer l’étendue de ses capacités: le ski de bosses est rapide, exigeant et impressionnant à regarder. Ça tombe bien, le Haut-savoyard Ben Cavet, N°3 mondial de la discipline, l’est tout autant.

En 1994, quand il fait ses premiers pas à Tunbridge Wells, petite ville du sud-est de Londres, Ben Cavet a plus de chance de devenir champion de cricket ou de foot que de ski de bosses. Sauf que l’un de ses oncles était membre de l’équipe anglaise de ski acrobatique et qu’il a participé aux J.O. d’Albertville. Sauf que son père, accro aux sports outdoor, enseigne le ski sur la piste synthétique du coin. Et sauf que ce paternel a décidé, après plusieurs hivers en tant que moniteur en Haute-Savoie, d’installer toute sa famille dans les Portes du Soleil. Voilà comment Benjamin n’est pas devenu champion de foot ni de cricket.
Il a dix ans quand il débarque dans le Chablais et même si son patronyme sonne tout à fait local, il ne parle pas un mot de français. “C’était très dur. Ça ou du chinois, c’était pareil, on ne distingue pas les mots. Je me souviens d’être super fatigué, parce qu’hyper concentré en cours et hyper concentré à la récré aussi pour comprendre les potes, mais je me suis intégré grâce au ski-club, grâce au sport où la langue est moins une barrière.

EMPORTÉ PAR LE FULL* (*saut avec vrille complète)

Comme tous les petits gars du cru, Ben se met donc au ski, mais il est déjà attiré par les sauts et penche rapidement vers le free-style. A Châtel, on attaque la discipline par les bosses, histoire d’acquérir des bases solides. De backflips en 360, le jeune Franco-britannique godille rapidement vers les podiums. “J’ai toujours aimé la compétition, mais il y a eu comme un gros déclic vers 13 ans, après une très bonne course qui m’a marqué : j’ai vraiment éprouvé les sensations que je recherche encore aujourd’hui, j’étais comme transcendé. La compétition me fait du bien, c’est là que j’ai fait toutes mes meilleures descentes. Après, on n’a jamais vraiment trop à réfléchir, tout suit son cours tranquillement, avec le groupe, les coaches, les équipiers… Moins on rencontre de changement, mieux c’est pour un athlète, parce qu’on arrive en Coupe du Monde comme si c’était un Critérium.
La sérénité qui se dégage de ce grand blond aux joues roses -son 1,80m le place en haut de la courbe moyenne des free-stylers, un désavantage pour les sauts, mais une plus grande capacité à «absorber» les bosses- contraste avec le rythme effréné et l’intensité de sa discipline. Parce qu’un «run» de ski de bosses est en effet noté sur la technique, les sauts, mais aussi la vitesse : “c’est un sport que tu es obligé de faire à fond. Plus tu vas à fond, plus tu es engagé vers l’avant, mieux tu es et moins ça secoue !

PRIS AUX JEUX

Secoué, Ben l’est pourtant, quand il débarque sur le circuit seniors. Jusque-là, il a accumulé les succès, il aborde donc cette nouvelle étape avec beaucoup de potentiel et d’ambition. “Je pensais que, pour un champion, les choses étaient faciles, naturelles, zéro difficulté. Du coup, quand je suis arrivé en Coupe du Monde, que c’est devenu difficile, je me suis remis en cause. Peut-être que je n’en étais pas un, de champion, finalement…” Déstabilisé, le Châtellan d’adoption passe à côté de ses deux premières saisons, envisage même de tout abandonner, mais se qualifie de justesse pour les J.O. de 2014 à Sotchi. Et c’est là, quand les enjeux sont les plus importants, qu’il fait, en se plaçant 8e, le meilleur résultat de son début de carrière. Cet électrochoc le remet dans la course. En 2017, il monte 19 fois sur le podium et finit 5e du classement général. “J’ai dû beaucoup travailler sur moi-même pour continuer à progresser et m’imposer. J’essaie de ne pas éviter les émotions, même négatives et d’apprécier la pression. Si je l’ai, c’est une bonne chose, c’est que j’ai tout mis en place depuis le printemps pour bien faire.

©Agence Zoom

APRÈS-SKI ?

Tout pour bien faire ? En 2021, c’est visiblement le cas : après avoir terminé l’hiver dernier sur la troisième marche du podium mondial, il entame en décembre sa 10e saison en Coupe du Monde avec une victoire à Idre Fjäll, en Suède, pour un doublé français aux côtés de l’Ariégeoise Perrine Laffont. “Toutes les compétitions hommes et femmes se déroulent au même endroit, ça donne une dynamique encore plus sympa. Le groupe est hyper important pour moi, ça fait partie de mes valeurs. Parce qu’une victoire en Coupe du Monde, on a envie de la savourer en équipe.
Pour se donner les moyens de revivre ces émotions, aujourd’hui, Ben est donc entièrement focalisé sur son ski. “C’est comme ça que ça doit être. Mes deux principaux concurrents ne font que ça, si je veux suivre, je dois donc m’aligner et faire des heures d’entraînement. J’ai encore 6 ans de ski à fond, et même si les gens me disent que c’est dur d’arrêter jeune, je vois ça comme une chance, à 32 ans, une autre vie s’offrira à moi. Mais pour le moment, je n’y réfléchis pas trop pour essayer de rester investi à 100%. Après, je prendrai toute la passion que j’ai, toutes les leçons que j’ai apprises, pour les transférer dans autre chose.” Golf ? Cuisine ? Photographie ? Après le champ de bosses, Ben explorera celui des possibles.

©photo : Agence Zoom

en station : Argeline Tan-Bouquet

en station : Argeline Tan-Bouquet

La France a un incroyable talon

Argeline Tan-Bouquet a le sens du rythme, elle est gracieuse, fluide et aérienne sur la piste… de danse? Aussi, mais c’est surtout en télémark, entre les portillons, que la skieuse de Morillon chaloupe. Et si elle compte déjà parmi les meilleures mondiales, évidemment, elle en a encore sous le talon…

« L’alpin, c’est facile, on se met sur nos skis et on se laisse glisser, on peut ne pas faire de gros efforts – même si c’est différent en compèt’ ! – En télémark, c’est beaucoup plus fin, on est un peu funambule, sur le fil, et on part plus vite à la faute, du coup, c’est plus physique aussi, on est toujours en train de travailler. Et ce mouvement qui fait qu’on est très proche de la neige, c’est grisant.” On ne peut pas en vouloir à Argeline Tan-Bouquet de prêcher pour sa paroisse : la discipline d’origine nordique a révélé son talon. Ça s’est passé à Samoëns quand elle avait 14 ans.
Car cet alpin qu’elle trouve facile, elle le pratiquait jusqu’alors. Mais à l’adolescence, si elle aime s’entraîner, elle apprécie de moins en moins l’ambiance du club, sait qu’elle ne percera pas. Elle change donc de fixations et finit sa saison avec les télémarkeurs. “Il y avait tous les niveaux, on skiait avec les plus grands et ça m’a trop plu ! Au début, on chute, et quand ça fait plus de 10 ans qu’on fait du ski, on a un petit stade débutant, on se fait avoir et on ne comprend pas trop pourquoi, mais on se prend vite au jeu.

MARK SANS TELE

Dès le premier hiver, son expérience en géant, combiné à son habitude de l’entraînement à un rythme soutenu, lui donne un avantage sur les autres filles, pratiquantes en loisir. Et comme il n’y a pas d’autre circuit, elle débarque rapidement en Coupe de France, vit la compétition comme une « école de la vie » : “dès 16 ans, il a fallu gérer pas mal de choses en même temps : savoir se vendre, se mettre en avant, pour trouver des partenaires.
Pas toujours facile de se faire accompagner financièrement dans ce sport assez peu médiatisé, il est d’ailleurs quasiment impossible de voir des retransmissions télévisées, même de grands événements. “Quand on fait ça depuis des années, c’est bizarre d’avoir à expliquer tout le temps, on doit justifier ce qu’on fait, car ça reste plutôt confidentiel. Ça demande pourtant de gros investissements, en temps et en argent. Mais à l’exception de quelques coureurs, on n’est pas professionnel, on a une double vie.” Argeline, elle, travaille comme kiné et s’organise pour faire des remplacements entre-saison, d’avril à octobre.

Pralognan-la-Vanoise – Janvier 2019 ©Michel Cottin/Agence Zoom

AU TOUR DU GLOBE

Une organisation qui ne l’empêche pas de frayer avec le haut du panier. En tête du classement général à la fin de l’hiver 2018, la skieuse du Grand Massif devient même, à 24 ans, la première Française à décrocher le Globe de Cristal en télémark. Sa victoire en Coupe du Monde à Pralognan quelques mois plus tôt lui avait permis d’acquérir une belle avance : “c’est la course qui m’a le plus marquée. L’année d’avant, j’avais fait trois médailles d’argent, mais je n’étais pas assez régulière, je n’arrivais pas à concrétiser. Et là, je termine 2e en sprint et gagne en classique. C’était un accomplissement d’être arrivée là, en France, devant ma famille et mes proches. Et la Marseillaise, c’est vraiment quelque chose de particulier… J’ai même fait tomber mon trophée, parce que j’avais trop de choses dans les mains !
Ces triomphes, elle les partage avec le reste des Bleus : “on est une sacrée équipe, on a cette chance-là. On se tire la bourre, on regarde, on apprend. Même si en course, je ne veux pas voir quelqu’un devant moi, parfois, heureusement que l’autre fait un résultat, ça sauve notre journée !” Comme ce fut le cas aux Mondiaux de 2019, les derniers de Phil Lau, un des plus grands coureurs français. “On fait une médaille en équipe, mais globalement, ce n’est pas une grande réussite pour nous… et puis je finis 3e en parallèle, Noé Claye aussi, pour son premier podium, et Phil gagne ce jour-là la toute dernière course de sa carrière, sur une manche de folie. J’en ai encore des frissons.

EN PISTE ?

Frustrée par un hiver 2019-20 interrompu par le Covid, Argeline attend avec impatience le début de cette nouvelle saison, dont certaines compétitions ont déjà été annulées. Alors elle ronge son frein, rêve de portillons, d’adrénaline et de podiums. Comme tous les sportifs de haut niveau, elle veut toujours aller plus loin, plus vite, plus fort, repousser ses limites par tous les moyens physiques possibles. “Ça demande de la rigueur et de l’engagement, en sachant que ça ne va pas forcément payer… La compétition apprend à gagner, mais surtout à perdre, à gérer la frustration, à être patient, mais pas inactif. Avec l’expérience, j’ai moins tendance à m’énerver, j’arrive à rester calme et concentrée, mais je peux aussi être explosive, quand je suis trop dans mon truc, hurler parce qu’il s’est passé quelque chose de bien ou mal, il faut que ça sorte ! Il y a des moments où on se bat contre nous-mêmes et puis il y a un déclic. Et quand ça marche, c’est tellement génial, ça paraît tellement facile, qu’on oublie le reste et qu’on se dit qu’on veut faire ça toute sa vie !

en station : Jules Chappaz

en station : Jules Chappaz

L’âme de fond

On dit des montagnards qu’ils sont tenaces, persévérants, accrocheurs. Originaire des Aravis, Jules Chappaz ne fait pas mentir cette réputation : il ne lâche rien, surtout pour décrocher, à 20 ans, un titre de champion du monde Junior de ski. Une belle mise de fond…

©Baptiste Gros

Lahti, Finlande, 22 janvier 2019. Il reste deux kilomètres avant l’arrivée. Sur le bord de la piste, Olivier Michaud lui crie qu’il joue la médaille. L’émotion dans la voix de son coach fait comprendre à Jules que ce n’est pas qu’un encouragement, que l’or est là, à portée de skis. Il y en a à qui ça couperait les pattes.
Pas Jules. “Ça m’a donné envie de donner encore plus, j’en ai remis, remis, remis… et quand j’ai passé la ligne, j’ai vu le vert sur le grand écran, j’avais 21 secondes d’avance et plus personne derrière moi, j’étais le dernier dossard.” Ce jour-là, il est donc champion du Monde junior de ski de fond sur 10 km, une première française sur cette longue distance. “Beaucoup de médias l’ont repris, mais ça n’a jamais été mon ambition, j’étais là pour tout donner et je suis content d’avoir pu tout aligner ce jour-là, mais quand j’y repense, je revis juste l’émotion en passant l’arrivée, avec mes parents dans les tribunes.” Deux jours plus tôt, il avait terminé 4e du sprint, “j’étais déjà super content, car j’étais le seul Européen de la finale”. En ski de fond, les Scandinaves ne sont pas comptés comme Européens, histoire de laisser un peu exister les autres. Pourtant, et ça peut paraître surprenant, le fondeur de La Clusaz insiste : il n’est pas là pour la performance. “Le sport de haut niveau est un défi contre soi-même, plus que contre les autres. Je fais vraiment ça pour moi, je suis là pour jouer, pas forcément pour gagner, c’est peut-être pour ça que je garde une certaine fraîcheur par rapport aux résultats, que j’encaisse.

UNE VRAIE TÊTE DE JULES

Encaisser, se relever, travailler… C’est à l’adolescence que Jules bifurque sur le fond. Son père est moniteur de la discipline, les places en alpin sont chères et de toute façon, il n’aime pas trop s’ennuyer seul sur un téléski entre deux slaloms. Ce n’est pas vraiment son choix, “mais ce n’est pas un mauvais choix”. Dans la pratique nordique, il découvre des sensations, une équipe soudée, apprend à aller plus loin dans l’effort et à aimer le défi physique. Tant et si bien qu’il vise le pôle Espoirs du Comité Mont-Blanc. Mais s’il est « techniquement en place », à 15 ans, sa morphologie n’est pas encore celle d’un adulte, il est encore un peu petit et se voit refuser l’accès au haut niveau. Qu’à cela ne tienne. Avec le soutien du Club de La Clusaz, il s’inscrit au CNED pour suivre sa scolarité à distance afin de se concentrer sur l’entraînement. Pendant 2 ans, il ne fait que ça et rat- trape un niveau de ski qui lui permet d’intégrer le Comité, puis, en 2017, le graal : la «Fédé ». “En s’accrochant, en travaillant dur, ça paie…

J’étais peut-être le meilleur ce jour-là et je n’ai pas eu le droit de jouer…
Ça m’apportera quelque chose de positif pour la suite, plus de niaque…

RETOMBER COMME UN CHAVE SUR SES PATTES

Alors il s’accroche, Jules. Aux spatules des meilleurs fondeurs français, en équipe nationale, dans laquelle il évolue avec ses potes Cluses (de La Clusaz, ou Chaves en patois) Hugo Lapalus et Théo Schely. Au top 30 du circuit senior dans lequel il a fait des premiers pas à la suite de son exploit finlandais. Ou encore à Alexander Bolshunov, le «patron», lors du 15 km individuel de Toblach (IT) fin 2019. Une de ses plus belles courses. Le Russe, quadruple médaillé olympique, part juste derrière lui et avale rapidement les 30 secondes qui les séparent, mais le Haut-savoyard ne lâche pas l’affaire et se met dans son sillage jusqu’au bout. “J’étais très content de ça, c’était très dur, mais j’ai eu un déclic sur le fait d’aller encore plus loin, j’ai fini 13e et engrangé mes premiers points en Coupe du Monde”.
Cette première saison dans la cour des grands prend pour Jules des allures d’ascenseur émotionnel, puisqu’il a été sélectionné en Coupe du Monde, et c’est plutôt rare, mais finit sur une disqualification litigieuse pour faux départ, en mars, chez les moins de 23 ans. “J’étais peut-être le meilleur ce jour-là et je n’ai pas eu le droit de jouer. J’ai fini ma saison là-dessus et n’ai pas réussi à me re-mobiliser. Mais ça fait partie de ma carrière, ça m’apportera quelque chose de positif pour la suite, plus de niaque, plus d’envie, de dépassement.

©Daily Skier

AINSI FOND, FOND, FOND

Encaisser, se relever, travailler, encore et toujours… et profiter aussi ! De la montagne, de ses copains, des plaisirs de la table… mais après l’hiver. “Les fondeurs sont connus pour être très pros toute l’année, mais bien lâchés au mois d’avril !” C’est aussi à cette période de l’année qu’il reprend sa licence STAPS à Annecy, parce que dans une autre vie, il se verrait bien entraîneur ou gardien de refuge. Mais chaque chose en son temps. Pour le moment, Jules avance course après course, comme s’il n’y en avait qu’une et pour laquelle il se donne totalement. “C’est ma philosophie pour avancer”, conclut-il avec le large sourire qui quitte rarement sa bouille brune, “et ça marche pour ma carrière, pour le bilan d’une année, ou à l’échelle d’une course : mon objectif quand je prends le départ, ce n’est pas d’être 1er, 2e ou décrocher une sélection, mais de me lancer en faisant le mieux possible, pour ne jamais avoir de regret.


design à table : Myriam Monachon

design à table : Myriam Monachon

Service gagnant

Peintre créative, Myriam Monachon est bien dans son assiette ! sans en faire tout un plat, elle remet sans cesse le couvert pour ranimer des objets du passé et décorer la vie.

Des dizaines d’assiettes en piles, côté face, dans l’atelier de peinture, des palmiers stylisés quasi grandeur nature sur les murs de l’espace couture et trônant au cœur du garage, un four à poterie qui carbure ! A Challes-les-Eaux en Savoie, la maison que Myriam Monachon tient de sa grand-mère a été agrandie et transformée au fil des années pour laisser place à l’univers de la créatrice. Un monde peuplé d’œuvres artistiques variées, qui envahit peu à peu l’existence de cette éducatrice de profession.

ARTS ET MÉTIERS

C’est acquis, c’est inné, depuis toujours, la quarantenaire porte en elle l’amour de la création au sens large. “Petite, j’adorais les bijoux et je peignais des coquillages avec le vernis à ongles de ma mère ! J’ai aussi appris à tricoter et à coudre avec des femmes de mon entourage. Je suis une dyslexique contrariée par le système scolaire et l’art m’a toujours permis de m’en sortir, même si je n’ai pas pu en faire mon métier. Je voulais devenir décoratrice d’intérieur, mais il y a 35 ans, avec ce choix, on n’était pas pris au sérieux…” Une vocation contrariée, mais le choix d’une profession intimement liée à l’histoire familiale et aux convictions bien ancrées de Myriam: “Je ne supporte pas l’injustice, la bienveillance est pour moi indispensable. Mes deux grands-mères sont issues de la DDASS, c’est sans doute ce qui m’a donné envie d’aider les gens mis de côté. Et en tant qu’éducatrice, je suis dans la relation, qui est aussi une forme de création dans le lien, au final.

AU PIED DU MUR…

Dans le domaine pictural, Myriam est venue à la création par un de ces petits détours dont le destin a le secret. “Quand j’ai restauré la maison de ma grand-mère, je voulais une fresque murale. Comme je n’avais pas les moyens de me la payer, j’ai décidé d’apprendre à peindre pour la faire moi-même ! Et c’est comme ça que tout a commencé. Pendant plus de 20 ans, j’ai pris des cours de peinture avec Bernadette Rosaz-Grange, qui est devenue une amie. Elle m’a permis de me former à la technique et à la pratique avec des peintres du monde entier. Elle m’a fait gravir les échelons, les uns après les autres, en m’encourageant à toutes les étapes de mon évolution”. 2014, c’est le tournant. Cette année-là, Myriam participe avec Bernadette à une exposition à Chambéry…

Un artiste qui vit seul dans son coin ne grandira pas.

Il est nécessaire de partager.

Tout seul, on va plus vite, mais ensemble, on va plus loin…

OS… ER !

Formée à la peinture sur porcelaine, la créatrice relooke un service de vieilles assiettes avec un dessin de squelette. Et l’ouvrage ne passe pas inaperçu! “En voyant ce motif, des personnes de mon entourage ont trouvé cela morbide. Beaucoup ont pensé que je n’allais pas bien, on m’a même suggéré d’aller voir un psy ! Alors je suis allée creuser au niveau symbolique et j’ai trouvé que la tête de mort évoque la renaissance. Ça m’a rassurée, et comme le service a été tout de suite vendu, je me suis dit que j’avais bien fait de créer ce que je sentais, qu’il fallait que je me lâche. Jusque-là, je n’aurais pas osé, j’étais dans la retenue. Maintenant je me sens stable émotionnellement. Un mélange de maturité manuelle et intellectuelle m’a permis d’arriver à ce résultat”.

MÉMO’ART

Confortée par ce premier succès public, Myriam se met à peindre différentes illustrations et inscriptions sur de la vaisselle ancienne qu’elle chine ici et là. Têtes de mort, Playmobil®, palmiers, pins parasol, remontées mécaniques, «vieux à la plage» et autres proverbes revisités s’immiscent dans les motifs préexistants des porcelaines anciennes. Ses créations sont peu à peu exposées et commercialisées dans la boutique de créateurs Métropole B à Chambéry, puis chez des brocanteurs, dans des magasins de déco un peu partout en France. En parallèle, la créatrice répond aussi à une demande de sur-mesure. “On m’amène, de temps à autre, le service reçu de la grand-mère pour lui donner une seconde jeunesse à l’occasion d’un mariage ou pour tous les jours. Ce que je fais avec la vaisselle, c’est la restauration du souvenir, une transmission d’histoire, en somme.
Une histoire, ou plutôt des histoires, que cette «curieuse de tout et de tous» raconte aussi sur d’autres types de matériaux. Murs, vêtements, tissus, tableaux… aucun support ne l’arrête ! Myriam envisage même de se lancer dans la peinture sur linge de maison. Et si elle est aujourd’hui à titre individuel «tout ce qu’elle a toujours voulu être», la peintre n’en occulte pas pour autant l’importance du collectif. “Mon rêve serait d’ouvrir dans le coin un concept store avec d’autres créateurs. Un artiste qui vit seul dans son coin ne grandira pas. Il est nécessaire de partager. Tout seul, on va plus vite, mais ensemble, on va plus loin…” Avis aux art-mateurs…

+ d’infos : Insta : myriammonachon / Facebook : Myriam Monachon

en station : le speed riding

en station : le speed riding

Fast & curious

Il y a souvent plus de voiles que d’étoiles dans le ciel de Val Fréjus. Depuis 20 ans tout juste, la station accueille en effet les meilleurs voltigeurs de la planète et autres accros au speed-riding. Retour sur la naissance d’un sport hybride, entre vol et sol, neige et air, glisse et kiffe… ou quand les spatules ont des ailes.

Ça ne «vole» pas cet hiver-là à Val Fréjus. Comme souvent en cette saison, le vent est trop fort pour que les parapentistes déploient leurs ailes. Mais il en faut plus pour couper celles de Fred Fugen.
On est en 2001. Celui qui deviendra bientôt champion du Monde de Freefly -la discipline de parachutisme la plus radicale- et rejoindra Vince Reffet au sein des Soul Flyers, sort sa petite voile de chute libre et convainc son comparse Frank Coupat de s’envoyer en l’air, mais skis aux pieds. “C’était deux jours après la naissance de ma fille”, se rappelle Frank. “Fred me dit : «si j’y vais, tu viens avec moi !» J’y suis allé… A l’atterrissage, j’avais les mains qui tremblaient, comme après être monté sur une moto trop puissante : t’aimes bien, mais t’as un peu peur… C’est ça qui est grisant !” A part les plumes peut-être, Frank a pourtant décollé avec tout ce qui est en mesure de planer, motorisé ou non. Mais dans cette nouvelle pratique, il trouve un mélange d’adrénaline, de maniabilité et de vitesse… Des descentes à près de 100km/h contre une moyenne de 40 en parapente. “Les premières années, on était très peu à pratiquer, tout le monde attendait qu’on se tue. Mais on ne se tue pas, on défriche : matos, cadre pratique, limites…

DR. VOLTIGE ET MR. RIDE

L’hiver suivant, à l’occasion du Planet’air Festival, Frank Coupat réunit tous les phénix du vol libre dans la petite station de Haute-Maurienne et leur inocule le virus. “Tous les parapentistes et chuteurs ont adoré !”, raconte David Eyraut, alors instructeur et pilote acrobatique, militant auprès de la Fédération Aéronautique Internationale (FAI) pour la reconnaissance de la voltige au ni- veau mondial. “C’était une activité qui se détachait, très adaptée à la montagne, avec des engins qui planaient très peu, en rase-motte le long de la pente… Ça nous rappelait les débuts du parapente. Mais c’était beaucoup plus simple, pas de dépliage et re-pliage, on mettait la voile en boule dans le sac, ça prenait 20 secondes et on remontait au décollage, c’était presque comme faire du ski ! On est devenus complètement accros. J’ai passé l’hiver à Val Fréjus, la mère de Frank tenait la Bergerie sur le plateau, on avait donc des locaux pour stocker toutes les voiles que nous avaient laissées les chuteurs. Dès que le vent était trop fort ou qu’on n’avait pas de clients, on y allait, et on a commencé à former les copains qui voulaient essayer.
Parmi eux, Antoine Montant. Avec son frère Val, les deux Hauts-savoyards sont des figures incontournables des sports extrêmes, pionniers notamment du base-jump. Ils sont aussi d’excellents skieurs. “Antoine était champion de France de voltige parapente à l’époque”, précise Frank Coupat, “et très fort en ski free-ride. On lui montre alors ce qu’on sait faire -on avait 10 000 vols dans les pattes-, et lui en 2 heures, il fait le lien entre les deux pratiques, nous fait comprendre comment exploiter ski et voile.” “Il m’a dit : Je ne regarderais plus jamais une pente de la même manière”, complète David Eyraud. “Ça lui a ouvert tout un univers en tant que skieur. Et il a été le premier à penser que la voile, c’était comme les bâtons de ski, qu’il fallait décoller de temps en temps et se poser, pour skier, «rider», plutôt que voler. C’est là que le nom de speed-riding est né.” Quelques années plus tard, Antoine Montant sera d’ailleurs sacré champion du Monde de la discipline.

ENTRER DANS LES CORDES ET PRENDRE LA VOILE

Mais plus qu’une activité réservée à une élite de parapentistes, David Eyraud, lui, y voit un vrai sport à enseigner. Comme il l’a fait pour la voltige, il monte alors le dossier auprès de la Fédération Française de Vol Libre (FFVL) : autorisations dans les stations, zones de pratique, règles, pédagogie… “Il a légiféré tout ça, défini ce qui était dangereux ou pas, et heureusement !”, s’amuse Frank Coupat. “C’est probablement un des plus grands pilotes de tous les temps, son surnom, c’était « il Prodigio », mais en matière de sécurité, il place le curseur plus bas, il a décidé de ne pas faire les figures trop dangereuses. Un jour, il m’a dit : «mieux vaut travailler sa technique sans engager, qu’engager sans technique». Je suis sûr que je serais mort si je ne l’avais pas connu !” Et son sérieux paie : l’acte officiel de naissance du speed-riding est signé en 2006, les premiers moniteurs commencent à être formés, des écoles se montent. Mais le matériel, lui, n’est pas encore spécifiquement adapté.
Depuis Les Arcs, François Bon, pilote-test pour un fabricant de parapente, suit tout ça. Quand il découvre le speed-riding, sur trois minutes furtives d’images “toutes pourries mais folles !”, il est déjà en train de fabriquer des prototypes de petites voiles. Il y voit de nouvelles perspectives. Il y a tout à faire, mais quelle direction prendre ? S’inspirer du parachute ? Du kite ? “Je cherchais le juste milieu, le meilleur compromis, une voile bien à piloter, précise et sûre, car on était convaincus que ça allait attirer du monde. On est donc partis sur l’ajustement de matières parapente pour faire quelque chose qui se gonfle bien, mais avec les formes et la géométrie de quelque chose qui ne vole pas, ça a donné la «Nano», la première voile adaptée à la pratique.” Avec laquelle François Bon deviendra le premier champion de France de speed-riding.

ANTI VOL ?

Après une période d’euphorie, de compétitions et de médiatisation, notamment des exploits d’Antoine Montant et François Bon -face nord du Mont-Blanc en intégral, Grandes Jorasses, Eiger ou Aconcagua-, le speed-riding subit un coup dur en 2012 : suite à une revendication de l’ESF, les nouveaux instructeurs doivent être diplômés d’un monitorat de ski. La formation se complique, les compétitions se raréfient. Mais la pratique amateur et les grands rassemblements conviviaux persistent. “Le speed permet à tout le monde de s’exprimer en free-ride”, résume Frank Coupat, qui forme entre 150 et 200 élèves par an, au sein de son école Ataka. “On en voit qui enchaînent des virages de Coupe du Monde, alors que si on leur enlève la voile, ils sont en chasse-neige. Et c’est très familial. Chacun y met l’engagement qu’il veut. C’est comme le sel dans un plat. Et c’est parfait si on aime la neige et se mettre la tête dedans, si on aime s’amuser et si on a une âme d’enfant…” Comme celle de Pierre Bonifé, 88 ans, qui vient tous les hivers jouer sur les pentes de Val Fréjus. Aujourd’hui, les speed-riders représentent environ 10% des forfaits vendus par les remontées mécaniques de la station du Mont Cenis, “un des trois plus beaux spots français” pour cette pratique. Alors, on se fait un petit ride ?

+ d’infos : www.levelwings.com / www. haute-maurienne-vanoise.com / http://www.ecole-speedriding.com / http://www.pilotage-parapente.com

©stefcervos ©François Bon © David Eyraud

Pin It on Pinterest